De l’Homme/Section 9/Chapitre 25

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SECTION IX
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 19-23).


CHAPITRE XXV.

Toute religion intolérante est essentiellement régicide.

Presque toute religion est intolérante ; et dans toute religion l’intolérance fournit un prétexte au meurtre et à la persécution. Le trône même n’offre point d’abri contre la cruauté du sacerdoce. L’intolérance admise, le prêtre peut également poursuivre l’ennemi de Dieu sur le trône et dans la chaumiere.

L’intolérance est mere du régicide. C’est sur son intolérance que l’église fonda l’édifice de sa grandeur. Tous ses membres concoururent à cette construction : tous crurent qu’ils seroient d’autant plus respectables et d’autant plus heureux (20), que le corps auquel ils appartiendroient seroit plus puissant. Les prêtres, en tous les siecles, ne s’occuperent donc que de l’accroissement du pouvoir ecclésiastiques (21). Par-tout le clergé fut ambitieux, et dut l’être.

Mais l’ambition d’un corps fait-elle nécessairement le mal public ? Oui, si ce corps ne peut la satisfaire que par des actions contraires au bien général. Il importoit peu qu’en Grece les Lycurgue, les Léonidas, les Timoléon, qu’à Rome les Brutus, les Émile, les Régulus, fussent ambitieux. Cette passion ne pouvoit se manifester en eux que par des services rendus à la patrie. Il n’en est pas de même du clergé ; il veut une autorité suprême. Il ne peut s’en revêtir qu’en en dépouillant les légitimes possesseurs : il doit donc faire une guerre perpétuelle et sourde à la puissance temporelle, avilir à cet effet l’autorité des princes et des magistrats, déchaîner l’intolérance, par elle ébranler les trônes, par elle abrutir les citoyens, les rendre à-la-fois pauvres, paresseux et stupides. Tous les degrés par lesquels le clergé monte au pouvoir suprême sont donc autant de malheurs publics.

En vain nieroit-on l’ambition du clergé. L’étude de l’homme la démontre à qui s’en occupe ; et l’étude de l’histoire à ceux qui lisent celle de l’église. Du moment qu’elle se dut donné un chef temporel, ce chef se proposa l’humiliation des rois ; il voulut à son gré disposer de leur vie et de leur couronne. Pour exécuter ce projet, il fallut que les princes eux-mêmes concourussent à leur avilissement, que le prêtre s’insinuât dans leur confiance, se fît leur conseil, s’associât à leur autorité : il y réussit. Ce n’étoit point tout encore ; il falloit insensiblement accréditer l’opinion de la prééminence de l’autorité spirituelle sur la temporelle. À cet effet les papes accumulerent les honneurs ecclésiastiques sur quiconque, à l’exemple des Bellarmin, soumettoit les souverains aux pontifes, et sur ce point déclaroit le doute une hérésie.

Cette opinion une fois étendue et adoptée, l’église put lancer des anathêmes, prêcher des croisades, contre les monarques rebelles à ses ordres, souffler par-tout la discorde ; elle put, au nom d’un Dieu de paix, massacrer une partie de l’univers[1]. Ce qu’elle put faire elle le fit. Bientôt son pouvoir égala celui des anciens prêtres celtes, qui, sous le nom de druides, commandoient aux Bretons, aux Gaulois, aux Scandinaves, en excommunioient les princes, et les immoloient à leur caprice et à leur intérêt. Mais, pour disposer de la vie des rois, il faut s’être soumis l’esprit des peuples. Par quel art l’église y parvint-elle ?

(20) Parmi les ecclésiastiques il est sans doute des hommes honnêtes, heureux, et sans ambition ; mais ceux-là ne sont point appelée au gouvernement de ce corps puissant. Le clergé, toujours régi par des intrigants, sera toujours ambitieux.

(21) L’église, toujours occupée de sa grandeur, réduisit toutes les vertus chrétiennes à l’abstinence, à l’humilité, à l’aveugle soumission. Elle ne prêcha jamais l’amour de la patrie ni de l’humanité.


  1. La bulle In cœna Dominici annonce à cet égard toutes les prétentions de l’église, et l’acceptation de cette bulle toute la sottise de certains peuples.