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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8873

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 406).
8873. — À M. LEJEUNE DE LA CROIX.
À Ferney, 28 juin.

Un vieux malade de quatre-vingts ans a retrouvé dans ses papiers une lettre du 12 de mai, dont M. Lejeune de La Croix l’a honoré. Il y parle du mot idiotisme. Puisque idiot signifiait autrefois solitaire, le vieillard avoue qu’il est un grand idiot ; et, comme les organes de l’âme s’affaiblissent avec ceux du corps, il avoue encore qu’il est idiot dans le sens qu’on attache aujourd’hui à ce terme. Il pense que l’idiotisme est l’état d’un idiot, comme le pédantisme est l’état d’un pédant ; le jansénisme est l’état d’un janséniste, le fanatisme celui d’un fanatique, comme le purisme est le défaut d’un puriste, comme le népotisme était autrefois l’habitude des neveux de gouverner Rome, comme le newtonianisme est la vérité qui a écrasé les fables du cartésianisme.

Le vieillard n’a pas le fatuisme de croire avoir raison, il s’en faut beaucoup ; mais, comme il a embrassé depuis longtemps le tolérantisme, il espère qu’en faveur de l’analogisme, M. de La Croix voudra bien, malgré son atticisme, permettre à un homme qui est depuis vingt ans en Suisse un solécisme ou un barbarisme.


Multa renascentur quæ jam cecidere, cadentque
Quæ nunc sunt in honore, vocabula, si volet usus,
Quem penes arbitrium est, et jus et norma loquendi.

(Hor., de Arte poet., v. 70.)

Comme estime est due à un homme estimable, le vieillard assure M. de La Croix de sa respectueuse estime.