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Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/74

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Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 450-456).
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27 juillet 1750.

Le parlement de Paris, qui fait rarement des exemples de sévérité en certain genre, a fait brûler, dans une même semaine, deux hommes pour le péché de non-conformité et fouetter publiquement sept ou huit femmes pour le péché contraire. Ces deux événements ont fourni à M. Berchin l’idée d’une épigramme qui m’a paru assez plaisante :

duqDites-nous donc, dame Justice,
Duquel des deux amours vous préférez l’office ?
Pour avoir de Sodome allumé le flambeau
Naguère on fit griller un pauvre couple en Grève ;
Aujourd’hui, pour avoir tranché du maquereau
Et rallumé les feux qu’Adam sentit pour Ève,
Au cul d’un âne on vit une honnête bourgeoise
À qui, mal à propos, vous avez cherché noise.
Décidez cependant, car il faut bien, parbleu,
Qu’un homme soit Villars ou qu’il soit Richelieu.


— L’Académie française a distribué tous les ans, depuis 1671 jusqu’en 1748, des prix de prose qu’on vient de recueillir en deux volumes. Tous ces discours roulent sur des sujets de religion et de morale. Il y en a quelques-uns de mauvais, beaucoup de médiocres, et peu d’excellents. Les meilleurs sont ceux de nos plus grands hommes. M. de Fontenelle a mis dans le sien plus de délicatesse, Mangin plus de nombre, le président Hénault plus de sentiment, Toureil plus d’esprit, La Motte plus de philosophie, Roy plus d’éloquence. Le seul discours qui mérite à mon gré une grande attention est celui qui fut couronné en 1695, sous le nom de M. Brunet, et que je sais, à n’en pouvoir douter, être de Fontenelle. C’est un morceau des plus hardis et des plus philosophiques qui aient été faits dans ce pays-ci.

— On vient de m’envoyer un nouveau roman intitulé les Amours de Mahomet[1]. C’est une des plus insipides brochures que je connaisse.

— L’infâme poëte Roy qui, comme l’a si bien dit M. de Voltaire, a la rage et non l’art de médire, vient de faire contre Mme de Graffigny une méchante épigramme qui a révolté tout Paris. Tout manque, l’esprit, la versification, le sel, la vérité.


Jeune et belle l’on devient riche,
De jour en jour on s’arrondit ;
Vieille et pauvre, on n’a que l’affiche
De dévote et de bel esprit.
Ces métiers donnent à repaître,
Mais le premier s’apprend sans maître,

L’autre exige plus de façon ;
Oui jadis, mais aujourd’hui non.
Romans, lettres, pièces sifflées,
D’auteur femelle tout est bon ;
Broutez donc, bêtes épaulées,
Mais au bas du sacré vallon.

On a parodié contre le poëte Roy l’épigramme qu’il avait faite. Pour entendre cette parodie, il faut savoir que ce méchant homme a une jolie femme très-sotte, qui a vécu et qui vit encore avec un de nos partisans appelé Le Riche[2], et que ce commerce a été très-lucratif pour le poëte Roy.


Quand on est cocu par Le Riche
De jour en jour on s’arrondit ;
Sa fortune en vain on affiche
Sous le titre de bel esprit.
Cocuage donne à repaître ;
On n’y fait plus tant de façon.
De son honneur chacun est maître,
Quand on profite tout est bon,
Coche, opéras, odes sifflées
Passaient jadis, aujourd’hui non.
Époux de bêtes épaulées
Sont chassés du sacré vallon.


M. Perrinet-Dorval vient de faire imprimer à Berne un Traité des feux d’artifice pour le spectacle et pour la guerre[3], dont il avait donné un essai, il y a deux ou trois ans, à Paris. Je trouve dans cet ouvrage de la méthode, de la précision et tout le genre d’agrément dont il était susceptible. Un artiste médiocrement intelligent entendra ce livre, et avec ce livre exécutera tous les feux qui sont d’usage sur terre, dans l’air et sur l’eau ; ce qui regarde la guerre est traité fort superficiellement. Il y a dans ce livre, le seul bon que nous ayons sur cette matière, un grand nombre de belles planches qui ont été gravées à Paris.

Mlle Brillant, qui a longtemps joué l’opéra-comique en Flandre et à Lyon, débuta jeudi à la Comédie-Française. C’est une fille d’environ vingt-six ou vingt-sept ans, assez jolie quoiqu’elle louche, d’une taille dont il n’y a rien à dire. Elle a d’assez beaux bras, un son de voix intéressant, et beaucoup d’intelligence. C’est dommage qu’elle soit extrêmement maniérée et un peu froide. Le premier de ces défauts est d’autant plus insupportable qu’il ne lui donne aucune dignité, et le second d’autant plus sensible qu’elle le porte jusque dans les rôles où il faudrait le plus de chaleur. Cette actrice a choisi pour ses rôles de début celui de Lucinde dans l’Homme à bonnes fortunes, qui est peu de chose et qui est joué supérieurement par Mlle Gaussin. Elle y a été peu applaudie ; en revanche, elle l’a été beaucoup dans les Folies amoureuses.


CHANSON NOUVELLE
Par M. Portelance.

Me faitDu jour je préviens le réveil ;
Me faitL’Amour, ennemi du sommeil,
Me fait À ma tendre bergère
Me fait dès le matin préparer un bouquet.
MeAvec plaisir elle prend mon œillet,
MeBientôt après elle me satisfait,
Me faitMais c’est le cœur qui le fait faire.

Me faitPour ne pas manquer de retour
Me faitLa belle me donne à son tour
Me fait Pour ma brebis plus chère
Un ruban que sa main m’offre, toujours charmant.
MeMoi, dans mes vers, je peins le sentiment,
MeLe désir vient, nous faisons autrement,
Me faitMais c’est le cœur qui le fait faire.

Me faitNous bravons les vaines grandeurs,
Me faitL’univers est dans nos deux cœurs.
Me fait De notre amour sincère
Nous goûtons les transports, nous aimons les soupirs.
MeSans souhaiter, les grands ont les plaisirs ;
MeMais nous avons la douceur des désirs ;
Me faitPuis c’est le cœur qui le fait faire.

Me faitQue n’ai-je le pouvoir d’un roi !
Me faitJe ne le voudrais que pour toi,
Me faitDisais-je à ma Glycère.

Irritée, au village elle tournait ses pas ;
MePour moi, dit-elle, aurais-tu plus d’appas,
MeMon cher Daphnis, je ne le ferais pas
Me faitSi le cœur ne le faisait faire.

Me faitNon, non, me disait-elle encor,
Me faitTon amour seul fait mon trésor :
Me fait Aux tendres cœurs pour plaire
Il ne faut pas des biens emprunter la splendeur ;
MeUn amant riche est souvent imposteur ;
MeMais on ne peut soupçonner notre ardeur
Me faitCar c’est le cœur qui le fait faire.

Me faitPour toujours, Glycère, aimons-nous,
Me faitNe rompons point des nœuds si doux.
Me fait Dieu du tendre mystère,
Répands toujours sur nous tes aimables bienfaits ;
MeNous nous livrons aux douceurs de tes traits :
MeQue le désir nous enflamme à jamais,
Me faitEt que le cœur le fasse faire.


Histoire d’un gentilhomme écossais aux cours de Suède et de Pologne pendant les règnes de Frédéric-Auguste et de Charles XII[4].

C’est un Écossais mécontent, qui quitte sa patrie en 1707 pour venir en France, d’où il passe en Pologne et en Suède. Des duels, des enlèvements, des rivalités, des travestissements, des sympathies, toutes les extravagances de nos anciens romans sont réunies dans celui-ci ; tout l’avantage qu’il a sur les autres, c’est qu’il est fort court. Il est d’ailleurs écrit sans esprit, sans légèreté et sans délicatesse.

— On vient de faire partir pour le Portugal une grille d’église qui coûte deux cent mille écus. Cet ouvrage, qui a attiré l’attention de tout Paris, a été exécuté par un très-bon ouvrier nommé Destriches, sur les dessins envoyés de Portugal et faits par un architecte que je crois Italien et qui réside à Lisbonne. Nous avons été ici plus contents de l’exécution que du dessin, qui nous a paru trop composé.

Lucina sine concubitu ; Lucine affranchie des lois du concours. Lettres traduites de l’anglais d’Abraham Johnson[5].

Le but de cet ouvrage est de faire voir qu’une femme peut concevoir et accoucher sans avoir de commerce avec aucun homme. Suivant ce système, la semence dont nous sommes produits est composée d’animalcules déjà formés et qui, disséminés dans les endroits convenables, sont pris avec les aliments et avec l’air. Du corps des hommes où ils ont pris de la force, ils passent dans la matrice des femelles où ils sont nourris plus abondamment. Après s’être assuré de l’existence de ces animalcules, l’auteur a voulu savoir s’ils pouvaient acquérir la maturité nécessaire à leur existence en passant seulement par les vaisseaux de la femme. Pour cela, il a pris de ces animalcules, les a mêlés dans une préparation chimique qu’il a fait prendre à une fille comme une médecine, a gardé à vue la personne sur laquelle il faisait son expérience, et il en est résulté un fort gros garçon.

Toute cette plaisanterie m’a paru piquante, parce qu’elle est traitée avec un air d’érudition et de gravité qui fait douter quelques instants si M. Johnson n’est pas persuadé de ce qu’il avance. Contre l’ordinaire des savants, l’auteur n’a pas poussé le badinage plus loin qu’il ne convenait, et ne s’est pas appesanti sur les détails qui auraient dégoûté de l’idée principale qui m’a paru agréable. Cette brochure réussit beaucoup à Paris, mais on m’apprend que le magistrat la veut supprimer.


ODE ANACRÉONTIQUE À LA ROSE.

Tendre fruit des pleurs de l’aurore,
Objet des baisers du zéphir,
Reine de l’empire de Flore,
Hâte-toi de t’épanouir.

Que dis-je ? hélas ! crains de paraître,
Diffère un moment de t’ouvrir,
L’instant qui doit te faire naître
Est l’instant qui doit te flétrir.

Thémire est une fleur nouvelle
Qui subira la même loi,
Rose, tu dois périr comme elle ;
Elle doit briller comme toi.

Descends de ta tige épineuse,
Prête-lui tes vives couleurs ;

Tu dois être la plus heureuse
Comme la plus belle des fleurs.

Va, meurs sur le sein de Thémire ;
Qu’il soit ton trône et ton tombeau ;
Jaloux de ton sort, je n’aspire
Qu’au bonheur d’un trépas si beau.

Si quelque main a l’imprudence
De venir troubler ton repos,
Emporte avec toi ta défense,
Garde une épine à mes rivaux.

Tu verras plus d’un jour peut-être
L’asile où tu vas pénétrer ;
Un soupir te fera renaître
Si Thémire peut soupirer.

L’Amour aura soin de t’instruire
Du côté que tu dois pencher ;
Éclate à ses yeux sans leur nuire,
Pare son sein sans le cacher.

Qu’enfin elle rende les armes
Au dieu qui serra mes liens
Et qu’en voyant finir tes charmes
Elle apprenne à jouir des siens.

— On a recueilli, dans un assez gros volume, les pièces qui ont été jouées au Théâtre-Italien depuis trois ou quatre ans. Ce recueil renferme quelques comédies qui ont été goûtées, d’autres qui n’ont pas réussi, et deux qui n’étaient pas de nature à être jouées.

  1. Les Amours de Mahomet, écrits par Ayesha, une de ses femmes, Londres, 1750, in-12. L’auteur est resté inconnu.
  2. La Popelinière.
  3. Les deux premières éditions sont de 1745 et de 1747.
  4. Livre inconnu aux bibliographes.
  5. Voir sur l’auteur de ce livre et sur la valeur de cette plaisanterie scientifique la jolie réimpression donnée par J. Assézat. Paris, F. Henry, 1865, in-16.