De l’Homme/Section 10/Chapitre 8

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SECTION X
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 121-125).
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CHAPITRE VIII.

Intérêt du prêtre, premier obstacle à la perfection de l’éducation morale de l’homme.

Nous avons vu que l’intérêt du clergé, comme celui de tous les corps, change selon les lieux, les temps et les circonstances. Toute morale dont les principes sont fixes ne sera donc jamais adoptée du sacerdoce. Il en veut une dont les préceptes, obscurs, contradictoires, et par conséquent variables, se prêtent à toutes les positions diverses dans lesquelles il peut se trouver.

Il faut au prêtre une morale arbitraire, qui lui permette de légitimer aujourd’hui l’action qu’il déclarera demain abominable.

On ne trouve de bonnes instructions que dans l’histoire de l’homme, dans celle des nations, de leurs lois, et des motifs qui les ont fait établir. Ce n’est pas dans de pareilles sources que le clergé permet de puiser les principes de la justice. Il sent qu’éclairés par cette étude les peuples mesureroient l’estime ou le mépris dû aux diverses actions sur l’échelle de l’utilité générale. Et quel respect alors auroient-ils pour les bonzes, les bramines, et leur prétendue sainteté ? Que feroient leurs macérations, leur haire, leur aveugle obéissance, et toutes ces vertus monacales qui ne contribuent en rien au bonheur national ? Il n’en est pas de même des vertus d’un citoyen, c’est-à-dire de la générosité, de la vérité, de la justice, de la fidélité à l’amitié, à sa parole, aux engagements pris avec la société dans laquelle on vit : de telles vertus sont vraiment utiles. Aussi nulle ressemblance entre un saint et un citoyen vertueux[1].

Le clergé, pour qu’on le croie utile, prétendoit-il que c’est à ses prieres que les hommes doivent leur probité[2] ?

L’expérience prouve que la probité de l’homme est l’œuvre de son éducation, que le peuple est ce que le fait la sagesse de ses lois, que l’Italie moderne a plus de foi et moins de vertus que l’ancienne, et qu’enfin c’est toujours au vice de l’administration qu’on doit rapporter les vices des particuliers.

C’est à l’aide d’un catéchisme moral, c’est en y rappelant à la mémoire des hommes et les motifs de leur réunion en société, et leurs conventions simples et primitives, qu’on pourroit leur donner des idées nettes de l’équité. Mais plus ce catéchisme seroit clair, plus la publication en seroit défendue. Ce catéchisme supposeroit pour instituteurs de la jeunesse des hommes instruits dans la connoissance du droit naturel, du droit des gens, et des principales lois de chaque empire. De tels hommes transporteroient bientôt à la puissance temporelle la vénération conçue pour la spirituelle. Les prêtres le souffriront-ils ?




  1. On peut être religieux sous un gouvernement arbitraire, mais non vertueux, parceque le gouvernement, en détachant l’intérêt des particuliers de l’intérêt public, éteint dans l’homme l’amour de la patrie. Rien, par conséquent, de commun entre la religion et la vertu.
  2. Que l’on quadruple les prêtres dans une province et les maréchaussées dans l’autre, quelle sera la moins infestée de voleurs ? Dix millions de dépense par an en cavaliers contiendront plus de frippons et de scélérats que cent cinquante millions par an en prêtres. Quelle épargne à faire pour une nation ! Quelle compagnie multipliée de brigands aussi à charge à l’état que tout un clergé ?