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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8767

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8767. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
12 février.

Il n’est pas douteux, mon cher ange, qu’il ne faille absolument retirer la pièce[1], pour attendre une saison plus favorable. Il est bien cruel que ce Valade ait choisi tout juste le temps où je travaillais à cet ouvrage pour le défigurer si indignement. Mais il est bien étrange que M. de Sartines n’ait pas fait saisir tous les exemplaires. Les méchants, qui sont toujours en grand nombre, ne manquent pas de faire accroire que c’est moi qui ai fait imprimer la pièce telle qu’elle est, et qui crie contre ma propre sottise.

Vous avez dû voir, dès le premier moment, quel est celui dont l’avidité insatiable[2] a vendu ce misérable manuscrit au libraire Valade. Il m’a fait beaucoup plus de tort qu’il ne pensait, et il doit se repentir de la lâcheté de son action.

J’envoie à M. de Thibouville un billet[3] signé de moi pour retirer la pièce. J’écris à M. le maréchal de Richelieu[4] pour le supplier d’empêcher qu’on ne la représente ; voilà tout ce que peut faire un pauvre vieillard attaqué d’une strangurie cruelle : c’est un mal pire que tous les comédiens et tous les Valade du monde. Je pourrais bien mourir ; en ce cas, je ne ferai plus de mauvais vers, et on ne m’en attribuera plus ; mais je mourrai en aimant mes anges.

  1. Les Lois de Minos.
  2. On voit, par les lettres 8769 et 8797, que les soupçons de Voltaire tombaient sur le comédien dont il parle dans la lettre 8753 : il sut plus tard que c’était Marin ; voyez la lettre à d’Argental du 25 février 1774.
  3. No 8768.
  4. No 8769.