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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8193

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 340-341).
8193. — À M. D’ALEMBERT.
2 février.

Mon très-cher philosophe, c’est une consolation bien faible que les assassins du chevalier de La Barre soient à leurs maisons de campagne ; mais nous ne pouvons pas espérer plus de justice dans ce monde.

Avez-vous entendu parler de ce nouveau législateur de la littérature, nommé Clément, qui juge à mort M. de Saint-Lambert et l’abbé Delille[1] ? J’ai lu cet animal, et me suis figuré que Messieurs auraient tous une pareille dose d’orgueil. Est-il vrai que ce maroufle a l’honneur d’être mis au For-l’Évêque ? J’admire ce ton décisif que prennent aujourd’hui tous les gredins de la littérature. Ce polisson, qui juge si impérieusement ses maîtres, présenta, il y a deux ans, une tragédie aux comédiens, qui ne purent en lire que deux actes. Ne pouvant parvenir à l’honneur d’être jugé, il s’est mis à juger les autres : c’est un petit élève de Fréron.

On me mande que M. de Mairan est fort malade ; voilà une quatrième place à donner bientôt. La mienne fera la cinquième : mais ne me donnez le nasillonneur[2] ni pour confrère ni pour successeur.

Ne croyez pas un mot de tout ce que je vous disais dans mon dernier billet[3]. Je parlais par économie (comme disent les Pères de l’Église[4]). Si l’abbé Delille est un homme sociable, un philosophe, et un homme ferme, ne pourriez-vous pas l’acquérir ? Il mérite par son ouvrage cette réfutation de Clément ; mais il est de l’université, et je crains toujours que ces gens-là ne soient des Riballier, des Coger, des Tamponet.

Je vous demande en grâce, mon cher ami, de dire à M. de Condorcet combien je lui suis dévoué.

Je ne sais si Mme Necker a reçu un paquet de ma part. Je vous envoie le premier volume des Questions : vous aurez ensuite le second, puis le troisième ; je continuerai ainsi autant que je pourrai.

Pleurons sur Jérusalem, et soyons tranquilles. L’oncle et la nièce vous embrassent bien tendrement.

  1. Clément avait publié à la fin de 1770, et sous la date de 1771, des Observations critiques sur la nouvelle traduction en vers français des Géorgiques de Virgile, et les poëmes des Saisons, de la Déclamation et de la Peinture ; un volume petit in-8°.
  2. Le président de Brosses.
  3. Le dernier billet est du 28 décembre 1770 (n° 8146). Il doit y en avoir de perdus ou d’inédits.
  4. Voyez tome XVIII, page 464.