De l’Homme/Section 8/Chapitre 23

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SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 89-91).


CHAPITRE XXIII.

De la puissance de la paresse.

Les peuples ont-ils à choisir entre la profession de voleur ou de cultivateur ? c’est la premiere qu’ils embrassent. Les hommes, en général, sont paresseux ; ils préféreront presque toujours les fatigues, la mort et les dangers, au travail de la culture. Mes exemples sont la grande nation des Malais, partie des Tartares et des Arabes, tous les habitants du Taurus, du Caucase, et des hautes montagnes de l’Asie.

Mais, dira-t-on, quel que soit l’amour des hommes pour l’oisiveté, s’il est des peuples voleurs et redoutés comme plus aguerris et plus courageux, n’est-il pas aussi des nations cultivatrices ? Oui ; parceque l’existence des peuples voleurs suppose celle des peuples riches et volables. Les premiers sont peu nombreux, parcequ’il faut beaucoup de moutons pour nourrir peu de loups, parceque des peuples voleurs habitent des montagnes stériles et inaccessibles, et ne peuvent que dans de semblables retraites résister à la puissance d’une nation nombreuse et cultivatrice. Or, s’il est vrai qu’en général les hommes soient pirates et voleurs toutes les fois que la position physique de leur pays leur permet de l’être impunément, l’amour du vol leur est donc naturel. Sur quoi cet amour est-il fondé ? Sur la paresse, c’est-à-dire sur l’envie d’obtenir avec le moins de peine possible l’objet de leurs desirs.

L’oisiveté est dans les hommes la cause sourde des plus grands effets. C’est faute de motifs assez puissants pour s’arracher à la paresse que la plupart des satrapes, aussi voleurs et plus oisifs que les Malais, sont encore plus ennuyés et plus malheureux.