Cours d’agriculture (Rozier)/CLOQUE

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 398-406).
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CLOQUE. Maladie commune aux feuilles des arbres, & plus particulièrement à celles du pêcher. Les feuilles se replient sur elles-mêmes, elles se froncent, se rident, changent de couleur, & paroissent former ensemble une touffe de figure très-indéterminée.

Cette maladie inquiète beaucoup, & avec raison, le cultivateur qui me paroît aussi peu instruit de sa cause que des remèdes qu’elle exige. Je vais rapporter ce que dit M. de la Ville-Hervé, neveu & élève de M. l’abbé Roger de Schabol, dans son excellent ouvrage intitulé : Pratique du jardinage, & je discuterai ensuite son opinion sur les causes de cette maladie.

« Vers la fin de mars, ou en avril, (c’est l’auteur qui parle,) les fleurs épanouies & nouées du pêcher, ses feuilles verdoyantes, & ses bourgeons déjà alongés, offriront le spectacle brillant d’un vert naissant, lorsque, d’une nuit à une autre, du matin au soir, tout ce superbe appareil se trouve changé en un désastre affreux. Ses feuilles listes & unies se recoquillent ; à ce beau vert succède une couleur livide, d’un brun noirâtre & rougeâtre tout ensemble. De minces qu’elles étoient, elles ont acquis subitement le double & le triple de leur épaisseur ordinaire ; difformes, repliées, elles sont raboteuses, graveleuses, galeuses. Les bourgeons, dont l’écorce étoit unie, luisante, & dont la figure étoit ronde, sont remplis de bosses, d’inégalités, de calus ; leur grosseur par le haut est le triple de celle du bas, & la gomme en découle de toutes parts ; les fruits naissans, dénués de l’ombrage des feuilles repliées qui se sèchent, sont à la merci des rayons du soleil ; &, bientôt dépourvus de nourriture, par la privation de leurs mères-nourrices, ils se fanent & tombent : enfin, les pucerons vont se loger dans les replis de ces feuilles brouies, (Voyez le mot Brouir) & achèvent de mettre le comble à la disgrace de ces arbres infortunés ».

« Quelle peut être la cause d’une métamorphose si subite ? Le seul souffle passager d’un vent brûlant peut bien changer l’économie extérieure de l’arbre, & détruire cette brillante harmonie, mais non-pas renverser, en un moment, tout son mécanisme intérieur ».

« Je me suis transporté, lors de la cloque, en différens cantons, durant nombre d’années, pour observer & suivre cette maladie dans tous les terreins & à toutes les positions ; comme aussi pour recueillir les sentimens des plus experts dans l’art du jardinage. Tous s’accordent à dire que la cloque est une maladie pestilentielle du pêcher, l’une des plus bizarres & des plus variables de celles qui concourent à sa perte ; & ils l’attribuent à un mauvais vent. Mais ce vent pernicieux, auteur de ces désordres, souffle tous les ans, & est accompagné de gelées meurtrières ; & néanmoins ce n’est pas toujours alors que cette maladie a lieu. Quelques feuilles sont rôties, quelques bourgeons desséchés, certaines branches viciées meurent, nombre de fleurs avortent, des fruits noués sont grillés, sans que tout l’arbre soit maltraité ».

« Il est démontré que dans un tel événement, il y a un dérangement de nature, occasionné par une cause accidentelle, qui n’a pas encore été découverte. Cet accroissement subit, tant dans les feuilles que dans les bourgeons, qui, immédiatement après cette métamorphose, pèsent deux ou trois fois plus que les feuilles épargnées, n’est pas le seul effet du vent. De plus, ayant mis dans le microscope, & disséqué ces bourgeons & ces feuilles cloquées, je les ai trouvées différemment conformées que les feuilles saines du même arbre. Le flux de gomme qui paroît incessamment dans le vieux bois, n’annonce-t-il pas un épanchement de sève, mal préparée, mal cuite, mal digérée ? Il faut nécessairement supposer qu’il s’est fait dans la tige d’abord, ensuite dans le réservoir de la greffe, puis dans les grosses branches, & enfin dans les bourgeons, une sorte de cacochymie qui a causé ce bouleversement universel, & que la sève a passé tout-à-coup dans toutes ces différentes parties, au lieu qu’elle auroit dû y couler successivement, suivant l’ordre réglé par la nature ».

« Dans les diverses observations que j’ai faites sur un événement aussi singulier, j’ai remarqué, 1.o que, malgré les paillassons, la cloque prenoit aux pêchers couverts ; 2.o que l’exposition du couchant en étoit la plus maltraitée ; 3.o qu’elle n’arrivoit jamais dans un temps mou, brun, obscur, ni même après les pluies froides du printemps, ni après certaines gelées fortes durant lesquelles le soleil ne paroissoit point ; 4.o je n’ai jamais vu les pêchers brouis, cloqués lors des plus grands vents du nord, & les plus froids, si ce n’est qu’ils fussent rabattus sur l’espalier, par quelque toit ou bâtiment voisin, par un mur, par une montagne, &c. ; 5.o ces vents destructeurs soufflent du midi au couchant, en forme de tourbillons, & apportent avec eux des exhalaisons contagieuses, non-seulement aux plantes délicates, telles que les laitues placées sur des costières, les pois hâtifs, les melons, les concombres avancés sur couche ; mais aux plantes robustes, comme le lilas, le chèvrefeuille. Après la rosée qui accompagne ces vents, on trouve sur ces feuilles brouies, une humeur tant soit peu cotonneuse, qui est une humidité desséchée & coagulée, que les gens de la campagne appellent les fils de la bonne Vierge ; 6.o la cloque n’a jamais attaqué un pêcher, après ces vents de galerne, (vents nord-ouest) qu’ils n’aient été précédés & accompagnés, ou suivis de coups de soleil très-ardens, ou de quelque chaleur immodérée pour la saison ; 7.o elle ne prend pas toujours uniformément ; souvent elle arrive tout d’un coup, d’autres fois peu à peu ; tantôt avec la naissance même des bourgeons, tantôt lorsqu’ils sont à cinq ou six feuilles ». (Voyez le mot Bourgeon, afin de savoir en quoi il diffère du bouton.)

« La cloque n’est donc qu’une indigestion en forme, causée par le contraste du froid & du chaud. Elle ne prend, comme je viens de le dire, qu’après que la terre a été, durant quelque temps, échauffée par la douceur des zéphirs, ou après que les rayons pénétrans du soleil ont mis la sève dans un mouvement subit. Alors, par une révolution soudaine, ces vents de galerne apportent des froids morfondans qui l’arrêtent. Cette révolution momentanée de la sève ne lui permet pas de se préparer, ni de séjourner dans ses cribles & dans les canaux propres à la digérer ; elle y arrive grossière. Elle a bien pu monter, mais s’étant morfondue en chemin, elle ne circule plus, & se jette alors dans les parties les plus voisines ; savoir, l’extrémité des bourgeons, & les feuilles vers lesquelles elle a été lancée d’abord. De cette charge brusque & confuse naît le volume énorme de chaque feuille, & le gonflement des bourgeons épaissis par leur extrémité ».

Il n’est pas possible de donner une description mieux détaillée que celle présentée par M. de la Ville-Hervé, ainsi que le précis des sentimens des cultivateurs ; j’aime à penser que cet auteur si estimable ne me saura pas mauvais gré si mon opinion est différente de la sienne, sur les causes de la maladie. J’ose dire que les insectes sont la cause première des ravages, & que la matière excrémentitielle de la sève, ne pouvant être expulsée au-dehors par les feuilles, y séjourne, & par une métastase, reflue dans les bourgeons qui acquièrent un plus grand volume à leur sommet. Je ne disconviendrai pas absolument que les vents froids n’augmentent la maladie, ce qui est encore un problème à examiner ; mais il n’en sont jamais la cause première.

Lorsque les feuilles, les fleurs, les jeunes bourgeons sont frappés de la gelée, ils ne se dessèchent pas, ne se réduisent pas en poudre au moindre contact, si les rayons du soleil ne viennent pas brusquement frapper dessus ; dans ce cas, chargées d’humidité intérieurement & extérieurement, couvertes de rosée ou d’une quantité de goutelettes d’eau égales au nombre de leurs pores, cette humidité s’évapore, la feuille reste sèche, & le soleil peut darder ensuite ses rayons sans l’endommager : mais si l’humidité subsiste, chaque goutelette forme une loupe qui concentre les rayons du soleil, & produit l’effet du miroir ardent : comme ces goutelettes sont aussi nombreuses que les pores, il n’est donc pas difficile de se représenter toutes ces petites loupes desséchant & brûlant à la fois la superficie d’une feuille, d’une fleur, &c. Dans la cloque, au contraire, ce phénomène n’a aucune ressemblance avec celui opéré par la gelée ou par la rosée blanche la plus forte. La feuille reste entière, au recoquillage près ; & ce recoquillage provient simplement de la contraction occasionnée accidentellement aux nervures principales & particulières des feuilles. La même observation a lieu pour les melons, les laitues, les lilas, &c., & je ne vois pas comment des vents du sud-ouest peuvent apporter avec eux des exhalaisons contagieuses, à une époque à laquelle l’air de l’atmosphère est toujours salubre. D’ailleurs, si la cloque dépendoit de ces exhalaisons, ou du passage subit du chaud au froid, ou du froid au chaud, toutes les feuilles d’un même arbre devroient à la fois être cloquées ou brûlées : il est de fait que souvent il reste une branche saine, entre deux branches qui ne le sont pas ; & quelquefois la moitié de l’arbre est cloqué, & le reste conserve son état de santé. On ne peut pas dire que la sève qui monte dans la branche cloquée, soit différente de celle de la branche voisine, & non cloquée. C’est partout la même sève, mais elle se vicie dans celle-là ; & elle ne l’est pas dans le réservoir de la greffe, dans le corps de l’arbre, ni dans les racines. La cloque est donc une maladie purement locale, qui ne dépend pas de masse générale des humeurs de la plante.

On examine la cloque lorsque le mal est consommé, ou lorsqu’il est déjà avancé. Ce n’est pas prendre la nature sur le fait. Je prie mes lecteurs d’observer, 1.o que jamais, dans les vingt-quatre heures, l’arbre entier n’est cloqué dans toutes ses parties ; (au moins je n’ai rien vu de semblable) 2.o que le mal gagne de proche en proche, & successivement ; 3.o que, si l’on observe bien attentivement, on verra des arbres cloqués sans qu’il y ait eu des vents de galerne ; 4.o qu’ils le sont lorsque la chaleur de l’atmosphère a été pendant quelques jours au-dessus du sixième degré du thermomètre de Réaumur. Celle d’un seul jour est souvent suffisante.

On ne voit jamais de feuilles décidément cloquées sur un arbre, sans rencontrer, dans leurs replis, de petits pucerons, & presque toujours des fourmis. Celles-ci accourent afin de partager le butin, & sucer l’eau miellée qui exsude des pores des feuilles ; mais elles ne sont point la cause du mal. Les petits pucerons dont j’ai parlé, sont armés d’une petite trompe, avec laquelle ils percent les nervures, soulèvent l’épiderme de la feuille, déposent leurs œufs dans le parenchyme contenu entre l’épiderme supérieur & l’inférieur, & enfin ils vivent du suc extravasé. Ces œufs sont assez visibles dans les vésicules qui se forment sous l’épiderme ; ils y éclosent, donnent un ver ; ce ver y subit différentes métamorphoses ou changemens de peau ; il se change en chrysalide, enfin devient insecte parfait, c’est-à-dire, puceron. Comme sa vie est de très-courte durée, le passage de l’état d’œuf à celui de ver, & de ver à celui de chrysalide ; enfin, à celui d’insecte est dans les mêmes proportions ; sa multiplication est prodigieuse. Dès que la partie des feuilles d’un bourgeon est successivement peuplée de vers, les pucerons gagnent les feuilles voisines, & se partagent les héritages, de manière qu’en très-peu de temps les bourgeons sont presque tous attaqués à la fois. J’ai vu des pontes se succéder, sans interruption, jusqu’à la fin de Juin. Chaque piqûre d’insecte produit sur les grandes & petites nervures des feuilles, ce qu’une semblable piqûre, mais plus forte, opéreroit sur nos nerfs. Dans pareil cas on reste estropié, & la partie piquée se retire. Il en est ainsi des feuilles ; mais comme les piqûres sont faites indistinctement sur la même nervure, une partie se recoquille à gauche, l’autre à droite, &c. suivant qu’elle est piquée plus ou moins, & à différentes époques. Voyez l’article du charançon rouleur, page 26 de ce volume, & vous aurez une preuve plus en grand de ce que les piqûres des insectes opèrent sur les nervures des feuilles, & la forme singulière qui en résulte.

Malgré les observations les plus suivies, je ne puis pas dire avoir vu soulever l’épiderme par ces insectes, pour y déposer leurs œufs ; mais j’ai vu, & très-bien vu, dans les véhicules, les œufs & les vers. Comment y ont-ils été introduits ? Je suppose l’analogie & un travail semblable à celui des insectes armés d’aiguillons ou de tarières ; enfin, on ne peut nier que le puceron ne soit pourvu d’un aiguillon. La vie de cet insecte, autant que j’ai pu l’observer, est de deux à trois jours. Son corps, presque tout aqueux, se dessèche, se colle sur la feuille, au moyen de l’eau miellée qui en sort ; cette eau, à son tour, se dessèche, & la feuille semble être couverte d’un duvet blanc, que les paysans ont mal à propos nommé fil de la Vierge, fil de Notre-Dame. Or, les fils qui méritent ce nom sont produits par des araignées ; ils ont souvent plusieurs toises de longueur, voltigent dans l’air au printemps, & plus souvent en automne, pendant les jours calmes & sereins.

Si, suivant la mauvaise coutume, on a planté en espalier des pêchers en mi-tige, & entre-deux des arbres nains, les débris de ces cadavres desséchés tombent sur les feuilles de l’arbre inférieur pendant la chaleur du jour, les recouvrent, & les font beaucoup souffrir par l’arrêt de transpiration. Quelques arrosoirs d’eau, vidés sur ces feuilles, suffisent pour entraîner ces ordures.

Il ne me paroît pas que les pucerons des choux, des chèvre-feuilles, des pois, des lilas, soient de la même espèce, quoique peut-être du même genre. Je n’ai pu parvenir à les distinguer assez surement pour établir l’ordre de cette famille. Ces individus ont une certaine dissemblance que je ne puis définir ; les objets sont trop petits, & ma vue n’est pas assez bonne pour les observer pendant long-temps au microscope.

La nature a assigné un certain degré de chaleur pour faire éclore le ver de chaque insecte. Il n’est donc pas étonnant que M. de la Ville-Hervé ait observé que la cloque commençoit après des jours & des vents chauds ; je n’ai point apperçu de cloque, tant que la chaleur n’a pas été au-dessus de six degrés. Si ce n’est pas-là l’époque précise du moment où l’œuf éclôt & donne le puceron, elle en rapproche beaucoup. Malgré tous mes soins, il ne m’a pas été possible de découvrir ces premiers œufs ; étoient-ils collés sur les branches, sous les enveloppes des boutons ? je l’ignore. D’où sont donc arrivés ces insectes ; comment les premiers sont-ils parvenus à un arbre qui n’en avoit point auparavant ? Ce sont autant de phénomènes difficiles à expliquer. Il ne paroît pas cependant probable que les œufs soient apportés par des tourbillons de vents. La prévoyance des insectes pour assurer la conservation de leur espèce, est admirable, & ils n’attendent surement pas qu’un coup de vent très-accidentel, les porte directement sur un pêcher, & non sur un coignassier, ou sur tel autre arbre qui ne fourniroit pas à leur nourriture. La nature ne se conduit pas ainsi, & le hasard n’a jamais dicté ses loix.

D’après cet exposé, il est aisé de rendre compte du changement de couleur de la feuille, & de l’augmentation de volume du sommet du bourgeon.

L’insecte a commencé par piquer la feuille, afin de faire extravaser le suc & s’en nourrir ; il a songé ensuite à sa reproduction, à donner un asyle assuré à ses œufs, & une nourriture abondante aux vers qui en sortiront. Tout cet appareil ne sauroit exister sans que la feuille en souffre ; elle s’est contractée en tout sens en suivant la disposition de la nervure : elle n’a donc pas pu se débarrasser, par ses pores, de la matière de la transpiration, quoique l’eau miellée formât une grande partie de la sève. La matière de la sueur n’est pas la matière de la transpiration : ces deux sécrétions sont bien différentes. Dès-lors il y a eu obstruction & embarras ; le parenchyme s’est vicié : de vert qu’il étoit, il est devenu jaune blanchâtre ; & l’épiderme, sans couleur par lui-même, a présenté à nos yeux une surface blanchâtre, &c.

Quant au renflement du sommet du bourgeon, il a été formé par une affluence de sève qui n’a pu s’échapper par la transpiration des feuilles, s’y est accumulée, & n’a pu redescendre vers les racines.(Voyez les mots Ascension, Circulation, Sève.)

La cause de la cloque une fois déterminée, le remède l’est-il également ? C’est ce qu’il faut examiner. Pour cela, écoutons encore parler M. de la Ville-Hervé.

« À Montreuil on ne connoît d’autre remède à la cloque, que de laisser agir la nature sans toucher aux arbres, ni aux feuilles cloquées qu’on laisse tomber d’elles-mêmes. On attend patiemment que les nouvelles soient venues, & que les bourgeons, après s’être réunis, soient suffisamment alongés pour être palissés. Les arbres se débarrassent seuls de tous les bourgeons desséchés. En 1749, nombre de leurs pêchers, dont je désespérois presque, se sont remis d’eux-mêmes, & étoient en juillet aussi pleins & aussi verts que ceux que la cloque avoit épargnés.

« La cloque, disent les montreuillois, a fait pâlir les arbres. La première sève qui a coulé inutilement leur a occasionné un épuisement. Leur faire alors pousser de nouveaux jets, c’est leur demander au-dessus de leurs forces actuelles. Mais laissez-les se remettre de leurs fatigues, donnez le temps aux racines de travailler pour envoyer à la tige & aux branches de nouveaux sucs, attendez qu’ils soient en état de les cuire & de les faire circuler au renouvellement de sève, permettez aux parties relâchées & affaissées de reprendre leur jeu & leur ressort ; alors la nature travaillant à loisir à réparer ces accidens, le mécanisme se rétablira peu à peu. »

« Je ne puis qu’applaudir à cette pratique, continue l’auteur, puisqu’elle a pour base un raisonnement aussi juste. Néanmoins, persuadé que la nature veut, en nombre d’occasions, être aidée, & qu’elle m’a paru en avoir grand besoin après la cloque, je pense qu’il est à propos d’administrer aux arbres cloqués des secours pour l’exciter sans la forcer. Je les laisse durant quelque temps sans leur rien faire, afin que la sève se reproduise, & que celle qui est extravasée, rentre en partie pour être mieux élaborée, ou sorte tout à fait, & se décharge. Ce temps ne peut être déterminé que par celui employé, par les arbres, à se remettre de leur crise, c’est-à-dire, quand les feuilles brouies commencent à se faner. Je préviens leur chute, & avant la pousse des nouvelles, je vais les ôter & les recueillir dans un panier, pour les brûler avec celles qui ont pu tomber. La cloque n’arrive jamais qu’elle ne soit suivie d’un déluge de pucerons qui s’attachent aux feuilles devenues extrêmement tendres par l’épanchement trop abondant de la sève. (J’ai dit que les pucerons occasionnoient cet épanchement) En laissant sur terre ces feuilles remplies des œufs de tous ces petits animaux, ils se multiplient à l’infini l’année suivante, & reviennent assaillir les pêchers ». (Je ne suis pas encore ici de l’avis de l’auteur.)

« Après cette première opération, je jette à bas les bourgeons rabougris, étiques & morts, & je fais aux arbres une sorte de taille. Les arbres sont malades, il faut les soulager ; ils sont épuisés, il faut leur fournir les moyens de prendre vigueur. Or, si je leur laisse trop de bourgeons à nourrir, combien auront-ils de peine à se remettre, & combien de temps s’écoulera-t-il avant leur rétablissement ! Le reste des bourgeons choisis que je conserve, profite en raison de leur moindre quantité. C’est ainsi qu’en 1749, j’ai conduit une infinité de pêchers, & j’ai eu la satisfaction de les voir se rétablir un mois plutôt que ceux de Montreuil ».

« Autour du pied de ces arbres appauvris, je mets du terreau ; s’ils ont été fermés, je jette un peu d’eau. Je répare de cette façon leurs pertes & leur épuisement, & je leur donne le moyen d’agir plus promptement. Je ne dirai point qu’après l’enlèvement de toutes les feuilles cloquées, un labour est essentiel ».

« La cloque ne se borne pas aux effets dont j’ai fait la triste peinture ; elle étend sa malignité sur la pousse de l’année & sur le fruit, comme sur ceux des années suivantes. D’abord elle fait avorter à chaque bourgeon cloqué, tous les yeux du bas jusqu’à la quatrième & cinquième feuille, &, par conséquent, nulle espérance de fruit à la taille prochaine, qu’on est obligé d’alonger à ceux des yeux qui ont poussé après coup ».

» Une autre suite non moins fâcheuse de la cloque, est l’avortement de tous les boutons à fruit des bourgeons : en faisant tomber leurs feuilles, elle les force d’ouvrir leurs boutons pour en reproduire de nouvelles, & cette reproduction ne peut se faire qu’aux dépens de la substance de chaque œil qui, dès-lors étant altéré, n’est plus en état de donner du fruit l’année suivante : aussi ne doit-on compter d’en avoir qu’à l’extrémité de quelques branches ».

« Plus d’une année le pêcher se ressent de cette maladie. Après sa guérison, il perce à travers la peau en différens endroits, & fait éclore des gourmands, ou des branches adventices. (Voyez ces mots) Un jardinier entendu, taille d’année en année, le plus long qu’il lui est possible, sur ces sortes de branches, les étend, & rabaisse insensiblement les autres sur lesquelles il rapproche son arbre ».

Cette méthode est, sans contredit, la meilleure, & celle qui remédie le plus au désordre de la cloque. J’avoue avec plaisir & avec reconnoissance envers M. de la Ville-Hervé, que ses leçons m’ont été très-utiles. Voici les observations auxquelles elles ont donné lieu. Un de mes pêchers avoit un seul bouton cloqué ; je l’ai abandonné à lui-même, il s’est desséché. Au temps de la chute de la feuille de l’arbre, le bois mort a été supprimé. L’année suivante presque tous les bourgeons ont été cloqués, & ceux des arbres voisins ne l’ont point été. Je pense que les pucerons, avant de disparoître de dessus cet arbre, ont fait la ponte sur les bourgeons de l’année, & peut-être sous l’écorce des boutons d’où est sorti l’essaim formidable qui a cloqué successivement les bourgeons nouveaux. Ils savent trop bien que la feuille cloquée se dessèche & tombe ; que presque toujours elle est enfouie dans la terre par les labours, ou emportée par les vents, & par conséquent que leurs œufs périroient infailliblement. Je le répète, la nature est trop attentive à la conservation des espèces, pour permettre une telle étourderie aux pucerons. La loi générale, dictée à tout insecte qui dépose ses œufs sur des feuilles annuelles, est que ces œufs seront éclos avant la chute de ces feuilles, & qu’avant cette époque, l’insecte qui doit en sortir aura acquis son état de perfection. Il n’en est pas ainsi pour les feuilles vertes subsistantes sur la plante pendant l’hiver. Si leur renouvellement ou leur chute est fixée au printemps, de l’olivier par exemple, ou plus tard, l’insecte sera parfait à l’époque de l’apparition des feuilles ou des bourgeons nouveaux, afin que ses petits trouvent en sortant de l’œuf, des feuilles tendres & une nourriture analogue à leurs besoins. Je crois donc assez inutile de ramasser les feuilles cloquées, desséchées & tombées à terre ; cependant, la précaution ne sauroit nuire.

J’avois dans un endroit assez éloigné du premier, un autre pêcher dont presque tous les bourgeons étoient cloqués ; j’eus la patience de couper toutes les feuilles avec des ciseaux, & de les rassembler sur un drap étendu par terre, afin de les jeter au feu. Les bourgeons furent plus flétris pendant environ quinze à vingt jours ; ils reprirent un peu de vigueur à mesure que les feuilles nouvelles parurent, des cloques survinrent encore sur plusieurs bourgeons ; & aussitôt après que les feuilles eurent été supprimées comme à la première fois, les bourgeons se desséchèrent. Les bourgeons non cloqués reprirent leur force, & vinrent à bien. Un autre pêcher cloqué & abandonné à lui-même, n’a plus eu de pucerons à la fin de juin ; mais toutes les nouvelles feuilles poussées après la chute des premières, ont conservé des formes bizarres & contournées jusqu’à la chute générale des feuilles. Si quelqu’un répète ces expériences, je le prie de m’en communiquer le résultat, afin de savoir s’il sera exactement le même.