Cours d’agriculture (Rozier)/BÉTON

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 244-246).
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BÉTON. Quelques-uns prononcent Bléton. Genre de maçonnerie très-économique, & pas assez en usage. Nous en devons la connoissance aux romains ; ils l’employoient particuliérement pour la conduite des eaux. Tel étoit l’aqueduc qui conduisoit l’eau dans la Naumachie, autrefois bâtie où est actuellement la place des Terreaux à Lyon, & dont on voyoit les vestiges à la porte de Saint Clair, avant qu’on eût construit le grand chemin le long du Rhône ; mais en remontant ce fleuve, à deux lieues au-delà, il en reste encore des morceaux aussi entiers que lors de leur construction. Cette manière de maçonner s’est conservée dans le Lyonnois & dans quelques provinces voisines. Elles doivent encore, aux romains la manière de bâtir en pisay. (Voyez ce mot)

Le béton n’est autre chose que le mélange de la chaux, du sable & du gravier. Il faut bien se garder de le confondre avec le mortier de M. Loriot, & avec le mortier de M. de la Faye ; c’est une opération toute différente. En voici le procédé. On prend de la chaux la plus récemment tirée du four ; on l’éteint dans un bassin proportionné à sa quantité ; & ce bassin n’est autre chose que du gros gravier mêlé de sable, disposé circulairement pour contenir l’eau & la chaux. Dès que la chaux est éteinte, & encore toute chaude, & très-chaude, c’est-à-dire, au moment où elle est bien infusée, plusieurs hommes armés de broyons, broient ensemble cette chaux, ce sable & ce gravier ; & lorsque le mélange est bien fait, c’est le moment d’employer ce mortier.

Supposons que ce soit pour la fondation d’un édifice quelconque. On commence par ouvrir les tranchées ou fondemens, à la profondeur, la longueur & largeur convenables, non-seulement pour les murs de face, mais encore pour ceux de refente. Toute la terre enlevée, & le tout bien préparé, on place de distance en distance, des bassins de sable ou de gravier, où l’on éteint la chaux ; aussitôt après qu’elle a été broyée ainsi qu’il a été dit, les mêmes ouvriers armés de pelles, poussent le tout dans les tranchées, se hâtent d’éteindre de nouvelle chaux, & de la même manière, & continuent l’opération jusqu’à ce que la tranchée soit remplie. Pendant ce tems, d’autres ouvriers armés de longues pioches, sassent sans cesse le béton dans la tranchée, afin de chasser l’air qui peut rester entre les différentes couches ; enfin, quand la tranchée est remplie, elle est aussitôt recouverte de deux à trois pieds de terre, & reste ainsi pendant un an ou pendant deux ; ce qui vaut encore mieux. Dans cet intervalle, la masse totale se cristallise toute d’une pièce, quand même elle seroit dans l’eau ; & quelques années après, elle est si dure, que le pic ne peut y mordre.

Il ne faut pas croire qu’on doive, pour cette opération, choisir du gravier fin. Quand même il seroit gros comme le poing ; quand même, à la place de ce gravier, on emploieroit des retailles de pierre, l’opération n’en seroit pas moins parfaite.

Lorsque l’on juge que la cristallisation, ou, pour me servir du mot le plus employé, lorsque la prise du mortier est faite, on enlève la terre, on mouille la surface ; enfin, on élève le reste de la maison en maçonnerie : c’est ainsi que les fondations de toutes les maisons qui couvrent actuellement le Brotaux, vis-à-vis de Lyon, ont été faites. Dix ouvriers font plus d’ouvrage dans un jour, que quarante qui maçonneroient ces fondations. Il est vrai qu’il faut donner le tems au béton de se cristalliser ; mais à la campagne, où l’on n’est pas si pressé de bâtir qu’à la ville, & où les loyers ne sont pas si lucratifs, cet espace de tems facilite les moyens d’apporter & de rassembler les autres matériaux à peu de frais, parce que l’on profite, pour les charier, des jours pendant lesquels les animaux ne peuvent entrer dans les champs ; d’ailleurs, il y a moins de dépense à faire tout à la fois, & c’est un grand point pour le cultivateur.

On a vu que les parois des tranchées ont servi de moule ; ainsi, dans la supposition qu’on ait voulu faire plusieurs pièces souterraines, & communiquant les unes avec les autres, il aura suffi de laisser le noyau de terre qui doit former l’ouverture de la porte d’une pièce à une autre ; de sorte qu’on peut dire qu’on jette au moule toute la partie inférieure d’un bâtiment. Consultez les mots Cave, Citerne, Cuve ; ils offrent tous les détails à cet égard.

Le point essentiel pour faire un bon béton, est qu’il soit encore chaud dans le moment qu’on le jette dans la tranchée.

Le second avantage du béton, est pour la maçonnerie aquatique. Faut-il élever un quai, empêcher qu’un ruisseau n’emporte le terrain, ne creuse sous les fondemens, le béton fournit le moyen le moins dispendieux & le plus sûr. Lorsque les pilotis sont enfoncés, on coule sur le devant & contr’eux, des revêtemens formés de vieilles planches, qui servent d’encaissement pour la partie extérieure. Si le courant est rapide & profond, on plante en avant quelques pilotis, & qu’on enfonce peu. Ces premiers pilotis retiennent les planches d’encaissement, comme le feroit une coulisse. Tout étant ainsi disposé, on se hâte de remplir l’intervalle en béton, jusqu’à la hauteur que l’on desire. Il prend aussitôt de la consistance ; & quelques années après, il faut faire jouer la mine pour le détruire. J’en ai vu l’expérience. Ce que j’ai dit des quais s’applique à toutes les maçonneries qu’on oppose à l’eau. Si l’encaissement devient trop dispendieux, on peut y suppléer en employant les mauvaises toiles fabriquées avec de la filasse. On en fait des sacs grossiers ; & dès qu’ils sont remplis de béton, ils sont aussitôt précipités au fond de l’eau. C’est ainsi que les fondations du quai de Villeroy de Lyon ont été faites. Le courant de la rivière étoit si rapide, & la masse d’eau si considérable, que toute la chaux étoit délayée & entraînée ; de sorte que le gravier seul arrivoit au fond.