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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8161

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8161. — À M. LE GOUZ DE GERLAND,
ancien bailli de la noblesse de bourgogne, à dijon.
Ferney, 2 janvier.

Monsieur, avant de répondre à l’article de votre lettre concernant M. de Brosses, souffrez que je vous remercie encore de la générosité avec laquelle vous interposâtes votre médiation entre lui et ma famille : je dis ma famille, et non moi-même, car il ne s’agissait que de ce qui pouvait appartenir à M. de Brosses après ma mort.

Je m’en étais remis absolument à lui pour le contrat d’acquisition à vie de la petite seigneurie de Tournay. Il l’estima dans le contrat trois mille cinq cents livres de rente : il m’en fit payer quarante-sept mille livres ; je ne l’ai affermée jusqu’à présent que seize cents livres. Je ne me plaignis point ; mais ma famille me fit apercevoir qu’il avait stipulé dans le contrat, entre autres articles onéreux, « que tout meuble qui se trouverait dans le château lui appartiendrait à ma mort ». Cette clause était insoutenable. Je lui proposai, en 1767, de prendre monsieur le président, ou qui il voudrait de ses confrères, pour arbitre ; il le refusa. Enfin, monsieur, vous voulûtes bien lui en parler, et, quoique son allié, vous le condamnâtes. Il m’écrivit, en ce temps-là, une lettre pour m’intimider, dans laquelle il me dit : « Quoique je ne blâme point la liberté de penser, cependant, etc… » Il me faisait entendre qu’on pourrait m’imputer des ouvrages, et que… Je ne vous en dis pas davantage, monsieur ; il semblait me menacer d’écouter la calomnie, et d’éteindre un procès pour mes meubles et pour ceux de mon fermier dans un procès pour des livres[1].

Un homme d’un rare mérite qui était chez moi vit cette lettre, et en fut très-affligé. Il en a parlé en dernier lieu, lorsqu’il s’est agi de l’Académie française. Quelques personnes zélées pour la liberté académique, et pour l’honneur de notre corps, m’en ont écrit, etc.

J’ai fait pendant dix ans tout ce que j’ai pu pour obtenir les bonnes grâces de M. de Brosses. Je me flatte d’avoir mérité les vôtres par la confiance que j’ai toujours eue dans vos bontés. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse ; je suis à vos ordres. J’ai l’honneur d’être avec le plus respectueux attachement, etc.

  1. Voyez lettres 4711, 8116, 8129.