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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8462

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 11-12).
8462. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
20 janvier.

Je n’ai pas dit, mes chers anges, dans ma dernière lettre, tout ce que j’avais à vous dire.

Premièrement, Mme Denis et Mme Dupuits vous remercient de votre souvenir.

Secondement, j’ai toujours oublié de vous répondre sur l’extravagante et honteuse opinion de M. Niquet ; mais ce n’est pas une opinion, c’est une absurdité avancée au hasard, pour justifier une horreur. Et j’ai cru qu’il suffirait de l’exposer sans la réfuter.

Troisièmement, j’écris à mon neveu le Turc ; je le remercie et je le félicite d’être assez heureux pour vous avoir servi.

J’ai encore une autre chose à vous dire. On me reproche d’avoir approuvé la destitution de l’ancien parlement, et l’érection du nouveau : quand je n’aurais pour excuse que mon amitié pour le doyen des nouveaux conseillers clercs et la conduite vertueuse qu’il a tenue, cela me suffirait.

Mais vous savez que dans une visite que me fit M. l’avocat général Seguier, au mois d’octobre 1770, il me dit que quatre conseillers au parlement le forçaient à déférer certaine Histoire du Parlement, et à la faire brûler : ainsi donc


Seguier m’eût affublé d’un beau réquisitoire.


Il était digne de ces bourgeois, tyrans pires que la faction des Seize, de faire brûler l’histoire la plus vraie, écrite avec la plus grande modération.

Pouvais-je d’ailleurs aimer bien tendrement ceux qui avaient trempé leurs mains dans le sang innocent du chevalier de La Barre ? et des décemvirs insolents contre lesquels on ne pouvait jamais obtenir la moindre justice devaient-ils être si chers à la nation ?

Des amis de M. le duc de Choiseul disent que je lui ai manqué en me déclarant pour le parlement nouveau. Mais quel rapport, s’il vous plaît, entre M. le duc de Choiseul et cette troupe de bourgeois séditieux que j’ai toujours eus en horreur ?

Je vous prie très-instamment de tâcher de l’aire parvenir à M. le duc de Choiseul tous les sentiments de respect, d’attachement et de reconnaissance dont je suis pénétré pour lui. Vous le pouvez très-aisément, soit par M. le duc de Praslin, soit par quelque autre voie, sans vous compromettre. Je serai certainement dévoué à M. le duc de Choiseul jusqu’au dernier moment de ma vie, quand même Mme du Deffant s’imaginerait que je suis ingrat. Cette idée pénètre mon cœur sensible. J’aime M. le duc de Choiseul autant que je hais l’ancien parlement, et je voudrais que tout le monde le sût.

J’ai pour vous des sentiments encore plus tendres comme de raison. Il faut que les plus anciens amis soient toujours les premiers dans le cœur, comme ils sont les premiers en date. V.

  1. Inédite. Tirée de la collection de M. Stapfer.