De l’Homme/Section 9/Chapitre 26

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SECTION IX
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 24-26).


CHAPITRE XXVI.

Des moyens employés par l’église pour s’asservir les nations.

Pour être indépendant du prince, il falloit que le clergé tînt son pouvoir de Dieu ; il le dit, et on le crut.

Pour être obéi de préférence aux rois, il falloit qu’on le regardât comme inspiré par la Divinité ; il le dit, et on le crut.

Pour se soumettre la raison humaine, il falloit que Dieu parlât par sa bouche ; il le dit, et on le crut.

Donc, ajoutoit-il, en me déclarant infaillible, je le suis. Donc, en me déclarant vengeur de la Divinité, je le deviens. Or, dans cet auguste emploi, mon ennemi est celui du Très-Haut, celui qu’une église infaillible déclare hérétique. Que cet hérétique soit prince ou non, quel que soit le titre du coupable, l’église a le droit de l’emprisonner, de le torturer, de le brûler[1]. Qu’est-ce qu’un roi devant l’Éternel ? Tous les hommes à ses yeux sont égaux, et sont tels aux yeux de l’église.

Aussi, par-tout où l’église éleva le tribunal de l’inquisition, son trône fut au-dessus de celui des souverains.

Dans les pays où l’église ne put s’armer de la puissance inquisitive, comment sa ruse triompha-t-elle de celle du prince ? En lui persuadant, comme à Vienne ou en France, qu’il regne par la religion ; que ses ministres, si souvent destructeurs des rois, en sont les appuis ; et qu’enfin l’autel est le soutien du trône.

On sait qu’à la Chine, aux Indes, et dans tout l’orient, les trônes s’affermissent sur leur propre masse : on sait qu’en occident ce furent les prêtres qui les renverserent ; que la religion, plus souvent que l’ambition des grands, créa des régicides ; que, dans l’état actuel de l’Europe, ce n’est que du fanatique que les monarques ont à se défendre. Ces monarques douteroient-ils encore de l’audace d’un corps qui les a si souvent déclarés ses justiciables ?

Cette orgueilleuse prétention eût à la longue, sans doute, éclairé les princes, si l’église, selon les temps et les circonstances, n’eût, sur ce point, successivement paru changer d’opinion.



  1. Les prêtres en général sont cruels. Jadis sacrificateurs, ou bouchers, ils retiennent encore l’esprit de leur premier état.