Cours d’agriculture (Rozier)/CARDON

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 562-569).


CARDON. MM. Tournefort & von Linné le placent dans la même classe & dans le même genre que l’artichaut. (Voyez ce mot) Le premier le désigne par ces mots : Cinara spinosa, cujus pediculi esitantur, & M. von Linné le nomme Cinara cardunculus. Il est originaire de l’île de Crête. Les jardiniers en reconnoissent deux espèces, l’une nommée cardon de Tours, & l’autre cardon d’Espagne. Je ne crois même pas que les botanistes soient dans le cas de les considérer comme une simple variété l’une de l’autre, puisqu’elles se perpétuent de graines, sans rien perdre de leur forme. Les feuilles des artichauts diffèrent de celles des cardons par une longue appendice ou continuation de la base de la feuille qui se propage sur le tranchant inférieur de la côte ou pétiole, jusqu’à la naissance de l’autre feuille, & fait corps avec elle, tandis que dans les cardons cette appendice n’est bien caractérisée que dans les divisions supérieures de la feuille. La feuille du cardon est d’un vert plus pâle, plus blanchâtre que celle de l’artichaut ; celle du cardon d’Espagne est sans épine bien caractérisée ; au contraire celle du cardon de Tours est armée d’épines très-piquantes à l’extrémité de chaque nervure des divisions des feuilles. Les divisions des feuilles sont beaucoup plus grandes vers le haut de la feuille, diminuent de grandeur à mesure qu’elles se rapprochent de sa base, & finissent enfin par n’être plus que de simples oreillettes très-rapprochées, & chacune armée de cinq à six longues épines très-aiguës. Les oreillettes qui garnissent la base de chaque division de la feuille en dessous, sont armées de deux à trois épines, de manière que la feuille est épineuse, tant en dessous qu’en dessus. Cette espèce est, à tous égards, préférable à la première, elle s’élève beaucoup plus haut, ses côtes sont plus larges, plus charnues & beaucoup plus délicates à manger.

Culture. Elle varie suivant les pays & les facultés des propriétaires. Celle des amateurs est plus dispendieuse, & à mon avis la jouissance anticipée ne compense pas les frais, & diminue la quantité du cardon. Il faut faire connoître les deux méthodes, le lecteur aura le choix de celle qu’il jugera la meilleure. Le Traité des Jardins, ou le nouveau La Quintynie, offrira la première ; quant à la seconde, je la décrirai d’après ma pratique ordinaire & celle des jardiniers.

I. Méthode recherchée. Pour avoir des cardons toute l’année, il faut en semer en plusieurs saisons.

En Janvier, on sème sur couches, sous cloches, ou mieux sous châssis, de la graine de cardon. Lorsque le plant a deux feuilles bien formées, outre les feuilles séminales, on doit le repiquer sur une couche neuve, couverte de neuf à dix pouces de terre & terreau passés à la claie & bien mêlées ; le laisser sur cette seconde couche qu’on réchauffe dans le besoin, jusqu’à ce qu’il soit assez fort pour être mis en place. Ces couches peuvent être occupées en même tems par d’autres plantes, telles que les raves, les laitues, &c. Cependant il est plus sûr de semer ces graines dans des pots à œillets, remplis de bonne terre mêlée de terreau, & de placer ces pots dans une couche : lorsqu’elle n’a plus de chaleur, on les transporte dans une autre. Dans un pot de cette capacité, le plant trouve de quoi se nourrir & se fortifier jusqu’à ce qu’on le mette en place, & il est plutôt en état d’y être mis que celui dont les progrès ont été interrompus & retardés par les transplantations. Il faut faire une troisième couche de fumier consommé, chargé d’un pied de bonne terre mêlée & passé à la claie, avec moitié ou tiers de terreau, suivant que la terre est plus ou moins bonne & meuble. Lorsque sa grande chaleur est passée, il faut, à deux pieds & demi de distance, y planter en échiquier, les jeunes pieds de cardon, & les couvrir chacun d’une cloche (s’ils ne sont pas sous châssis) jusqu’à ce qu’ils soient bien repris (s’ils sont en pots, on les dépote & on les place sans rompre ni altérer leur motte ; comme ils ne souffrent aucun dérangement ni ébranlement, ils n’ont point à reprendre, ni par conséquent besoin d’être couverts de cloches ni de vitrages). Étant en place, on attache des gaulettes à des fourchettes plantées sur les bords de la couche, pour soutenir des paillassons dont il faut couvrir le plant pendant les jours froids & les nuits. On donne ordinairement quatre pieds & demi de largeur à cette dernière couche, & on la réchauffe au besoin, si la saison ne s’adoucit pas. On peut semer quelques légumes entre les cardons.

Cette méthode est praticable à Paris, où le fumier de littière est si abondant, que le propriétaire est obligé de payer pour le faire enlever. Elle est encore praticable chez les grands seigneurs, à qui rien ne coûte ; mais par-tout ailleurs, l’achat des fumiers, la façon des couches coûteroient vingt & trente fois plus qu’on ne vendroit les cardons de primeur. Il vaut mieux manger chaque chose dans sa saison, conserver les engrais, & les employer dans les terres à grain.

Il faut souvent mouiller le plant, soit pour l’empêcher de monter en graine, soit pour augmenter ses progrès. À mesure que chaque pied a acquis la grosseur & la force nécessaires, on le lie avec trois ou quatre liens de paille par un tems sec ; ensuite on l’empaille jusqu’à l’extrémité des feuilles exclusivement, avec de la paille neuve, ou mieux encore, avec de la grande littière qu’on lie pareillement avec des liens de paille ou d’osier bien serrés. Environ trois semaines après, le cardon est blanc & bon à être employé, ce qui arrive ordinairement en Mai.

Pour éviter les épines du cardon de Tours, deux hommes en face l’un de l’autre, le saisissent & l’embrassent par le pied, chacun avec une fourche de bois. Ils font glisser leur fourche jusque vers l’extrémité des feuilles ; alors ils serrent les fourches le plus qu’ils peuvent contre la plante, en les fixant en terre par l’autre bout ; ensuite ils approchent du cardon & placent leurs liens. Un seul homme peut faire cet ouvrage. D’abord il saisit toutes les feuilles d’un côté avec une fourche, la fait glisser jusque vers leur extrémité, la fixe en terre par l’autre bout, fait la même chose d’un autre côté avec une fourche ; ensuite il place les liens de paille. L’opération se fait mieux par deux hommes, dont l’un embrasse & arrange les feuilles du cardon, & l’autre met les liens ; mais il faut que le premier soit vêtu & ganté de bonne peau. De quelque façon qu’on s’y prenne, on doit avoir grande attention de ne pas rompre des feuilles, puisque leur côte est la principale portion utile du cardon.

Lorsqu’on a mis le plant de cardon en place sur couche, on a dû choisir les plus beaux pieds & les plus forts, & laisser les plus foibles sur la seconde couche ou dans les pots. Vers la mi-Mars, on laboure profondément un morceau de bonne terre ; on y marque des places en échiquier, distantes de trois, ou au moins de deux pieds & demi en tout sens ; on y fait de petites fosses de huit à dix pouces sur chaque dimension, que l’on remplit de fumier consommé, recouvert de deux ou trois pouces de terreau, & on place un pied de cardon dans chacune. S’il étoit en pot, il n’a besoin que d’une bonne mouillure pour plomber le terreau contre sa motte. S’il étoit planté sur la couche, il faut, aussitôt qu’il est placé en pleine terre, le mouiller & le couvrir pendant quelques jours d’un pot, de paille, ou de quelqu’autre chose, dont l’abri puisse faciliter sa reprise. Ce plant n’aura besoin que de quelques binages au pied, & d’être mouillé tous les deux jours, jusqu’à ce qu’il soit bon à lier ; ce qui arrive en Juin ou Juillet.

Si le semis de Janvier avoit été tout employé pour la première plantation, il faudroit, pour cette seconde, faire un second semis du 15 au 18 Février, sur couche, qui n’aura pas besoin d’être transplanté sur une autre. Il est plus avantageux de placer ce second plant dans la plate-bande d’un espalier au nord, ou autre lieu frais, ou abrité du soleil, qui, dans cette saison, feroit monter en graine la plupart des pieds.

Enfin vers le 15 Avril, il faut labourer profondément & dresser un terrain, y faire garnir & espacer de petites fosses comme il est dit ci-devant, semer dans chacune trois ou quatre graines de cardon, à deux ou deux pouces & demi de distance l’une de l’autre, & environ à un pouce de profondeur. Lorsque le jeune plant est à sa troisième feuille, on choisit le plus beau pied de chaque fosse, & on arrache tous les autres ; mais dans les terrains & les années où le ver de hanneton, la lisette, la fourmi-rouge, le puceron, &c. font de grands ravages, on est quelquefois obligé de resemer le cardon, ce qui fait un retardement préjudiciable & fort long, car la graine ne lève que du quinzième au vingtième jour ; c’est pourquoi il est plus sûr & plus avantageux de semer dans de petits pots que l’on place autour des couches & en dehors des châssis, ou au pied d’un mur ou bâtiment au midi, ou en un autre lieu à couvert des ennemis de ces jeunes plantes, & on ne les met en pleine terre que lorsqu’elles ont leur quatrième feuille ; alors elles n’ont à craindre que le ver du hanneton. Telle est la méthode suivie par ceux qui ont un intérêt quelconque à avoir des primeurs, & qui peuvent se les procurer par l’abondance des fumiers de littière & des terreaux qui en résultent.

II. Méthode ordinaire & suffisante. 1o. Du tems & de la façon de semer. Chacun doit se régler suivant le climat & la manière d’être des saisons du pays qu’il habite ; ainsi on peut semer dès qu’on ne craint plus l’effet des gelées ; par exemple, dans certains cantons de la Provence, du Languedoc, &c. il est possible de semer vers la fin de Février. On gagne du tems, il est vrai, mais on court le risque de voir beaucoup de pieds monter en graine dans les mois de Juillet & d’Août ; ce qu’on ne craint pas dans les pays plus septentrionaux. Les pieds qui ne grainent pas dans cette saison, sont plus beaux, plus vigoureux que ceux qui ont été semés plus tard.

En général, le bon tems de semer dans les pays méridionaux, est vers le milieu ou la fin de Mars, & vers la fin d’Avril dans les pays situés au nord. On peut semer à demeure ou en pépinière ; le second moyen est plus commode, parce qu’on soigne plus aisément une table de semis, que des trous dispersés çà & là. Si on sème à demeure, on travaillera à la bêche, (voyez ce mot) tout le terrain destiné aux cardons ; ensuite, de distance en distance, ainsi qu’il a été dit dans le premier article, on ouvrira un trou d’un pied en carré, sur autant de profondeur, que l’on remplira de la meilleure terre qu’il sera possible de se procurer ; elle sera légère & substantielle. C’est dans cette terre que trois ou quatre grains seront déposés à la distance de trois à quatre pouces les uns des autres. Cette méthode a l’avantage de supprimer la transplantation qui fait périr beaucoup de pieds. Lorsque la graine aura germé ; lorsque les jeunes plants auront quatre feuilles bien formées, on arrachera les plants surnuméraires, & on n’en laissera qu’un seul. Ces plants, levés avec soin, serviront à remplacer ceux qui seront languissans dans les autres trous, ou à garnir les places dont les semences n’auront pas germé.

Si on sème en pépinière, la terre de la table ou planche sera défoncée au moins à la profondeur de huit pouces, après avoir été couverte de fumier bien consommé & enterré avec la bêche en travaillant la terre. La graine sera semée à la volée, mais très-claire. C’est un défaut trop ordinaire des jardiniers, de semer trop épais. Lorsque la graine germe, les tiges, les feuilles se touchent toutes ; & pour ainsi dire, dès le berceau la plante s’étiole, (voyez ce mot) de manière que les pieds n’acquièrent jamais la force qu’ils devroient avoir. Arroser, détruire les mauvaises herbes, sont les seuls secours que les cardons exigent jusqu’à la transplantation. Quelques particuliers plus attentifs ne font point semer à la volée, mais ils tracent de petits sillons à la profondeur d’un pouce, destinés à recevoir la semence. L’ouvrier voit mieux ce qu’il fait ; il a plus de facilité à espacer ses graines de quelques pouces, & il est plus aisé de détruire les mauvaises herbes sans endommager les plants. La graine semée à la fin de Mars, reste plus long-tems à lever que celle semée dans le courant d’Avril ; la différence est presque de moitié. Les cardons semés trop de bonne heure, sont plus sujets à monter en graine que les autres ; & rarement ceux qui fleurissent ainsi donnent de bonne graine.

2o. De la transplantation. Commencez dans un coin de la planche, par ouvrir un petit fossé qui découvrira les racines ; ménagez-les avec le plus grand soin. Pour cet effet, creusez jusqu’au-dessous, alors le plant viendra sans peine, & ses racines ne seront point endommagées. Ne tirez que ce qu’un homme peut replanter dans une demi-heure ; & si la terre ne tient pas aux racines, ne les laissez jamais exposées au hâle, au soleil, &c. ; placez les plants dans un panier, avec un peu de terre par-dessus les racines, ou dans un plat rempli d’une suffisante quantité d’eau pour qu’elles trempent. Il vaut mieux revenir plus souvent à la pépinière, que d’enlever trop de plants à la fois. Ces soins paroîtront minutieux à la plupart des jardiniers : laissez-les dire ; ordonnez, & faites-vous obéir. Au mot Racine, on verra leur usage, & l’indispensable nécessité de les ménager & de les conserver.

Aussitôt après la transplantation, arrosez légérement ; trop d’eau tape la terre, la durcit, & il vaut mieux revenir à plusieurs petits arrosemens consécutifs qu’à un seul trop copieux.

Si on prévoit que pendant le jour le soleil dardera avec trop de force sur ces jeunes plants, on fera très-bien de cueillir de mauvaises feuilles de choux & de les couvrir ; le soir ces feuilles seront soulevées, afin qu’ils jouissent de la fraîcheur de la nuit. Suivant la reprise, ces feuilles, ou de nouvelles, seront remises & enlevées jusqu’à ce que le plant se tienne droit, en un mot, qu’il ait bien repris.

On observera, en transplantant, d’espacer les plants à trois pieds les uns des autres, en tout sens, & à quatre pieds ce seroit encore mieux. Il n’y aura point de terrain perdu, puisque cet espace peut être garni en plantes dont la racine ne pivote pas, & qui auront fait leur crue avant l’époque du blanchîment des cardons.

III. Des soins après la transplantation. Ils se réduisent, 1o. à arracher les mauvaises herbes ; 2o. à serfouir deux ou trois fois pendant l’été le pied des cardons ; 3o. à donner de fréquens arrosemens. Le meilleur moyen d’empêcher la fleuraison de la plante, est l’arrosement. L’eau modère sa propension à monter. Les auteurs conseillent de les arroser tous les deux jours. L’avis est sage si on se sert d’arrosoirs ; il est dangereux si c’est par irrigation, (voyez ce mot) à moins que l’évaporation ne soit excessive, & causée par un vent impétueux ou par une chaleur dévorante. Un seul arrosement par irrigation pénètre plus profondément la terre que ne le feroit l’eau de dix à douze arrosoirs vidés successivement. L’irrigation nécessite à serfouir plus souvent.

Tenir le terrain frais, est la loi qu’il faut suivre ; l’arrosement est par conséquent soumis à la température du climat que l’on habite.

IV. Des manières de blanchir les cardons. Voici celles décrites dans le Traité des Jardins déjà cité. Depuis le mois d’Octobre, on lie & on empaille successivement de huit en huit jours quelques-uns des plus beaux pieds pour les consommer trois semaines après. Lorsque les gelées commencent à se faire sentir, on les lie tous sans les empailler, & on les butte de sept à huit pouces. S’il survient en Novembre quelques gelées un peu fortes, on jette dessus de la litière, des cosses de pois, &c. Enfin, lorsqu’en Décembre on prévoit les grandes gelées, il faut lever en motte tous les pieds de cardons, les transporter dans la serre, les y planter dans du sable, leur donner de l’air toutes les fois qu’il est doux. Ils y blanchissent sans paille, & dans une bonne serre il s’en conserve jusqu’en Avril. On peut ne les point planter dans le sable ; mais les ranger debout l’un devant l’autre contre un mur de la serre, les visiter souvent, les nettoyer de toutes les feuilles pourries, & retirer pour la consommation ceux qui paroissent les plus avancés ; mais il est rare & difficile d’en conserver aussi long-tems ; cet usage ne convient qu’aux maraîchers.

Lorsqu’on n’a pas une serre pour loger les cardons, on suit une autre méthode. Par le mot serre, on n’entend pas parler d’une serre chaude, ni d’une orangerie, mais d’un bas, d’un endroit à l’abri des gelées, & même d’une trop grande humidité qui pourriroit plutôt les cardons qu’elle ne les blanchiroit. On peut faire dans un terrain très-sec, une tranchée profonde de trois pieds, large de quatre pieds, & de longueur proportionnée au nombre de plants de cardons. À un bout de la tranchée, on fait un chevet de longue paille ; c’est-à-dire on tapisse, on couvre ce bout de la tranchée de deux ou trois pouces de longue paille. Contre ce chevet, on place debout trois ou quatre pieds de cardon, levés en motte, de sorte qu’un pied ne touche point l’autre. On fait un second chevet qui couvre ce premier rang ; on y place un second rang de cardon, & ainsi de suite, ayant attention de laisser l’extrémité des feuilles à l’air, tant que la rigueur du froid n’oblige pas de couvrir toute la surface de la tranchée avec de la paille & avec des paillassons inclinés, pour empêcher les pluies & les neiges de pénétrer. Cet expédient est fort bon ; le suivant vaut encore mieux.

Troisième méthode. Dans un terrain sec, ouvrez une tranchée de trois pieds de profondeur sur cinq de largeur & de longueur, proportionnée au besoin. Jetez sur le bord de la tranchée, des côtés du nord, du levant & du couchant, toutes les terres qui sortiront de la fouille ; plombez-les bien, & disposez-les en talus, qui éloigne de la tranchée les pluies & les neiges. Le long de la tranchée, du côté du midi, plantez des échalas ou de grandes fourchettes pour soutenir une perche, sur laquelle vous attacherez un nombre suffisant d’échalas pour porter une couverture grossière de paille, ou de fougère, ou de cosses de pois, & des paillassons par-dessus. Cette couverture plus inclinée du côté du nord que du côté du midi, sera appliquée par son extrémité sur les terres qui bordent la tranchée. Du côté du midi, vous ménagerez quelques ouvertures pour introduire l’air & le soleil, quand il est possible, & afin de pouvoir descendre dans la tranchée, & y soigner les cardons. Ces ouvertures se bouchent avec de doubles paillassons pendant les nuits & les tems rudes. On dispose, comme ci-devant, les cardons entre des chevets de paille, suivant la longueur de la tranchée du côté du nord, ou bien comme dans une serre.

Dans les climats où la rigueur du froid est considérable, & les pluies fortes & fréquentes, il est bon de choisir une des méthodes ci-dessus décrites ; dans les pays plus tempérés, ces grandes précautions sont assez inutiles ; l’une des deux méthodes suivantes suffit.

Quatrième méthode. Dès le mois de Novembre, & même plutôt si l’on veut, on peut lier une certaine quantité de pieds de cardons, & tous les huit ou quinze jours, suivant le besoin, en lier de nouveau & les faire blanchir à la manière du céleri, c’est-à-dire relever la terre autour des pieds dont les feuilles sont liées, & ne laisser que les sommités à découvert. La principale attention à avoir, consiste à ne lier les feuilles que par un tems très-sec, & à les butter dans les mêmes circonstances. Cette attention est également indispensable dans la méthode suivante.

Cinquième méthode. Il a été dit que les cardons devoient être plantés au moins à trois pieds de distance les uns des autres. Faites une fosse au pied de la plante, dégarnissez ses racines d’un côté, couchez-la dans la fosse, sans rompre la racine ; recouvrez la terre sur sept à huit pouces de hauteur, & laissez sortir quelques bouts de feuilles, pour l’indiquer. Plus la terre sera humide, plutôt il blanchira & pourrira. Si elle est un peu sèche, & qu’on la préserve des pluies par de la paille longue qui en repousse les eaux, les cardons se conserveront pendant plusieurs mois ; & dans les pays secs, tels que le Comtat, la Basse-Provence, le Bas-Languedoc, on mange quelquefois en Février, & même en Mars, des cardons enterrés à la fin de Novembre. Il ne faut pas conclure de ce que je dis, que chaque pied ait été conservé frais dans sa fosse ; on en trouve plusieurs entiérement pourris : je rapporte cet exemple, pris dans les extrêmes, pour prouver que plus le terrain sera humide, plus le blanchîment du cardon sera prompt, & par conséquent le jardinier doit se régler sur ce principe, afin de prévenir la pourriture. La constitution de la saison influe beaucoup, & le jardinier doit y faire attention.

Certains auteurs ont conseillé d’autres méthodes pour le blanchîment. Liger propose d’environner le cardon après qu’il est lié, avec une caisse semblable à une ruche à miel ; la dépense est un peu considérable : d’autres, d’environner le cardon lié avec du marc de raisin, &c. Pourquoi multiplier la main-d’œuvre & la dépense sans nécessité ? la quatrième & la cinquième méthode sont les plus simples.

Dans nos provinces méridionales, où la durée des froids n’est pas considérable, on peut, pendant ce tems, lier les cardons, les environner avec de la paille brisée ou avec la balle du grain. Dès que la gelée cessera, il faudra en écarter la paille, couper les liens & laisser aux feuilles la liberté de reprendre leur première situation ; sauf à lier de nouveau, à rapprocher la paille s’il survient de nouvelles gelées, parce que la plante qui a déjà été une fois emprisonnée, est bien plus délicate & plus susceptible des impressions du froid. Par ce moyen, on prolonge de beaucoup sa jouissance.

V. Récolte de la graine. Laissez sur terre les pieds de cardon les plus vigoureux, ne les enterrez pas, mais garantissez-les avec force paille, après avoir butté leur pied avec de la terre. Le cardon est vivace, ainsi que l’artichaut, si on les préserve du froid : gouvernez-le donc comme l’artichaut. Dès que les froids seront passés, enlevez la paille, la terre, les feuilles pourries & desséchées, & mettez le sol de niveau ; travaillez la terre, enfin, arrosez suivant le besoin. Aux mois de Mai, de Juin, de Juillet, la tige pousse du pied, s’élève, porte plusieurs fleurs ou têtes ; abattez le plus grand nombre dès qu’il paroît, & conservez seulement les pommes qui promettent le plus. Il est prudent d’attacher cette tige contre un échalas, afin de la soustraire à la fureur des vents qui règnent sur les côtes, mais sur-tout pour l’incliner, afin que la pluie ne tombe pas dans l’intérieur de la pomme ; elle fait couler les fleurs, & souvent pourrir les graines lorsque la fleur a noué. Ce même pied de cardon peut servir pendant plusieurs années de suite à produire la graine. Quelques auteurs pensent que celle des vieux pieds est préférable à celle donnée par des pieds plus jeunes : cela peut être ; je ne le sais pas par expérience. Si on tient la semence dans un lieu sec, elle est bonne à semer même à la troisième année.