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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8293

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 438).
8293. — À M. LE MARQUIS D’OSSUN[1].
31 mai 1771, à Ferney.

Monsieur, je suis toujours beaucoup plus près d’aller trouver la colonie d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui sont dans le ciel, où je prétends bien aller aussi, que de faire fleurir dans mes déserts ma colonie d’horlogers, établie sous les auspices de M. le duc de Choiseul. Je ne vois depuis cinq mois que du découragement. Il suffit d’un seul homme pour faire le bien, et de son absence pour produire le mal.

Je n’ai plus les mêmes facilités que j’avais pour profiter de vos bontés. Ma colonie dit qu’elle a envoyé, il y a près de quatre mois, à M. Camps, sous l’enveloppe de Votre Excellence, une petite pacotille de montres. Je n’en ai eu aucune nouvelle depuis, et j’ai été si malade que je me suis résigné à la Providence, qui abandonne net ma colonie.

Rien n’est plus commun en France que des établissements utiles qui périssent faute de protection. Les tracasseries parlementaires se sont emparées de toute l’attention. On n’a pas même songé à la famine qui désole encore plusieurs provinces. J’aurais voulu que ma santé m’eût permis d’aller à Chanteloup pour goûter la consolation de voir mon protecteur ; mais je ne suis pas en état de faire un voyage.

Cependant aucun des entrepreneurs n’a abandonné la colonie ; ils sont entre la crainte et l’espérance. J’entends dire que M. le comte d’Aranda a fait des établissements en Castille qui réussissent mieux ; mais aussi il est M. le comte d’Aranda.

Je remercie bien sensiblement Votre Excellence de toutes ses bontés. J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect et la plus tendre reconnaissance, etc.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.