Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Chan tong

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Scheuerleer (Tome Premierp. 211-215).


HUITIÈME PROVINCE
DE L’EMPIRE DE LA CHINE.

CHAN TONG


C’est une des plus fertiles provinces de l’empire : elle est bornée au couchant par la province de Pe tche li et par une partie de celle de Ho nan ; et au sud par celle de Kiang nan ; le golfe de Kiang nan la baigne au levant ; et le golfe de Pe tche li, au nord. On la divise en six contrées, dont six villes sont du premier ordre. Cent quatorze autres villes, tant du second, que du troisième ordre, en dépendent.

On ne compte pas dans ce nombre de villes, plus de quinze forts qui sont bâtis dans tous les détours que fait la mer, à l’entrée des ports, et à l’embouchure des rivières. On ne parle pas non plus de plusieurs îles répandues dans le golfe qui sont également peuplées, et dont quelques-unes ont des havres fort commodes pour les sommes chinoises, qui de là passent aisément à la Corée et au Leao tong.

Le grand canal impérial traverse une partie de la province, et c’est par ce canal que passent toutes les barques, qui des parties du midi, vont à Peking. Elles portent tant de sortes de marchandises, et en si grande quantité, que les seuls droits qui se paient pour ces marchandises, montent à plus de dix millions.

Quand on considère la longueur de ce canal, l’épaisseur, et la hauteur des digues qui le bordent des deux côtés, et qui sont toutes de pierres de taille très solides et ornées d’espace en espace, on ne peut s’empêcher d’admirer l’industrie des Chinois.

Outre le grand canal qui traverse la province, la quantité de lacs, de ruisseaux, et de rivières qui l’arrosent, contribuent beaucoup à la rendre une des plus abondantes provinces de l’empire. Cette abondance extraordinaire ne peut être interrompue que par une trop grande sécheresse, car il y pleut rarement ; ou par le dégât qu’y font quelquefois les sauterelles.

La terre y produit du riz, du millet, du froment, de l’orge, des fèves, toutes sortes de grains, et de fruits. Les poules, les œufs, les chapons gras, les faisans, les perdrix, les cailles, les lièvres, y sont à très grand marché. On pêche une quantité prodigieuse de poissons dans ses lacs, dans ses rivières, et dans la mer. Ils se vendent presque pour rien, et il n’est pas surprenant d’en avoir plusieurs livres pour un sol.

Les arbres fruitiers y croissent de toute espèce : il y a surtout d’excellentes poires, des châtaignes, de belles pêches et très saines ; diverses sortes de noix, et grande quantité de prunes. On fait sécher les prunes, et les poires, pour les transporter dans les autres provinces. Mais il y croît surtout une espèce de fruit, que les Portugais ont nommé figues, et qui s’appelle en chinois setse, qu’on ne trouve qu’à la Chine ; quoiqu’il y en ait dans d’autres provinces, celle de Chan tong en est le plus abondamment fournie.

Ce fruit que je fais connaître ailleurs, n’est mûr que vers le commencement de l’automne. D’ordinaire on le fait sécher de même que les figues en Europe, et on le vend dans tout l’empire : alors il devient farineux, et se couvre peu à peu d’une croûte sucrée. Il y en a d’excellents au goût ; on s’imagine manger nos meilleures figues sèches. Telle est la petite espèce qui se cueille dans la province de Chan si. On y en trouve une autre espèce de vertes, qui ne s’amollissent pas dans leur maturité, et qui se coupent avec un couteau de même que les pommes d’Europe. Les arbres qui produisent ces fruits n’ont presque pas besoin de culture : on juge néanmoins que si l’on aidait la nature, en se donnant le soin de les enter, le fruit serait véritablement délicieux.

Des vers assez semblables aux chenilles, produisent dans les campagnes une soie blanche, dont les fils s’attachent aux arbrisseaux et aux buissons : on en fait des étoffes de soie, plus grossières que celles qui se travaillent de soie produite par les vers élevés dans les maisons, mais qui sont plus serrées et plus fortes.


Première ville et capitale de la province.
TSIN NAN FOU


Quoique cette capitale ne soit pas sur le canal, elle ne laisse pas d’y faire son principal commerce. A un peu plus d’une lieue de l’endroit où elle est située, est un assez gros village nommé Lou keou qui est sur le bord d’une rivière appelée Tsing ho. On embarque sur cette rivière les marchandises qu’on veut faire passer sur le canal. Les plus communes et qui sont particulières au pays sont :

1° Les étoffes nommées kien tcheou : elles sont faites d’une soie qui tire sur la couleur grisâtre ; ce ne sont point des vers à soie domestiques qui la produisent, mais des vers sauvages assez semblables aux chenilles ; ces vers la travaillent sur les arbrisseaux et sur les buissons. Du reste ils égalent presque les vers domestiques par l’abondance des fils qu’ils fournissent : ces fils sont estimables, en ce qu’ils ne coûtent presque rien, et qu’ils sont assez forts pour faire un tissu qui dure longtemps, et qui se vend partout assez bien. Il faut avouer néanmoins que la couleur en est quelquefois désagréable, inégale, et souvent mêlée, de sorte qu’on dirait que le tissu est partagé en bandes grises, jaunâtres, et blanches. Il faut les choisir, et en donner le prix, pour en avoir de très propres.

2° Une autre sorte de marchandises qui y est d’un grand débit, consiste en des ouvrages de leou li, ou verre chinois, qu’on fait au gros bourg de Yen tching dans le district de cette capitale. Cette espèce de verre est plus fragile que celui d’Europe :, il se rompt lorsqu’il est exposé aux injures de l’air.

Tsi nan est une fort grande ville et très peuplée. Les lacs qu’elle a dans l’enceinte de ses murs, et qui forment des canaux par toute la ville, et les beaux bâtiments dont elle est ornée, la rendent célèbre. Sa juridiction est très étendue, on y compte quatre villes du second ordre, et vingt-six du troisième.

Tout ce pays qui s’étend jusqu’à la mer, abonde en toutes sortes de grains, et nourrit quantité de bestiaux. On trouve des mines de fer dans quelques-unes de ses montagnes. Les lacs répandus dans son territoire sont très poissonneux, et on y voit beaucoup de ces fleurs nommées lien hoa, dont j’ai eu plus d’une fois occasion de parler.


YEN TCHEOU FOU. Seconde ville.


Le territoire dépendant de cette ville est comme renfermé entre deux célèbres rivières : l’une arrose la partie qui est au nord et se nomme Ta tchin ho ; l’autre est le Hoang ho dont la partie méridionale est pareillement arrosée ; sans compter plusieurs petites rivières et quelques lacs, fort poissonneux, qui rendent tout ce pays extrêmement fertile. On ne voit que des campagnes bien cultivées, ou des montagnes toutes couvertes de bois. L’air y est doux et tempéré, et rend le séjour des plus agréables.

Elle a un grand ressort composé de 27 villes qui en dépendent, dont quatre sont du second ordre et vingt-trois sont du troisième. Une de ces villes nommée Tçi ning tcheou n’est pas inférieure à Yen tcheou, ni par sa grandeur, ni par la multitude de ses habitants, ni par la richesse de son commerce. Sa situation au milieu du grand canal, la rend une des villes les plus marchandes de l’empire. Une autre ville nommée Kio feou hien est célèbre, pour avoir donné la naissance à Confucius, le grand docteur de la nation. Les Chinois y ont élevé en son honneur plusieurs monuments, qui sont autant de témoignages publics de leur reconnaissance envers ce grand homme.

On assure que dans les environs d’une autre petite ville qui se nomme Kin kiang hien, on ramassait autrefois beaucoup d’or, et c’est ce qui est marqué par le nom qu’on lui a donné, qui signifie terre d’or. Il y a d’ailleurs divers endroits, surtout du côté de Tong pin tcheou, si diversement mêlés de bois et de campagnes, qu’ils forment à la vue le spectacle le plus riant et le plus agréable.


TONG TCHANG FOU. Troisième ville.


Cette ville, qui est située sur les bords du grand canal, est également célèbre par ses richesses et par son commerce. Tout le pays qui en dépend, est uni ; les grains et les fruits de toutes les sortes que la terre produit en abondance, ne lui laissent manquer de rien de tout ce qui se trouve ailleurs, pour les besoins et les délices de la vie. Trois villes du second ordre, et quinze du troisième relèvent de sa juridiction.

Parmi ces villes, il y en a une très considérable, nommée Lin tçin tcheou : c’est là que le grand canal se réunit à la rivière de Oei ho : elle est l’abord de tous les vaisseaux, et en quelque sorte le magasin général de toutes les marchandises qu’on peut souhaiter.

Il y a peu de villes dans l’empire qui soient plus peuplées et plus marchandes. Elle n’est pas moins célèbre par ses édifices et surtout par une tour de huit étages, élevée hors de son enceinte : les dehors, qui sont de porcelaine, sont ornés de diverses figures ; au dedans elle est revêtue de marbres très polis, et de différentes couleurs ; on a pratiqué dans l’épaisseur du mur un escalier, par lequel on monte à tous les étages, et de là à de belles galeries de marbre, ornées de grilles de fer dorées, qui embellissent les saillies, dont la tour est environnée. Il y a au coin de ces galeries de petites cloches suspendues, lesquelles étant agitées par le vent, rendent un son assez agréable.

Non loin de cette tour, on voit quelques temples d’idoles d’une belle architecture, et dont l’ordonnance ne déplairait pas aux connaisseurs d’Europe.


TSIN TCHEOU FOU. Quatrième ville.


Le territoire, qui dépend de cette ville, est partie arrosé de rivières, et partie montagneux. Outre la fertilité des terres, le voisinage de la mer lui fournit abondamment toutes les commodités de la vie. On y pêche une si grande quantité de poissons, qu’on les a à très grand marché, et que des seules peaux on tire un profit considérable.

Dans ce même pays il s’engendre au ventre des vaches, une pierre jaune que les Chinois appellent pour cela nieou hoang : elle est grosse quelquefois comme un œuf d’oie, et n’est pas plus solide que le plus tendre crayon. Les médecins de la Chine en font plus de cas que du bézoard, et prétendent que la prenant pulvérisée dans de l’eau chaude, elle guérit aussitôt les fluxions et les caterres, de même que la pierre qui croît dans le fiel du taureau


est bonne contre la jaunisse. Cette ville compte dans son ressort une ville du second ordre, et treize du troisième.


TEN TCHEOU FOU. Cinquième ville.


C’est sur les bords de la mer qu’est située cette ville, qui présente un havre fort commode. Il y a une forte garnison et plusieurs vaisseaux armés qui gardent le golfe. Elle a dans son ressort huit villes qui en dépendent, une du second ordre, et sept du troisième.

Une partie de ces villes sont dans le continent, les autres sont de fort bons ports sur les côtes de la mer, où l’on pêche quantité de bonnes huîtres, dont les seigneurs font les délices de leur table. Quoique le pays soit montagneux, il est arrosé de rivières, qui ne contribuent pas peu à sa fertilité. On y trouve la pierre de nieou hoang, comme dans la ville précédente. Les bambous ou roseaux y sont carrés contre l’ordinaire, car partout ailleurs ils sont de figure ronde.


LAI TCHEOU FOU. Sixième ville.


Cette ville, qui est située sur un promontoire, est environnée d’un côté par la mer, et de l’autre par les montagnes. Deux villes du second ordre, et cinq du troisième, relèvent de sa juridiction. Quelques-unes de ces villes sont pareillement baignées des eaux de la mer, entre autres Kiao tcheou, que sa situation rend très forte. Tout ce pays est arrosé de rivières qui le fertilisent : il est assez mêlé de plaines et de montagnes, principalement vers les côtes de la mer.