Cours d’agriculture (Rozier)/CAVE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 601-609).


CAVE. Lieu souterrain consacré à renfermer les vaisseaux remplis de liqueurs spiritueuses, telles que le vin, le cidre, le poiré, &c. La cave diffère du cellier, en ce que celui-ci est ordinairement de plein-pied avec le sol. Il s’agit actuellement d’examiner :

1o. Quelle doit être la profondeur d’une cave, la hauteur de sa voûte, la disposition des soupiraux, &c. pour qu’elle soit bonne ?

2o. À quoi reconnoît-on les qualités d’une bonne cave ? & quels sont les moyens de remédier à ses défauts ?

3o. De la disposition d’une cave.

4o. Y a-t-il une manière plus économique de construire les caves que la méthode employée ordinairement ?

Avant de discuter ces différentes questions, il est essentiel de démontrer qu’il est impossible de conserver long-tems les liqueurs spiritueuses sans une bonne cave.

Tout fruit qui renferme en lui une substance sucrée & mucilagineuse, soumis à un degré de chaleur convenable, rendu fluide & rassemblé en masse, éprouve trois degrés de fermentation. (Voyez ce mot) La première qui s’opère dans la cave, est la tumultueuse ou vineuse, elle convertit le principe sucré & mucilagineux en liqueur spiritueuse ; la fermentation insensible lui succède, ou plutôt, c’est une continuation de la tumultueuse, & celle-ci rafine la liqueur, l’épure, la débarrasse des corps étrangers, connus sous le nom de lie, qui se déposent au fond des tonneaux. (Voyez ces deux mots) Tant que les principes constituant la liqueur, conservent un parfait équilibre entr’eux, ils forment une boisson agréable & salubre, & c’est pour prolonger la durée de cet équilibre que l’expérience a fait imaginer la construction des caves. Si la cave n’a pas les qualités requises dont on parlera plus bas, la fermentation insensible passe promptement à la fermentation acide, enfin à la fermentation putride, qui finit la désunion des principes.

Deux causes toujours agissantes, & presque jamais strictement les mêmes seulement pendant une heure, agissent du plus au moins sur la liqueur spiritueuse, & tendent sans cesse à la désunion, à la dégrégation de ses principes, & par conséquent à leur décomposition. Ces deux causes sont l’air atmosphérique & la chaleur. Cet air (voyez ce mot) jouit de trois qualités, fluidité, pesanteur, élasticité, & c’est en vertu de ces trois qualités qu’il agit sur tous les corps, & principalement sur les liqueurs, en raison de leur fluidité, de leur compression & de leur dilatabilité. Il s’insinue par sa fluidité, pénètre, traverse les corps sans jamais la perdre. Il gravite sur eux par sa pesanteur, & en réunit les parties ; il cède par son élasticité à l’impression des autres corps, en diminuant son volume ; se rétablit ensuite dans la même forme, & souvent occupe une plus grande étendue. C’est par cette force élastique qu’il s’insinue dans les corps, y portant avec lui la facilité spéciale de se dilater. De là naissent les oscillations continuelles dans les parties auxquelles il se mêle, parce que son degré de chaleur, sa gravité, sa densité, ainsi que son élasticité & son expansion, ne restent jamais les mêmes pendant l’espace d’une ou deux minutes de suite : il se fait donc dans tous les corps, sur-tout les corps fluides, une vibration, une dilatation, & une contension continuelles.

Il est impossible dans ce moment, de considérer cette espèce d’air comme un corps isolé sans un degré quelconque de chaleur ou de froid, qui le rend tour-à-tour plus ou moins élastique, plus ou moins humide ou sec, &c. C’est par ces qualités accessoires, mais inséparables, qu’il agit sur les vaisseaux remplis de liqueurs spiritueuses. Du raisonnement, passons à l’expérience toujours plus convaincante.

Prenons un thermomètre (voyez ce mot) gradué pour le climat de la France, afin d’avoir un terme moyen des deux extrêmes. On a vu l’esprit-de-vin ou le mercure monter dans le tube à trente & trente-un degrés de chaleur, & on a vu ces mêmes fluides descendre à seize degrés au-dessous du terme de la glace ; voilà donc une variation de quarante-six degrés, que ces fluides ont éprouvée dans le tube. Or, ce qui s’opère sur le fluide du tube, s’opère également sur les autres fluides renfermés dans des vaisseaux qui ne sont pas privés d’air. Il est vrai que dans ces derniers la dilatation & la condensation n’y sont pas aussi marquées, aussi sensibles parce que l’air intérieur s’y oppose, au lieu que les autres se font dans le vide, mais elles n’existent pas moins. Quant à la manière d’agir de l’air par sa pesanteur, elle est démontrée par le baromètre ; (voyez ce mot) le mercure monte & descend suivant l’état de l’atmosphère, & le vin se condense & se dilate également dans le tonneau.

Des expériences de comparaison, passons à une expérience prise dans le vent même. Si le vent du nord règne pendant quelques jours, la liqueur est claire dans le tonneau ; si, au contraire, le vent du sud souffle, le vin perd une partie de sa transparence, sa couleur est fausse, louche, trouble, &c. Il est donc démontré que l’air atmosphérique agit sur le vin renfermé dans les tonneaux ; il est donc encore démontré que plus les fluides restent exposés à son action, plus ils sont sujets à se décomposer, & la décomposition est plus rapide, en raison de la plus ou moins grande quantité de principes qui ont concouru à leur formation ; enfin, en raison de la manière d’être de ces principes entr’eux. L’esprit-de-vin est un être très-simple, infiniment plus que le vin ; aussi sa durée est presque inaltérable. Les vins doux où le principe sucré domine, tels que les vins d’Espagne, de Grèce, &c. sont moins susceptibles d’altération que les autres ; 1o. parce que l’abondance de leur mucilage retient plus intimément la partie spiritueuse, & empêche son évaporation ; 2o. parce que la partie sucrée & surabondante sert à donner du nouvel esprit à mesure que celui qui est déjà formé s’évapore ; 3o. parce que l’air fixe (voyez ce mot) est plus resserré entre les molécules de la liqueur, & ne peut pas s’échapper ; c’est lui qui est le lien des corps, & le conservateur des liqueurs spiritueuses ; dès qu’il s’échappe, dès qu’il est échappé, le vin est décomposé & pourri. Les vins de Champagne, de Bourgogne, &c. sont plus soumis aux variations de l’atmosphère que les premiers, parce qu’ils contiennent plus de phlegme, & par conséquent moins de principes sucrés. Les sirops bien faits ne fermentent point.

Il résulte de ce qui vient d’être dit, que plus un vin contient de phlegme, & moins de parties spiritueuses & sucrées, plus il a de tendance naturelle à se décomposer, & que cette tendance est augmentée & centuplée par les variations de l’atmosphère qui agissent perpétuellement sur lui. Ces principes sont prouvés par l’expérience, & ils sont incontestables. On doit en tirer ces conséquences : pour conserver les vins, il faut donc les soustraire aux variations de l’atmosphère ; il faut donc empêcher, autant qu’il est possible, que la fermentation insensible soit altérée, puisque c’est de son prolongement que dépend la bonté du vin. Les caves, saines & bonnes préviennent tous les inconvéniens. C’est la cave qui fait le vin ; ce proverbe est rigoureusement vrai, & il s’étend même jusque sur la fabrication des fromages.

Un champenois, un bourguignon, trouveront sans doute extraordinaire que j’aie insisté sur la nécessité d’une bonne cave ; mais quel sera leur étonnement, lorsque je leur dirai que dans les provinces les plus méridionales & les plus chaudes du royaume, on ne connoît pas les caves, & que le vin est fermé dans les celliers, tandis que plus la chaleur d’un pays est forte, plus les bonnes caves y deviennent nécessaires.

I. Quelle doit être la profondeur d’une cave, la hauteur de sa voûte & la disposition de ses soupiraux, pour qu’elle soit bonne ? S’il existe un feu central, hypothèse qui a servi à échaffauder de grands systêmes, il sembleroit résulter que plus une cave seroit profonde, plus elle seroit chaude, & par conséquent moins propre à conserver le vin. Il est vrai que toutes les fouilles faites par la main des hommes sont bien peu de chose en comparaison de l’énorme diamètre de la terre ; mais si effectivement il existoit un feu central, son action seroit nécessairement plus sensible, à mesure qu’on s’enfonceroit profondément en terre, puisque cette masse de feu, supposée toujours constante, toujours la même, devroit agir toujours également & se faire sentir par degré du centre à la circonférence. Or, il est démontré, par les recherches des physiciens, qu’à quelque profondeur de la terre que l’on soit parvenu, le thermomètre s’y est constamment soutenu à dix degrés & un quart de chaleur, à moins que des causes purement accessoires n’aient changé cette température ; & ce terme de dix degrés est précisément celui, ainsi que je l’ai observé plusieurs fois, auquel commence la fermentation tumultueuse dans la cuve, ou du moins lorsque ses premiers signes se manifestent. On verra bientôt la connexion qui se trouve entre cette seconde observation & la première. Creusons des caves, & laissons l’hypothèse du feu central pour ce qu’elle est. (Voyez les mots Chaleur & Feu central)

La profondeur d’une cave dépend du local sur lequel on la creuse ; dans une plaine, elle doit être plus basse que si elle étoit creusée dans un rocher ; une galerie de deux à trois toises de longueur, & fermée par une porte à chacune de ses extrémités, tiendroit cette cave aussi fraîche qu’une glacière, attendu que l’air atmosphérique n’auroit d’entrée que par ces deux portes, & il seroit possible & même prudent de fermer l’une pendant qu’on ouvriroit l’autre. La cave proprement dite, seroit recouverte par la masse totale du rocher, & les vicissitudes du chaud & du froid ne sauroient la pénétrer. Heureux qui peut avoir une pareille cave, pourvu qu’elle ne soit pas trop humide.

Dans la plaine, au contraire, j’estime qu’elle doit avoir la profondeur de seize pieds environ : la voûte sous la clef aura douze pieds de hauteur, & toute la voûte sera chargée de quatre pieds de terre. Quant à la longueur, elle est indéfinie. L’expérience m’a appris que de telles caves sont toujours excellentes lorsque les autres circonstances s’y rencontrent. Si elles sont plus profondes, elles n’en vaudront que mieux.

J’appelle circonstances, l’ouverture ou entrée, les soupiraux, & la position de la cave.

L’entrée doit toujours être placée dans l’intérieur de la maison, garnie de deux portes, l’une placée au haut de l’escalier, & l’autre au bas ; ce qui équivaut à une galerie. Si l’entrée est placée à l’extérieur, cette galerie devient d’une nécessité absolue ; plus elle sera prolongée, plus elle sera utile. Si l’entrée est tournée & exposée au midi, il faut absolument la changer & la transporter au nord, à moins qu’on n’habite un pays très-élevé ou sous un climat froid.

Les soupiraux. C’est la plus grande de toutes les erreurs, & la mal-adresse la plus marquée de la part de l’architecte de les faire grands, de manière qu’on y voit autant dans une cave que dans un rez-de-chaussée. L’action de l’air atmosphérique est toujours graduée sur le diamètre des soupiraux. Ils sont nécessaires, j’en conviens, pour renouveler l’air qui deviendroit à la longue moffétique, pour diminuer l’humidité ; mais voilà leur seule utilité.

La position de la cave. Choisissez, autant qu’il est possible, la position du nord ; après celle-là, le levant ; les caves placées au midi & au couchant, sont ordinairement détestables. Chacun en sent la raison.

À mesure que la chaleur de l’atmosphère, après l’hiver, monte à huit ou dix degrés, on doit fermer une certaine quantité de soupiraux, & presque tous, dès qu’elle excède ce terme, parce que l’air de la cave tend à se mettre en équilibre avec celui de l’atmosphère. Au contraire, pendant l’hiver, il convient de laisser entrer jusqu’à un certain point l’air extérieur, afin de diminuer la chaleur de la cave ; ce conseil exige une restriction : si le froid extérieur est de six degrés, c’est le cas de fermer les soupiraux : l’air de la cave approcheroit du même terme, & le vin souffriroit dans les tonneaux. C’est en couvrant ou fermant prudemment ces soupiraux, que l’on parvient à conserver le vin, & à lui procurer cette vieillesse qui le rend si précieux.

II. À quoi reconnoît-on une bonne cave ? & quels sont les moyens de remédier à ses défauts ? La meilleure & la plus parfaite sans contredit est celle où le thermomètre se maintient toujours entre dix degrés & dix degrés & un quart de chaleur, terme que les physiciens ont appelle tempéré. Telles sont les caves de l’observatoire de Paris ; tels sont tous les souterrains où les variations du chaud & du froid sont insensibles. Plus la température d’une cave s’éloigne de ce point, moins elle est bonne. Voilà la véritable pierre de touche & la condition par excellence. Si donc une cave n’est pas assez profonde, il faut la creuser davantage, & la charger de terre ; si elle est trop exposée à l’action de l’air, la mettre à l’abri, l’environner de murs, lui donner un toit, multiplier les portes, diminuer les soupiraux, boucher ceux qui sont mal placés, en ouvrir de nouveaux, établir des courans d’air frais, &c.

Une bonne cave doit être éloignée de tout passage de voitures, de tout attelier de forgerons & d’ouvriers qui frappent sans cesse. Ces coups, ces tremoussemens répondent jusqu’aux vaisseaux, & font osciller les fluides qu’ils renferment ; ils facilitent par-là le dégagement de cet air fixe, le premier lien des corps, la lie se recombine avec le vin, la fermentation insensible est augmentée, & la liqueur plus promptement décomposée : je parle d’après l’expérience.

Une cave ne sauroit être trop sèche. L’humidité abyme les tonneaux, fait moisir & pourrir les cerceaux, ils éclatent, & le vin se perd. D’ailleurs, cette humidité pénètre insensiblement le bois, & à la longue, communique au vin un goût de moisi.

Lorsque vous bâtirez une cave, & que vous craindrez la filtration des eaux, faites pratiquer un fort corroi de terre glaise par derrière le mur à mesure qu’on l’élevera, & continuez ce corroi sur toute la voûte. Si dans le canton il est possible de se procurer de la pouzzolane, mêlez-en un tiers avec autant de chaux & autant de sable pour en faire un mortier, ou bien, bâtissez les caves en béton comme on le dira plus bas ; si vous n’avez pas de pouzzolane, composez un ciment ou mortier avec moitié chaux nouvellement éteinte & encore chaude, & moitié cendres & briques pilées ; que si le mur est déjà élevé, recouvrez tous ses parois avec ce ciment. Si le sol de la cave est humide, recouvrez-le d’un demi-pied de béton. (Voyez ce mot)

Dans les caves profondes, l’air a beaucoup de peine à s’y renouveler ; peu-à-peu il se corrompt, se vicie, & même dans quelques-unes il devient mortel. Toutes les fois que dans une cave, la lumière d’une bougie, d’une chandelle, &c. n’est pas vive comme à l’ordinaire, on peut dire que l’air y est vicié. Si la flamme s’élève vers le sommet du lumignon, si elle est petite, cet air a un degré de plus de corruption. Enfin, si la lumière s’éteint, la personne qui la porte ne tardera pas à tomber en asphyxie. (voyez ce mot où l’on trouve les remèdes qu’il faut administrer dans ce cas) La lumière alors s’éteint plus promptement lorsqu’on l’approche de terre, que lorsqu’on l’élève vers la voûte, parce que cet air vicié, cet air fixe est plus pesant que l’air atmosphérique, qui surnage cet air fixe. D’après ce point de fait, il est très-important que les soupiraux prennent naissance du sol de la cave, & non pas simplement du haut de la voûte, ainsi qu’on le pratique ordinairement.

M. Bidet dans son Traité de la Culture de la Vigne, donne un très-bon moyen pour renouveler l’air. « Placez, dit-il, un tuyau de fer-blanc ou de plomb ou de fonte ou en terre cuite, de quatre pouces de diamètre, contre le mur de la maison, qui descendra dans le soupirail de la cave à plusieurs pieds de profondeur : ce tuyau s’élèvera jusqu’à la couverture de la maison. À l’extrémité supérieure de ce tuyau placez un entonnoir de deux pieds de diamètre, & pratiquez par dessus un moulinet dont les ailes soient garnies de toile passée à l’huile, ou en fer-blanc, qui tournant au gré du vent, dirigeront l’air vers l’entonnoir, & le contraindront de descendre dans la cave. »

Il est clair que cette masse d’air sans cesse poussée dans la cave, se mêlera peu à peu à l’air méphytique ou fixe, & détruira sa qualité mortelle. Je dis plus, un semblable tuyau & un semblable moulinet, placés à l’extrémité de la même cave, maintiendront un courant d’air frais, & ce courant augmentera la fraîcheur de la cave. Cette proposition paroît contradictoire avec ce que j’ai dit plus haut, relativement à l’équilibre qui tend toujours à s’établir entre l’air atmosphérique & celui de la cave. Dans ce premier cas, ces deux airs sont, pour ainsi dire, en stagnation, au lieu que dans le second, c’est un courant d’air qui produit une évaporation, & cette évaporation augmente la fraîcheur ; en voici un exemple : personne ne peut nier que l’air de la chambre voisine ne soit à la même température que celui de la chambre où l’on se trouve, puisque toutes les portes de communication des deux chambres sont supposées ouvertes ; c’est donc le même air. Supposons actuellement ces portes fermées, & présentons une bougie allumée au trou de la serrure d’une des portes, ou à la base de ces portes, & nous verrons cette lumière s’allonger contre l’ouverture, ou en être repoussée, comme si l’air d’un soufflet, médiocrement pressé, agissoit sur la lumière. Voilà le courant d’air établi & démontré par l’expérience ; actuellement voyons comment il occasionne de la fraîcheur. Présentons la main ou l’œil à ce trou, nous sentirons un courant d’air frais, quoiqu’il ne soit pas plus frais que l’air de la chambre : c’est que frappant sur la peau de la main ou des paupières, il occasionne plus rapidement l’évaporation de notre chaleur ; & quoique ce froid ne soit que relatif, il occasionne réellement un frais & un froid, comme s’il existoit véritablement. Il en est de même lorsqu’on prend un soufflet, & qu’on fait agir son souffle contre la peau ; on sent une fraîcheur bien marquée, qui augmente l’évaporation de la chaleur de la partie sur laquelle on souffle. C’est ainsi qu’en frottant un bras, par exemple, avec de l’éther, & soufflant fortement avec un soufflet à deux ames sur ce bras, on parviendroit à le glacer. Il en est de même du froid lorsque l’air est vif, & que le vent souffle avec force ; il agit plus fortement sur nos corps, le froid nous paroît plus âpre, plus vif que si l’intensité de ce froid étoit augmentée de cinq à six & même de dix degrés, sans courant d’air. Il en est de même pour les caves & pour les vaisseaux qui y sont renfermés. Si on parvient à y établir un courant d’air rapide, elles seront réellement plus froides qu’elles ne l’auroient été, même malgré la plus grande profondeur. On ne sera donc plus surpris de voir à Rome le vin se conserver parfaitement bien dans une cave peu profonde, creusée dans les débris d’une ancienne fabrique de poterie. Tous ces morceaux mal joints les uns aux autres, laissent passage à l’air, & établissent un courant continuel qui entretient la fraîcheur, en augmentant l’évaporation. On obtiendra le même effet par la disposition de deux, trois, ou quatre moulinets semblables à ceux dont on vient de parler, & ils seront très-avantageux aux caves trop peu profondes, & qu’on ne peut creuser.

Toutes ces précautions en général sont assez inutiles pour les pays élevés, comme Langres, Clermont, Riom, Limoges, &c. en un mot, pour les climats trop froids où la vigne ne peut point croître.

Il est rare que la chaleur de leur souterrain quelconque excède dix degrés, & l’intensité du froid n’y est pas assez forte pour que le vin en soit altéré, à moins qu’on ne prenne aucune précaution pour y fermer les portes, les soupiraux, de manière que la température de ces caves est toujours à-peu-près au dixième degré, qui est le terme convenable pour perpétuer la fermentation insensible. Les plus petits vins se conservent dans de pareilles caves, y acquièrent de la qualité ; les bons vins y deviennent excellens, & se conservent tels pendant une longue suite d’années.

Avant de finir cet article, il me paroît intéressant de détruire un préjugé. On ne cesse de dire & de répéter que les caves sont fraîches en été & chaudes en hiver ; il n’en est rien. L’expérience prouve que la chaleur y est à-peu-près la même dans les deux saisons. J’ai démontré que la meilleure cave étoit celle où la chaleur se maintenoit à dix degrés, & que plus elle s’éloignoit de cette température, moins la cave étoit bonne. Pour se convaincre de ce point de fait, il suffit d’y descendre un thermomètre, de l’y laisser, & l’on verra la vérité de ce que j’avance. Nous jugeons seulement relativement à nous : notre corps est exposé, en été, à la chaleur de l’atmosphère, qui est de vingt à vingt-cinq degrés, & la chaleur de notre sang augmente en raison de celle de l’atmosphère. Ainsi, lors que nous entrons dans une cave, nous éprouvons un degré de fraîcheur, parce qu’elle n’est qu’à dix ou douze degrés. En hiver, au contraire, lorsque le froid de l’atmosphère est de douze à quinze degrés au-dessous de la glace, nous trouvons la cave chaude, puisqu’elle est à dix degrés au-dessus ; mais dans l’un & dans l’autre cas, ce n’est pas la température de la cave qui change, c’est notre manière de sentir qui est différente suivant les circonstances ; car la chaleur d’une bonne cave ne diffère, en ces deux saisons, que d’un à deux degrés.

III. De la disposition d’une cave. Elle doit être pourvue de tous les outils nécessaires pour la conduite des vins, & d’endroits ménagés exprès, afin d’éviter le chaos & la confusion. On a tort de faire en bois les chantiers sur lesquels reposent les tonneaux ; & encore plus de les faire ordinairement trop bas. Je dirois au grand propriétaire de vignobles, ou au gros négociant en vin : Faites ces chantiers en maçonnerie, donnez-leur une épaisseur convenable, suivant l’espèce de vaisseaux dont vous vous servez ; enfin, élevez ces chantiers à la hauteur de trois pieds : 1o. le tonneau ainsi élevé est plus éloigné de l’humidité du sol ; 2o. un plus grand courant d’air l’environne & le tient sec ; 3o. le tonneau ne craint pas le coup de feu ; (voyez cet article au mot Tonneau) 4o. ainsi placé, on n’a plus besoin de pompe, de siphon, de soufflet, &c. ; pour soutirer le vin d’un vaisseau dans un autre, il suffit d’approcher la barrique qu’on veut remplir, au-dessous de celle qui est sur le chantier, d’y placer la cannelle, & laisser couler le vin, ce qui simplifie singuliérement l’opération du tirage au clair. (Voyez le mot Soutirer)

Je dirois encore à ce propriétaire : Ne multipliez pas les futailles, ayez de grands vaisseaux nommés foudres. La partie spiritueuse s’évapore moins, le vin perd moins, la fermentation insensible s’y complette mieux, le vin s’y conserve mieux, parce que l’action de l’air atmosphérique a moins de prise sur une liqueur dont le vaisseau de bois qui la contient a plusieurs pouces d’épaisseur, que sur un vaisseau ordinaire, dont l’épaisseur de la douve n’excède jamais un pouce. L’air aura encore bien moins d’action, si ce grand vaisseau ou foudre est construit en béton, comme je le dirai bientôt, parce que l’épaisseur des murs sera au moins d’un pied. Tels sont les beaux foudres que MM. Argand viennent de faire construire à Valignac, près de Montpellier, dans la brûlerie de M. de Joubert. Ils contiennent seize muids, & le muid est composé de six cens soixante-quinze bouteilles, mesure de Paris. (Voyez le mot Foudre)

IV. Manière économique de construire les voûtes de caves sans pierres, briques, ni ceintre en charpente, & qui coûtent les deux tiers moins que celles en pierre. Cette méthode est mise en pratique dans quelques cantons de la Bresse & du Lyonnois. Il faut creuser les fondations jusqu’au solide, comme pour faire un mur. Si on veut, dans la suite, élever un mur au-dessus de ces caves, la tranchée doit être proportionnée à la masse de l’édifice. Pour une cave simple, faites une tranchée de trente pouces d’épaisseur, que l’on réduira à vingt-deux, à l’endroit destiné à poser la naissance de la voûte, pour y établir une recoupe de huit pouces.

De la terre qui sortira des fondations, formez sur la superficie intérieure du terrain, un ceintre plus ou moins surbaissé ; c’est à votre choix ; mais observez que le moins surbaissé est toujours le meilleur. Pour lui donner une forme & un niveau égal, posez sur chaque extrémité & dans le milieu, des panneaux ceintrés de planches, afin de pouvoir passer par-dessus une règle qui servira à égaliser la terre qui doit former le ceintre de la voûte. Battez cette terre pour la rendre solide, & laissez les panneaux enterrés dans les places où ils auront été posés ; ils vous serviront toujours à retrouver le ceintre dans le cas que les pluies eussent fait affaisser la terre nouvellement remuée.

Pour la porte & les jours de votre cave, placez dans les endroits convenables de petits panneaux sur les bords, joignant les murs, en formant une lunette qui se termine en pointe du côté de la clef. On forme cette lunette en terre de la même manière & de la même forme que celle en bois employée dans la construction des voûtes en pierre.

Les matériaux pour la construction sont du béton, ou bléton (voyez le premier mot) qui est un composé de chaux, de sable & de gravier. Il est important que le gravier & le sable ne soient point terreux : dans le cas où ils le seroient, exposez-les à une eau courante ; remuez-les, & l’eau entraînera la terre. La proportion est un tiers de chaux, un tiers de sable & un tiers de gravier.

On est le maître de construire en béton les murs de la cave : alors on remplit également avec ce béton les tranchées, & dans le même jour s’il est possible. Ces tranchées une fois remplies, on les couvrira de terre, & on les laissera s’affermir pendant une année entière.

La seconde année on les découvrira, & on travaillera au ceintre de la voûte. Alors on commence à poser avec la truelle le béton, lit par lit de neuf à dix pouces d’épaisseur, en observant de les poser en pente, comme on feroit pour la maçonnerie en pierre. Il n’est pas inutile d’y larder des cailloux, des morceaux de pierre ou de brique. On pose le béton des deux côtés pour le monter également jusqu’à la clef, que l’on mettra en posant des cailloux ou pierres dans le béton, & en les frappant avec la tête du marteau. Le tout sera recouvert de six pouces de terre, & on le laissera reposer encore pendant deux années. Si on veut économiser sur la main-d’œuvre, en employant, il est vrai, un peu plus de chaux, de sable & de gravier, on pourra élever perpendiculairement la terre sur les côtés de la voûte, à la hauteur qu’elle doit avoir, & remplir le tout, comme il a été dit ci-dessus, & recouvrir de terre.

Après la seconde année, on sera assuré que le béton aura acquis toute la consistance nécessaire, qu’il se sera crystallisé en une seule & unique masse ; enfin, que les murs & la voûte ne formeront qu’une même masse. Les planches qui figuroient l’ouverture de la voûte seront défaites, & on enlèvera par cet endroit tout le terrain qui a servi de noyau & de charpente pour les murs & pour la voûte.

Si le sol d’une pareille cave avoit été dans le tems recouvert de béton, on seroit assuré qu’elle tiendroit l’eau comme un vase, & que jamais l’eau extérieure ne la pénétreroit ; ce qui est de la dernière importance pour les caves bâties près des rivières, près des latrines, près des puits, &c. Plus le béton vieillira, plus il acquerra de force & de consistance ; & sa dureté deviendra telle, que dans moins de dix ans, les instrumens de fer n’auront aucune prise sur lui.