Cours d’agriculture (Rozier)/PLUMES

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PLUMES. Ce n’est pas seulement pour leur chair, leur graisse et leurs œufs c’est encore pour leurs plumes qu’on fait la chasse aux oiseaux et qu’ils sont élevés dans les basses-cours ; mais ces plumes que la nature leur a données pour les vêtir et en former aussi le principal instrument du vol, ont différentes destinations plus ou moins utiles à la société.

Les unes, remarquables par leur mollesse et leur jeu, par la beauté des filets qui composent leurs barbes, servent à ombrager le casque des guerriers, à orner la chevelure des femmes, à former ces tresses, ces panaches élégans dont les plus riches ameublemens sont surmontés.

Les autres, recherchées à cause de la longueur et de la solidité de leurs tuyaux, et de la facilité de les tailler à son gré pour écrire, deviennent les interprètes de nos pensées ; elles remplacent avantageusement, chez les Européens, le roseau que les Arabes emploient, et le style avec lequel les anciens gravoient sur leurs tablettes.

Il y a enfin des plumes propres à remplir ces coussins sur lesquels, fatigués des travaux du jour, nous nous reposons pendant la nuit ; c’est parmi ces dernières plumes que la mollesse elle-même en a choisi une espèce d’une finesse, d’une légèreté, d’une élasticité particulière, pour en former le lit sur lequel elle savoure les douceurs du sommeil.

Panaches et autres ornemens de luxe. Les plus beaux, les plus estimés de tous les panaches sont ceux faits avec les plumes de l’autruche.

La rareté et la cherté des plumes d’autruche, que le commerce nous apporte du Levant, auroient fait penser sans doute à naturaliser en Europe ce géant des oiseaux, si on avoit pu croire qu’il fût susceptible de se plaire ailleurs que dans les sables brûlans de l’Arabie. Mais il est une autre espèce d’autruche, celle du Magellan, qui, habitant les pays froids de l’Amérique méridionale, pourroit prospérer dans nos climats ; il faudroit essayer de l’y amener et de l’y multiplier, pour profiter de ses œufs, de sa chair et de ses plumes.

En attendant les succès qu’on peut espérer de cette spéculation, il en est une autre qui réussiroit plus promptement et plus sûrement, ce seroit de multiplier les dindons à robes blanches, et de faire servir aux panaches les plumes qui se trouvent aux parties latérales des cuisses de ces oiseaux : ce supplément aux plumes d’autruche deviendroit utile au commerce. Nous invitons les cultivateurs qui s’adonnent à l’éducation de cet oiseau, à ne point dédaigner le profit qu’une pareille branche d’industrie pourroit procurer.

Outre les grandes plumes d’autruche qu’on voit flotter avec tant de grâce sur la chevelure des femmes, il en est qui, tirées d’autres oiseaux, servent aussi à orner leurs têtes ; telles sont les plumes des oiseaux de paradis ; telles sont surtout ces longues et belles plumes noires qui partent du sommet de la tête des hérons, et y forment une aigrette qui se balance sur leur cou.

Le luxe s’est aussi paré des plumes du paon ; l’or et les pierreries que la nature a prodigués sur la queue de ce superbe oiseau ont été son domaine ; celles des oiseaux dorés, des colibris, et d’autres de la grande famille des grimpeurs, lui ont présenté la fraîcheur et le velouté des fleurs, le poli des plus brillans métaux, l’éclat des pierres les plus précieuses, et les reflets variés et éblouissans des rayons du soleil. Il a employé en garnitures de robes ces belles plumes jaunes et brillantes de la gorge du toucan. Il n’a pas même dédaigné pour un semblable usage les plumes azurées des geais, et dont celui de la Fable ne se contentoit pas.

On faisoit, il y a quelque temps, pour se procurer ces plumes, une guerre si active à ces oiseaux, que les cultivateurs croyoient pouvoir se flatter d’en être bientôt débarrassés. Malheureusement la mode des plumes de geai s’est passée, et cet oiseau a continué à être, comme auparavant, un dévastateur des champs.

Non content des objets d’agrément auxquels le luxe employoit les plumes sur lesquelles brillent les plus vives couleurs, on a pensé à les rendre de quelque utilité. C’est avec les peaux garnies des plumes des mêmes oiseaux, auxquelles on a ajouté celles du cygne, du canard, du plongeur, de la pintade, du faisan, etc., qu’on a fait des manchons et des palatines.

Quelle variété dans les couleurs naturelles ou artificielles de ces parures d’hiver ! quelle mollesse ! quelle douceur ! quelle blancheur dans le duvet de cygne, avec lequel les femmes préservent du froid leur cou et leur gorge, et dont sont faites les houppes à poudrer !

Les peaux qu’on destine à cet usage, dit M. Vieillot, dans le Nouveau Dictionnaire d’Histoire naturelle, ne doivent point être celles d’oiseaux morts de maladie ou tués dans le temps de leur mue ; les plumes se détacheroient ou n’auroient point encore acquis leur perfection. L’on ne doit donc employer que celles des oiseaux tués dans un état parfait et dépouillés peu de temps après leur mort, surtout dans les chaleurs ; sans quoi il résulteroit de la corruption les mêmes effets que de la maladie.

Dès que la peau est nettoyée de toutes les chairs, on l’étend sur une petite table, le plumage en dessous, et les plumes bien couchées les unes sur les autres. Pour mieux l’étendre, on la fixe avec des épingles ou du fil, qu’on pique de chaque côté ; on enlève ensuite les graisses et les chairs qui pourroient encore y être attachées, et on coud avec de la soie les ruptures qui ont pu se faire ; on enduit ensuite la peau de colle préparée avec une poignée de farine, une pincée de sel commun fin et autant de bon vin blanc qu’il en faut pour la détremper et la réduire comme la colle à châssis de papier.

La peau étant ainsi enduite, on la met sécher à l’ombre, au vent du nord ; et, quand elle est sèche, on la nettoie en la raclant, ce qui se fait facilement, la colle s’en détachant par écailles. Si, après cette opération, elle conserve encore quelque humidité, on l’empâte de nouveau, et on la fait sécher une seconde fois.

Lorsqu’elle est bien sèche, on l’attache avec du fil sur du papier ou sur un ruban ; et, pour la conserver, on la renferme dans une boîte dont le fond est garni d’absinthe ou de bois de rose. Si on veut donner aux peaux une odeur agréable, il faut, avant que de les relever de dessous la tablette, et après les avoir ratissées, leur mettre, avec une éponge, une couche ou deux de quelque composition odorante. Pour les peaux provenant des grands oiseaux, on remplace le vin par du vinaigre, dans lequel on fait dissoudre du sel et de l’alun ; on leur donne plusieurs couches de ce mélange : de l’épaisseur de la peau dépend le plus ou le moins.

Plumes à écrire. Les pennes, car c’est ainsi qu’on nomme les plumes des ailes et de la queue des oiseaux, pour les distinguer des plumes proprement dites qui recouvrent leur corps ; les pennes, dis je, sont les plus longues et les plus fortes de toutes les plumes ; celles des cygnes, des oies et des corbeaux sont employées, de préférence à toutes les autres, aux usages économiques, et cela, suivant les qualités reconnues au tuyau de chacune d’elles.

Ainsi, les pennes de cygne sont les plus estimées pour écrire et pour former les pinceaux ; ainsi, les plumes d’oie, plus abondantes et presque aussi bonnes que celles de cygne, sont plus généralement employées pour l’écriture ; ainsi, celles de corbeau servent plus particulièrement aux facteurs pour emplumer les sautereaux des clavecins, et aux dessinateurs pour le dessin dit à la plume.

Manière de hollander les plumes. L’oiseau qui fournit une plus grande quantité de plumes à écrire est l’oie ; une seule peut en donner dix de différentes qualités ; mais il reste toujours à leur surface une matière grasse, dont il faut les débarrasser pour les rendre pures, transparentes, luisantes et propres en un mot, à acquérir les qualités qui leur conviennent. Ce sont principalement les Hollandais qui se chargent de cette préparation : de là, l’expression hollander les plumes, pour désigner l’opération qu’ils leur font subir. J’ai profité de la circonstance de la guerre, lorsque plusieurs pharmaciens, instruits dans es sciences et dans les arts, étoient employés en Batavie, pour les inviter à prendre quelques renseignemens sur ce procédé encore inconnu. Il paroît que cette préparation a lieu par la voie sèche et par la voie humide : voici du moins ce qu’ils m’ont communiqué. Je désire qu’en les répétant, on obtienne des résultats satisfaisans.

Le premier procédé consiste à plonger la penne arrachée de l’aile des oiseaux, dans l’eau presque bouillante, à l’y laisser ramollir suffisamment, à la comprimer en la tournant sur son axe, avec le dos de la lame d’un couteau. Cette espèce de frottement, ainsi que les immersions dans l’eau, se renouvellent jusqu’à ce que le cylindre de la plume soit transparent, et que la membrane, ainsi que l’espèce d’enduit gras qui la recouvrent, soient entièrement enlevés ; on la plonge une dernière fois pour la rendre parfaitement cylindrique, ce qui s’exécute avec l’index et le pouce ; on la fait ensuite sécher à une douce température.

Dans le second procédé, il s’agit d’enlever la matière graisseuse qui recouvre la plume et d’en augmenter la force ; on commence par la dépouiller de ses barbes, puis on la plonge dans de la cendre chaude, qui ne contienne aucun charbon ardent, ou bien on l’expose pendant quelques instans au dessus d’un brasier, jusqu’à ce qu’elle ait un peu changé de couleur, ou qu’elle soit devenue molle, ayant bien soin de ne la pas trop échauffer, ce qui lui feroit perdre toute son élasticité, et la rendroit pour ainsi dire friable. Lorsqu’elle est convenablement échauffée, on l’applique sur son genou, on passe une ou deux fois dessus une lame de couteau, en appuyant du côté du tranchant, et de suite on la frotte vivement avec un morceau de laine, pour enlever les portions membraneuses ou filamenteuses qui la recouvrent. On doit rejeter les plumes de coq et d’autruche, parce qu’elles sont trop épaisses et dépourvues de la flexibilité nécessaire. On peut employer les plumes de cygne pour écrire en gros caractères, et celles de corbeau pour faire des notes très-fines sur des livres. Celles de coq d’Inde ne sont presque jamais employées.

Plumes et duvets pour les coussins. On peut garnir les oreillers, les traversins, les matelas des lits, et les coussins des meubles, avec les petites plumes qui recouvrent les gallinacées et les pigeons. Il est même des cantons où elles sont déjà employées à cet usage ; mais le plus généralement on choisit de préférence le duvet des palmipèdes. On emploiroit encore aussi volontiers celui des oiseaux de proie, s’ils étoient assez nombreux pour promettre une récolte de leur fourrure épaisse et douillette.

Il y a deux espèces de duvet ; l’un, qu’on laisse perdre, consiste en barbes légères, molles, effilées, sans liaison, hérissées, qui revêt beaucoup de jeunes oiseaux à leur naissance, et tombe à mesure qu’ils se développent ; l’autre, plus adhérent, qu’on recueille avec beaucoup de soin, est cette plume courte à tuyau grêle, à barbes longues, égales, désunies, dont la nature a composé le vêtement chaud des oiseaux de haut vol et de ceux qui sont aquatiques, pour les garantir du froid qu’ils éprouveroient sans son secours, les uns dans les hautes régions de l’atmosphère, les autres par le contact de l’eau. Ce duvet, chez ces derniers, est d’ailleurs recouvert à l’extérieur d’un plumage serré et huilé, qui le préserve entièrement de l’humidité, et par-là lui permet de conserver à ces oiseaux leur chaleur naturelle.

Le duvet des oiseaux de proie étant, comme nous l’avons dit, très-rare, on ne s’occupe guères que des moyens de se procurer celui des palmipèdes, classe d’oiseaux très-nombreuse, et dont trois espèces principales ont été soumises à la condition de domesticité, savoir : le cygne, l’oie et le canard.

Mais, avant de parler de la récolte de ces trois duvets, qui sont pour ainsi dire sous notre main, nous allons dire un mot d’un duvet qui leur est beaucoup supérieur, par sa douceur, sa légèreté et son élasticité ; c’est l’édredon, et par corruption, aigledon, fourni par un canard qui habite l’Islande, et qu’on appelle eider, anas mollissima de Linnæus, ou oie à duvet. Voici ce qu’en dit M. Sonnini, le digne ami de Buffon et l’un des plus célèbres coopérateurs du Nouveau Dictionnaire d’Histoire naturelle,

Les eiders s’arrachent, de l’estomac et du ventre, le duvet pour en tapisser leurs nids, échauffer leurs œufs et leurs petits ; il est recherché avec beaucoup de soins dans tous les pays où ces oiseaux sont communs ; c’est le plus doux, le plus léger, le plus chaud et le plus élastique de tous les duvets. La Norwège et l’Islande fournissent cette matière précieuse, qui s’y vend jusqu’à une pistole la livre, lorsqu’elle est bien épluchée et pure.

Les nids des eiders sont, dans le nord de l’Europe, pour les habitans des côtes, une sorte de propriété dont le fonds, quoique libre, n’en est pas moins constant et assuré.

Chacun jouit en paix des nids sur son terrain, et fait tout ce qu’il peut pour y attirer les couples d’eiders ; une forte amende est la peine de quiconque tue un de ces oiseaux. Un seul homme, sur-tout si son habitation est placée sur un des rochers les plus éloignés de la terre, peut amasser, en un an, depuis cinquante jusqu’à cent livres de duvet. Les Danois achètent tout ce qui s’en recueille. Mais c’est une règle générale, que le duvet pris sur l’eider mort, est d’une qualité inférieure à celui qu’il s’arrache lui-même. Nous avons déjà fait cette observation, et nous ajoutons qu’elle est générale pour tous les oiseaux.

Il y a en effet une différence énorme entre les plumes arrachées à l’animal vivant, et celles dont on le dépouille, quand il est mort à la suite d’une maladie ; ces dernières n’ont que fort peu d’élasticité ; leurs franges se pelotonnent à la moindre humidité ; elles ont encore un autre inconvénient ; c’est que, quoique passées au four, les mites les attaquent bien plus promptement et les réduisent en poussière en très-peu de temps. Mais ce ne sont pas seulement les plumes des oiseaux domestiques qui présentent cette différence ; les laines et les crins y sont également assujettis ; la laine tondue sur un animal mort de maladie n’est pas, à beaucoup près, aussi estimée que celle ramassée sur un mouton bien portant ; l’état même de maladie en déprécie considérablement la qualité. Toutes les toiles faites d’un crin coupé sur un animal mort de maladie n’ont aucune force ; aussi les marchands ont-ils grand soin de dire que leur crin est le produit d’un animal vivant ; peut-être une pratique exercée leur enseigne-t-elle à le distinguer autrement que par l’usage : il n’y a pas même jusqu’à l’ivoire, ou morfil, qu’on ramasse au hasard dans les contrées qu’habitent les éléphans, qui ne diffère de celui qui résulte d’un éléphant qu’on vient de tuer ; celui-ci, très-reconnoissable par le moindre tourneur, est d’un prix bien supérieur, d’un plus beau blanc, bien moins cassant, plus fin et susceptible de prendre un plus beau poli.

Duvets ou plumes de cygnes. Parmi les cygnes sauvages, il y en a dont le plumage est entièrement blanc comme celui des cygnes domestiques ; d’autres, et c’est le plus grand nombre, sont plutôt gris que blancs ; et ce gris plus foncé paroît presque brun sur la tête et le dos.

On plume les cygnes domestiques, comme les oies, deux fois l’année ; ils fournissent un duvet recherché par la mollesse, qui en remplit les coussins et les lits. On sait que la même substance, extrêmement fine et plus douce que la soie, forme aussi les houppes à poudrer ; on en fait encore de beaux manchons et des fourrures aussi délicates que chaudes. Les plumes des ailes sont préférables à celles de l’oie, pour écrire et pour les tuyaux de pinceaux.

Duvet ou plumes de canards. Quoiqu’on ne néglige pas, dans quelques cantons, les plumes et le duvet des gallinacées et des pigeons, les palmipèdes en fournissent la plus grande quantité qui se consomme en Europe.

La plume des canards est assez élastique et se vend un certain prix dans la ci-devant Normandie, où il y a de grandes éducations de cet oiseau. On en fait des oreillers, des matelas.

Duvet ou plumes d’oie. L’oie commune, et sur-tout la grande espèce, soumise de temps immémorial à la domesticité, fournit la plus grande quantité des plumes et duvets employés en Europe. Long-temps on a été dans l’opinion que c’étoit préjudicier directement à la santé de ces oiseaux que de les plumer ; cependant l’opération ayant lieu avant la mue, cette maladie périodique, commune aux autres oiseaux, n’est suivie d’aucuns inconvéniens, quand elle s’exécute à propos, avec adresse, et de manière à n’enlever à chaque aile que quatre à cinq plumes et le duvet.

Dès que les oisons ont atteint l’âge de deux mois, on les conduit à plusieurs reprises dans une eau claire ; on les expose ensuite sur un lit de paille nette, afin qu’ils s’y sèchent ; on les plume promptement pour la première fois, et une seconde fois au commencement de l’automne, mais avec modération, à cause des approches du froid qui pourroit les incommoder.

Une autre précaution qu’on doit toujours avoir, c’est que, quand les oies viennent d’être plumées, il faut empêcher qu’elles n’aillent à l’eau, et se borner à les faire boire pendant un ou deux jours, jusqu’à ce que la peau soit raffermie ; on les plume enfin une troisième fois quand, après les avoir engraissées, on les tue : ainsi cet oiseau, qui a vécu neuf mois environ, peut fournir pendant sa vie trois récoltes de plumes.

Le bénéfice qu’on peut retirer des plumes d’oie n’est à dédaigner nulle part ; elles forment un article important du commerce de la province de Lincolnshire en Angleterre, et s’y vendent à raison d’une livre seize sous par an, soit en duvet, soit en plumes à écrire.

Ce seroit donc renoncer bien gratuitement au profit assuré et considérable qu’il est possible de retirer d’une éducation nombreuse d’oies, si on négligeoit l’avantage d’avoir une, deux ou trois fois par an, une récolte de plumes propres à écrire, et de duvet pour garnir les coussins et les lits. On a estimé que ce produit varioit selon l’âge, et qu’une oie mère donnoit communément sa livre de plume. La jeune en fournit assez constamment une demi-livre.

Les oies destinées à peupler la basse-cour, et qui sont ce qu’on nomme les vieilles oies, peuvent, il est vrai, sans inconvénient, être plumées trois fois l’année, de sept semaines en sept semaines ; mais il faut attendre que les oisons aient treize à quatorze semaines pour subir cette opération, sur-tout ceux qui sont destinés à être mangés de bonne heure, parce qu’ils maigriroient et perdroient leur qualité.

La nourriture contribue infiniment à la valeur du duvet et à la force des plumes ; les soins particuliers qu’on prend des oies n’y ont pas moins d’influence. On a remarqué que, dans les endroits où ces oiseaux trouvent beaucoup d’eau, ils ne sont pas aussi sujets à la vermine, et fournissent une plume qui possède plus de qualités.

Il y a une sorte de maturité pour le duvet, qu’il est facile de saisir ; c’est lorsqu’il commence à tomber de lui-même ; si on l’enlève trop tôt, il n’est pas de garde, et les vers s’y mettent.

Les oies maigres en fournissent davantage que celles qui sont grasses, et il est plus estimé ; les fermiers ne devroient jamais permettre qu’on arrachât les plumes des oies, quelque temps après qu’elles sont mortes, pour les vendre : elles sentent ordinairement le reland et se pelotonnent. On ne doit mettre dans le commerce que les plumes arrachées sur les oies vivantes ou qui viennent d’être tuées ; dans ce dernier cas, il faut se hâter de les en dépouiller, et faire en sorte de terminer l’opération avant que l’oiseau soit entièrement refroidi : la plume en est infiniment meilleure ; on est encore dans l’usage de leur tourner les pattes derrière le dos, de manière à tenir les ailes, sans quoi elles se casseroient, et les oies ne seroient plus de vente.

Dessiccation des plumes. Quelles que soient les espèces d’oiseaux qui fournissent le plus abondamment des plumes, celles dont on fait le plus de cas doivent être recueillies sur l’animal vivant ; et il est facile de les reconnoître, en ce que leurs tuyaux, étant pressés sous les doigts, donnent un suc sanguinolent ; celles qui ont été arrachées après la mort sont sèches, légères et sujettes à être attaquées par les vers et les mites ; mais les plumes et le duvet de la meilleure qualité, recueillis avant la mue et dans la saison qu’il convient, demandent, comme nous l’avons déjà observé, des précautions pour les conserver en bon état ; les plumes emportent toujours avec elles une matière grasse et lymphatique qui, en s’altérant, leur communique une odeur extrêmement désagréable. Il faut donc leur faire subir une dessiccation préalable, les exposer au four après que le pain en est retiré ; il convient même de porter cette dessiccation plus loin, quand il est question des plumes des oiseaux aquatiques, à cause de leur nature très-huileuse.

Quand cette dessiccation préalable a été opérée, on transporte les plumes dans un lieu sec et aéré ; on les remue tous les jours : par ce moyen, on dessèche la moelle que contiennent intérieurement les tuyaux ; les parties graisseuses et membraneuses de leur surface se dissipent en poussière ; alors la plume peut se conserver pendant des siècles ; mais si on néglige ces précautions, si la plume n’est pas réduite à un état de pure parenchyme, si elle renferme des sucs à moitié desséchés, alors elle deviendra la proie des insectes ; dans ce cas, il faut la blanchir dans une eau de savon, et la laver ensuite à plusieurs eaux ; opération secondaire qui déterminera qualité élastique de la plume et occasionne des déchets.

Ce que nous disons de la plume est applicable à la laine ; si elle a été mal épurée, le suint et les matières grasses dont elle s’imprègne attirent les insectes ; il faut alors la laver pour prévenir la destruction de la totalité, et la dépouiller de cette graisse naturelle qui se corrompt.

Dans l’incertitude où l’on est du choix des matières premières employées dans les couchers d’une maison de campagne, il faut les mettre sur une claie supportée par des tréteaux au milieu d’une grande pièce bien aérée, les remuer, les battre de temps à autre avec des houssines, les exposer souvent au grand air, au froid par les beaux jours d’hiver, et au soleil dans le commencement du printemps, pour en écarter cette espèce d’insectes de la classe des phalènes, qui ne propagent qu’à l’ombre et dans le repos ; le grand jour et l’agitation sont des moyens infiniment préférables aux plantes aromatiques proposées dans la vue d’opérer cet effet.

Le procédé d’épuration consiste à mettre dans trois pintes d’eau bouillante une livre et demie d’alun ; et autant de crème de tartre qu’on délaie dans vingt-trois autres pintes d’eau froide ; à y laisser tremper pendant quelques jours les laines, après quoi on les lave et on les sèche ; elles ne sont plus exposées aux insectes.

La pureté des plumes et des laines dont on se sert pour faire des matelas et des coussins, doit sans doute être regardée comme un premier objet de salubrité. Les émanations animales peuvent, dans une foule de circonstances, préjudicier à la santé ; mais le danger est bien plus grand encore, lorsque la laine se trouve imprégnée de la sueur et des parties excrémentielles des personnes qui ont éprouvé des maladies putrides et contagieuses. On ne sauroit donc trop souvent battre, carder, nettoyer, laver, la laine et blanchir la toile des matelas ; c’est un soin que ne doit jamais oublier de renouveler, chaque année, une maîtresse de maison attentive ; nous le lui recommandons avec instance, pour la conservation de sa famille et l’intérêt du ménage dont le gouvernement lui est dévolu. (Parm.)