Cours d’agriculture (Rozier)/LOIR et LÉROT

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LOIR et LÉROT. (Myoxus glis et myoxus nitela Lin.) quadrupèdes rangés, par M. Linnæus, dans l’ordre et le genre des loirs. (Voyez les caractères génériques au commencement de l’article du Lièvre.)

Le premier de ces quadrupèdes est presque aussi gros que l’écureuil ; son poil est cendré sur le corps, et blanchâtre en dessous ; ses oreilles sont petites et ses moustaches longues ; de grands poils couvrent sa queue. La tête plus petite, le museau plus pointu, la queue presque rase et terminée par un pinceau de longs poils, la couleur d’un gris fauve, plus foncé en dessus qu’en dessous ; enfin, une bande noire qui traverse les yeux, sont les traits par lesquels on distingue le lérot.

Ces deux animaux se ressemblent autant par les habitudes que pas les formes ; ils entrent en chaleur au printemps, et produisent en été cinq ou six petits dont accroissement est fort prompt. Tous deux s’engourdissent pendant la froidure de l’hiver ; leur réveil est également funeste aux plantations, par la quantité de fruits qu’ils dévorent ; mais ils semblent s’être partagé un véritable empire de dévastation ; le loir, en se chargeant de nuire aux forêts qu’il habite de préférence, et le lérot, moins solitaire et plus hardi, en ravageant les vergers et les espaliers ; l’un infeste le domaine de la nature, l’autre se déclare l’ennemi de l’art, et porte ses dégâts au sein des plantations que l’industrie de l’homme a formées avec le plus de peine, et de dépenses, et qu’elle entretient par des soins non interrompus.

C’est aussi contre le lérot que se sont dirigées principalement les embûches et les armes des cultivateurs. S’ils veulent conserver les plus beaux fruits de leurs jardins, ils doivent déclarer à cet animal destructeur une guerre sans relâche, particulièrement à l’époque où les fruits mûrissent, car il est le premier à en goûter. Le vif incarnat et le suc délicieux de la pêche, cette reine des desserts, l’attirent de préférence, et il la ronge avant qu’elle soit en état d’orner et de parfumer nos tables. Des fruits, il passe aux légumes, et il entasse les pois et les haricots dans les creux de murailles ou d’arbres qui lui servent de demeure.

Si la chair du lérot pouvoit se manger comme celle du loir, la gourmandise, qui est aussi une puissance dévastatrice, imagineroit mille moyens pour tenir dans sa dépendance une espèce qui cesseroit d’être nuisible, dès qu’elle auroit été privée de sa liberté. C’est ainsi que les loirs étoient rares et, peu dangereux pour l’agriculture, chez les Romains qui en faisoient un mets de luxe. Les lois portées par les censeurs et le consul Scaurus, avoient mis un frein à cette sorte de faste qui paraît fort extraordinaire en France ; s’il pouvoit y devenir à la mode, nos forêts seroient débarrassées, en très-grande partie, d’acharnés dévastateurs ; et, comme cette fantaisie produiroit un effet salutaire, il n’est pas inutile de rappeler la manière que l’on employoit à Rome, pour nourrir et engraisser les loirs.

On les mettoit dans des espèces de garennes entourées de murailles, dont le côté intérieur étoit poli avec soin, ou parfaitement enduit, afin que les loirs, très-habiles grimpeurs, n’y trouvassent point de prise. Le sol de la garenne, plutôt sec qu’humide, étoit planté de chênes et d’arbrisseaux à fruits. On y rassembloit des loirs, et, selon Pline, l’expérience avoit fait connoître qu’on n’y pouvoit réunir que ceux de la même forêt, et que, si on en mettoit ensemble qui fussent nés dans des cantons séparés par un fleuve ou une montagne, ils se battoient et se détruisoient. Dans les temps où les arbres ne rapportoient point de fruits, on en répandoit de plusieurs espèces dans la garenne, particulièrement des glands et des châtaignes, pour que les loirs trouvassent constamment une nourriture abondante ; on leur pratiquoit aussi des trous dans lesquels ils pussent déposer et élever leurs petits. Pour les engraisser, on les enfermoit dans des vases de terre, qui servoient à Rome de tonneaux, et que l’on couvroit, afin que les loirs ne vissent pas le jour et s’engraissassent dans les ténèbres, en mangeant les glands, les noix et les châtaignes dont leurs prisons obscures étoient abondamment pourvues.

Le goût des Romains pour les loirs s’est conservé en Italie ; mais on a perdu la coutume d’en peupler les garennes ; l’on se contente de préparer, au milieu des forêts, des trous tapissés de mousse, et recouverts de paille, dans lesquels les loirs sauvages se réfugient pour passer l’hiver, et s’engourdissent ; c’est la saison où ils sont plus gras et plus délicats.

En attendant que ce mets, jusqu’à présent inusité parmi nous, y prenne faveur, et y devienne une occasion de diminuer le nombre des loirs, l’intérêt des cultivateurs doit les engager à faire la guerre à ces animaux, aussi bien qu’aux lérots, dont l’espèce n’a présenté en aucun lieu et ne présentera jamais les mêmes motifs de destruction, puisque leur chair, de quelque manière qu’on l’apprête, n’est bonneà rien, et répand même une odeur désagréable.

Parmi les moyens d’attaque, le piège ou l’arme connue sous le nom d’Arbalète, (Voyez ce mot) qui se tend le long des murs garnis d’espaliers ou contre la tige des grands arbres en plein vent, est un des plus sûrs. On le multiplie suivant la quantité de loirs et de lérots dont on éprouve les ravages.

D’autres pièges, tels que le quatre de chiffre, peuvent être aussi employés avec avantage.

On cherche encore et l’on surprend les loirs et les lérots dans les trous de murailles et les creux des arbres, à l’époque de leur engourdissement. Enfin, l’on peut avoir recours à un moyen fort simple, publié en 1786, et dont le succès, dit son auteur, est assuré. Ce procédé consiste à former, avec des feuilles récentes de fougère, froissées dans les mains et séparées de leur nervure, de petits paquets un peu moins gros que le poing. Il faut les assujettir derrière les fruits des espaliers, de sorte qu’ils y touchent, sans néanmoins y jeter trop d’ombrage ; les branches de l’arbre suffisent souvent pour les y fixer. Ce petit appareil écarte les lérots des espaliers, et conserve les fruits. (S.)