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Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 9006

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9006. — À M. DE MAUPEOU,
chancelier de france.
À Ferney, 20 décembre.

Monseigneur, je commence par vous demander pardon de ce que je vais avoir l’honneur de vous écrire.

Vous avez méprisé, avec tous les honnêtes gens du royaume, plus d’un libelle écrit par la canaille et pour la canaille. L’abbé Mignot, outragé comme vous dans ces libelles écrits probablement par quelque laquais d’un ancien parlementaire, a suivi votre exemple ; et peut-être même ni vous, monseigneur, ni lui, n’avez daigné jeter les yeux sur ces misérables écrits. Cependant il y a des calomnies qui ne laissent pas de faire quelque tort à la magistrature ; et, quand on en connaît les auteurs, quand ils mettent eux-mêmes leur nom à la tête d’une brochure, j’ose croire qu’il est permis de vous en demander la suppression.

On avait dit, dans deux libelles contre vous et contre votre parlement, que l’abbé Mignot est le petit-fils du pâtissier Mignot, dont Boileau dit, dans ses Satires, que


Dans le monde entier
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.

(Sat. iii, v. 67.)

Je ne sais pas si en effet cet homme était un si mauvais cuisinier, ni même si ces vers de Boileau sont si bons ; mais je sais que mon neveu est le fils d’un correcteur des comptes, petit-fils et arrière-petit-fils de secrétaires du roi, et que sa famille, anoblie depuis plus de cent cinquante ans, établit la manufacture des draps de Sedan, et fut par conséquent plus utile au royaume que le faiseur de petits pâtés.

Cependant un nommé Clément, fils d’un procureur de Dijon qui n’exerce plus depuis 1771, s’avise de répéter cette sottise dans une brochure littéraire à moi adressée, intitulée Quatrième Lettre à M. de Voltaire, par M. Clément. À Paris, chez Moutard, libraire de madame la dauphine, rue du Hurepoix, à saint Ambroise. Ce Clément, chassé de Dijon, et demeurant à Paris, a été déjà mis en prison par la police.

Il dit, page 83, que le pâtissier Mignot est mon oncle. Je ne serais pas fâché d’avoir eu pour oncle un traiteur, si on avait fait bonne chère chez lui ; mais, dans un ouvrage de littérature, imprimé avec permission, et que tout le monde lit, cette petite calomnie jette un très-grand ridicule sur la tête à cheveux blancs d’un conseiller de grand’chambre, et avilit un corps que vous avez voulu honorer.

Les libelles contre les grands sont des grains de sable qui ne peuvent aller jusqu’à eux ; mais les libelles contre de simples citoyens sont des cailloux qui leur cassent quelquefois la tête.

Je finis, comme j’ai commencé, par vous demander pardon de vous importuner pour cette misère.

Je suis avec le plus profond respect et le plus sincère attachement, monseigneur, etc.