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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8947

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Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 471-473).
8947. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 8 octobre.

On me charge de faire un abrégé des principales choses qui distinguent mon héros. Cela doit s’imprimer avec votre estampe dans un grand in-folio intitulé la Galerie française[1] : monseigneur le maréchal peut juger si cette commission m’enchante. Je crois vous savoir assez par cœur ; mais je pourrais, dans mon désert, me tromper sur les dates.

Permettez donc que j’aie recours à vous. Vous pouvez faire mettre par un secrétaire, sur une feuille de papier, les jours où vous fûtes fait colonel, brigadier, maréchal de camp, lieutenant général, maréchal de France ; les dates des Fourches-Caudines du duc de Cumberland, de Gênes sauvée[2], etc.

Je me charge de l’enluminure du tableau, et je vous supplie de vouloir bien me faire tenir le paquet contre-signé.

J’ai reçu votre ultimatum de Trianon, du 27 septembre. Je vois bien qu’il y a quelque chose dans le Code de Minos qui ne plaît pas à des Français ou à des Françaises. La vieillesse est faite pour recevoir des dégoûts ; mais elle doit être assez sage pour les supporter avec une entière résignation. Les Anglais sont fous d’une tragédie des Scythes[3] que mes bons amis avaient tâché de faire échouer à Paris. On la joue continuellement à Londres, et on en a fait trois éditions coup sur coup. Nul n’est prophète en son pays[4]. J’ai d’ailleurs un ennemi assez violent auprès de la personne[5] dont vous avez eu la bonté de m’envoyer une lettre. Il est fortement protégé par mademoiselle sa belle-sœur, avec laquelle il est venu à Paris. C’est originairement un petit huguenot[6] d’un petit village auprès de Castres, qui a été ministre du saint Évangile à Genève et en Danemark. Je vous le livre pour le plus déterminé scélérat qui soit dans l’église de Calvin. Il a obtenu par cette demoiselle la place qu’avait l’abbé Alary à la Bibliothèque du roi. Cela est juste et est à sa place. J’espère que l’abbé Sabatier aura le premier évêché vacant. Pour moi, qui ai renoncé aux dignités ecclésiastiques, je ne prétends qu’à la continuation de vos bontés. Ce sera ma consolation au bord de mon lac et au pied de mes montagnes, en attendant que je puisse venir vous faire ma cour dans votre royaume[7] du prince Noir.

Au reste, le billet de cette belle dame était plein de grâce comme elle ; et, en me l’envoyant vous-même, vous me l’avez rendu encore plus précieux. La moitié de votre cour était à Lausanne en Suisse ; mais j’imagine que vous aurez plus de monde à Fontainebleau.

Que mon héros daigne agréer toujours mes très-respectueux et très-tendres sentiments.

Le vieux Malade.

  1. L’article fut fait par Moline ; voyez lettre 8982.
  2. Voyez tome XV, pages 347 et 275.
  3. Tome VII, page 261.
  4. Luc, iv, 24.
  5. Mme Du Barry.
  6. La Beaumelle.
  7. L’Aquitaine ou Guienne, dont Richelieu était gouverneur.