Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre VII

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 35-39).

CHAPITRE VII.

DES INDICES DU DÉLIT, ET DE LA FORME DES JUGEMENS.


Voici un théorème général, qui peut être fort utile pour calculer la certitude d’un fait, et principalement la valeur des indices d’un délit :

Lorsque les preuves d’un fait se tiennent toutes entre elles, c’est-à-dire, lorsque les indices du délit ne se soutiennent que l’un par l’autre, lorsque la force de plusieurs preuves dépend de la vérité d’une seule, le nombre de ces preuves n’ajoute ni n’ôte rien à la probabilité du fait ; elles méritent peu de considération, puisque si vous détruisez la seule preuve qui paraît certaine, vous renversez toutes les autres.

Mais quand les preuves sont indépendantes l’une de l’autre, c’est-à-dire, quand chaque indice se prouve à part, plus ces indices sont nombreux, plus le délit est probable, parce que la fausseté d’une preuve n’influe en rien sur la certitude des autres.

Que l’on ne s’étonne point de me voir employer le mot de probabilité, en parlant de crimes qui, pour mériter un châtiment, doivent être certains ; car, à la rigueur, toute certitude morale n’est qu’une probabilité, qui mérite cependant d’être considérée comme une certitude, lorsque tout homme d’un sens droit est forcé d’y donner son assentiment, par une sorte d’habitude naturelle qui est la suite de la nécessité d’agir, et qui est antérieure à toute spéculation.

La certitude que l’on exige pour convaincre un coupable, est donc la même qui détermine tous les hommes dans leurs affaires les plus importantes.

On peut distinguer les preuves d’un délit en preuves parfaites et preuves imparfaites. Les preuves parfaites sont celles qui démontrent positivement qu’il est impossible que l’accusé soit innocent. Les preuves sont imparfaites, lorsqu’elles n’excluent pas la possibilité de l’innocence de l’accusé.

Une seule preuve parfaite suffit pour autoriser la condamnation ; mais si l’on veut condamner sur des preuves imparfaites, comme chacune de ces preuves n’établit pas l’impossibilité de l’innocence de l’accusé, il faut qu’elles soient en assez grand nombre pour valoir une preuve parfaite, c’est-à-dire pour prouver toutes ensemble qu’il est impossible que l’accusé ne soit pas coupable.

J’ajouterai encore que les preuves imparfaites, auxquelles l’accusé ne répond rien de satisfaisant, quoiqu’il doive, s’il est innocent, avoir des moyens de se justifier, deviennent par là même des preuves parfaites.

Mais il est plus facile de sentir cette certitude morale d’un délit, que de la définir exactement. C’est ce qui me fait regarder comme très-sage cette loi qui, chez quelques nations, donne au juge principal des assesseurs que le magistrat n’a point choisis, mais que le sort a désignés librement ; parce qu’alors l’ignorance, qui juge par sentiment, est moins sujette à l’erreur que l’homme instruit qui décide d’après l’incertaine opinion.

Quand les lois sont claires et précises, le juge n’a d’autre devoir que celui de constater le fait. S’il faut de l’adresse et de l’habileté dans la recherche des preuves d’un délit ; si l’on demande de la clarté et de la précision dans la manière d’en présenter le résultat, pour juger d’après ce résultat même, il ne faut que le simple bon sens ; et ce guide est moins trompeur que tout le savoir d’un juge, accoutumé à ne chercher partout que des coupables, et à tout ramener au système qu’il s’est fait d’après ses études.

Heureuses les nations chez qui la connaissance des lois ne serait pas une science !

C’est une loi bien sage et dont les effets sont toujours heureux, que celle qui prescrit que chacun soit jugé par ses pairs ; car lorsqu’il s’agit de la fortune et de la liberté d’un citoyen, tous les sentimens qu’inspire l’inégalité doivent se taire. Or, le mépris avec lequel l’homme puissant regarde celui que l’infortune accable, et l’indignation qu’excite dans l’homme de condition médiocre la vue du coupable qui est au-dessus de lui par son rang : ces sentimens dangereux n’ont pas lieu dans les jugemens dont je parle.

Quand le coupable et l’offensé sont de conditions inégales, les juges doivent être pris, moitié parmi les pairs de l’accusé, et moitié parmi ceux de l’offensé, afin de balancer ainsi les intérêts personnels qui modifient malgré nous les apparences des objets, et de ne laisser parler que la vérité et les lois.

Il est encore très-juste que le coupable puisse récuser un certain nombre de ceux de ses juges qui lui sont suspects ; et si l’accusé jouit constamment de ce droit, il l’exercera avec réserve ; car autrement, il semblerait se condamner lui-même.

Que les jugemens soient publics ; que les preuves du crime soient publiques aussi, et l’opinion, qui est peut-être le seul lien des sociétés, mettra un frein à la violence et aux passions. Le peuple dira : « Nous ne sommes point esclaves, nous sommes protégés par les lois. » Ce sentiment de sécurité, qui inspire le courage, équivaut à un tribut pour le souverain qui entend ses véritables intérêts.

Je n’entrerai pas dans d’autres détails sur les précautions qu’exige l’établissement de ces sortes d’institutions. Pour ceux à qui il est nécessaire de tout dire, je dirais tout inutilement.