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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8194

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 341-342).
8194. — À M. D’ALEMBERT.
4 février.

Je vous suis infiniment obligé, mon cher ami, de votre discours prononcé devant le roi de Danemark[1]. Jamais vous n’avez rendu la philosophie plus respectable. Ce discours est un bien beau monument. Toutes les académies de l’Europe doivent vous en remercier.

Je n’ose encore vous envoyer ma facétie sur la liberté de la presse[2], que ce monarque établit si hardiment dans ses États. Figurez-vous que je n’ai pas encore eu le temps de la faire copier. Ma colonie, qu’il faut soutenir malgré l’orage qui l’a presque renversée ; des occupations forcées, et mes maladies continuelles, ne m’ont pas laissé un moment dont je pusse disposer.

Je m’attendais bien que le maréchal de Richelieu se mettrait à la tête de la faction pour le nasillonneur[3]. Il m’avait fait entendre, dans une de ses lettres, qu’il aimait mieux me servir dans mes amours que dans mes aversions. Il a passé sa vie à me faire des plaisirs et des niches, à me caresser d’une main et à me dévisager de l’autre ; c’est sa façon avec les deux sexes. Il faut prendre les gens comme ils sont. Je lui ai écrit pourtant[4], et j’avoue ma honte à M. Gaillard[5]. J’espère qu’après tout notre homme trouvera à qui parler. Il ne fera qu’en rire ; mais tout en plaisantant, sa faction aura le dessous, et cela est fort amusant. Si je vis, je dirai deux mots à l’ami Le Bault : chaque chose vient en son temps.

Adieu, mon cher philosophe ; adieu, l’honneur des lettres. Mme Denis est enchantée, comme moi, de votre discours.

  1. Voyez tome XLVI, page 194.
  2. Tome X, page 421.
  3. Le président de Brosses.
  4. Lettres 8169, 8177, 8180 et 8195.
  5. Si l’aveu a été fait directement à Gaillard, la lettre qui le contient manque.