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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8924

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 455-456).
8924. — À MADAME DE SAINT-JULIEN.
À Ferney, 9 septembre.

Je dérobe un moment, madame, à mes souffrances continuelles, et à mille affaires qui m’accablent, pour me jeter à vos pieds, pour vous remercier de vos bontés, dont mon cœur est pénétré.

Je commence par vous dire que l’innocence de M. de Lally m’est aussi démontrée que celle de M. de Morangiés : la seule différence que je trouve entre eux, c’est que l’un était le plus brutal des hommes, et que l’autre est le plus doux. J’ai entrepris d’écrire sur ces deux affaires, par des motifs qu’une âme comme la vôtre approuve. J’avais passé une partie de ma jeunesse avec la mère de M. de Morangiés, le lieutenant général, qui voulait bien m’honorer de sa bienveillance. J’avais été lié avec M. de Lally[1], par un hasard singulier, dans l’affaire du monde la plus importante ; et, en dernier lieu, sa famille m’avait demandé le faible service que je lui ai rendu.

Puisque vous voulez, madame, vous occuper un moment des Fragments sur l’Inde[2], qui contiennent la justification de M. de Lally, donnez-moi vos ordres sur la manière de vous les faire parvenir. M. d’Ogny, qui a la générosité de se charger des ouvrages de nos manufactures, ne peut faire passer par la poste rien qui sorte de la manufacture des libraires : cela est expressément défendu.

Vous faites assurément une bien bonne action, madame, en déterminant M. le maréchal de Richelieu à faire représenter à la cour une pièce qui lui est dédiée, et qui a été faite pour cette cour même. Vous croyez bien que je sens toutes les conséquences de cette indulgence que monsieur le maréchal aurait pour moi, et dont j’aurais l’obligation à votre belle âme. Elle ne se lasse pas plus de rendre de bons offices et de faire du bien, que votre légère figure de nymphe ne se lasse de tuer des perdrix.

Ce n’est point moi, assurément, madame, qui ai donné des copies de ce petit billet que j’écrivis par M. de La Borde ; il sait que je n’en avais pas de copie moi-même. Je ne devinais pas que cette petite galanterie pût jamais être publique [3].

Quant aux plaisanteries entre M. le maréchal de Richelieu et M. d’Argental, comme je ne suis pas absolument au fait, je ne sais qu’en dire ; je dois me borner à leur être tendrement attaché à tous les deux ; et, si j’avais encore quelques talents, je ne les emploierais qu’en m’efforçant de mériter les suffrages de l’un et de l’autre. J’ai su tout ce qui s’était passé au sujet d’un de vos amis, dont je respecte le mérite ; j’en ai été bien affligé. Je m’intéresserai, jusqu’au dernier moment de ma vie, à tout ce qui pourra vous toucher. M. Dupuits, qui viendra vous faire sa cour incessamment, vous en dira davantage ; il vous dira surtout combien vos sujets de Ferney vous adorent. Ma reconnaissance n’a point de bornes, et mon cœur n’a point d’âge.

Agréez, madame, mon tendre respect.

  1. En 1745.
  2. Voyez une note sur la lettre 8916.
  3. La lettre à Mme Du Barry avait été imprimée dans le Mercure de septembre 1773, sauf le troisième quatrain.