De Paris à Bucharest/Chapitre 4

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IV

EN LORRAINE.

La Lorraine est une place forte. — Bar-le-Duc, Commercy et le cardinal de Retz. — Les monastères d’autrefois et les usines d’aujourd’hui. — Les vins lorrains. — La croix de pierre de l’Étang-Saint-Jean. Pourquoi les Évéchois ? — Un camp volant. — Vue de montagne en chemin de fer.

La Lorraine, qui est à nous depuis moins d’un siècle, est pourtant une des régions les plus françaises ; le cœur du pays y bat et tous les bras s’y arment quand il s’agit de le défendre. Entourée de trois côtés par des montagnes et coupée de grands fleuves, couverte de forêts, elle est une place forte dont les Vosges, l’Ardenne et l’Argonne forment l’enceinte, la Moselle et la Meuse les fossés, Metz la citadelle, Thionville le poste avancé. Et elle est bien approvisionnée de courage, car le rôle de province frontière a énergiquement trempé sa population. Si l’invasion du quinzième siècle fut brisée par la sainte héroïne de Vaucouleurs[1], il ne tint pas aux paysans lorrains levés en masse, en 1814, qu’ils n’arrêtassent celle du dix-neuvième : il y a des cadavres russiens dans tous les fourrés du pays.

Bar-le-Duc. — Dessin de Lancelot.

C’était à Révigny-aux-Vaches, gros village sur l’Ornain, que nous étions entrés en Lorraine par le Barrois. Je croyais cette province plus fertile et mieux peuplée. Dans la partie, du moins, que nous traversons, je trouve le sol bien maigre et les villages bien rares. Il est vrai que beaucoup se tiennent au bord des ruisseaux, derrière des rideaux d’arbres qui les cachent l’été aux voyageurs du convoi. Les autres perchent sur les coteaux, avec des airs, qui, après tout, leur vont fort bien, de petites cités apennines. Un soleil très-vif ajoutait à l’illusion. Bar-le-Duc est ainsi élevé sur la cime et le flanc d’une colline. Ses maisons, serrées les unes contre les autres, forment plusieurs étages de toitures d’un rouge cru, comme j’en ai vu dans bien des peintures italiennes. Un camp romain est encore reconnaissable tout auprès sur les hauteurs de Fains, et la ville, assure-t-on, lui doit son nom celtique, parce qu’il barra plus d’une fois la route aux incursions germaines.

Commercy, l’autre porte du Barrois, au bord de la Meuse, et la véritable entrée de la Lorraine, avait aussi son château d’en haut et son château d’en bas. Retz, le très-spirituel, mais fort mondain cardinal, capitaine de hussards caché sous un camail d’archevêque, y écrivit ses Mémoires, qui sont bien le plus amusant des livres, mais non le plus véridique, comme il arrive, du reste, à presque tous les mémoires passés ou présents. Ce château, rebâti à la fin du dix-septième siècle par un bénédictin pour un prince de Vaudemont et embelli encore par Stanislas Leckzinski, est bien déchu de ses splendeurs royales. On en a fait un quartier de cavalerie, comme de tant de cloîtres et d’églises on a fait des hospices et des manufactures. Les grandeurs d’autrefois abritent les misères et les nécessités d’aujourd’hui. Chaque époque est caractérisée par ses monuments : jadis les monastères, à présent les usines, les théâtres, les casernes et les embarcadères, quand l’industrie triomphante veut bien faire à l’art l’aumône de Bélisaire, comme la compagnie de Strasbourg l’a fait pour son embarcadère de Paris.

Vallée de la Moselle, près de Liverdun. — Dessin de Lancelot.

Le chemin de fer a lestement sauté par-dessus l’Argonne, entre la Meuse et la Marne. Mais l’Ardenne, entre la Meuse et la Moselle, ne lui permet pas de ces familiarités. C’est par-dessous, avant Liverdun, qu’il nous faut passer, par deux tunnels qui, ensemble, ne font pas loin d’une demi-lieue de souterrains. Ils débouchent entre des coteaux plantés de vignes, semés d’arbres et de maisonnettes, où nous voyons des chariots à quatre roues et à grandes ridelles évasées que traînent un cheval en brancards et une ou deux vaches maigres attelées en flèche. Celles-ci, par leur marche lourde et gauche, semblent dire : « Vous nous faites faire là une besogne qui n’est pas la nôtre, » et elles ont raison : je voudrais qu’on n’infligeât jamais un travail rude et pénible à aucun des êtres qui ont le grand labeur de la maternité.

À côté, marche le paysan avec l’inévitable hotte de bois qu’il ne quitte jamais : femmes et enfants, vignerons et ouvriers, tous la portent. Le Lorrain, avisé et économe, sait qu’il y a toujours, en cheminant, un débris, un rebut bon à ramasser. Chaque été sortent d’ici une multitude de savetiers et d’étameurs de cuillers, la hotte sur le dos ; que de choses, au fond, quand ils reviennent ! Seulement, à vol de locomotive, on dirait une population de bossus !

Des gens qui regardent si bien à leurs pieds, ne perdent pas leur temps à lever la tête pour écouter les oiseaux du ciel, ou le bruit du vent dans les grands arbres. La poésie a peu de charmes pour eux. Le surnom de Noverca artium, qu’on a donné à leur grande ville, la patriotique et vaillante, mais trop lacédémonienne cité de Metz, ils le méritent un peu tous. Pays d’action plus que de pensée, la Lorraine qui a vu tant de ses enfants maréchaux, officiers supérieurs et légionnaires[2], n’a, je crois, que deux écrivains, Palissot et Gilbert, dont l’un compte à peine, dont l’autre peut-être a été trop compté ; deux artistes aussi : Claude Gelée, grand peintre, mais qui ne le fut qu’après avoir trempé son pinceau dans la lumière de l’Italie et dans la poésie de la mer ; Callot, un véritable artiste lorrain, celui-là, par son goût du réel, le dessinateur ou le peintre des Misères de la guerre et des Pendus.

Je ne sais plus dans quelle province de l’ouest je rencontrai un jour une noce de paysans. C’était au lendemain du mariage. Deux violons allaient en tête à travers champs ; derrière, dansaient et riaient parents et amis tous parés de rubans et de feuillage, tandis que les deux fiancés, la main dans la main, sans mot dire, marchaient lentement le long de la haie en fleurs. À Liverdun aussi, pendant la minute d’arrêt, j’ai vu une noce de village défiler devant la gare. Il y avait bien les violons, mais suivis d’un vigoureux gaillard qui, les manches retroussées, portait, en guise de bannière, pendus aux dents d’une fourche un énorme quartier de veau, des volailles et des lapins. La première eût réjoui les yeux et le cœur de Lamartine ; Pantagruel se fût mis de la seconde.

Nous voilà dans le riche bassin de la Moselle, dont les habitants, en dépit de la latitude, veulent boire du vin de leur cru, et en font. Je ne vous dirai pas qu’on récolte là de grands vins. Le meilleur de la Meurthe, celui de Thiaucourt, ne se vend que de dix-huit à vingt francs l’hectolitre ; mais celui de Scy, dans la Moselle, monte à cinquante francs, quand il est vieux, et on a vu des vins de Bar-le-Duc atteindre jusqu’à soixante-dix dans les bonnes années. Or, comme la Lorraine n’a pas consacré moins de trente mille hectares à cette culture et que le rendement moyen est d’au moins trente-cinq hectolitres l’hectare, on voit qu’elle produit plus d’un million d’hectolitres de vin, et que cette industrie met quelque chose comme vingt millions dans sa poche ; à moins qu’elle ne préfère, ce qui se pourrait bien, en mettre le produit dans son estomac. Les droits à peu près prohibitifs qui, depuis 1814, arrêtent l’exportation sur Liége et le Luxembourg, font passer dans la consommation locale tout ce qui ne parvient pas à se faire transformer, à Châlons ou à Épernay, en champagne du plus authentique.

J’aurais voulu visiter Toul la Sainte, Nancy la Royale, et Lunéville la Militaire où la campagne est si verte, mais où la jeune fille regarde bien plus les beaux cuirassiers. Nous les traversons à toute vapeur et de côté, car les chemins-de-fer ont plus de respect pour les villes que pour les montagnes ; ils tournent poliment autour de celles-là, tandis qu’ils passent sans façon tout au travers de celles-ci.

C’est à peine si j’ai le temps d’apercevoir les deux tours de la cathédrale de Toul richement décorées de leur dentelle de pierre. Je vous renvoie donc aux descriptions qu’on a tant de fois données, par le burin et la plume, des splendeurs de Nancy, une de nos villes de province où la ligne droite et la colonne ont le plus tôt régné. D’ailleurs, à ces monuments dont elle a le droit d’être fière, mais dont on trouve partout l’équivalent, je préfère la petite croix de pierre de l’étang Saint-Jean[3]. Là, une grande justice a été faite et une grande leçon a été donnée ; là, a été brisée, il y a quatre siècles, l’ambition la plus brutale et la plus stérile. Le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, qui périt au siége de Nancy, en 1477, réunissait en lui les vices des deux époques entre lesquelles il vécut. Il avait déjà la violence de volonté des rois absolus qui allaient venir, et il gardait encore les passions emportées et féroces d’un seigneur féodal du moyen âge. La France, la Suisse, l’Allemagne et toutes les provinces de l’État bourguignon auraient pu dire, comme le duc René, quand il prit la main du cadavre qu’on venait de trouver nu dans la glace d’un marais : « Cher cousin, Dieu ait votre âme ; vous nous avez fait moult maux et douleurs. »

Nancy et Lunéville sont des cités toutes modernes : l’une ne fut d’abord qu’un repos de chasse, à l’entrée de la grande plaine de Blamont ; l’autre, Nancy, une forteresse féodale, au milieu des marais. Mais Toul est une des plus anciennes cités des Gaules, comme deux autres villes lorraines, Verdun et Metz, les capitales du pays des Évéchois.

Tout en roulant à travers la fraîche et jolie vallée de la Meurthe, qui descend des Vosges et finit près de Frouard, au bord de la Moselle, je cherchais pourquoi ces trois villes avaient eu des destinées si complétement distinctes de celles du territoire qui les enveloppe : cités gauloises, quand le reste du pays est comme désert ; municipes romains, villes épiscopales, villes libres, formant au milieu du duché de Lorraine, sans se toucher par aucune frontière, trois États souverains, les Trois Évêchés, et, pour finir, conquis par la France deux siècles avant la province au milieu de laquelle ils étaient placés.

À les voir sur la carte, elles forment un triangle qui a deux de ses sommets sur la Moselle et le troisième sur la Meuse. Ces deux fleuves ont été, surtout le premier qui débouche en pleine Allemagne, la grande route des invasions germaniques en Gaule, car les bords des rivières sont les premiers chemins des nations. Comme toujours, la résistance s’est concentrée du côté par où venait le péril. Metz et Toul ont barré la Moselle qui était la route la plus menacée, et rendu difficile le passage de l’Ardenne, Verdun a barré la Meuse et couvert le pied de l’Argonne. Ces trois peuples ont donc été comme les sentinelles avancées de la race celtique du côté de la Germanie.

Ce rôle leur donna une force, une richesse que les Romains se gardèrent bien de déplacer. Ils les accrurent, au contraire, en les mettant sous la protection de leurs lois civiles et de leurs institutions urbaines. Quand le christianisme prit possession du nord-est de la Gaule, il ne trouva de ce côté que ces trois villes et y fit résider ses évêques ; les princes, les bourgeois, les investirent à l’envi de priviléges et d’autorité ; de sorte qu’au moment où la féodalité couvrit le reste du pays, elle heurta vainement aux portes des trois cités qui furent, dans cette région, le refuge de la vie et des libertés municipales, sous la protection obligée de l’Église, parfois malgré elle. Ces positions avaient été si bien choisies que la France a encore là trois de ses forteresses, dont une des meilleures..

Me voilà donc, encore une fois, courant d’un côté, tandis que le convoi court d’un autre, et descendant la Moselle et la Meuse tandis que nous franchissons la Meurthe. C’est l’inévitable effet de cette rapidité d’impressions à laquelle on a besoin d’échapper, en fermant les yeux du corps pour ouvrir ceux de l’esprit. Comme, aux meilleures places, dans les wagons, on ne voit que de côté et qu’il n’y a que les choses très-éloignées qui restent un instant en vue, il faut bien, de temps à autre, se donner le plaisir d’une excursion.

Pour le moment, nous entrions dans une plaine coupée de bois, de ruisseaux et de quelques villages. À Varangeville-Saint-Nicolas, petite ville déchue, nous avons un curieux effet de lumière. Au milieu de la vallée qu’enveloppent des collines d’une ligne assez ferme, coule une rivière, la Meurthe, toute tachetée d’îlots herbus, à fleur d’eau, et où se reflète une haute église de fière tournure ; un orage qui arrive la rend plus grande encore. De lourdes nuées écrasent le village qui entoure l’édifice et l’effacent sous des ombres aussi noires que celles de la nuit. Mais les wagons passent plus vite que l’orage et l’œil n’aperçoit qu’une grande silhouette dentelée et sombre dont l’image tremble à la surface de l’eau qui la continue et l’entraîne. On le dirait, du moins, tant s’unissent ici et se confondent harmonieusement la lumière, le mouvement et la forme, les trois beautés du paysage.

Varangeville-Saint-Nicolas, près Nancy. — Dessin de Lancelot.

Plus loin, je vis un de ces camps volants qui sont l’effroi de la Lorraine. Les paysans appellent ainsi ces familles d’Alsaciens, Tziganes de l’Occident, qui chaque année quittent leur province pour aller vivre au loin, durant tout l’été, de mille industries suspectes.

Dans une mauvaise voiture, attelée de quelque chose dont Scarron n’aurait pas fait l’ombre d’un cheval, s’entassent père, mère, enfants, déguenillés, demi-nus et sales. Ils y dorment pêle-mêle, les plus jeunes dans des corbeilles attachées aux ridelles de la voiture, le reste, au fond, dans la paille. Quand on les voit dehors, on ne comprend pas comment ils ont pu tous entrer.

Le vrai Bohémien garde son cachet d’origine : de beaux traits, un œil noir et profond, une figure quelquefois sinistre, mais toujours l’air intelligent de ces races orientales qui conservent, jusque dans la dégradation, la majesté de l’homme. Pour les nôtres, la faim, l’ignorance, le vice flétrissent leurs traits et abêtissent leurs visages. Un enfant est presque toujours beau ; ceux-ci ont déjà tant de ruse dans les yeux ou de misère sur le corps qu’on souffre à regarder ces figures qui ne rient jamais, mais qui toujours guettent ce qu’il y aurait à recevoir ou à prendre.

Ils partent quand l’herbe a poussé le long des chemins pour la bête, et l’osier dans les haies et au bord des ruisseaux pour toute la famille. Leur industrie patente est de faire des paniers et ils y sont fort habiles, mais je doute que jamais marchand d’osier leur ait rien vendu, et je ne pense pas que les aliments, sauf le pain, leur coûtent beaucoup plus cher. Ils établissent leur campement auprès d’un village, non au milieu : on les verrait trop. Le jour, le père fait des corbeilles, tandis que les femmes frappent à toutes les portes pour vendre et mendier. Le soir les enfants vont dans les auberges faire des tours d’adresse. Mais que font-ils le matin, avant le soleil, à rôder au milieu des champs, dans les vignes et si près des fermes ?

Les camps volants. — Dessin de Lancelot.

Notre convoi surprit les nôtres arrêtés sous un bouquet d’arbres et en répétition de leurs exercices. Le père se glissait le long d’une oseraie ; les fils préparaient leurs tours, en cadence avec un mauvais violon que le frère ainé raclait, et la mère mettait le feu sous une marmite de fonte, probablement, le seul ustensile du ménage, ou cuisait une olla podrida que Gil Blas n’eût certes pas présentée au licencié Sedillo.

Au delà de Lunéville, on commence à apercevoir les Vosges. Cette vue réveille tous mes souvenirs d’anciens voyages en Suisse, et je subis déjà cette sorte d’attraction que les montagnes exercent. Je me prépare à les bien voir : les voici. Hélas ! nous entrons sous terre et les passons dans une suite de tunnels sombres et bruyants. De temps en temps on revient au jour, et une fraiche vallée vous sourit ; la forêt, les rochers surplombants se montrent ; quelques ruines même, celles des châteaux de Lutzelbourg, de Haut-Bar et de Géroldseck, se laissent entrevoir, mais comme une décoration d’opéra qui, au coup de sifflet du machiniste, change à vue ; la locomotive lance dans l’air son sifflement aigu, tout disparaît et nous retombons brutalement dans la nuit.

Ruines de Lutzelbourg. — Dessin de Lancelot.

Nous sortons de l’autre côté de la montagne, dans la vallée de la Zorn, à Saverne, qu’on appelait la clef de l’Alsace, parce que la voie romaine de Metz à Strasbourg y passait. J’y aperçois un gros château rouge, qui aurait assez bon aspect s’il était bâti cent pieds plus haut. L’empereur y offre l’hospitalité aux veuves des hauts fonctionnaires : pas une ne veut y venir.

Vallée de la Zorn. — Dessin de Lancelot.

Voyez la contradiction, toutes y venaient, il y a cent ans, mariées ou non. C’est qu’il s’y trouvait alors le plus aimable et le plus prodigue des évêques, le cardinal de Rohan. Le marquis de Valfons dont on vient de publier les souvenirs, a vu Saverne dans toute sa gloire. « La maison, dit-il, comptait sept cents lits, cent quatre-vingts chevaux, des calèches à volonté. Il y avait toujours de vingt à trente femmes des plus aimables de la province, sans parler de celles de la cour et de Paris. La plus grande liberté y régnait ; un maître d’hôtel parcourait le matin les appartements, prenant note de ceux qui voulaient être servis chez eux. Le soir tout le monde soupait ensemble, ce qui avait toujours l’air d’une fête. Le cardinal trouvait des expédients à tout. Le château était si plein, un jour que j’arrivais de Strasbourg avec quelques femmes, qu’une dame venue avec un jeune militaire crut qu’il ne fallait point prolonger son séjour. Elle vint prendre congé du cardinal qui demanda pourquoi un si prompt départ. « Monseigneur, l’univers est ici ; je reviendrai quand la foule sera un peu diminuée. — Non, madame, il faut demeurer. » Le valet de chambre-tapissier, chargé de la distribution des appartements, faisait la grimace et répétait tout bas à son maître : « Monseigneur, il n’y a pas de quoi la loger. — Taisez-vous, vous êtes un sot ; est-ce que l’appartement des bains est plein ? — Non, monseigneur. — N’y a-t-il pas deux lits ? — Oui, monseigneur, mais ils sont dans la même chambre, et cet officier… — Eh bien, il ne sont-ils pas venus ensemble ? Les gens bornés comme vous voient toujours en mal. » Avec un pareil maître de maison tout est bonheur ; aussi le temple ne désemplissait pas et il n’était femme ou fille de bonne maison qui ne rêvât Saverne. Je remarquai que tout y était de bon conseil, jusqu’au-dessus des portes, où il y avait pour légende le mot latin suadere, persuader. »

Paysage à Saverne. — Dessin de Lancelot.

À Saverne, nous sommes en Alsace ; le pays est vraiment beau : point de montagnes, mais des collines élevées, où çà et là perce le roc, avec des teintes rosées d’un aspect charmant ; puis des forêts, des prés, des champs, de la fertilité, du travail et sans doute du bien-être. Le sol me paraît très-divisé ; il doit y avoir là beaucoup de cette petite propriété qui sait faire sortir tant de choses de quelques perches de terrain. Les villages, en effet, se multiplient ; on est en pleine moisson. Des femmes au costume éclatant conduisent des bœufs d’allures très-dégagées. Le maïs, le tabac, le houblon, poussent partout : diversité de culture qui annonce une population active et intelligente. Enfin, la flèche de Strasbourg pointe à l’horizon, et quelques minutes après nous entrons dans cette grande forteresse de la France au bruit, non pas du canon, mais du tonnerre : un orage diluvien après un soleil torride.

V. Duruy.

(La suite à la prochaine livraison.)

Avant Strasbourg. — Dessin de Lancelot.
  1. Domremy et Vaucouleurs sont près de la Meuse, à quelques lieues dans le sud-est de Bar-le-Duc. Domremy, où est née Jeanne d’Arc, était un village de Champagne, mais dépendant de Vaucouleurs et de la seigneurie de Neufchâteau que le duc de Lorraine tenait en fief.
  2. Fabert, Lasalle, Custine, Richepanse, Grenier, Molitor, Leclerc sont de Metz ; Ney de Sarrelouis ; Oudinot, Excelmans, Lobeau et Gérard de la Meuse ; Drouot de Nancy, etc.
  3. Cet étang, aujourd’hui desséché, est une prairie que le chemin de fer traverse, et où s’élève la gare de Nancy.