Cours d’agriculture (Rozier)/LIÈVRE

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LIÈVRE, (Lepus timidus. Lin.) quadrupède du genre de son nom, dans l’ordre des Loirs. (Voyez ce mot.)

Caractères génériques, selon M. Linnæus : Deux dents incisives à chaque mâchoire, les supérieures creusées d’un sillon qui les fait paraître doubles ; les inférieures plus petites.

Caractères spécifiques : La queue courte, les oreilles plus longues que la tête, et noires à leur sommet.

Les bois, les montagnes et les plaines découvertes servent également de demeure aux lièvres, si l’on peut cependant regarder comme demeure une carrière d’agitations et de courses provoquées par des peurs sans cesse renaissantes. La foiblesse et la timidité composent le caractère de ces animaux et font le tourment de leur vie, depuis les premiers instans de leur existence jusqu’à ce que les coups ou les pièges de l’homme en tranchent le cours. Un lièvre qui meurt naturellement est un phénomène ; une mort violente termine presque toujours une vie agitée par l’excès de la crainte, et par des poursuites qu’un art meurtrier multiplie et combine avec trop d’ardeur, pour que des êtres aussi foibles n’en soient pas bientôt les victimes.

C’est dans ces derniers temps sur-tout que la guerre contre les lièvres s’est allumée avec le plus de fureur. Le droit exclusif de la chasse conservoit cette espèce sur notre territoire ; son abolition l’a fait presque entièrement disparaître. En cette occasion, comme en beaucoup d’autres, l’intérêt particulier, qui ne s’occupe que de lui seul et ne recherche que les jouissances du moment, l’a emporté sur l’intérêt public, qui ne doit pas laisser à la discrétion de tous l’existence des animaux sauvages, dont la terre, les airs et les eaux sont peuplés, et dont la quantité entretient l’abondance des subsistances. Le gibier et le poisson se multiplioient sous la sauve-garde d’une portion privilégiée de citoyens ; ils ont péri dès que l’on a cru qu’ils étoient la propriété de la généralité des habitans ; la masse des subsistances s’est appauvrie, parce que la consommation du gibier épargnoit celle des animaux domestiques. (Voyez les articles Lapin et Étang, dans lesquels j’ai donné plus de développement à ces principes d’économie publique, méconnus par des hommes à grands talens, mais qui n’envisageoient l’intérêt général que sous un aspect, tandis qu’il se compose de diverses parties, opposées en apparence, mais qui tendent toutes à sa plus brillante prospérité ; je ne parle pas de la licence, toujours disposée à blâmer ce qui contribue à la contenir, elle n’existe que par le désordre et la confusion.

Indépendamment des ressources que les lièvres fournissent pour nos alimens, leur dépouille, de même que celle des lapins, est employée dans les manufactures. (Consultez encore l’article du Lapin). Notre commerce, avant la révolution, tiroit du Levant et de la Sicile, par la voie de Marseille, une forte quantité de peaux de lièvres que nos fabriques consommoient. La Morée seule en fournissoit annuellement près de dix mille, sans compter une quantité à peu près pareille que les Grecs de cette contrée transportoient eux-mêmes à Trieste ou à Venise, ou qu’ils vendoient à d’autres nations européennes. Depuis quelques années, les Anglais avoient tourné leurs regards vers cette branche d’exportation, et le succès de leurs premiers essais les encouragea à continuer ce commerce.

À présent que nos relations commerciales avec le Levant sont interrompues, il ne nous arrive plus de peaux de lièvres. D’un autre côté, le nombre de ces animaux qui existoient en France étant très-considérablement réduit, le prix des objets fabriqués avec leur dépouille a dû nécessairement s’élever dans une progression rapide. La destruction des lièvres, provoquée et suivie avec acharnement, est donc un mal, en même temps que leur multiplication, si elle n’est pas excessive, contribue à l’aisance de la vie, aussi bien qu’à l’activité des manufactures.

C’est en hiver que les peaux de lièvres ont le plus de valeur, parce que leur poil est alors plus fourni, plus long et plus soyeux. C’est aussi la saison où leur chair a le meilleur goût. La bonne qualité de ce gibier dépend beaucoup du terrain qu’il habite et de la nourriture qu’il y trouve. Les lièvres qui ne quittent pas les lieux élevés sont préférables à ceux qui se tiennent dans les plaines fangeuses ; au fond des bois, ils valent moins que dans les campagnes ; et ils surpassent tous les autres en fumet et en délicatesse, lorsqu’ils broutent le serpolet, le thym et les autres plantes odoriférantes qui tapissent les montagnes des parties méridionales de la France ; c’est là où ces animaux ont une saveur que ceux des environs de Paris ne laissent pas même soupçonner ; ils perdent absolument toute qualité si on les élève en domesticité, quoiqu’ils y acquièrent une graisse abondante, mais qui est de mauvais goût. Au reste, l’éducation de cette espèce d’animaux ne présente aucun avantage et ne peut être que partielle. Les lièvres privés de leur liberté ne produisent point, même dans des enclos de quelque étendue, en sorte qu’il seroit impossible de former des garennes de lièvres, comme on en forme de lapins.

La nourriture des lièvres se compose uniquement de végétaux, et ils n’ont pas besoin d’industrie pour se la procurer. En hiver, lorsque les herbes, les grains, les feuilles et les fruits leur manquent, ils rongent l’écorce des arbres. Ils multiplient beaucoup moins que les lapins ; ils sont en état d’engendrer en tout temps et dès la première année de leur vie ; la gestation est de trente ou trente-un jours, et chaque portée est d’un, deux, trois et jusqu’à quatre petits, qui ont pour l’ordinaire une tache blanche au front. Ils restent avec la mère pendant vingt jours, après quoi ils s’en séparent et s’éloignent aussi les uns des autres pour vivre solitairement ; mais ils ne s’écartent pas des lieux où ils sont nés. Leur gîte n’est qu’un léger enfoncement dans la terre, exposé au midi en hiver, et au nord en été ; ils s’y tiennent tapis durant une grande partie du jour, et ils passent la nuit à se promener, paître, jouer et s’accoupler.

Le lièvre mâle adulte se nomme bouquin, la femelle hase, le jeune levraut ; et le levraut qui est près de son entier accroissement, trois-quarts. Les chasseurs appellent lièvres ladres, ceux qui aiment les lieux aquatiques et marécageux. Le bouquin se distingue de la hase par sa tête plus courte et plus arrondie, ses oreilles plus courtes, plus larges et plus blanchâtres, sa queue plus longue et plus blanche, ses épaules rouges et parsemées de quelques poils plus longs que les autres. Quant à la manière de reconnoître si un lièvre est jeune ou vieux, je la rapporterai telle que l’auteur de la Chasse au fusil l’a indiquée : « On tâte, dit-il, avec l’ongle du pouce la jointure du genou d’une patte de devant ; lorsque les têtes des deux os qui for ment l’articulation sont tellement contiguës que l’on ne sent point d’intervalle entre deux, le lièvre est vieux ; lorsqu’au contraire il y a une séparation visible entre les deux os, il est jeune, et l’est d’autant plus que les deux os sont plus séparés. » Un autre moyen de s’assurer de la jeunesse d’un levraut trois quarts, ou qui est parvenu à sa grandeur naturelle, consiste à lui écarter les oreilles l’une de l’autre ; si la peau se relâche, c’est signe que l’animal est tendre et jeune ; mais si au contraire elle tient ferme, on est assuré que ce n’est point un levraut, mais un lièvre dont la chair est ordinairement dure et sèche. L’âge où le levraut fournit un aliment plus délicat et plus succulent, est celui de sept à huit mois.

Chasse du Lièvre. Cette chasse se fait de quatre manières principales : 1°. aux chiens courans dans les bois ; 2°. en plaine avec les chiens couchans ou d’arrêt ; 3°. en plaine avec les lévriers ; 4°. avec les oiseaux de vol.

La première de ces chasses, faisant partie de la Vénerie, on la trouvera décrite à ce mot.

Ce que j’ai dit à l’article Chasse suffit pour faire connoître la seconde, ainsi que la troisième.

Enfin la quatrième chasse tient à l’art et à l’appareil de la fauconnerie, qui n’est point de nature à entrer dans le plan de cet Ouvrage.

Les autres manières de chasser, ou pour mieux dire de prendre les lièvres, sont dédaignées par les vrais chasseurs, et ne sont guères mises en usage que chez les braconniers et chez les tueurs de profession, qui chassent plutôt pour le profit que pour le plaisir. Telles sont :

L’affut, soit à la lisière d’un bois, soit, en été, au pied d’un arbre ou d’un buisson, près d’un champ isolé et ensemencé en orge, en avoine ou en maïs ; soit enfin au clair de la lune, dans un endroit du bois où plusieurs chemins se croisent.

La raie, pendant l’été, lorsque les blés sont en tuyau, depuis le lever du soleil jusqu’à huit ou neuf heures du matin, et le soir, deux heures avant le coucher du soleil : deux chasseurs longent une pièce de blé, chacun par un bout opposé, en marchant doucement à la rencontre l’un de l’autre. S’ils font lever un lièvre, il suivra la raie du champ, par l’habitude qui lui est naturelle de ne point s’écarter des sentiers battus, et il s’approchera assez de l’un des deux chasseurs pour essuyer son feu.

La battue dans les campagnes où les lièvres sont communs, et en temps de neige. Des hommes et des enfans, armés de bâtons et rangés en demi-cercle, parcourent la plaine, battent les buissons, et poussent devant eux les lièvres qui vont tomber sous les coups de plusieurs tireurs placés en embuscade.

Le gîte. Il faut de l’habitude pour découvrir un lièvre au gîte ; un petit nuage de vapeurs qui s’élève au dessus, le fait reconnoître à des yeux exercés. L’on ne doit pas aller droit vers le lieu où l’on a vu ces vapeurs, mais on en approche en tournant et sans s’arrêter jusqu’à ce qu’on soit à portée de tirer le lièvre.

Le collet ou lacet que l’on fait avec du laiton simple, s’il est assez gros, et dont on tord plusieurs fils ensemble, s’il est trop foible. (Voyez au mot Collet.) Lorsque celui qui veut se servir de ce piège s’aperçoit, en visitant les haies et les buissons voisins des champs ensemencés, qu’un lièvre y a passé, en y laissant de son poil, il ne manque pas d’y tendre un collet, et il l’attache à une branche du buisson la plus proche de la passée ; il a soin de s’avancer contre le vent et de frotter ses mains et le collet avec du blé vert, du serpolet, du pouliot, ou même avec du crottin de lièvre s’il en trouve à sa portée, afin que le gibier n’ait point le sentiment de l’embûche qu’on lui prépare. Si le trou par lequel le lièvre a passé n’est pas rond, et a plus de hauteur que de largeur, le colleteur soutient le collet à la hauteur nécessaire, au moyen de deux petites fourches, grosses comme une plume à écrire ; si, au contraire, le passage est plus large que haut, il le rétrécit avec quelques petites branches qu’il fiche en terre de chaque côté. Quelquefois des lièvres défians, reconnoissant un objet étranger placé sur leur chemin, grattent à l’entour et le dérangent pour passer, sans s’y prendre. Pour déjouer cette ruse, on tend, au dessous du collet ordinaire et à plate terre, un autre collet que l’on attache à une branche basse et sur lequel on jette quelques feuilles : le lièvre qui, chaque nuit, suit sa route accoutumée, défait le premier collet et se prend au second par les pattes.

Le panneau simple ou double, ou contre-maillé. C’est un filet en carré long qui, lorsqu’il est tendu, paroît comme un par de muraille, d’où quelques uns le nomment simplement pan. On le tend dans une passée connue, de manière qu’il regarde le côté d’où l’animal doit venir. Des piquets taillés en pointe, à un bout que l’on enfonce légèrement en terre, le soutiennent de l’autre un peu incliné ; en sorte que le lièvre, effarouché par le bruit que font, dès qu’ils le voient approcher, les chasseurs cachés sur les côtés de la passée et en avant du panneau, se précipite contre le filet, le fait tomber et s’y trouve enveloppé. (S.)