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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8184

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 330).
8184. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
19 janvier.

Votre grand maman, madame, me fait l’honneur de m’appeler son confrère. Je prends la liberté de me dire plus que jamais votre confrère aussi, car il y a quatre jours que je suis absolument aveugle. Nous sommes enterrés sous la neige. En voilà pour un grand mois au moins.

Votre grand’maman, Dieu merci, est moins à plaindre. Elle est dans le plus beau climat de la terre. Elle sera honorée partout ; elle sera plus chère à son mari ; elle possède un petit royaume où elle fera du bien.

Mais j’ai un scrupule. On dit que son mari a autant de dettes qu’il a fait de belles actions. On les porte à plus de deux millions. On ajoute qu’un homme de quelque considération[1] lui a mandé que, sans sa femme, il aurait été ailleurs que chez lui. Voilà de ces choses que vous pouvez savoir et que vous pouvez me dire.

Cette petite Vénus en abrégé me paraît un Caton pour les sentiments, et son catonisme est plein de grâces. Vous ne sauriez croire combien je suis fâché de mourir sans vous avoir revues l’une et l’autre.

Un jeune homme qui me paraît promettre quelque chose est venu me montrer cette lettre traduite de l’arabe, que je vous envoie[2]. Je pense que votre grand’maman l’a reçue. Je vous conjure de n’en point laisser prendre de copie.

Adieu, madame ; je souffre beaucoup, je ne pourrais rien écrire qui pût vous amuser. Je suis forcé de finir en vous disant que je vous serai attaché jusqu’au dernier moment de ma vie[3].

  1. Louis XV.
  2. Voyez l’Épître de Benaldaki à Caramouftée, tome X, page 440.
  3. Une lettre de M. J.-B. Mercier Dupaty, écrite de Roanne à Voltaire, le 19 janvier 1771, est signalée dans un catalogue d’autographes avec cette mention : « Superbe lettre écrite de l’exil où le roi l’avait relégué. Il me paraît que l’on se ressouvient du mot d’Agrippine, qui disait que les philosophes nuisaient étrangement à l’autorité. Peut-être devons-nous craindre de voir reparaître l’édit de Domitien, qui les chassa de Rome. Ce sera à vous à leur donner asile, comme le pape l’a fait aux jésuites… »