Cours d’agriculture (Rozier)/CUVE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 607-615).
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CUVE. Grand vaisseau garni d’un seul fond destiné à recevoir la vendange, Planche 17 ; la forme de ce vaisseau varie suivant les pays ; ici elle est ronde ; là, quarrée ; dans quelques endroits cerclée en fer ; dans d’autres, avec de forts cerceaux faits avec le bois de châtaignier, ou avec celui du bouleau ou avec celui du frêne ; la même variété a lieu relativement aux douves qui sont ou de chêne ou de châtaignier ou de mûrier.

I. De la forme des cuves. Dans tout le royaume elle est plus large par le bas que par le haut ; ordinairement aussi haute que large, & souvent plus haute que large. Dans les environs de Sens, au contraire, la cuve est environ deux fois plus large que haute, & plus large ou au moins aussi large dans le haut que dans le bas. S’il en existe ailleurs de semblables, je l’ignore ; ce sont plutôt de vastes cuviers pareils à ceux destinés pour les lessives de ménage, que des cuves.

On a raison de tenir le haut plus étroit, & le degré de resserrement dépend de la main de l’ouvrier, qui diminue plus la largeur de la douve par le haut que par le bas ; par ce moyen les douves joignent beaucoup mieux, & les cerceaux quelconques ont une action plus immédiate sur les douves. Si on manioit une cuve comme un tonneau, comme une barrique, il seroit à la rigueur moins nécessaire d’élargir le bas & de diminuer le haut ; mais une cuve une fois placée ne se dérange plus ; il faut donc que, lorsque chaque année on rebat les cerceaux avant la vendange, que le cerceau ne puisse pas glisser du haut en bas ; ce qui arriverait nécessairement si la colonne formée par la cuve étoit droite, à cause de la retraite prise par le bois, & que la chaleur de l’été rend indispensable. Ainsi que la cuve soit ronde ou quarrée, il est essentiel que le bas soit plus large que le haut.

Les grands propriétaires de vignobles doivent préférer les formes quarrées, puisqu’en supposant la même hauteur & le même diamètre à une cuve ronde, elle tiendra moins qu’une cuve quarrée, parce que celle-ci gagne par ses angles. La quarrée mérite encore la préférence sur la ronde, en ce qu’elle est moins dispendieuse pour l’entretien ; quatre bandes sur chaque face d’une cuve de six pieds de hauteur, suffisent, & il faudra au moins deux douzaines de cerceaux pour une cuve ronde de la même hauteur. Les cerceaux sont plus communément faits d’une petite partie de cœur de bois & d’aubier que de vrai bois ; il n’est donc pas surprenant s’ils sont plutôt vermoulus, & si pour en placer un qui éclate, il faut enlever tous ceux du dessus ; au lieu que la bande est toujours de bon bois comme il sera dit ci-après, & qu’on peut enlever & la remettre sans le plus léger inconvénient.

En général les cuves n’ont point assez de hauteur sur leur largeur ; ce défaut vient souvent du peu de hauteur du plancher du cellier, ou de ce que l’on recherche trop la facilité de jeter la vendange dans la cuve. Si le plancher du cellier est élevé, rien n’empêche de former avec de longues & fortes planches une montée doucement inclinée qui prendroit de la porte du cellier & le continueroit vers la cuve. Je préférerois la cuve placée ainsi que je l’ai dit au mot Cellier, article à relire à cause de ses rapports avec celui-ci.

Les cuves rondes sont trop connues pour les décrire ; les quarrées le sont moins : si elles étoient parfaitement quarrées, aucune bande, même la mieux serrée, ne feroit joindre parfaitement les douves. Il faut donc que l’ouvrier en les préparant, donne quelques lignes de plus à la surface extérieure qu’à la surface intérieure ; il en est de même pour les cuves rondes, mais la diminution sur la partie intérieure de celles-ci doit être plus forte. Un renflement d’un pouce à un pouce & demi sur chaque face, & égal sur toutes, suffit pour une cuve quarrée de cinq à six pieds de diamètre : la bande doit décrire la même courbe, & l’on peut, si l’on veut, le prendre sur son épaisseur ; mais il vaut mieux lui faire acquérir cette courbe, ou par le moyen du feu, ou en mouillant le bois & le chargeant de pierres sur les deux bouts, lorsqu’il est assis sur un terrein affermi auquel on a donné à peu près la forme de la courbe, & non pas autant que celle que doit par la suite décrire la bande à force d’être serrée par les clefs.

II. Des proportions des cuves. Elle est arbitraire & dépend de la fantaisie de l’ouvrier. Je crois cependant que la bonne règle seroit au moins de dix à douze lignes de resserrement par pied sur la hauteur ; alors les bandes ou les cercles joindroient fortement, lorsqu’on enfonceroit les clefs des premières, & lorsque l’on chasseroit les seconds de haut en bas avec le coin sur lequel doit frapper le maillet. Un autre motif au moins aussi intéressant que le premier, rend précieuse cette inclinaison sur la partie intérieure, & je suis surpris que personne n’y ait encore fait attention : si les parois de la cuve étoient perpendiculaires, la masse fermentante se soulèveroit sans contrainte vers sa surface ; le chapeau de la vendange si avantageux à la fermentation, n’auroit presque point de consistance & bomberoit peu dans le milieu ; au lieu que ses bords, pressés par le plan incliné donné au douves, sont repoussés vers le milieu & peu à peu les grains de raisins, les pellicules, semblables à autant de coins qui pressent vers le centre, augmentent le volume du chapeau & le font bomber en raison de l’inclinaison des douves. Que l’on considère le chapeau d’une cuve évasée également par le haut comme par le bas, ou d’une cuve beaucoup plus étroite dans sa partie supérieure, & l’on verra une différence bien sensible dans la courbure. Au mot Fermentation on reconnoîtra les avantages procurés par le chapeau. Dans le premier cas, il est moins épais que dans le second.

III. Des cuves quarrées. Le premier soin du propriétaire est de visiter avant qu’on assemble les pièces, séparément chaque douve du fond & des côtés, & de rejeter sans miséricorde celle qui aura encore quelque portion d’aubier, sur-tout dans les angles ; 2°. d’examiner si le bois est parfaitement sec, & a fait son effet ; 3°. s’il n’est point traversé de part en part par des nœuds qui soient gercés, crevassés ; 4°. si chaque pièce a été par-tout bien dressée sur le banc ou colombe, afin qu’il ne reste point de vide lorsqu’on la présentera à la douve voisine ; en un mot, si chaque pièce est exactement saine d’un bout à l’autre, & si elles sont toutes de la même épaisseur. On payera bien cher dans la suite ces manques d’attention ou de confiance aveugle dans l’ouvrier.

Un des points importans est que le jable ou rainure, ménagé dans la partie inférieure de la douve, soit large, profond, proportion gardée avec l’épaisseur du bois, & que le clain de la douve le remplisse exactement.

Toutes les pièces qui forment le fond doivent être goujonnées, c’est à-dire, garnies de chevilles qui les réunissent les unes aux autres par le plan de leur épaisseur ; ce que j’ai dit des douves de la circonférence, s’applique encore plus essentiellement à celles du fond, parce qu’une fois en place, on n’a plus la facilité de les examiner & d’y remédier comme à celles des côtés.

Chaque douve des encoignures doit être taillée en équerre & d’une seule pièce, afin de recevoir les deux douves ses voisines. Si les coins étoient formés par la réunion des deux douves, il seroit bien difficile que la liqueur ne coulât pas ; les coins seroient toujours mal serrés par les bandes.

Toutes les douves d’une cuve quarrée, sont maintenues par quatre rangs de liens ou bandes. La plus inférieure appuie contre les douves du fond, & entre cette extrémité, il reste au moins un espace de quatre à cinq pouces. Cet espace est garni par des traverses de même épaisseur qui soutiennent le fond, & ces traverses & le bas des douves, & le bas du lien portent sur des pièces de bois sur lesquels la cuve est montée : on peut suppléer ces pièces de bois par des piliers en maçonnerie ou par des murs. Le grand point est que sous la cuve il règne un grand courant d’air & point d’humidité, si on veut en garantir le fond de la moisissure qui entraîne bientôt la pourriture. La seconde bande est placée à peu près à un pied au-dessus de la première ; la troisième & la quatrième à la même distance.

On appelle bande ou lien, une planche de chêne ou de châtaignier de trois à quatre pouces d’épaisseur, sur une longueur proportionnée au diamètre de la cuve & de six pouces de hauteur, mais qui doit excéder ses bords au moins de huit pouces de chaque côté.

Ce lien, (Figure 1, Planche 17, page 607) est percé en A d’une mortoise & garni à son extrémité B, d’un tenon percé dans son milieu d’un trou pour recevoir la clef C. À présent, en supposant ces quatre liens taillés ainsi, on voit qu’une partie est emboîtée, & que l’autre emboîte celle qui s’en rapproche. Ainsi, dans la mortoise A, entre le tenon B du lien voisin, & ainsi successivement, de manière, que lorsque les clefs C sont placées, les quatre liens sont assujettis les uns contre les autres ; ils touchent alors par tous les points les douves des quatre faces : comme les clefs sont faites en coin, plus on les enfonce, & plus les quatre liens serrent les douves ; le tenon B doit être garni d’un petit cerceau de fer à son extrémité, afin que la clef chassée fortement par le marteau, ne le fasse pas éclater. Si la mortoise A occupe la droite dans le lien supérieur & sur la face de devant, elle occupera la gauche sur la même face dans le second lien ; la droite sert pour le troisième, & la gauche pour le quatrième ; il en est de même pour tous les liens de chaque face, dans quelques endroits le lien de devant & de derrière est garni d’une mortoise à chacune de ses extrémités, & les extrémités des deux autres sont garnies par des tenons. Je crois que les douves sont plus serrées par la première méthode.

IV. Des cuves rondes avec des liens. Dans les provinces méridionales où les grands cerceaux sont prodigieusement coûteux, on a imaginé des liens moins dispendieux, & la nécessité a fait naître l’industrie. La Figure 2 représente une de ces cuves vue en perspective, & ces liens marqués A ; la Figure 3, fait voir le fond de la cuve garnie de ses liens A, pour soutenir les douves perpendiculaires dont la place est marquée en B, & dans le jable desquels s’enfonce le clain du fond C ; la Figure 4 offre le profil d’une partie des courbes qui forment le lien, & fait voir leur assemblage. Chaque pièce de bois a communément trois pieds de longueur, quatre pouces de largeur & trois pouces de hauteur. Chaque extrémité est échancrée, ainsi qu’on le voit Figure 4, & les pièces A sont réunies par des chevilles B qui les traversent de part en part. Pour trouver la courbe nécessaire, on entaille le bois ; il vaudroit mieux, si la chose étoit possible, trouver des morceaux de bois qui eussent la courbure nécessaire, parce que le bois seroit à droit fil & par conséquent plus solide.

V. Des cuves en maçonnerie. Je préfère celles-ci à toutes les autres : une fois construites avec soin, elle n’exigent plus aucune réparation, & on peut les appeler des cuves éternelles. Je crois même que celles en bois sont plus coûteuses. Cet objet mérite une attention particulière de la part des grands propriétaires de vignobles.

La forme quarrée est la plus avantageuse, & en même temps la plus économique, parce que, si on construit trois cuves à côté les unes des autres, on économise & la matière & la main d’œuvre de deux murs. Il y a deux manières de les construire, ou en béton, ou en pouzzolane. (Voyez ces mots) J’ai oublié de dire, en parlant du béton, que la proportion de la chaux devoit être d’un cinquième plus forte que pour le mortier ordinaire, à moins que la chaux ne soit d’une qualité supérieure. Je n’ai pas encore assez insisté sur la qualité du sable : plus il est pur, c’est-à-dire, moins il contient de parties terreuses, & meilleure est la construction. Il faut donc laver le sable à grande eau, afin qu’elle entraîne les molécules terreuses. Ces attentions sont essentielles dans la construction des cuves.

On ne peut, pour les cuves, employer le béton comme pour les caves & les fondations des édifices : il faut ici construire des encaissemens avec des planches bien jointes ensemble, & soutenues par derrière avec des piquets.

Nous supposons qu’un propriétaire veuille construire trois cuves sur un même alignement, & qui se toucheront ; nous supposons encore que chacune de ces cuves aura huit pieds de diamètre sur neuf à dix de hauteur : voici leurs proportions. Si on adosse ces cuves contre un des angles des murs du cellier, l’épaisseur de douze à quinze pouces suffit ; celle des murs de séparation, de quinze pouces ; celle des murs de face, de deux pieds quatre pouces par le bas, réduits à dix-huit pouces d’épaisseur dans la partie supérieure. L’expérience a justifié la solidité de ces proportions. Dans les cuves ainsi construites, toute la partie intérieure de la maçonnerie est montée perpendiculairement, & la réduction de vingt-huit pouces à dix-huit est prise sur la partie extérieure des murs de face.

Avant de songer à élever ces murs, il faut auparavant avoir fait un massif de maçonnerie ordinaire, de trente pouces de hauteur au-dessus du sol, & par-dessus étendre un lit de béton d’un pied d’épaisseur. Cette élévation facilite le service de la cuve, lorsqu’on tire le vin ; & dans le cas qu’on fasse fermenter des vins blancs, après les avoir mis sur le pressoir, comme on le pratique dans quelques endroits du royaume, on approche la barrique sous la cannelle ; elle se remplit, on ferme le robinet, on remplit une nouvelle barrique, & ainsi successivement.

Ce lit sera incliné vers la partie antérieure de la cuve, afin que le vin puisse s’écouler entièrement par la cannelle implantée à la base du mur de face. C’est sur ce lit que doivent prendre naissance tous les murs du pourtour & de séparation.

Un ouvrier adroit &. intelligent peut donner même inclinaison sur la partie intérieure, que dans les cuves en bois ; le tout dépend de la manière dont il formera les côtés intérieurs de son encaissement ou plutôt de son moule.

Il est bien plus essentiel que la cristallisation des murs d’une cuve soit égale par-tout, que pour ceux d’une cave. (Voyez ce mot) Il est donc nécessaire de prendre des précautions en les élevant : à cet effet, on formera des couches de béton de trois pouces d’épaisseur. Des ouvriers, armés de battoirs semelés de fer, massiveront cette couche, en formeront une nouvelle qu’ils massiveront ainsi successivement. Pendant les heures des repas des ouvriers, on couvrira ces couches avec de la paille mouillée : si la chaleur du jour est forte, on aura la même attention, lorsqu’ils quitteront le travail à l’approche de la nuit. Le lendemain matin, ils enlèveront ce lit de paille, & passeront sur toute la superficie de l’ouvrage une légère couche d’un lait de chaux, & cette couche facilitera l’union intime du travail du jour & du travail de la veille : c’est ainsi qu’on achèvera les trois cuves, & plus, si on le désire. Toute l’opération finie, il ne reste plus qu’à tenir les fenêtres du cellier fermées, afin d’y conserver la fraîcheur. La saison la plus convenable à cette espèce de construction est le commencement du printemps : dans les grandes chaleurs, le béton cristallise mal, l’évaporation de l’eau surabondante est trop rapide.

Les cuves montées en la pouzzolane, (voyez ce mot) se construisent à l’instar des maçonneries ordinaires. La seule différence consiste à mettre moitié chaux, un quart de sable & un quart de pouzzolane, & lorsque les murs sont faits, de passer sur la partie intérieure une forte couche de ce mortier en plusieurs reprises différentes, afin que les gerçures formées dans la première épaisseur soient bouchées par le mortier du second lit, & enfin par le troisième. Un ouvrier sera, pendant un jour ou deux, occupé à passer & repasser sa truelle sur les parois de la couche, à l’appuyer fortement ; ce qui est une espèce de massivage.

Ceux qui n’auront pas de pouzzolane, peuvent bâtir à la manière de Lille & de Tournay. (Voyez le mot Citerner) Je ne conseille point les mortiers préparés avec la brique pilée & réduite en poudre, qu’on substitue à la pouzzolane. J’ai vu une cuve construite avec ce dernier mortier, donner un mauvais goût au vin : comme je ne l’ai vue qu’en passant, sans avoir le temps de l’examiner, je n’insisterai pas davantage.

Je voudrois que les cuves en maçonnerie quelconque, servissent à deux usages, & pour la vendange, comme cuves, & pour le vin, comme foudres. (Voyez ce mot) À cet effet, il faudroit élever, sur le quarré des murs de face, de seconds murs qui formeroient un cube, & au point de leur réunion il ne resteroit que dix-huit pouces de largeur. Dans ce cas, les murs de face auroient, sur toute leur hauteur, deux pieds quatre pouces d’épaisseur, & ceux du cube, seulement l’épaisseur de quinze pouces dans le haut, & diminueroient insensiblement d’épaisseur en approchant de la partie supérieure des murs de face. On conçoit, 1°. que si on pratique ce cube, les murs de séparation d’une cuve à l’autre doivent nécessairement avoir l’épaisseur de deux pieds quatre pouces ; 2°. que pour maçonner & massiver ces murs aussi solidement que ceux de la base, il est nécessaire de leur donner un fort encaissement, que l’on élèvera à mesure, au moins extérieurement ; 3°. que la forme cubique est préférable à toute autre, à cause de la facile construction de l’encaissement, & de la manière aisée de placer les supports de cet encaissement ; 4°. que la hauteur de ce cube dépend de celle du plancher, & des facilités qu’on peut se procurer, afin de remplir ces cuves, & des moyens pour en retirer la vendange avec le secours d’une poulie, des seaux, &c.

On ménagera, dans la partie supérieure du cube, une recoupe de quelques pouces, destinée à recevoir un cadre de bon bois de chêne garni de sa trape, percée d’un trou dans son milieu qui, au besoin, fera l’office du trou de bondon des tonneaux. Dans le temps de la vendange, & pendant celui de la fermentation, ce cadre sera enlevé, & lorsque cette cuve ou foudre sera remplie de vin, après avoir pressuré la vendange, la même trappe sera remise en place, & les intervalles qui resteront entre le bois & les parois du mur, seront fortement mastiqués avec un mélange de sang de bœuf & de la chaux réduite en poudre : cette mixtion doit former une pâte molle qui, peu à peu, prendra la consistance la plus solide.

Je ferai voir, en parlant de la fermentation des vins, combien ils gagnent en qualité lorsqu’ils fermentent dans la plus grande masse possible ; &, en parlant de leur conservation, combien il est économique de les tenir dans des vaisseaux, dont la surface soit aussi petite qu’il est possible.

VI. Du couvercle des cuves. Quelques particuliers se sont apperçus que la vaste surface d’une cuve laissoit échapper inutilement une très-grande quantité des principes du vin, & qui assurent sa durée ; ils ont proposé en conséquence de placer sur la cuve un couvercle formé soit avec de la paille, soit avec des couvertures d’étoffes, soit avec des planches ; mais personne ne s’étoit encore avisé de proposer un couvercle double, semblable à celui de la Fig. 5.

« On aura soin de placer, dit l’auteur de cette invention, dans l’intérieur de la cuve, à la distance d’un pied & demi environ du bord supérieur, un liteau fixe, circulaire & saillant, sur lequel on puisse faire reposer un cercle de bois semblable au fond de la cuve, & sur lequel les hommes puissent fouler les grains de raisins, si on n’aime mieux les faire écraser avant de les jeter dans la cuve. Ce cercle ou fond de bois doit être percé de plusieurs trous ronds, assez grands pour que les pellicules des raisins écrasés puissent y passer, & ces trous doivent être évasés par en-bas, afin que rien ne s’y arrête. Si ces trous sont plus étroits, alors ce fond intermédiaire sera composé de deux ou de plusieurs pièces, qu’on lèvera ensuite pour laisser passer les raisins pressés, & qui seront fixés par la traverse K, Fig. 5. Ce fond étant appuyé sur le liteau circulaire, qui est un vrai anneau, sera très-solide ; il sera formé comme le fond des tonneaux, comme celui des cuves, & ne différera du fond de la base, que parce que celui-là aura un diamètre plus petit que celui de la double épaisseur des pièces latérales de la cuve.

 » Cette cuve aura un couvercle ou fond supérieur mobile, Fig. 6, mais plus large que celui qui fait la base, afin qu’en le mettant sur l’ouverture de la cuve, il puisse la couvrir sans s’enfoncer, quoiqu’une forte pression soit exercée sur lui par une raison semblable. La même solidité est requise pour le fond intermédiaire qui est percé. Ces pressions seront produites par deux pièces de bois, dont l’une CD, Fig. 5, sera placée perpendiculairement entre le fond intermédiaire & le fond supérieur, & l’autre EF, Fig. 6, entre le fond supérieur de la cuve & le plancher du cellier.

» Leur effet est d’empêcher que, lorsque le vin fermentera dans la cuve & s’élèvera, le fond intermédiaire & le fond supérieur ne soient déplacés & chassés par l’action de la liqueur qui se dilate : mais l’effet des deux fonds est différent, & voici les raisons pour lesquelles on le place ainsi. Le fond intermédiaire, qui est percé de plusieurs trous, sert à empêcher que les pellicules du raisin ne montent au haut de la cuve, parce que ces corps réunis, formant une croûte légère, surnageroient bientôt la liqueur, s’aigriroient en se desséchant par le contact de l’air, & communiqueroient ensuite aux vins la mauvaise qualité qu’ils ont contractée, comme le levain aigrit toute la masse. Ce fond intermédiaire étant percé, permet à la liqueur fermentante de s’élever dans la cuve, en passant par les trous qui ont été ménagés dans toute la surface de ce fond. Le couvercle ou fond supérieur est destiné à arrêter la trop grande évaporation des esprits du vin en fermentation, & de ce gas qui se recombine en partie avec la liqueur. On ne doit pas craindre que le gas, ainsi concentré, brise la cuve, parce qu’une partie sensible s’échappe par les joints des planches du fond supérieur, & sur-tout par les vides qui se trouvent entre cette espèce de couvercle & les bords de la cuve ».

J’ai cru indispensable de faire connaître la description de ce nouveau couvercle de cuve, consignée dans un mémoire couronné par une académie, afin de prévenir la partie du public qui ne réfléchit point, & qui croit sur parole, 1°. que l’exécution de ce double couvercle est impraticable ; 2°. que, quand même elle le seroit, elle ne produirait point l’effet que l’auteur annonce ; 3°. que la croûte ou chapeau, formée par les pellicules des grains du raisin égrené & bien foulés, est très-épaisse, & non une croûte légère ; 4°. que cette croûte ne s’aigrit point ; que, mêlée au vin, elle n’agit pas comme le levain sur la pâte ; 5°. que même en supposant qu’au moyen de ces couvercles, il s’élevât sur la surface du vin aucune grappe, aucune pellicule, l’écume qui se formeroit sur cette surface, auroit autant le goût & l’odeur que l’auteur appelle aigre, sans la connoître, que la croûte légère dont il parle ; 6°. que l’auteur a fabriqué son couvercle d’après son imagination, sans en avoir fait aucune expérience ; & que ce qui vient d’être copié d’après son mémoire imprimé, prouve qu’il n’a jamais suivi les effets de la fermentation d’une cuve. Toutes ces propositions seront démontrées à l’article Fermentation. (Voyez ce mot)

VII. De la préparation des bois destinés à la fabrication des cuves, des grands vaisseaux vinaires, &c. Les bois de chêne blanc, & sur-tout de chêne vert & châtaignier, contiennent un principe d’astriction & d’amertume désagréables, qui se communiquent au vin lors des premières fermentations dans la cuve, ou lorsqu’on met du vin dans les tonneaux pour la première fois. Ce principe est dû aux parties extractives contenues dans ces bois, & à leurs parties colorantes dont la liqueur s’imprègne. La prudence exige que le propriétaire achète les bois qui doivent servir à la construction, une ou deux années d’avance, & qu’à cette époque ils soient déjà secs. Ces bois débités en douves grossières seront, pendant les mois du printemps & de l’été, plongés & maintenus dans une eau courante, ou dans des fosses dont l’eau puisse se renouveler au besoin. Dans ce second cas, on verra bientôt cette eau changer de couleur, devenir brune, contracter une odeur désagréable. Lorsqu’on renouvelera l’eau pour la seconde, la troisième fois, &c. sa couleur sera moins foncée : enfin, lorsque les douves ne coloreront plus l’eau, il sera temps de les tirer de la fosse, de les mettre sécher à l’ombre, dans un lieu exposé à un grand courant d’air. On les range lit par lit, en sens contraire ; & entre chaque lit, on place des tasseaux, afin que les douves ne se touchent point. Lorsqu’elles sont bien sèches, c’est le cas de doler, de les passer sur la colombe, enfin de monter les vaisseaux. Elles ne sauroient être trop sèches pendant cette opération, parce qu’elles prendront moins de retraite par la suite, & les cerceaux ou les liens joindront beaucoup mieux. Avant de se servir des cuves pour la vendange, il est nécessaire, douze à quinze jours par avance, de les remplir d’eau ; 1°. afin de s’assurer si elles ne répandent par aucun endroit ; 2°. afin d’achever d’enlever la partie colorante & extractive qu’elles pourroient avoir retenues ; 3°. lorsqu’on aura bien égoûté toute l’eau, les sécher avec des linges, des éponges, &c. 4°. y jeter aussitôt après plusieurs chaudronnées de moût bouillant, & on en imbibera tous les parois ; 5°. placer des couvertures d’étoffe, & à plusieurs doubles, sur l’orifice de la cuve, afin d’y conserver, le plus long-temps possible, la chaleur que le moût a communiqué aux douves. On peut même répéter cette opération jusqu’à trois fois, en faisant écouler le moût qui a servi précédemment. Si on goûte le premier moût, on lui trouvera de l’astriction, moins au second, & point au troisième.

Quant aux cuves déjà employées à des vendanges précédentes, il est indispensable, huit à douze jours avant d’y mettre de nouveau des raisins ; 1°. de faire resserrer les cerceaux par un tonnelier, ou serrer les clés des liens ; 2°. d’y jeter de l’eau, (la chaude vaudrait mieux) afin de faire renfler le bois ; 3°. de renouveler cette eau chaque jour, de bien imbiber toutes les douves, & de les frotter avec des balais ; 4°. enfin, à la veille de la récolte, de faire écouler toute l’eau, de sécher la cuve, d’y jeter une ou deux chaudronnées de moût bouillant, qui en humectera tous les parois. On peut, si l’on veut laisser ce moût dans sa cuve.

Plusieurs propriétaires, après que la vendange est tirée de la cuve, la font laver à grande eau : c’est une opération inutile ; il vaut mieux que les douves soient imprégnées de vin que d’eau. Le seul soin qu’elles exigent, est de les balayer avec soin, & de n’y laisser ni grappes ni pellicules qui attirant l’humidité, moisissent & communiquent l’odeur au bois. Il est encore à propos d’enlever le bouchon du fond de la cuve & de la cannelle placée dans sa partie antérieure : ces deux ouvertures établissent un courant d’air qui empêché toute moisissure. Le propriétaire vigilant ne permettra pas que les poules aillent se hucher sur le haut de la cuve ; que ses gens la prennent pour entrepôt quelconque ; que, sous le dessous & entre les chantiers qui la supportent, il y reste la moindre ordure, ni la plus légère mal-propreté. Toutes ces observations sont essentielles & de la plus grande conséquence : il est inutile d’en détailler les raisons, on les sent assez.

Je préviens le propriétaire, que s’il a des réparations à faire à ses cuves, à ses pressoirs, &c. il n’attende pas le moment de la vendange, ni même le mois qui la précède. À ces époques, les ouvriers sont trop occupés, ils ne savent où donner de la tête ; le travail est mal fait, la main d’œuvre est plus chère, & la réparation est à renouveler. S’il choisit la saison d’hiver ou du printemps, il économisera beaucoup, & l’ouvrier donnera le temps nécessaire à son travail.