Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre III

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 13-15).

CHAPITRE III.

CONSÉQUENCES DE CES PRINCIPES.


La première conséquence de ces principes est que les lois seules peuvent fixer les peines de chaque délit, et que le droit de faire des lois pénales ne peut résider que dans la personne du législateur, qui représente toute la société unie par un contrat social.

Or, le magistrat, qui fait lui-même partie de la société, ne peut avec justice infliger à un autre membre de cette société, une peine qui ne soit pas statuée par la loi ; et du moment où le juge est plus sévère que la loi, il est injuste, puisqu’il ajoute un châtiment nouveau à celui qui est déjà déterminé. Il s’ensuit qu’aucun magistrat ne peut, même sous le prétexte du bien public, accroître la peine prononcée contre le crime d’un citoyen.

La deuxième conséquence est que le souverain, qui représente la société même, ne peut que faire les lois générales, auxquelles tous doivent être soumis, mais qu’il ne lui appartient pas de juger si quelqu’un a violé ces lois.

En effet, dans le cas d’un délit, il y a deux parties : le souverain, qui affirme que le contrat social est violé, et l’accusé, qui nie cette violation[1]. Il faut donc qu’il y ait entre eux un tiers qui décide la contestation. Ce tiers est le magistrat, dont les sentences doivent être sans appel, et qui doit simplement prononcer s’il y a un délit ou s’il n’y en a point.

En troisième lieu, quand même l’atrocité des peines ne serait pas réprouvée par la philosophie, mère des vertus bienfaisantes, et par cette raison éclairée, qui aime mieux gouverner des hommes heureux et libres, que dominer lâchement sur un troupeau de timides esclaves ; quand les châtimens cruels ne seraient pas directement opposés au bien public et au but que l’on se propose, celui d’empêcher les crimes, il suffira de prouver que cette cruauté est inutile, pour que l’on doive la considérer comme odieuse, révoltante, contraire à toute justice et à la nature même du contrat social.


  1. Dans les états monarchiques, le prince est la partie qui poursuit les accusés, et les fait punir ou absoudre ; s’il jugeait lui-même, il serait le juge et la partie. Dans ces mêmes états, le prince a souvent les confiscations ; s’il jugeait les crimes, il serait encore le juge et la partie. (Montesquieu, de l’Esprit des lois, liv. VI, chap. 5.)

    — « Le souverain assure en général, que, par tel fait ou dans tel cas, le contrat social est violé, mais il n’accuse point de ce fait l’homme qu’il s’agit de juger ; et lors même que la partie publique porte plainte, elle ne fait que demander qu’on informe. L’accusateur est celui qui affirme qu’un tel a commis telle action. L’auteur a reconnu lui-même que la règle du juste et de l’injuste est pour le juge une simple question de fait. Il a dit aussi que les décrets sont toujours opposés à la liberté politique, lorsqu’ils ne sont pas une application particulière d’une maxime générale. Il y a donc trois choses à distinguer ici : la maxime que le souverain établit, le fait particulier que l’accusateur affirme, et l’application que fait le juge de cette maxime à ce fait, après l’avoir bien constaté. Le souverain n’est donc pas la partie de l’accusé ; et ce n’est pas pour cette raison, qu’il n’en doit pas être le juge. » (Note de Diderot.)