Cours d’agriculture (Rozier)/CONTAGION

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 467-472).


CONTAGION. Contagion signifie communication : c’est la propriété qu’ont certaines maladies, de faire passer, d’un corps malade, dans un corps sain, les principes d’une maladie, par le moyen du toucher. La contagion diffère de l’épidémie, en ce que cette dernière répand ses principes plus actifs dans l’air, & que tous ceux qui respirent cet air infecté, gagnent la maladie, tandis que la contagion exige absolument le contact du corps du malade, ou des hardes qui le couvrent, pour communiquer les principes du mal au corps sain.

Presque toutes les maladies sont contagieuses, mais à différens degrés : celles qui le sont à un très-haut degré, sont les suivantes : toutes les fièvres malignes, putrides, éruptives ; petite vérole, rougeole, coqueluche, mal de gorge gangréneux, dyssenteries, scorbut, écrouelles, gale, dartres, & généralement toutes les maladies des enfans.

La phthisie, & les autres suppurations, tant internes qu’externes, peuvent aussi passer, du corps du malade, dans le corps sain, mais moins aisément que les maladies dont nous venons de donner l’énumération. Ceux qui, par état, visitent les malades, tels que les médecins & les chirurgiens, sont exposés à gagner les maladies pour lesquelles ils donnent leurs soins ; mais l’habitude les expose moins à contracter ces maladies, que les autres classes d’hommes : cependant, quand les médecins & les chirurgiens ne se conduisent pas prudemment, ils s’exposent à être les victimes de leur zèle, lorsque les malades qu’ils soignent, languissent accablés dans les maladies malignes & pestilentielles.

L’indiscrétion, le zèle mal-entendu, le défaut d’emplacement & la misère, sont les causes les plus communes de la contagion.

1°. L’indiscrétion. Au même instant qu’un individu est attaqué de maladie contagieuse, son asile est rempli, chaque instant du jour, d’une multitude d’hommes, de femmes & d’enfans : ceux qui sont dans l’asile du malade, courent les plus grands risques de contracter sa maladie, & leur présence nuit beaucoup au malade.

Premièrement, ils ajoutent à l’air qu’il respire, les différentes émanations qui sortent de leurs corps ;

Secondement, ils le fatiguent par leurs propos, & par l’aspect de la douleur répandue sur leur physionomie.

2°. Le zèle mal-entendu. Il est malheureusement dans l’ordre des choses ordinaires, que les arts les plus utiles à la société, & les plus difficiles dans leur étude, soient exercés par des gens qui, dépourvus de toutes connoissances dans ces arts, n’ont d’autre aiguillon que l’intérêt ou un zèle indiscret & mal-entendu : or ces gens, ignorant les vraies causes des maladies contagieuses, & ne connoissant pas les remèdes qui peuvent les combattre, & la conduite qu’il faut tenir dans leur administration, sont sans cesse auprès des malades, les tourmentent par des remèdes opposés à leurs maladies, rendent leurs maux plus douloureux, plus communicatifs, & finissent quelquefois par être les victimes d’un zèle respectable dans ses vues, mais indiscret dans sa pratique.

3°. Le défaut d’emplacement. Dans les grands hôpitaux, on voit communément les maladies contagieuses légères, devenir très-meurtrières, parce que la grandeur du local ne répond point à la multiplicité des malades, & qu’entassés les uns sur les autres, la contagion circule d’un infortuné à l’autre, par la voie du contact & de l’air qui n’est point assez renouvelé, & par le spectacle déchirant de la fin douloureuse de ces malheureux. Ces asiles de l’humanité souffrante sont des gouffres, où sont engloutis presque tous ceux que la douleur & la misère y entraînent.

Il existe des moyens pour détruire ou pour diminuer ces fléaux terribles qui moissonnent la classe des hommes la plus utile, disons mieux, la plus méritante.

La respectable Madame Neker s’occupe de cet intéressant objet pour la ville capitale. Ne seroit-il pas possible que le gouvernement aidât les efforts que les seigneurs de terres feroient infailliblement pour construire des hospices dans leurs possessions ? Nous avons médité long-temps sur ces établissemens, & nous espérons communiquer, dans peu au public, nos idées sur ce travail.

4°. La misère. Rien de plus commun, pour les gens de l’art, que d’avoir sans cesse sous les yeux, les tableaux multipliés & déchirans de la douleur, réunis & confondus avec ceux de la misère ; de voir ces êtres malheureux privés du nécessaire, attaqués de maladies contagieuses, renfermés dans un lieu étroit, humide, & à peine éclairé, environnés de femmes, d’enfans, de pères & de mères désolés, mourant de faim, & commençant à ressentir les effets funestes de la contagion, invoquer, d’une voix expirante, la mort, dont ils sont les images. De quelle utilité peut être l’art le plus salutaire, dans des circonstances aussi affreuses ? Est-ce par de stériles vœux, est-ce par des larmes qu’on peut éloigner la destruction ? Non, sans doute : que les âmes bienfaisantes jettent un instant les yeux sur ces tableaux, leurs cœurs saigneront ; & des hospices s’élèveront, à la place de ces autres antres de mort, pour arrêter les progrès de la contagion.

En attendant qu’un jour aussi pur brille pour l’humanité souffrante, donnons du moins des conseils à ceux qui, par état, soignent les malheureux attaqués de maladies contagieuses, & à ceux qui les visitent par zèle, afin qu’ils ne soient pas victimes de leur amour pour l’humanité, & afin que la contagion mette un terme à ses ravages.

Il faut que ceux qui soignent ou qui approchent les personnes attaquées de maladies contagieuses, éloignent des malades tous les gens dont les secours ne sont pas absolument nécessaires aux souffrans ; qu’ils les entretiennent proprement ; qu’ils emploient tous les moyens qui sont en leur puissance, pour purifier l’air qu’ils respirent ; qu’ils tranquillisent leurs ames par des conseils sages, & par la douceur de leur conversation ; enfin, qu’ils administrent les remèdes indiqués par la maladie contagieuse dont ils sont attaqués. Voilà pour les malades ; venons maintenant aux moyens qui conviennent à ceux qui les soignent.

Ceux qui soignent les malades attaqués de maladies contagieuses, ne doivent jamais avaler leur salive, tant qu’ils restent auprès des malades : ils doivent, au contraire, cracher souvent ; ils doivent faire brûler du vinaigre & de l’encens dans la chambre du malade, & laisser évaporer de l’eau dans de grands vases. Ces moyens sont autant utiles aux malades, qu’aux gens qui les soignent. Ils doivent se frotter les mains avec du vinaigre & en respirer, mâcher quelques acides ou quelques amers, & ne se permettre aucun excès dans aucun genre. Si la maladie contagieuse est pestilentielle, le meilleur moyen de s’en préserver est de se faire ouvrir des cautères, & de suivre le régime que nous avons prescrit. Voyez l’article Peste, dans lequel nous avons réuni tout ce qui a rapport à cet objet. M. B.


CONTAGION, Médecine vétérinaire. Nous entendons par ce mot, un état morbifique, qui peut passer, d’un animal malade à un animal sain.

De quelles manières la contagion peut-elle se transmettre ? La contagion peut se propager ou se transmettre d’un corps à un autre, de plusieurs manières : à une certaine distance, par le moyen de l’air ; de proche en proche, par la voie des selles, brides, couvertures, harnois, jougs, qui ont servi à l’animal malade ; & par contact, c’est-à-dire, par attouchement immédiat.

Comment divise-t-on les maladies contagieuses ? Nous les divisons en maladies aiguës & chroniques. Les fièvres malignes, putrides, éruptives, la petite vérole des moutons, la dyssenterie, le charbon pestilentiel, &c. sont mis au rang des premières. (Voy. Charbon, Claveau, Dyssenterie, Fièvre maligne) Les secondes sont, la morve des chevaux, la gale, les dartres, le farcin, &c. Parmi toutes ces maladies, il en est d’épizootiques, d’enzootiques & de sporadiques. (Voyez Épizootique) Les maladies contagieuses aiguës sont toujours plus dangereuses que les autres : leur terminaison est prompte, tandis que les autres font des progrès plus lents.

La contagion est encore bénigne ou maligne, en raison des symptômes qu’elle produit. Elle est bénigne, par exemple, lorsque l’abattement de l’animal malade n’est pas excessif, & qu’elle ne porte pas un grand trouble dans les fonctions : elle est maligne, au contraire, quand elle se trouve avec des symptômes effrayans, quand leur marche est irrégulière, quand les individus qu’elle attaque, tombent tout-à-coup dans l’abattement & la langueur, & qu’elle élude tous les secours de la médecine vétérinaire.

Moyens de prévenir & d’arrêter la contagion. Il est de l’intérêt des cultivateurs, de prendre les mesures les plus exactes pour prévenir les maladies contagieuses, & pour les arrêter.

1°. Un cheval ou une mule, par exemple, qui auront la gourme ou la morve, doivent être séparés de bonne heure des animaux sains, si l’on ne veut pas que ces derniers soient bientôt atteints de la maladie.

2°. Dans les temps où le claveau attaque les bêtes à laine, on doit également séparer les bêtes saines de celles qui sont malades, parce qu’en donnant des bornes au mal, il est plus facile de le prévenir, ou du moins de le rendre moins funeste. (Voyez Claveau)

Mais, dans la circonstance d’une fièvre maligne, putride, gangréneuse & pestilentielle, semblable à celle qui a détruit dernièrement les bœufs de quelques provinces, & qui a plongé les habitans dans la misère, les moyens à employer sont de la plus grande importance. Il s’agit,

1°. De tenir toutes les bêtes saines enfermées, & même séparées, s’il est possible, parce qu’un animal peut être malade pendant quelques jours, sans qu’on s’en apperçoive, & que, dans cet état, il peut communiquer aux autres animaux le mal dont il est infecté.

2°. D’empêcher que les animaux sains ne soient approchés par les hommes qui fréquentent, ou qui soignent les bêtes malades. L’expérience n’a malheureusement que trop prouvé, que les hommes & leurs habits pouvoient transporter la contagion, non-seulement d’une étable à l’autre, mais aussi, des granges infectées dans les granges saines, & à cinq ou six lieues de distance, puisqu’on a vu des maréchaux, après avoir soigné les bêtes malades à une journée de leur domicile, porter la maladie dans leur propre étable, en rentrant chez eux.

3°. De se mettre en garde contre les hommes qui viennent des villages voisins, & ne point les laisser approcher des animaux sains, non plus que les charlatans qui s’annoncent pour guérir la maladie : ces coureurs persuadent aux habitans de la campagne, que leurs bêtes sont malades, tandis qu’elles sont saines ; leur donnent des remèdes pendant quelques jours, se vantent ensuite de les avoir guéris, se font donner des certificats qu’ils vont mettre à profit, de village en village, aux dépens d’un peuple trop crédule & mal instruit sur les vrais symptômes de la maladie. Bien loin de guérir le mal, ils ne servent qu’à l’augmenter, en portant la contagion dans les lieux sains.

4°. De faire vêtir ceux qui soignent les bêtes malades, d’une souquenille de toile cirée, pour être moins sujets à prendre & à transporter avec eux le virus pestilentiel ; de leur faire laver les mains & les habits avec du vinaigre, avant que d’approcher aucune bête saine, sans quoi ils risqueroient de l’infecter.

5°. De se garder contre les seaux, les auges, les râteliers, les harnois, & autres ustensiles qui auront servi aux animaux malades. Le plus sûr est de les brûler, ou de les enterrer avec les animaux, ainsi que leurs fumiers.

6°. De ne point ouvrir, sans précaution, les cadavres des animaux, ou de les dépouiller de leur peau. Deux hommes du pays de Gévaudan périrent en deux jours, au mois de décembre 1774, pour avoir écorché des bœufs morts d’une semblable maladie. Pareils accidens sont arrivés dans d’autres provinces : il est donc important que les animaux soient enterrés, avec leurs peaux, dans des fosses très-profondes.

7°. De ne point traîner sur la terre les cadavres des animaux infectés : il faut, au contraire, les conduire, & les tuer au bord des fosses qui doivent les recevoir. S’il en est quelques-uns qui meurent dans les étables, on les conduira sur des charriots qui n’auront point d’autre usage. Les fosses seront pratiquées dans des lieux écartés, & éloignés du passage des bêtes saines : elles auront au moins dix pieds de profondeur ; on les remplira de terre bien battue : si, dans la suite, il s’y forme des crevasses, il faudra les remplir. Ces endroits seront entourés de pierres & d’épines, ou bien de petits murs, pour en défendre l’accès aux animaux sains, qui pourroient, dans la suite, y reprendre l’infection en cherchant leur pâture au milieu des exhalaisons putrides.

8°. De ne point laisser périr & pourrir, en pleine campagne, les animaux malades. Cette imprudence, qui n’est malheureusement que trop commune à la campagne, rend les maladies durables, & de plus en plus contagieuses : les chiens & les animaux carnassiers étant attirés par ces charognes, portent la maladie, & la répandent de tous côtés.

9°. De se garder des animaux domestiques. On est fondé à croire que les chiens, les chats, les moutons, les poules, &c. portent la contagion d’une étable à l’autre : c’est souvent ce qui fait périr tous les animaux du village, lorsqu’il en est attaqué sans en connoître la cause.

10°. De nettoyer parfaitement les étables des animaux infectés, de les purifier par des fumigations, de les gratter & de les laver par-tout. On peut employer, pour les lavages, le vinaigre, ou bien une eau antiputride, qu’on peut préparer soi-même, à peu de frais, en mettant un gros d’huile de vitriol dans une pinte d’eau. Cette liqueur peut servir à laver les auges, les chariots, les seaux & autres ustensiles. Pour purifier l’air des étables, il est prouvé que les vapeurs acides sont préférables aux fumigations aromatiques : celles-ci ne servent qu’à dissiper la mauvaise odeur, sans corriger la nature de l’air. Pour cet effet, on met, dans une terrine, du sable ou des cendres, dans lesquelles on place un verre à moitié rempli de sel marin ; on chauffe le tout, & on le porte dans l’étable que l’on veut désinfecter ; on verse sur le sel environ une once d’huile de vitriol, & on se retire, en fermant la porte & les fenêtres. Les baies de genièvre, macérées dans le vinaigre, & exposées sur des charbons ardens, peuvent aussi remplir le même objet.

11°. De passer des sétons & des cautères au poitrail des chevaux, ou au fanon des bœufs. Tous les médecins se réunissent ici pour donner le même avis : Ramazzini dit que tous les bestiaux de M. Borromée moururent, excepté un, auquel on avoit fait un séton ; Lancisi fait grand cas de ce moyen préservatif. M. Leclerc dit qu’il n’a vu périr aucun des bestiaux auxquels, de bonne heure, on avoit fait un séton. Nous sommes convaincus journellement, par notre expérience, de l’utilité de ce moyen. En plaçant un séton, ou un cautère, on ne fait que seconder la nature : c’est pour cette raison, dit M. Vicq-d’azyr, que les mendians ou autres personnes qui ont des ulcères pendant la peste, n’en sont presque jamais attaqués. Si le séton n’a pas toujours des succès heureux, c’est moins à ses propriétés délétères & dangereuses, qu’à l’intensité du mal, qu’il faut rapporter son insuffisance.

12°. De diminuer la nourriture des animaux, de la réduire d’un tiers, de mêler au fourrage sec, des herbes fraîches, telles que le chiendent, la laitue, l’oseille, la poirée, le laiteron, la mauve, la scorsonère, &c. de faire une eau blanche nitrée, en employant deux onces de nitre sur dix pintes d’eau ; de les étriller & frotter, deux fois par jour, avec des bouchons de paille trempés dans du vinaigre, où l’on aura fait infuser quelques gousses d’ail ; de leur rafraîchir les entrailles par des lavemens des plantes ci-dessus, & de les faire saliver avec des nouets.

Tels sont les moyens préservatifs contre la contagion : ils demandent, comme on le voit, de l’exactitude, de la vigilance & de l’activité de la part des agriculteurs. Pourroient-ils méconnoître des secours aussi précieux, aussi puissans, aussi salutaires, qu’on leur indique si généreusement ? M. T.