Cours d’agriculture (Rozier)/AUNE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 87-90).


AUNE, ou Aunette, ou Verne, ou Vergne. (Pl. 1, pag. 52.) Telles sont les dénominations principales sous lesquelles cet arbre est connu dans nos différentes provinces. M. Tournefort le place dans la troisième section de la dix-neuvième classe des arbres & arbrisseaux à fleurs à chatons, dont les fleurs mâles sont séparées des femelles sur le même pied, & dont les fruits sont écailleux. Il l’appelle alnus latifolia glutinosa viridis. M. le Chevalier Von Linné le classe dans la monœcie tétrandrie, & le nomme betula alnus.

Fleurs à chaton, mâles & femelles sur le même pied, mais séparées. Les fleurs mâles sont disposées sur des chatons alongés, écailleux ; elles sont rassemblées trois par trois, sous des écailles, dont une est représentée intérieurement en K, & extérieurement en D. Ces fleurs sont composées de quatre étamines I, placées dans une espèce de corolle en opposition avec ses divisions. La corolle est vue en dessus en H ; elle est d’une seule piece, divisée en quatre segmens égaux, & creusée en manière de cuiller ; l’axe du chaton est représenté en E.

Les fleurs femelles, sont rangées sur un chaton écailleux C ; chacune d’elles consiste en un pistil L, posé dans une écaille ovale & pointue. Ce pistil est composé de l’ovaire, d’un stile & deux stigmates, représentés séparément dans la figure M.

Fruit. Succède aux chatons femelles, comme on le voit au sommet de la branche A, & en F il est représenté isolé. C’est un osselet à deux loges qui succède à l’ovaire, & renferme deux semences G, anguleuses. La branche B, représente la disposition des fruits & des feuilles.

Feuilles simples, entières, ovales, dentées en manière de scie ; les dentelures dentées à leur tour ; la surface inférieure relevée de nervures saillantes, & elle est velue. La supérieure est d’un beau verd, & luisante lorsque la feuille est encore tendre ; elle brunit peu-à-peu. Les feuilles sont portées par des pétioles assez longs, & elles sont gluantes.

Racine, rameuse, ligneuse.

Port ; l’arbre s’élève assez haut & droit, suivant la terre sur laquelle il végète ; l’écorce est d’un gris brun en dehors, & jaunâtre en dedans. Les fleurs naissent des aisselles des feuilles, portées sur des péduncules rameux ; les feuilles sont placées alternativement.

Lieu. Le bord des rivières, des ruisseaux, des lieux humides.

Propriétés. L’écorce & les feuilles sont âpres au goût, on les dit vulnéraires, astringentes & résolutives ; la décoction de l’une & de l’autre est employée dans les cataplasmes.

L’aune est un arbre précieux pour les usages domestiques, & subsiste très-longtems s’il est enfoui en terre.

Culture, on peut se le procurer par le semis. La méthode est longue & la bouture est plus commode, plus expéditive, puisque ces boutures réussissent aussi bien que celles des peupliers & des saules.

L’aune aime les lieux humides, quelquefois inondés, mais non pas perpétuellement couverts d’eau. Au mois de Février, de Mars ou d’Août, suivant le climat, on coupe les branches sur pied, & on les partage en morceaux de trois pieds de longueur avec une aiguille de fer, ou avec tel autre instrument ; il faut percer le terrain à deux pieds & demi de profondeur, & placer dans le trou le morceau de bois avec la même aiguille, serrer la terre tout autour ; moins la bouture sortira de terre, plus sa reprise sera assurée. (Voyez le mot Bouture) Quelques-uns coupent les boutures après la tombée des feuilles, les lient par paquets, & les mettent tremper dans l’eau à la profondeur de quelques pouces. Ces boutures restent dans cet état jusqu’après l’hiver, & ils les plantent ensuite. C’est multiplier la main d’œuvre inutilement.

La graine de cet arbre se sème d’elle-même, à moins qu’elle ne soit entraînée par des débordemens ; il est facile de lever les jeunes plants après la première ou seconde année.

Un autre moyen encore bien simple de multiplier l’aune, c’est de couper une branche jeune, forte & bien nourrie, par exemple, sur une longueur de dix pieds, de l’enterrer sur toute sa longueur & de la couvrir avec trois ou quatre pouces de terre ; des bourgeons percent l’écorce de distance en distance, traversent la terre qui les recouvrent, & forment autant de branches. Si les longues boutures placées parallèlement sont enterrées très-profondément, les impressions de l’air & de la chaleur ne sauroient pénétrer jusqu’à elles, & les bourgeons ne se formeront point, ou s’ils sont formés, leur force ne sera pas suffisante pour percer la terre, & ils périront avant d’arriver à sa surface. Si, au contraire, ces boutures sont trop extérieures, le hâle & une chaleur un peu vive les dessécheront bientôt. Il est donc nécessaire de consulter la nature du terrain, s’il est ombragé par d’autres arbres, ou s’il ne l’est pas ; enfin, si le sol retient constamment assez d’humidité pour que l’arbre puisse braver les chaleurs de l’été.

Si on arrache de terre quelques racines d’aune & qu’elles soient replantées, elles reprendront, pourvu qu’on y ait laissé la longueur d’un à deux pouces sans être enterrées.

On peut faire des pépinières en pratiquant l’une ou l’autre des méthodes indiquées, & tout possesseur d’un grand terrain humide doit en avoir une ; lorsque cet arbre a trois ans de pépinière, c’est le vrai tems de l’arracher.

L’année révolue après la plantation, on peut receper la tige pour former par la suite un taillis, ou bien abattre toutes les branches surnuméraires, à l’exception de la plus vigoureuse, si on est dans l’intention de former un arbre. L’emploi le plus précieux de cet arbre est pour les travaux souterrains. On perce le tronc de part en part sur sa longueur pour la conduite des eaux. Ces mêmes troncs coupés de mesure offrent le bois le plus utile à l’étayement des terres dans les galeries, dans les puits des mines : plus il y est humide, & mieux il s’y conserve. Les pilotis formés de ce bois sont excellens s’ils sont enfoncés au-dessous du niveau de l’eau ou de la terre.

L’aune taillé en cepée pousse vigoureusement, & après six ou huit ans, ses longues tiges sont dans le cas d’être abattues, & donnent de belles perches.

Dans les pays de vignobles, plantés en échalas, & qui manquent d’autre bois, cet arbre est d’une grande ressource ; il ne vaut cependant pas l’échalas de châtaignier, de chêne, ni même celui du saule marceau, & il est supérieur à ceux de peuplier & de saule. On s’en sert aussi pour cheviller & barrer les tonneaux.

Les tourneurs, les ébénistes, les sabotiers, recherchent les gros troncs. Les sabots faits avec le bois de hêtre sont préférables. Entre les mains de l’ébéniste, l’aune reçoit à merveille la couleur noire, & la conserve ; & il supplée à l’ébène.

Les pâtissiers, les boulangers, les verriers préfèrent l’aune à tout autre arbre pour chauffer le four.

M. Mallet, dans son Traité sur la culture des Asperges, conseille de faire infuser dans l’eau les feuilles de cet arbre, & de les y laisser macérer assez long-tems ; de se servir ensuite de cette eau pour arroser les asperges, afin de chasser les insectes qui les dévorent. Il établit cette opinion sur ce qu’il n’a jamais vu aucun insecte sur l’aune ; mais il est constant que tout le parenchyme des feuilles est souvent dévoré par les insectes, sans que l’épiderme qui le recouvre paroisse endommagé. La feuille ressemble alors à un réseau ; cet insecte est de la famille des insectes mineurs des feuilles. La seconde espèce de chenille qui attaque cet arbre, se change en scarabée, & la troisième en mouche à deux ailes.

L’aune fournit d’excellentes fascines pour l’écoulement des eaux, & pour retenir le terrain dans les fondrières. Les sculpteurs & les tourneurs en font beaucoup de cas, à cause que son bois est lisse, & offre une coupe nette sous le ciseau.

L’écorce de cet arbre, unie avec de la vieille ferraille, macérés ensemble pendant plusieurs jours, produit une couleur utile aux teinturiers, aux chapeliers, & aux tanneurs, pour teindre en noir, pour colorer les filets, la corne & les os destinés aux ouvrages de coutellerie.

Son charbon entre dans la composition de la poudre à canon.

Comme la verdure de l’aune est très-agréable, & son ombre épaisse, on peut le placer dans les bosquets humides, ou pour former des points de vue dans l’éloignement, soit qu’on le laisse venir en grand arbre, soit qu’il soit tenu en cepée. On voit en Flandres des aunes dont le tronc a plus de cinquante à soixante pieds de hauteur.


Aune noir. (Voyez Bourgène)