Cours d’agriculture (Rozier)/GEAI

La bibliothèque libre.
◄  GARANTIE
GELINOTTE  ►


GEAI, (Connis glandarius Lin.) oiseau du genre des Corbeaux. (Voyez ce mot, pour les caractères génériques) Ceux de l’espèce consistent principalement dans la forme du bec qui est tout à fait droit, et dont les mandibules sont d’une égale longueur.

Si le geai n’avoit pas le bec épais et la tête grosse en proportion du volume de son corps, ce qui lui donne une physionomie dure et grossière, il seroit un des plus beaux oiseaux de nos pays. Le gris cendré et vineux de la plus grande partie de son plumage doux et soyeux est agréablement relevé par le toupet de petites plumes noires, cendrées, bleuâtres et blanches, qui lui couvre le front, et sur-tout par la belle plaque émaillée de différentes nuances de bleu, dont ses ailes à plumes noires, comme celles de la queue, sont ornées. Lorsqu’il se met en colère, ce qui lui arrive souvent, il se couronne d’une huppe, en redressant les plumes de sa tête. Dans cette espèce, le mâle, plus gros que la femelle, a des couleurs plus brillantes.

La plus grande partie des geais quittent nos bois et nos vergers à l’approche de l’hiver, tandis que plusieurs y passent la saison des frimas. Si vous découvrez au printemps, sur un chêne antique, dont le tronc chargé de mousse sert d’appui aux tiges grimpantes du lierre ; si vous découvrez, dis-je, un nid assez grossièrement construit avec du bois sec, et garni en dedans d’une couche mal arrangée d’herbes et de racines flexibles, sur laquelle sont posés quatre à cinq œufs un peu moins gros que ceux de pigeon, et colorés en verdâtre avec de petites taches peu apparentes, vous avez à votre disposition un nid de geais. Le mâle et la femelle couvent alternativement pendant treize ou quatorze jours, et il y a, pour l’ordinaire, deux couvées par an. Ces oiseaux sont très-vifs, pétulans, irascibles, brusques, criards, et ils se plaisent à cacher leurs provisions, ainsi que ce qu’ils peuvent dérober. Ceux qui vivent dans nos bois, pendant l’hiver, forment un magasin de différens fruits sauvages. En été, ils se nourrissent d’insectes, de fruits, de grains, d’œufs et de petits des oiseaux. Ils mangent aussi le blé dans les champs, mais non pas sur place, comme les moineaux ; ils coupent les épis et les emportent dans la forêt, pour former leur approvisionnement d’hiver.

L’art de la toilette a su tirer parti de la dépouille du geai ; les plumes azurées qui brillent sur les ailes de cet oiseau étoient, il n’y a pas long-temps, un des ornemens que les dames recherchoient dans leur ajustement. Cette parure n’est plus de mode ; mais elle peut reprendre faveur, comme tant d’autres que l’on avoit également abandonnées. Au reste, c’est le plus souvent dans les productions de la nature que la beauté choisit, avec avantage, ses atours les plus simples et les plus agréables.

C’est plutôt comme destructeur du gibier, que comme gibier lui-même, que le geai est, pour les chasseurs de profession, l’objet d’une guerre assez active. Il dévore en effet non seulement les œufs, mais même les petite d’un grand nombre d’autres volatiles, ainsi que les jeunes portées du menu gibier, sur-tout des espèces que l’homme a le plus particulièrement destinées à flatter ses goûts. Cette rivalité constitue, de la part de cet oiseau, le fait de brigandage, relativement au chasseur, crime dont celui-ci ne manque pas de le punir en vertu de la loi du plus fort. La variété de ses appétits, qui le fait se nourrir d’un assez grand nombre de végétaux, lui vaut aussi d’être mis, par l’agriculteur, au nombre des oiseaux nuisibles par leurs pilleries.

Comme oiseau parleur, son éducation devient pour les oiseleurs un objet de spéculation. Il imite assez facilement, et avec précision, une multitude de sons. Ce caractère imitateur se montre même dans l’état de liberté, et l’auteur de l’Aviceptologie atteste avoir trouvé dans les bois des geais qui contrefaisaient la chouette, au point de tromper les oreilles des pipeurs les plus exercés. On perfectionne ces dispositions naturelles, en coupant le filet qui se trouve sous la langue des geais.

Il faut nourrir les petits que l’on prend pour cette destination, avec des pois trempés dans du bouillon et mêlés à du cœur de mouton cuit et haché menu, et, si l’on peut, on y joint des fruits. La nourriture de lait et de pain, plus communément employée, réussit bien plus rarement.

J’ai remarqué plus haut que le geai n’étoit pas considéré, du moins en France, comme gibier ; cependant on assure que sa chair est très-mangeable, sur tout en lui coupant la tête, et mettant ensuite le corps bouillir et rôtir.

On assure même que ceux qui sont jeunes et gras peuvent être servis pour des grives. On les voit exposés en vente dans les marchés d’Italie et d’Allemagne, et j’ai eu occasion de remarquer qu’ils sont regardés, en Grèce, lorsqu’ils y arrivent vers la fin de l’été, comme un manger délicat, aussi ceux qui y passent, à cette époque, sont-ils en général de jeunes oiseaux alors fort gras.

Chasse aux geais. Leur pétulance, leur agitation perpétuelle, les rend très-difficiles à tirer au fusil ; mais cette même étourderie et leur hardiesse les font donner tête baissée, et sans trop de méfiance, dans quantité de pièges. Leur haine pour la chouette les attire des premiers aux pipées ; ils fondent sur l’arbre avec courage, mais leur force leur permet quelquefois de se sauver avec les gluaux.

On se sert encore avec succès de l’instinct qui les attire aux cris les uns des autres, pour les prendre en troupe, lorsqu’on a pu s’en procurer un vivant qu’on attache couché sur le dos en lui prenant les ailes au moyen de deux crochets piqués en terre, espèce de chasse que j’ai déjà indiquée pour les Corbeaux, les Corbines, etc. (Voyez l’article de ces oiseaux.) Cette pratique est fondée sur un fait constant, et sur les habitudes mêmes des geais. Cependant on voit une méthode à peu près semblable, indiquée dans divers Traités de chasse, et d’où l’on attend un effet absolument contraire. Je veux parler du moyen présenté comme propre à écarter les geais des champs ensemencés et d’autres endroits où l’on redoute leurs pillages ; moyen qui consiste à attacher ça et là, à des piquets, des geais blessés, dont les cris, assure-t-on, servent à éloigner les autres.

Les abreuvoirs et leurs tendues, toutes les espèces de collets à ressort, rejets, raquettes, ou ravenelles, etc., sont pour les geais des fléaux destructeurs. (V. Abreuvoirs et Collets à ressort.) Des cosses de pois, des cerises, des noix, différentes baies, servent, selon les saisons, à amorcer les pièges. On tend, pour ces oiseaux, les raquettes et ravenelles parmi les haies et les buissons, et sur les arbres ; mais il faut avoir soin alors que la marchette de ces pièges soit tellement isolée, que les geais ne puissent atteindre, autrement qu’en se posant sur ce léger bâton, le fruit quelconque dont la sommité de la raquette est garnie. La raquette proprement dite, dont j’ai décrit la forme aux articles précités, ne se tend commodément que sur terre. Voici comment se façonne la repenelle propre à être tendue sur les arbres, et dans les haies et les buissons. On a une baguette de saule, longue d’environ quatre pieds, grosse comme le pouce, et bien droite ; on l’aiguise par le gros bout ; on laisse à l’autre extrémité une petite fourche, ou crochet, qui sert à suspendre les fruits et autres appâts : à dix ou douze pouces environ de cette extrémité supérieure, on perce transversalement la branche d’un trou, du diamètre au plus d’une foible plume à écrire ; et vers l’extrémité inférieure, à six ou huit pouces, du bout aiguisé, on fait un second trou dans le même sens que le précédent, et d’un diamètre plus fort.

Ce second trou reçoit une baguette élastique, longue de deux ou trois pieds, grosse comme le petit doigt, et aiguisée, s’il est besoin, d’une manière à entrer à serre, et se ficher solidement dans le trou qui lui est préparé. À l’autre extrémité de cette seconde baguette est une petite ficelle à laquelle s’attache un collet de crin qu’on enfile dans le trou supérieur du gros bâton, et qui passe d’outre en outre, ce qu’on obtient en forçant la petite baguette élastique à se plier en demi cercle vers ce trou. Pour retenir le piège dans cet état de tension, on a une marchette dont l’extrémité est proportionnée à l’ouverture du trou supérieur, fait dans la branche de saule. Cette marchette, présentée au bord de ce trou, y pince le nœud qui attache la ficelle au collet qui y est engagé. Cet obstacle empêche la branche élastique de se rabattre, et de ramener à elle le collet qu’on déploie en rond sur la marchette ; mais, lorsqu’un geai vient à se poser dessus, il la fait tomber ; alors la branche du ressort se détend et tire à elle ce même collet qui serre le geai par les pattes contre le bâton montant. Ce mécanisme joue de la même manière que le collet à ressort de fil de fer communiqué par M. Clavaux, et décrit à l’article Collet.

Dans l’arrière-saison, et pendant l’hiver, on prend les geais qui restent dans nos climats, aux fossettes, qu’on tend avec succès le long des haies et bouquets de bois, pour un grand nombre d’oiseaux. (Voyez Fossette.)

S’il faut en croire quelques ouvrages d’économie champêtre, l’on peut prendre les geais d’une manière assez plaisante, mais que je suis très-éloigné de garantir. On remplit d’huile de noix, ou de toute autre huile bien claire, un vase qui ait la largeur d’un plat ordinaire, et une profondeur de quatre doigts au moins : on le place aux endroits que fréquentent les geais. Sitôt que ces oiseaux se voient dans l’huile, ils voltigent d’abord à l’entour, et, apercevant leur image dans cette espèce de miroir, ils se jettent dans l’huile ; lorsqu’ils en sortent, leurs ailes imbibées de la liqueur grasse se refusent au vol, et on les prend sans beaucoup de peine. Pour cette chasse, il faut être caché dans quelque buisson, afin de ne pas être apperçu par les geais, qui sont très-défians. (S.)