Cours d’agriculture (Rozier)/HUMIDE, HUMIDITÉ

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 583-586).


HUMIDE, HUMIDITÉ, Physique. C’est une qualité relative, que certains corps contractent par la présence d’un fluide aqueux, & qu’ils peuvent communiquer à un autre qu’ils touchent ; ainsi l’air est humide lorsqu’il est surchargé de molécules aqueuses ; un morceau de bois est humide lorsqu’il en est imprégné, &c. Un fluide lui-même est humide, & il l’est d’autant plus que les particules qui le composent, sont plus disposées à pénétrer les pores d’un autre corps, & il l’est d’autant moins, qu’elles le sont moins. Dans ce sens on a raison de dire que certains fluides sont & ne sont pas humides. Le vif-argent, par exemple, n’est pas humide pour la plupart des corps, parce qu’il ne les pénètre pas, & ne s’amalgame pas avec eux, tandis qu’il est humide pour l’or, l’étain, le plomb, à la surface desquels il s’attache ; l’eau elle-même est humide pour presque toutes les substances, tandis qu’elle ne l’est pas pour la graisse, les matières huileuses, les plumes des oiseaux aquatiques, comme cignes, canards, &c.

On peut dire en général, que l’atmosphère est perpétuellement humide ; elle l’est toujours plus ou moins, parce que l’eau a une telle affinité avec l’air, que ce dernier en tient continuellement une certaine quantité en dissolution, à moins qu’il ne soit tellement échauffé, que la raréfaction de l’eau, occasionnée par ce degré de chaleur, ne soit extrême, ce qui arrive très-rarement. C’est la terre, la transpiration sensible & insensible des plantes, les exhalaisons des masses d’eau quelconques qui se trouvent sur la surface de la terre, qui entretiennent l’humidité de l’air ; aussi n’est-il jamais si humide que dans les pays où il y a beaucoup d’eau & de grands végétaux, comme dans les bois & les endroits marécageux. Dans ceux au contraire où une couche épaisse de sable aride n’est rafraîchie ni par la filtration latérale des rivières & des ruisseaux, ni par l’influence de la végétation des plantes, l’air y jouit d’un grand degré de sécheresse. Il ne faut pas croire pour cela qu’il en soit plus propre & plus avantageux à l’économie animale & végétale ; au contraire, un certain degré : d’humidité lui est nécessaire pour le lubrifier & lui donner cette souplesse qui lui fait pénétrer facilement les pores des corps, soit des animaux, soit des végétaux, s’insinuer dans toutes leurs parties, parcourir les sinuosités de leurs vaisseaux, & porter de tous côtés la fraîcheur & la vie. Lorsque l’air est trop sec, il y a une espèce d’âpreté qui le rend, pour ainsi dire, corrosif & dévorant. Il lui faut une certaine quantité d’eau, il la cherche, la dissout, & l’enlève à tous les corps qu’il touche. Cette soustraction de cette portion d’humidité est souvent la cause de très-grands ravages dans les deux règnes, comme on le verra au mot sécheresse. On a imaginé plusieurs instrumens propres à connoître les différens degrés d’humidité dont l’atmosphère se trouve surchargée, & on leur a donné le nom d’hygromètres. (Voyez ce mot).

Examinons ici quelles peuvent être les influences de l’humidité sur les animaux & sur les plantes.

I. Influence de humidité par rapport à l’homme. L’humidité atmosphérique n’étant, comme nous l’avons vu, qu’un amas de molécules aqueuses, tenues en dissolution par l’air, ou flottantes dans son sein, en raison de leur légèreté spécifique, elle doit avoir sur les animaux la même influence que l’eau. Ainsi, l’humidité des brouillards, des vapeurs, des nuages, des bains, n’est que l’eau appliquée ou déposée sur la surface du corps : tant qu’elle n’est que modérée & accompagnée d’une douce chaleur, & que l’on n’y est pas exposé trop long-temps ; alors cette humidité peut être salutaire, parce qu’elle pénètre à travers les pores de la peau, &c va rafraîchir la masse du sang ; mais il ne faut pas qu’elle repose habituellement à leur superficie, ce qui arrive lorsqu’on vit dans un air perpétuellement humide, ou qu’elle imprègne les habits dont on est couvert ; elle occasionne alors un relâchement dans les fibres, parce qu’elle s’oppose à l’évaporation de l’eau surabondante que la transpiration insensible pousse continuellement au dehors, & qu’elle les entretient dans un état de mollesse trop forte. Elle occasionne encore l’amas & la stagnation des humeurs qui dégénèrent insensiblement en maladies de langueur, en fièvres intermittentes, catarres, rhumes, rhumatismes ; &c. &c ; le scorbut même, lorsqu’on est long-temps exposé à l’humidité marine. Ces effets sont bien plus prompts & plus énergiques lorsque la froidure s’empare de l’atmosphère au moment où elle est imprégnée d’humidité. L’excès opposé n’en est pas moins à craindre, & lorsque l’humidité règne avec une température chaude, elle donne bientôt naissance aux maladies putrides & gangréneuses. Le vent du midi amène ordinairement cet état funeste de l’atmosphère, & lorsqu’il domine long-temps, il est rare qu’il n’entraîne après lui des maladies épidémiques.

Il est une autre sorte d’humidité peut-être encore plus dangereuse, parce qu’elle est plus tenace & plus constante ; c’est celle qui suit les inondations, & qui se concentre dans les lieux qui ont été couverts d’eau. Cette humidité visqueuse adhère à tous les corps qu’elle touche d’une manière particulière, & entretient perpétuellement autour d’elle une atmosphère aqueuse. L’explication de ce singulier phénomène tient à la connoissance du principe de cette viscosité. Les eaux qui débordent entraînent avec elles, non-seulement un grand nombre de plantes, mais encore une partie des principes constituans de celles qu’elles n’ont pu arracher, mais qu’elles ont attaquées ou dans leur course, ou dans leur stagnation. La partie colorante, la gommeuse, la mucilagineuse, sont celles qui éprouvent le plus facilement l’action de l’eau ; ce sont aussi celles qui se dissolvent, sur-tout à l’aide d’un commencement de fermentation que ces plantes éprouvent dans l’eau. Cette eau séjournant dans les endroits qu’elle a inondés, y dépose ces parties mucilagineuses ; lorsqu’elle se retire ou qu’elle disparoit par l’évaporation, ce mucilage se réduit pour ainsi dire, sous forme d’extrait qui retient constamment une portion d’humidité par sa viscosité naturelle. Ce mucilage devient très sensible par une couleur verdâtre ou grise, dont il tapisse tous les corps ; non-seulement cette humidité se dissipe difficilement, mais elle semble, pour ainsi dire, se régénérer sans cesse, sur-tout si la base sur laquelle elle est, est de nature à absorber beaucoup d’eau, & à la retenir très-long-temps, comme les vieux murs, les maisons anciennes, les sols humides par eux-mêmes, &c. alors ces endroits deviennent malsains, & il n’est pas aussi facile d’y ramener la salubrité qu’on le pense. Dans cet état, ces habitations exposent nécessairement les hommes & les animaux qui sont contraints d’y demeurer, à des maladies plus pu moins dangereuses. Les meilleurs tempéramens, les constitutions les plus robustes s’y altèrent insensiblement & elle est souvent l’origine de ces épidémies qui désolent les contrées basses, ou les pays qui ont été inondés. L’humidité des rez-de-chaussée est analogue à celle dont nous parlons ici, & que les inondations laissent après elles. On doit même observer avec M. Cadet de Vaux, que, quoique moindre que celle des caves, & qu’elle ne soit pas sensible au thermomètre, elle est souvent plus nuisible ; elle a même un caractère particulier, c’est de saisir les extrémités inférieures, & de leur communiquer un engourdissement, une lassitude, une fraîcheur qui occasionne des douleurs de rhumatisme, ou ne tarde pas à les réveiller chez les personnes qui en sont affectées.

Il est cependant des moyens de parer à ces inconvéniens, sur-tout en s’y prenant de bonne heure. La première précaution & la plus facile, c’est, lorsque les eaux se sont retirées, de laver les murs, les planchers, & en général tous les corps qui ont été couverts, avec de l’eau fraîche de puits, de fontaine, ou de rivière. Cette eau dissoudra le mucilage adhérent, l’entraînera avec elle, & le fera évaporer. Il faut répéter ce lavage jusqu’à ce que toute cette humidité soit disparue. Cette pratique est très-usitée en Hollande, où l’on lave les maisons une ou deux fois par semaine ; c’est le seul moyen qu’ils emploient pour détruire ou prévenir l’humidité visqueuse qui s’attacheroit sans cela à leurs murs. De grands courans d’air établis dans ces appartemens, du feu, des poêles allumés hâteront encore cette dessiccation.

Il y a aussi des précautions à prendre lorsqu’on est obligé d’habiter ces lieux humides, c’est de se tenir bien couvert, les pieds chauds, éviter de les exposer à l’humidité du plancher ou du sol, changer souvent de vêtement, les laver & les tenir propres. Qu’on se souvienne que la propreté est, en général, un des grands moyens de conserver sa santé. Si enfin on est forcé d’y coucher, il faut avoir soin d’éloigner le lit des murs & des endroits humides, choisir pour le placer l’endroit le plus sec, le garnir de rideaux qui ferment bien. On doit éviter, autant qu’on le peut, d’y conserver des alimens, & d’y enfermer sur-tout du pain chaud qui s’altère bien vite, s’y couvre de moisissure & y contracte du goût & de l’odeur.

Il ne faut pas oublier que tout ce que nous venons de dire des effets de l’humidité sur l’homme, est applicable aux animaux, & que, jusqu’à un certain point, on doit employer une partie des précautions que nous avons indiquées, à leurs habitations. Elles leur seront salutaires en tout temps, & préviendront souvent bien des maladies épizootiques qui reconnoissent leur origine dans l’humidité chaude qui règne habituellement dans les écuries & les étables.

II. Influence de l’humidité sur les végétaux. Autant, en général, l’humidité est dangereuse pour les animaux, autant elle est avantageuse aux plantes lorsqu’elle n’est pas portée à l’extrême. Il faut même des circonstances bien particulières pour qu’elle leur devienne nuisible, & l’on pourroit même dire alors que ce n’est plus comme humidité qu’elle est dangereuse, mais vraiment comme eau abondante. Puisque nous sommes entrés dans les détails nécessaires sur cet objet dans plusieurs articles, pour ne pas nous répéter nous renvoyons aux mots Atmosphère, T. 2, pag. 62 ; Brouillards, Eau, Sect. III, §. II. MM.