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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8388

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 528-529).
8388. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 18 octobre.

Madame, je n’écris point par cette poste à Moustapha[1] ; permettez-moi de donner la préférence à Votre Majesté impériale ; il n’y a pas moyen de parler à ce gros cochon, quand on peut s’adresser à l’héroïne du siècle.

J’ai le cœur navré de voir qu’il y a de mes compatriotes parmi ces fous de confédérés. Nos Welches n’ont jamais été trop sages, mais du moins ils passaient pour galants ; et je ne sais rien de si grossier que de porter les armes contre vous : cela est contre toutes les lois de la chevalerie. Il est bien honteux et bien fou qu’une trentaine de blancs-becs de mon pays aient l’impertinence de vous aller faire la guerre, tandis que deux cent mille Tartares quittent Moustapha pour vous servir. Ce sont les Tartares qui sont polis, et les Français sont devenus des Scythes. Daignez observer, madame, que je ne suis point Welche ; je suis Suisse, et si j’étais plus jeune je me ferais Russe.

Votre Majesté impériale m’a bien consolé par sa lettre du 4 septembre ; elle a daigné m’apprendre le véritable état des affaires vers le Danube. La France, ma voisine, retentissait des plus fausses nouvelles ; mais je reste toujours dans ma surprise que Moustapha ne demande point la paix. Est-ce qu’il aurait quelques succès contre mon cher Ali-bey ?

Ah ! madame, qu’une paix glorieuse serait belle après toutes vos victoires !

Tandis que vous avez la bonté de perdre quelques moments à lire le quatrième et le cinquième volume des Questions, le questionneur a fait partir le sixième et le septième[2] ; mais il a bien peur de ne pouvoir continuer. Il n’en peut plus, il est bien malade ; et voilà pourquoi il désirait que Votre Majesté allât bien vite à Constantinople, car assurément il n’a pas le temps d’attendre.

Ma colonie est à vos pieds ; je voudrais qu’elle pût envoyer des montres à la Chine par vos caravanes, mais elle est beaucoup plus glorieuse d’en avoir envoyé à Pétersbourg. Votre Majesté impériale est trop bonne ; je suis toujours étonné de tout ce que vous faites. Il me semble que le roi de Prusse en est tout aussi surpris et presque aussi aise que moi. Rien n’égale l’admiration pour votre personne, la reconnaissance, et le profond respect du vieux malade de Ferney.

  1. Voyez la lettre 8379.
  2. Les sixième et septième volumes des Questions sur l’Encyclopédie.