Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXXVII

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Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 240-242).

CHAPITRE XXXVII.

D’UNE ESPÈCE PARTICULIÈRE DE DÉLIT.


Ceux qui liront cet ouvrage s’apercevront sans doute que je n’ai point parlé d’une espèce de délit dont la punition a inondé l’Europe de sang humain.

Je n’ai pas retracé ces spectacles d’épouvante, où le fanatisme élevait sans cesse des bûchers, où des hommes vivans servaient d’aliment aux flammes, où la multitude féroce prenait plaisir à entendre les gémissemens étouffés des malheureux, où des citoyens couraient, comme à un spectacle agréable, contempler la mort de leurs frères, au milieu des tourbillons d’une noire fumée, où les places publiques étaient couvertes de débris palpitans et de cendres humaines.

Les hommes éclairés verront que le pays où j’habite, le siècle où je vis, et la matière que je traite, ne m’ont pas permis d’examiner la nature de ce délit. Ce serait d’ailleurs une entreprise trop longue, et qui m’écarterait trop de mon sujet, que de vouloir prouver, contre l’exemple de plusieurs nations, la nécessité d’une entière conformité d’opinion dans un état politique ; que de chercher à démontrer comment des croyances religieuses, entre lesquelles on ne peut trouver que des différences subtiles, obscures et fort au-dessus de la capacité humaine, peuvent cependant troubler la tranquillité publique, à moins qu’une seule ne soit autorisée, et toutes les autres proscrites.

Il faudrait faire voir encore comment quelques-unes de ces croyances, devenant plus claires par la fermentation des esprits, peuvent faire naître, du choc des opinions, la vérité, qui surnage alors après avoir anéanti l’erreur, tandis que d’autres sectes, mal affermies sur leurs bases, ont besoin, pour se soutenir, d’être appuyées par la force.

Il serait trop long aussi de montrer que, pour réunir tous les citoyens d’un état à une parfaite conformité d’opinions religieuses, il faut tyranniser les esprits, et les contraindre de plier sous le joug de la force, quoique cette violence soit opposée à la raison et à l’autorité que nous respectons le plus[1], qui nous recommande la douceur et l’amour de nos frères ; quoiqu’il soit évident que la force ne fait jamais que des hypocrites, et par conséquent des âmes viles.

On doit croire que toutes ces choses sont démontrées et conformes aux intérêts de l’humanité, s’il y a quelque part une autorité légitime et reconnue, qui les mette en pratique.

Pour moi, je ne parle ici que des crimes qui appartiennent à l’homme naturel, et qui violent le contrat social ; mais je dois me taire sur les péchés dont la punition même temporelle doit se déterminer d’après d’autres règles que celles de la philosophie.


  1. L’Évangile.