Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXVII

La bibliothèque libre.
Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 185-190).

CHAPITRE XXVII.

DES ATTENTATS CONTRE LA SÛRETÉ DES PARTICULIERS, ET PRINCIPALEMENT DES VIOLENCES.


Après les crimes qui attaquent la société, ou le souverain qui la représente, viennent les attentats contre la sûreté des particuliers.

Comme cette sûreté est le but de toutes les sociétés humaines, on ne peut se dispenser de punir des peines les plus graves celui qui y porterait atteinte.

Parmi ces crimes, les uns sont des attentats contre la vie, d’autres contre l’honneur, et d’autres contre les biens. Nous parierons d’abord des premiers, qui doivent être punis de peines corporelles.

Les attentats contre la vie et la liberté des citoyens sont du nombre des grands forfaits. On comprend dans cette classe, non-seulement les assassinats et les brigandages commis par des hommes du peuple, mais également les violences de la même nature, exercées par les grands et les magistrats : crimes d’autant plus graves, que les actions des hommes élevés agissent sur la multitude avec beaucoup plus d’influence, et que les excès détruisent dans l’esprit des citoyens, les idées de justice et de devoir, pour y substituer celles du droit du plus fort : droit également dangereux pour celui qui en abuse, et pour celui qui en souffre.

Si les grands et les riches peuvent échapper à prix d’argent aux peines que méritent leurs attentats contre la sûreté du faible et du pauvre, les richesses, qui, sous la protection des lois, sont la récompense de l’industrie, deviendront l’aliment de la tyrannie et des iniquités.

Il n’y a plus de liberté, toutes les fois que les lois permettent qu’en certaines circonstances un citoyen cesse d’être un homme pour devenir une chose que l’on puisse mettre à prix. On voit alors l’adresse des hommes puissans occupée toute entière à agrandir leur force et leurs priviléges, en profitant de toutes les combinaisons que la loi leur rend favorables. C’est là le secret magique qui a transformé la masse des citoyens en bêtes de somme ; c’est ainsi que les grands ont enchaîné la multitude des malheureux dont ils ont fait leurs esclaves. C’est par là que certains gouvernemens, qui ont toutes les apparences de la liberté, gémissent sous une tyrannie occulte. C’est par les priviléges des grands que les usages tyranniques se fortifient insensiblement, après s’être introduits dans la constitution par des voies que le législateur a négligé de fermer.

Les hommes savent opposer des digues assez fortes à la tyrannie déclarée ; mais souvent ils ne voient pas l’insecte imperceptible qui mine leur ouvrage, et qui ouvre à la fin, au torrent dévastateur, une route d’autant plus sûre qu’elle est plus cachée.

Quelles seront donc les peines assignées aux crimes des nobles, dont les priviléges occupent une si grande place dans la législation de la plupart des peuples ? Je n’examinerai pas si cette distinction héréditaire de roturiers et de nobles est utile au gouvernement, ou nécessaire aux monarchies ; s’il est vrai que la noblesse soit un pouvoir intermédiaire propre à contenir dans de justes bornes le peuple et le souverain ; ou si cet ordre isolé de la société n’a pas l’inconvénient de rassembler, dans un cercle étroit, tous les avantages de l’industrie, toutes les espérances, et tout le bonheur ; semblable à ces petites îles charmantes et fertiles que l’on rencontre au milieu des déserts affreux de l’Arabie.

Quand il serait vrai que l’inégalité est inévitable et même utile dans la société, il est certain qu’elle ne devrait exister qu’entre les individus, en raison des dignités et du mérite, mais non entre les ordres de l’état ; que les distinctions ne doivent pas s’arrêter en un seul endroit, mais circuler dans toutes les parties du corps politique ; que les inégalités sociales doivent naître et se détruire à chaque instant, mais non se perpétuer dans les familles.

Quoi qu’il en soit de toutes ces questions, je me bornerai à dire que les peines des personnes du plus haut rang, doivent être les mêmes que celles du dernier des citoyens. L’égalité civile est antérieure à toutes les distinctions d’honneurs et de richesses. Si tous les citoyens ne dépendent pas également des mêmes lois, les distinctions ne sont plus légitimes.

On doit supposer que les hommes, en renonçant à la liberté despotique qu’ils avaient reçue de la nature, pour se réunir en société, ont dit entre eux : « Celui qui sera le plus industrieux obtiendra les plus grands honneurs, et la gloire de son nom passera à ses descendans ; mais que malgré ces honneurs et ces richesses, il ne craigne pas moins que le dernier des citoyens, de violer les lois qui l’ont élevé au-dessus des autres. »

Il est vrai qu’il n’y a point de diète générale du genre humain où l’on ait fait un semblable décret ; mais il est fondé sur la nature immuable des sentimens de l’homme.

L’égalité devant les lois ne détruit pas les avantages que les princes croient retirer de la noblesse ; seulement elle empêche les inconvéniens des distinctions, et rend les lois respectables, en ôtant toute espérance d’impunité.

On dira peut-être que la même peine, décernée contre le noble et le roturier, devient tout-à-fait différente et plus grave pour le premier, à cause de l’éducation qu’il a reçue, et de l’infamie qui se répand sur une famille illustre. Mais je répondrai que le châtiment se mesure sur le dommage causé à la société, et non sur la sensibilité du coupable. Or, l’exemple du crime est d’autant plus funeste, qu’il est donné par un citoyen d’un rang plus élevé.

J’ajouterai que l’égalité de la peine ne peut jamais être qu’extérieure, parce qu’elle est réellement proportionnée au degré de sensibilité, qui est différent dans chaque individu.

Quant à l’infamie qui couvre une famille innocente, le souverain peut aisément l’effacer par des marques publiques de bienveillance. On sait que ces démonstrations de faveur tiennent lieu de raison au peuple crédule et admirateur.