Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8766
M. Bertrand, dans un très-éloquent discours, parle de sa tombe ; c’est de très-bonne heure, il m’a volé mon sujet, car je suis attaqué actuellement d’une strangurie violente qui pourrait bien mettre fin à tous mes tours de chat, tandis que vous ferez encore longtemps vos très-beaux tours de singe.
On nous annonce que Fréron vient de mourir. C’est une terrible perte pour les belles-lettres et pour la probité. On dit que tous les écrivains des Charniers, et Clément à la tête, se disputent cette belle place. Elle n’en était point une, elle l’est devenue. La méchanceté l’a rendue très-lucrative. J’imagine qu’il ne serait pas mal qu’on prévint monsieur le chancelier : il ne voudra pas déshonorer à ce point la littérature. Je n’ose lui en écrire, parce que je l’ai déjà importuné au sujet de cette infâme édition du libraire Valade. Les gens en place n’aiment pas qu’on les fatigue. L’étoile du Nord n’est pas de ce caractère ; vous demandez si bien et si noblement[1], que probablement vous ne serez pas refusé deux fois.
Vous croyez bien que j’ai vanté à cette étoile la noblesse de votre âme et de votre procédé ; j’avais bien beau jeu, et vous savez bien encore qu’elle n’a pas besoin qu’on lui fasse sentir tout ce qu’il y a de grand dans une telle démarche.
Raton a un extrême besoin de savoir si Bertrand a reçu trois petits sacs de marrons, l’un venant de la cuisine de Marin, l’autre, des offices de M. d’Ogny ; et le troisième, de la buvette de monsieur le procureur général. On en fait cuire de nouveaux sous la braise.
Je vous avais demandé[2] si on pourrait avoir une adresse sûre pour M. de Condorcet, cela était nécessaire ; mais ce qui est beaucoup plus nécessaire encore, c’est que ce pauvre Raton ne soit pas nommé. Vous ne sauriez croire à quel point ses pattes sentent le brûlé. Il est bien triste que ces deux bonnes gens ne puissent se trouver ensemble, et rire à leur aise du genre humain.
- ↑ La liberté des Français faits prisonniers en Pologne.
- ↑ Lettre 8745.