Cours d’agriculture (Rozier)/SIFFLAGE et CORNAGE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 242-248).


SIFFLAGE ET CORNAGE. Médecine vétérinaire. Des marchands de chevaux de Paris, achetèrent à la foire de Caen, en 1780, trois chevaux, qu’ils revendirent à Paris, où ils furent trouvés siffleurs ou cornards. Les acheteurs se pourvurent pardevant les juges-consuls, contre les marchands de Paris, en garantie de ce vice. Ceux-ci se pourvurent, a leur tour, contre les marchands de Normandie.

La jurisdiction des consuls, où ce vice est passé, je ne sais d’après quelle loi, en garantie d’usage pendant neuf jours, condamna les marchands de Paris à reprendre les chevaux, & déchargea les marchands de Normandie, de la demande en garantie formée contre eux par les premiers.

Ceux-ci appelèrent de la décision des consuls au parlement : ils produisirent à ce tribunal, une dissertation en forme de certificat, tendante à prouver, par l’anatomie du cheval, que le sifflage ou cornage est une modification, ou une dépendance de la courbature, qui devoit être regardée comme une même maladie que c’est un vice plus considérable que la morve, la pousse & la courbature ; qu’il est tel, qu’il rend le cheval de nulle valeur, & le conduit à une mort inévitable & très-prochaine, &c… Le parlement rendit un arrêt le 2.5 janvier 1781, qui condamne les marchands de Normandie, à reprendre les chevaux, à en restituer le prix, à payer les frais, & qui ordonne que le sifflage ou cornage sera désormais au nombre des cas rédhibitoires.

Les marchands de Normandie, se pourvurent en cassation au conseil, qui, par un arrêt du 8 janvier 1782, adopta cette voie, & évoqua l’affaire. Les marchands de Paris formèrent opposition à cet arrêt, & demandèrent un examen de l’état des chevaux, qui fût accordé. On nomma de part & d’autre des experts, en février 1783, & le conseil leur proposa les questions suivantes.

Qu’est-ce que le sifflage ou cornage ou halley ? Est-il une suite de la courbature ? les symptômes en sont-ils les mêmes ? & est-il incurable ?

Telles sont les différentes questions qui sont discutées dans le rapport dont nous avons cru devoir faire un article de cet ouvrage, comme étant très-intéressant & très-instructif pour nos lecteurs. Il nous a été communiqué par M. Huzard, Vétérinaire à Paris.

Le conseil demande qu’est-ce que le cornage & sifflage ou halley :[1] s’il est une suite de la courbature, si les symptômes en sont les mêmes, & s’il est incurable ?

Cette discussion exige beaucoup d’exactitude, & des connoissances peut-être au dessus de nos forces ; nous allons examiner ces différentes questions, & tacher de répondre aux vues du conseil ; nous nous croirons trop bien récompensés, si nous avons pû jeter quelques traits de lumière sur cette parcelle de la législation.

On appelé cornage & sifflage, un bruit plus ou moins fort que fait entendre le cheval pendant la respiration, soit continuellement, comme on le voit dans quelques circonstances maladives, soit pendant ou après l’exercice, ainsi qu’il arrive le plus fréquemment. Il est toujours produit par la résistance qu’éprouve l’air à son passage de l’atmosphère dans les poumons, & de ceux-ci dans l’atmosphère, d’où résulte un son, dont les différentes inflexions, sont plus ou moins rauques ou aiguës.

Les causes de ce bruit sont en assez grand nombre ; mais on peut les réduire aux suivantes : 1°. aux vices, de conformation : 2°, aux maladies aiguës de la poitrine : 3°. aux maladies chroniques : 4°. à des accidens particuliers : enfin à la mauvaise manière de harnacher les animaux. Nous croyons indispensable d’entrer dans quelques détails sur chacun de ces points.

1°. Les vices de conformation qui donnent le plus souvent lieu au sifflage & cornage, sont : 1°. l’étroitesse & le peu d’amplitude de la poitrine, défaut exprimé par le terme de côte plate ou serrée : 2°. une tête mal attachée, & qui force l’animal à s’encapuchonner : 3°. l’étroitesse du larinx & le peu de dilatation de l’orifice des naseaux & des fosses nazales : 4°. la présence d’un polipe dans ces parties : 5°. l’obésité ou l’excès de la graisse, dont le médiastin & le péricarde sont quelquefois remplis, au point de gêner l’expansion des poumons : 6°. enfin quelque défaut de conformation intérieure, &c. dont il n’est possible de juger que par l’inspection anatomique.

Dans le premier cas, le poumon recevant une colonne d’air, plus considérable que la dilatation bornée de la poitrine ne le permet, la repousse avec impétuosité au dehors, & le cheval siffle ou corne dans l’expiration ; dans les autres, au contraire, l’air ne pénétrant pas avec facilité, vu l’étroitesse des passages & les obstacles qu’il rencontre, l’animal est forcé d’aspirer avec force, & le bruit se fait entendre pendant l’inspiration. Mais comme l’air trouve la même résistance dans sa sortie, qu’il est d’ailleurs raréfié par la chaleur de la poitrine, & que par conséquent il occuppe plus d’espace, le bruit a également lieu, & est même toujours plus fort pendant l’expiration. Ces effets, toujours très-sensibles, au surplus, pendant ou après un exercice un peu violent, sont nuls ou presque nuls dans le repos, & pendant un exercice modéré. Le mouvement du flanc, quoique très-accéléré dans le premier cas, conserve assez constamment sa régularité, ou la reprend immédiatement après quelques instans de repos ; ce qui n’a pas lieu, lorsque l’animal est attaqué de la pousse (voyez ce mot) ou d’une maladie plus ou moins aiguë, dans laquelle le flanc est agité continuellement, même dans l’écurie.

Dans la plupart de ces circonstances, ce bruit est presque toujours incurable, & plus désagréable que dangereux. L’animal paroit, d’ailleurs, jouir d’une bonne santé, quoique la gêne qu’éprouve la respiration dans les exercices violens, doive fatiguer beaucoup plus les poumons que dans l’état naturel.

On a cherché à y remédier dans le cas de l’étroitesse des naseaux, en fendant la peau de leur orifice ; & cette opération, dont les traces subsistent toujours après la guérison, a quelquefois été suivie du succès qu’on en espéroit. Quand ce bruit est la suite de l’obésité ou de la présence d’un polipe, (voyez obésité, polipe) il est inutile de faire sentir que la diète, dans le premier cas, & l’extirpation, lorsqu’elle est praticable dans le second, peut le faire disparoître en détruisant la cause.

2°. Les maladies aiguës de la poitrine, qu’accompagne ou que suit quelquefois ce bruit, sont, 1°. l’inflammation de poitrine ou la péripneumonie ; 2°. la gourme, la fausse gourme ; 3°. l’angine ou esquinancie ; 4°. quelques autres affections catarrales & inflammatoires de la poitrine & de l’arrière bouche ; 5°. enfin, l’amplitude des poches appelées trompes d’Eustache ; amplitude qui est souvent la suite des maladies dont nous venons de parler. Dans tous ces cas, l’animal est plus ou moins malade ; & ce bruit qui ne peut être comparé alors au râlement dans l’homme, est toujours accompagne des autres symptômes propres à la maladie essentielle ; il se fait entendre continuellement, & le moindre exercice l’augmente au point que l’animal paroît souvent prêt à suffoquer : il disparoît avec la maladie dont il n’est qu’un symptôme. On le voit cependant subsister quelquefois à la suite de la gourme, de la fausse gourme & de la péripneumonie (voyez ces mots), sur-tout lorsque les évacuations qui accompagnent ces maladies ont été arrêtées par des moyens quelconques ; mais il cesse peu à peu à mesure que l’engorgement diminue, & que le poumon reprend son élasticité & son jeu naturel. Celui qui est le symptôme de l’esquimancie & de l’amplitude des trompes d’Eustache, cesse, lors de l’opération de la bronchotomie, & par l’évacuation du pus. Nous ajouterons ici que nous l’avons vu quelquefois suivre une saignée placée à contre-temps, & l’administration de ces breuvages cordiaux & incendiaires, qu’on n’emploie que trop fréquemment encore, qui souvent ajoutent à l’intensité de la maladie pour laquelle on les administre, par l’inflammation plus ou moins forte qu’ils excitent dans les poumons.

3°. Les maladies chroniques avec lesquelles il paroît ou qu’il suit le plus souvent, sont la pousse, la morve, le farcin, les tubercules, les adhérences du poumon, la pulmonie, enfin, l’hydropisie de poitrine. Il est rare qu’on se méprenne sur l’existence des deux premières, qui, d’ailleurs, sont des cas rédhibitoires ; mais les autres sont plus cachées, peuvent subsister plus ou moins de temps, avec les signes extérieurs d’une bonne santé, & ne se manifestent le plus souvent qu’à l’ouverture des cadavres. Nous avons observé plusieurs fois dans la dernière, que l’animal ne cornoit qu’au commencement de l’exercice, le bruit cessant au bout d’une demi-heure ou environ. Celle-ci est un cas rédhibitoire dans les vaches, sous le nom de pommellière.

4°. Les accidens particuliers. Nous passerions ce léger article sous silence, s’il n’étoit de notre devoir de ne rien négliger de ce qui peut développer la nature & la cause du vice dont il s’agit. La présence ou la rétention des corps étrangers dans les fosses nasales, l’arrière bouche, la trachée, les poumons, l’œsophage, des breuvages, des poudres, &c. donnés ou avalés de travers, peuvent l’occasionner, ainsi que la poussière & la sécheresse auxquelles les animaux sont exposés sur les routes pendant les chaleurs de l’été ; mais il cesse avec l’extraction des corps étrangers, ou avec la cause momentanée qui l’a occasionnée. On peut & on doit ajouter encore ici la présence des boutons ou des cordes de farcin le long de la trachée & aux naseaux, le trombus ou mal de saignée, (voyez saignée des animaux) le mal de garot, des coups, ou des tumeurs quelconques sur les côtes. Nous pouvons assurer, au moins, avoir vu plusieurs fois le sifflarge & cornage, accompagner ces différens accidens, & disparaître avec eux, la tuméfaction se propageant à l’intérieur, & gênant le passage de l’air dans la trachée ou dans le poumon. Le farcin, d’ailleurs, produit quelquefois, dans ce viscère, des délabremens qui, subsistant après la guérison, peuvent donner lieu à ce bruit, & ne se terminer souvent qu’avec la vie de l’animal.

5°. Enfin, la mauvaise manière de harnacher les animaux ; un harnois trop serré, dent le poitrail est placé trop haut, en comprimant la poitrine & la trachée au bas de l’encolure ; une sous-gorge également trop serrée, en comprimât le larinx ; des rênes trop courtes, en forçant l’animal à s’encapuchonner ; & en formant un obstacle à l’introduction libre de l’air, peuvent occasionner un accident que nous avons vu quelquefois porté au point que les animaux tomboient suffoqués à la voiture, & l’auroient été infailliblement, si on ne se fût hâté de les débarrasser des entraves qu’éprouvoit la respiration. Les morailles, le torche-nez, ont souvent aussi produit les mêmes effets, par l’engorgement qu’ils ont suscité dans les organes pituitaires ; engorgement produit par le frottement violent qu’éprouvoit l’air à un passage en partie fermé, & qui subsiste plus ou moins long-temps après la levée de l’obstacle. Ces observations qui, au premier coup-d’œil, paroissent peu importantes, le sont cependant d’autant plus, qu’en général on n’y fait aucune attention, & qu’elles peuvent souvent donner lieu à des inductions erronées.

On doit sentir, d’après ce que nous venons de dire, que les suites de ce vice sont toujours les mêmes que celles des maladies qui y donnent lieu, elles tiennent encore d’ailleurs au tempérament des sujets, à leur nourriture, à leurs exercices plus ou moins violens, &c. Nous pensons qu’il seroit difficile d’asseoir quelque chose de certain à cet égard, nous croyons seulement avoir observé que les animaux, en qui il dépend d’un défaut de conformation, sont plus sujets a la pousse, à l’esquimancie, & en général aux maladies de la poitrine ; mais nos observations ne sont as encore assez multipliées sur cet objet, pour soutenir l’affirmative.

Quant à la courbature, cette maladie inflammatoire sur laquelle les auteurs & les praticiens ne sont pas exactement d’accord, qui est toujours due à des exercices violens, des travaux forcés, & à toutes les autres causes des inflammations, dont les symptômes sont les mêmes que ceux des maladies aiguës de la poitrine, & dont les suites ne sont dangereuses, qu’autant qu’elle est négligée ou mal traitée ; ce n’est point ici le lieu d’examiner, si elle doit être placée elle-même au rang des vices rédhibitoires ; cette question importante n’est pas du nombre de celles qui nous ont été faites par le conseil ; il demande seulement si le sifflage & cornage peut être la suite de cette maladie, & si les symptômes en sont les mêmes ? Nous croyons avoir éclairci cette dernière question, par ce que nous avons dit précédemment ; quant à la première, nous pouvons affirmer que toutes les fois que nous avons eu occasion de rencontrer la courbature dans le cours de notre pratique, & qu’elle a été traitée suivant les règles de la saine médecine, nous n’avons jamais vu le bruit dont il s’agit, l’accompagner ou la suivre. Mais souvent aussi cette maladie mal traitée ou négligée, donne lieu, comme toutes les autres inflammations de la poitrine, à l’empième, à la pulmonie, à l’hydropisie, à la pousse, à la morve, &c. Le cornage & sifflage peut quelquefois, ainsi que nous l’avons dit ci-devant, suivre quelques unes de ces malades ; mais s’il falloir conclure de ceci, que le bruit, qui alors n’est qu’une suite médiate de la courbature, doit être placé dans le nombre des vices rédhibitoires, on sent bien que les accidens qu’il accompagne, & qui en sont une suite immédiate, devroient, à bien plus forte raison, être de ce nombre. Il est inutile de faire appercevoir les abus qui naitroient en foule d’une pareille loi, pour une maladie qui en est elle-même une source, & qui prête déja beaucoup à la prévention, à la mauvaise foi, & à l’ignorance

Nous avons cru, pour ne rien laisser à désirer sur cette matière, devoir consulter les auteurs d’hippiatrique, qui ont parlé de l’une & de l’autre de ces maladies. Ceux qui se sont occupes du cornage & sifflage, sont en petit nombre. Soleysel, parmi eux, s’y est le plus étendu, & on peut voir ce qu’il en dit fort au long, dans le Parfait Maréchal, tom. 2, chap. XV, pag. 90, 91 & 92, édit. de 1693. M. Bourgelat en a fait l’objet d’un chapitre particulier dans l’Encyclopédie, au mot gros d’Haleine. M. la Fosse en parle aussi dans différens endroits de les ouvrages. Les uns & les autres regardent ce vice comme pluis désagréable pour le propriétaire qu’essentiellement dangereux à l’animal : mais parmi ceux-ci, ainsi que parmi ceux qui ont parlé de la courbature, & qui sont en bien plus grand nombre, aucun n’a fait mention de ce bruit, comme étant la suite, ou même le symptôme de cette maladie.

Il résulte de tout ce que nous avons dit, que le sifflage & cornage, qui est dû aux vices de conformation, ou qui accompagne & qui suit des maladies chroniques, est le seul qui doive intéresser l’acheteur ; les autres causes qui y donnent lieu, n’étant qu’instantanées, ou l’animal étant plus ou moins malade, par conséquent hors d’état d’être vendu, ne doivent point entrer en considération ici. Le premier paroît être plus désagréable que dangereux. Le second peut porter une atteinte plus ou moins sensible au tempérament de l’animal. Nous observerons, au surplus, qu’il est très-difficile, pour ne pas dire importable, d’assurer avec précision la cause de ce bruit ; on est souvent réduit à des indices, que l’ouverture des cadavres ne vérifie pas constamment. Mais nous croyons que dans tous les cas, & quelle qu’en soit la cause, il est toujours facile de s’en appercevoir par le bruit même qui accompagne ou qui suit immédiatement un exercice plus ou moins violent. Soleysel décide affirmativement la question, en disant, qu’on ne peut faire reprendre les chevaux souffleurs aux marchands que c’est un défaut dont ils ne sont point garans, puisqu’il ne tient qu’à celui qui achette de le voir, en les faisant trotter ou galopper.

Tel est le résumé des faits relatifs au sifflage & cornage, qui nous ont passé sous les yeux, dans le cours de notre pratique, ou dont quelques-uns de nos confrères, & des personnes instruites, que nous avons cru devoir consulter, ont bien voulu nous faire part. Avec plus de talent & d’expérience que nous n’en avons, on auroit pu s’étendre davantage sur cette maladie, ou plutôt, sur ce symptôme de maladie : mais nous nous sommes bornés à la simple exposition des faits & des causes, persuadés de la pénétration & des lumières du conseil. M. T.


  1. Ce dernier mot, qu’on écrit aussi Hallei, Halay ou Halet, est nouveau dans l’art vétérinaire : On ne le trouve que dans le supplément du dictionnaire d’hippiatrique de M. la Fossé, Tom. IV, pag. 385, il signifie la même chose que les deux autres, mais bien moins énergiquement : il dérive sans doute du mot haleine, comme pour faire entendre que dans ce cas, l’haleine ou la respiration est gênée, ou abrégée. Ce mot, au surplus, à l’exemple de beaucoup d’autres, formant un synonyme inutile, doit être proscrit.