Description de la Chine (La Haye)/De quelle manière on fait étudier les jeunes Chinois

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Scheuerleer (2p. 301-310).


De quelle manière on fait étudier les jeunes Chinois, des divers degrés par où ils passent et combien ils ont d’examens à subir pour parvenir au doctorat.


Dès l’âge de cinq à six ans, selon que l’esprit des enfants est ouvert, et que les parents ont soin de leur éducation, les petits Chinois commencent à étudier les lettres ; mais comme le nombre des lettres est si fort multiplié, et qu’ils n’ont point de méthode comme en Europe, cette étude serait fort dégoûtante, si l’on n’avait pas trouvé le moyen d’en faire une espèce de jeu et de divertissement. On a donc choisi quelques centaines de caractères, qui expriment les choses les plus communes, et qui tombent le plus sous les sens ; comme le ciel, le soleil, la lune, l’homme, quelques plantes, quelques animaux, la maison, et les ustensiles les plus ordinaires. On a gravé grossièrement toutes ces choses, et mettant après le caractère chinois, ces figures, bien que grotesques, réveillent l’esprit des enfants, fixent leur imagination, et aident leur mémoire. C’est ce qu’on peut appeler l’A. B. C. des Chinois. L’inconvénient qui s’y trouve, c’est que dès leur plus tendre jeunesse, leur esprit est imbu d’une infinité de chimères : car pour peindre le soleil, ils mettent un coq dans un cercle ; un lapin qui pile du riz dans un mortier, c’est la lune ; une manière de diable qui tient en main la foudre, à peu près comme les anciens peignaient leur Jupiter, c’est le tonnerre. Viennent en leur rang les bonzes et leurs miao ou pagodes ; de sorte que les pauvres enfants sucent, pour ainsi dire, avec le lait toutes ces rêveries. On m’a assuré depuis peu que cette méthode n’est plus guère en usage.

Le livre qu’on leur met ensuite entre les mains, s’appelle San tseë king. C’est un abrégé qui contient ce qu’un enfant doit apprendre, et la manière de l’enseigner. Il consiste en plusieurs petites sentences de trois caractères arrangées en rimes, pour faciliter la mémoire des enfants. Il y en a aussi un autre dont les sentences sont de quatre caractères. On a fait de même pour les enfants chrétiens un catéchisme, dont toutes les phrases n’ont que quatre lettres, et qui s’appelle pour cette raison ssëe tsëe king ven.

Au reste il faut que les enfants apprennent peu à peu tous ces caractères, de même qu’on leur fait apprendre en Europe notre alphabet, avec cette différence, que nous n’avons que vingt-quatre lettres, et qu’il y en a plusieurs mille à la Chine. On oblige un jeune Chinois à en apprendre d’abord quatre, cinq, ou six en un jour, et il faut qu’il les répète sans cesse depuis le matin jusqu’au soir ; car il en doit rendre compte régulièrement deux fois le jour ; et s’il manque souvent à sa leçon, on le punit. Le châtiment se fait ordinairement de la sorte : on le fait monter sur un petit banc fort étroit, où il se couche tout de son long sur le ventre, et là il reçoit sur son caleçon huit ou dix coups d’un bâton plat comme nos lattes. Pendant le temps de leurs études, on les y applique avec tant de soin, et ils apportent tant d’assiduité, qu’ils ont rarement des jours de relâche, si ce n’est environ un mois au nouvel an, et cinq ou six jours vers le milieu de l’année.

Du moment qu’ils sont capables de lire les sseë chu[1]. On ne leur en laisse plus lire d’autres, qu’ils ne les sachent par cœur, sans broncher d’une seule lettre, et ce qu’il y a de plus épineux et de plus rebutant, c’est qu’il faut qu’ils les apprennent, sans qu’ils y entendent presque rien ; la coutume étant de ne leur expliquer le sens des caractères, que quand ils les savent parfaitement.

En même temps qu’ils apprennent ces lettres, on leur montre à les former avec le pinceau. On leur donne d’abord de grandes feuilles écrites ou imprimées en caractères rouges assez gros : les enfants ne font que couvrir les traits rouges de couleur noire avec leurs pinceaux, pour s’accoutumer à former les traits.

Quand ils ont appris ainsi à les former, ou leur en donne d’autres, qui sont noirs et plus petits ; et appliquant sur ces feuilles une autre feuille blanche de leur papier, qui est transparent, ils calquent, et tracent les lettres sur ce papier, selon la forme de celles qui sont dessous. Mais ils se servent plus souvent d’une planche couverte d’un vernis blanc, et partagée en petits carrés, qui sont les différentes lignes, sur laquelle ils écrivent leurs caractères, et qu’on efface avec de l’eau quand l’exemple est finie ; cela épargne le papier.

Enfin ils prennent grand soin de se former la main ; car c’est un grand avantage aux gens de lettres de bien peindre leurs caractères ; on y a beaucoup d’égard, et dans l’examen qui se fait de trois en trois ans pour les degrés, on renvoie d’ordinaire ceux qui peignent mal, surtout, si leur écriture est peu exacte, à moins que d’ailleurs ils ne donnent de grandes preuves de leur habileté, soit dans la langue, soit à composer de beaux discours.

On rapporte qu’un aspirant aux degrés s’étant servi, contre l’ordre, d’une abréviation, en écrivant le caractère ma, qui signifie cheval, eut le chagrin de voir sa composition, quoiqu’excellente, mise pour cela seul au rebut, et essuya de la part du mandarin ce trait de raillerie, qu’un cheval ne pouvait marcher, s’il n’avait ses quatre pieds.

Quand on connaît assez de caractères pour pouvoir composer, il faut apprendre les règles du ven tchang. C’est une composition assez semblable à ces espèces d’amplifications, qu’on fait faire en Europe aux écoliers, qui sont prêts d’entrer en rhétorique : à cela près que le ven tchang doit être plus difficile, parce que l’esprit est plus gêné, et que le style en est particulier. On ne donne pour toute matière qu’une sentence tirée des livres classiques ; c’est ce qu’on appelle ti mou, le sujet, et ce sujet n’est quelquefois qu’une seule lettre.

Pour juger si les enfants profitent, voilà ce qui se pratique en plusieurs endroits. Vingt ou trente familles, qui portent toutes le même nom, et qui ont par conséquent la même salle de leurs ancêtres, s’unissent ensemble, et conviennent d’envoyer deux fois chaque mois leurs enfants dans cette salle, pour y composer. Chaque chef de famille donne tour à tour le sujet, et fournit ce jour-là aux frais du dîner, qu’il a soin de faire porter dans la salle. C’est encore lui qui porte le jugement des compositions et qui déclare ceux qui ont le mieux réussi. Si le jour qu’on compose, quelqu’un de cette petite société s’absente sans raison, ses parents sont obligés de payer environ vingt sols ; c’est un moyen sûr qu’aucun ne s’absente.

Outre cette industrie, qui est particulière et libre, il faut que tous ces jeunes gens composent tous ensemble devant le petit mandarin des lettrés, qu’on appelle hio koüan. Cela se fait au moins deux fois l’an, une fois au printemps, et une fois en hiver, et c’est une chose générale par tout l’empire. Je dis au moins, parce qu’outre ces deux examens généraux, les mandarins des lettrés les font venir assez souvent pour examiner le progrès qu’ils font dans leurs études et les tenir en haleine. Il y a même des gouverneurs de ville qui se donnent ce soin, et qui font venir chaque mois à leur tribunal les lettrés qui n’en sont pas éloignés, pour les faire composer, et pour récompenser ceux qui ont le mieux réussi, les traitant même ce jour-là à leurs frais.

Il n’est pas surprenant qu’on se donne tant de peine à élever les jeunes gens dans un État, ou l’on fait profession des lettres depuis tant de siècles, et où on les préfère à tous les avantages de la nature ; il n’y a ni ville ni bourg, ni presque aucun petit village, où il n’y ait des maîtres qui tiennent école, pour y instruire la jeunesse dans les sciences : les parents qui sont plus à leur aise, donnent à leurs enfants des précepteurs, qui les enseignent, qui les accompagnent, qui forment leurs mœurs, qui leur apprennent les cérémonies, les révérences, les compliments, les civilités ordinaires, les visites, et selon leur âge, l’histoire et les lois. On trouve une infinité de ces précepteurs, parce que parmi ceux qui aspirent en grand nombre aux degrés il y en a très peu qui y parviennent.

Dans les maisons de qualité, ceux à qui on confie cet emploi, ont souvent le degré de docteur, ou du moins celui de licencié. Dans les maisons ordinaires, on prend des bacheliers, qui ne laissent pas de continuer le cours de leurs études, et d’aller aux examens, pour parvenir au degré de docteur. Au reste, l’emploi des maîtres d’école est honorable ; les parents des enfants les nourrissent, leur font des présents, les traitent avec beaucoup d’honneur, leur donnent partout le premier pas : sien seng notre maître, notre docteur, est le nom qu’on leur donne, et leurs disciples conservent toute leur vie pour eux les plus grands égards.


Ce qui supplée aux universités.

Quoiqu’il n’y ait point à la Chine d’université, comme en Europe, il n’y a point de ville du premier ordre, qui n’ait un grand palais destiné aux examens des gradués, et dans les capitales il est beaucoup plus vaste. C’est ainsi qu’un missionnaire décrit l’édifice de la ville où il était, et autant que le lieu le comporte, ils sont presque tous semblables. Il est fermé, dit-il, de hautes murailles, la porte en est magnifique ; et au devant se voit une grande place large de cent cinquante pas, et garnie d’arbres, avec des bancs et des sièges pour les capitaines et les soldats, qui sont en sentinelle dans le temps des examens.

On entre d’abord dans une grande tour, où se placent des mandarins avec un corps de garde, au bout de laquelle est une autre muraille, avec une porte à deux battants. Dès qu’on y est entré, on trouve un fossé plein d’eau, qu’on passe sur un pont de pierre, pour se rendre à une troisième porte où sont des gardes, qui ne laissent entrer personne sans un ordre exprès des officiers.

De là on découvre une grande place, où l’on n’entre que par un chemin très étroit. Des deux côtés de cette place, sont tout de suite une infinité de petites chambres, longues de quatre pieds et demi, sur trois pieds et demi de largeur, pour loger ceux qui doivent composer. Il y a quelquefois jusqu’à six mille de ces chambres.

Avant que d’entrer dans le palais pour travailler à leur composition, on les visite à la porte et on examine avec la plus scrupuleuse exactitude, s’ils ne portent point sur eux quelques livres, ou quelque écrit : on ne leur permet d’apporter que des pinceaux et de l’encre. Si l’on découvrait quelque supercherie, les coupables seraient non seulement chassés, mais encore punis très sévèrement, et exclus des degrés de littérature. Quand tout le monde est entré, on ferme les portes, et on y appose le sceau public. Il y a des officiers du tribunal qui veillent à tout ce qui se passe, et qui ne permettent pas qu’on sorte des chambres, ou qu’on se parle les uns aux autres.

Au bout du chemin étroit, dont j’ai parlé, s’élève une tour posée sur quatre arcades, et flanquée de quatre tourelles, ou espèces de lanternes rondes, où, si l’on aperçoit quelque mouvement, l’on bat aussitôt le tambour, pour avertir de remédier au désordre. Près de cette tour se trouvent divers logements, et une grande salle bien meublée, où s’assemblent ceux qui président au premier examen.

Au sortir de cette salle on entre dans une autre cour, où l’on trouve une autre salle semblable à la première, mais plus magnifiquement meublée, avec divers appartements pour le président et les principaux officiers. On y voit encore des galeries, un jardin, et plusieurs petits logements pour les mandarins, les secrétaires, et les officiers les moins considérables ; enfin, tout ce qui est nécessaire, pour loger commodément tous ceux qui sont à la suite des examinateurs.

Quand on croit que les jeunes étudiants sont assez capables pour se présenter à l’examen des mandarins subalternes, on les y envoie au jour marqué. Pour mieux entendre ce qui suit, il faut se rappeler ce qui a déjà été dit, que la Chine contient quinze grandes provinces ; que chaque province renferme plusieurs grandes villes, qui ont le titre de fou ; et que ces villes en ont plusieurs autres du second et du troisième ordre qui relèvent d’elles, et qu’on appelle les unes tcheou, et les autres hien ; il n’y a point de ces villes du premier ordre qui n’ait dans son enceinte un hien, et quelquefois deux : car ce mot hien est à peu près ce que nous appelons bailliage. C’est par les hien qu’on recueille les tailles, et qu’on distingue même jusqu’aux lettrés ; on dira, par exemple, bachelier d’un tel hien.

Il ne faut pas croire néanmoins, que les lettres fleurissent également dans toutes les provinces : il y a beaucoup plus d’étudiants dans les unes que dans les autres. Le mandarin qui est à la tête de toute une province, s’appelle fou yuen ; celui qui gouverne un fou se nomme tchi fou on l’appelle encore fou tsun, c’est-à-dire, la personne illustre du fou, ou de la ville du premier ordre. Celui qui ne gouverne qu’un hien, a le titre de tchi hien, ou de hien tsun. C’est suivant cet ordre qu’il y a dans Kien tchang fou, un tchi fou, et deux tchi hien, et dans les fou qui sont capitales, il y a un fou yuen, c’est-à-dire, viceroi. Ainsi l’État monarchique n’est pas seulement pour tout l’empire, mais dans chaque province, dans chaque fou, et dans chaque petit hien.

Pour revenir aux examens, aussitôt que les jeunes étudiants sont jugés capables de subir l’examen des mandarins, il faut qu’ils commencent par celui du tchi hien, dans la dépendance duquel ils sont nés. Par exemple, dans le district de Nan tching hien, qui est dans l’enceinte de Kien tchang fou, il y en a plus de huit cents qui vont composer chez le tchi hien de cette ville. C’est ce mandarin qui leur donne le sujet, qui examine ou fait examiner dans son tribunal leurs compositions, et qui porte son jugement sur les meilleures. De 800 il y en a bien 600 dénommés ; on dit alors qu’ils ont hien ming, c’est-à-dire, qu’ils sont inscrits au hien. Il y a tel hien, où le nombre des étudiants monte jusqu’à six mille.

Il faut ensuite que ces 600 aillent la présenter à l’examen du tchi fou de Kien tchang, qui fait un nouveau triage ; et de ces 600 il n’y en a guère que 400 qui aient fou ming, c’est-à-dire, qui soient nommés au second examen. Jusqu’ici ils n’ont encore aucun degré dans les lettres, c’est pourquoi on les appelle tong seng.

Dans chaque province il y a un mandarin qui vient de Peking, et qui n’est que trois ans dans sa charge : il s’appelle hio tao, ou dans les plus belles provinces hio yuen. C’est pour l’ordinaire un homme qui a rapport avec les grands tribunaux de l’empire ; il donnait quelquefois des présents sous main, et même assez considérables, pour être proposé ; mais l’empereur régnant a remédié à cet abus par des ordres très sévères. Il doit faire deux examens pendant ses trois ans. Le premier examen s’appelle soui cao, le second se nomme co cao. Il faut donc qu’il fasse la ronde dans tous les fou de la province.

Dès que le hio tao est arrivé dans un fou, il va rendre ses respects à Confucius, que tous les lettrés regardent comme le docteur de l’empire. Ensuite il fait lui-même une explication de quelques endroits des livres classiques, et les jours suivants il examine.

Les 400 tong seng de Nan tching hien (et ce que je dis de ce hien, doit s’entendre à proportion de tous les autres) les 400 tong seng, dis-je, qui ont ce qui s’appelle fou ming, vont composer dans le tribunal du hio tao, avec les autres étudiants qui viennent de tous les hien dépendants du même fou ; et si le nombre en est trop grand, on les partage en deux bandes.

On garde ici de grandes précautions, pour que ce mandarin ne puisse connaître les auteurs des compositions. Mais on ne manque pas quelquefois d’intrigue pour rendre inutiles ces précautions. Le hio tao ne nomme que quinze personnes sur environ 400 par exemple, qui se trouveraient dans un hien. Ceux qui sont ainsi nommés, ont fait le premier pas dans les grades. C’est pourquoi l’on dit qu’ils sont entrés dans l’étude, tsin leao hio, et on les appelle sieou tsai. Ils ont des habits de cérémonie, qui consistent dans une robe bleue, avec une bordure noire tout au tour, et un oiseau d’argent ou d’étain sur le haut de leur bonnet. Ils ne sont plus sujets à recevoir la bastonnade par l’ordre des mandarins publics : ils en ont un à part qui les gouverne, et qui la leur fait donner en qualité de leur maître, quand ils font quelque faute.

Au reste de ces quinze qui sont nommés, il n’y en a guère qui ne le méritent, et à qui on ne fasse justice ; ce n’est pas qu’il n’y en ait quelquefois qui ne soient favorisés ; mais quelque protection qu’ils aient, il ne faut pas qu’ils soient ignorants ; car si on pouvait prouver qu’il y eût eu de la faveur, l’envoyé de la cour serait perdu d’honneur et de fortune.

On peut dire à peu près la même chose des tong seng de guerre : c’est aux mêmes mandarins, qui examinent pour les lettres, qu’appartient le droit d’examiner pour la guerre. Ceux qui s’y destinent, doivent surtout montrer leur habileté à tirer de l’arc, et à monter à cheval, et s’ils se sont auparavant appliqués à des exercices du corps qui demandent de la force et de la vigueur, on leur en fait donner quelquefois des preuves, en levant, par exemple, une grosse pierre, ou quelque lourd fardeau : ce qui peut leur être utile, mais qui n’est pas essentiel ; et à ceux qui ont fait quelque progrès dans les lettres, on leur donne à résoudre certains problèmes, qui regardent les campements, et les stratagèmes de guerre : ce qui contribue à leur avancement. Il est bon de savoir que les gens de guerre ont, de même que les lettrés, leurs livres classiques, qu’on appelle aussi du nom de King. Ils ont été composés exprès pour leur apprendre les fonctions militaires.

Le hio tao est obligé par sa charge de parcourir la province, et d’assembler dans chaque ville du premier ordre, tous les sieou tsai qui en dépendent, où après s’être informé de leur conduite, il examine leurs compositions ; il récompense ceux qui se sont perfectionnés dans l’étude, et châtie les autres en qui il trouve de la négligence et de l’inapplication. Il entre quelquefois dans le détail, et les partage en six classes : la première est d’un petit nombre de ceux qui se sont distingués, auxquels il donne un taël de récompense, et une écharpe de soie. Ceux de la seconde classe reçoivent aussi une écharpe de soie et quelque peu d’argent. La troisième classe n’a ni prix ni châtiment. Le mandarin fait donner la bastonnade à ceux de la quatrième classe. Dans la cinquième on perd l’oiseau, dont le bonnet est décoré, et l’on n’est plus qu’une moitié de sieou tsai. Ceux qui ont le malheur d’être dans la sixième classe, sont tout à fait dégradés ; mais il y en a peu à qui cela arrive. Dans cet examen on verra quelquefois un homme de 50 ou 60 ans recevoir la bastonnade, tandis que son fils qui compose avec lui, reçoit des récompenses et des éloges ; mais à l’égard des sieou tsai ou bacheliers, on n’en vient point à la bastonnade pour les seules compositions. Il faut qu’il y ait eu des plaintes sur leurs mœurs, ou sur leur conduite.

Tout gradué qui ne se présente pas à cet examen triennal, court risque d’être privé de son titre, et d’être mis au rang du simple peuple. Il n’y a que deux cas, où il puisse s’en dispenser légitimement ; savoir quand il est malade, ou bien quand il porte le deuil de son père ou de sa mère. Les vieux gradués, après avoir donné dans un dernier examen des preuves de leur vieillesse, sont dispensés pour toujours de ces sortes d’examens, et ils conservent néanmoins l’habit, le bonnet, et les prérogatives d’honneur attachées à l’état de gradué.

Pour monter au second degré, qui est celui des kiu gin, il faut subir un nouvel examen, qui s’appelle tchu cao, et qui ne se fait qu’une fois tous les trois ans dans la capitale de chaque province de l’empire. Ainsi tous les sieou tsai, doivent s’y rendre.

Il vient exprès deux mandarins de la cour, pour présider à l’examen, qui se fait par les grands officiers de la province, et par quelques autres mandarins, qui sont comme leurs assesseurs. Le premier des deux mandarins envoyés de la cour s’appelle tching tchu cao, et doit être han lin, c’est-à-dire, du collège des premiers docteurs de l’empire. Le second se nomme fou tchu. Dans la province de Kiang si, par exemple, il y a bien dix mille sieou tsai, qui sont obligés d’aller à cet examen, et qui n’ont garde d’y manquer.

Entre ces dix mille, le nombre de ceux qui sont nommés, c’est-à-dire, qui obtiennent le degré de kiu gin, ne passe guère soixante. Leur robe est de couleur tirant sur le brun, avec une bordure bleue, large de quatre doigts. L’oiseau du bonnet est d’or ou de cuivre doré. Le premier de tous a le titre de kiai yuen. Il n’est pas si aisé de corrompre les juges pour obtenir ce degré ; et si dans ce dessein on a recours à quelque intrigue, il faut qu’elle soit bien secrète, et qu’elle se ménage dès Peking.

Quand ils ont obtenu ce degré, ils n’ont plus qu’un pas à faire pour être docteurs. Ils doivent aller l’année suivante se faire examiner pour le doctorat à Peking, et ce premier voyage se fait aux frais de l’empereur. Ceux qui après avoir subi une fois cet examen, se contentent d’être kiu gin ou parce qu’ils sont trop avancés en âge, ou parce que leur fortune est médiocre, peuvent se dispenser d’aller à Peking subir le même examen, qui se fait de trois en trois ans. Tout kiu gin peut être pourvu de quelque charge : quelquefois même c’est le rang que leur donne l’antiquité dans les grades, qui la leur fait obtenir, et l’on en a vu devenir vicerois de province ; et comme c’est au mérite seul que se donnent les charges, un lettré fils d’un paysan a autant d’espérance de parvenir à la dignité de viceroi et même de ministre, que les enfants des personnes de la première qualité.

Au reste ces kiu gin, dès là qu’ils ont obtenu une charge, et qu’ils sont chargés des affaires publiques, renoncent au degré de docteur. Mais tous les kiu gin, c’est-à-dire, licenciés, qui ne sont point en charge, ont coutume de se rendre à Peking tous les trois ans, comme je l’ai dit, et de se trouver à l’examen, qui s’appelle l’examen impérial : car c’est l’empereur lui-même qui donne le sujet des compositions, et qui est censé faire cet examen par l’attention qu’il y prête, et par le compte qu’il se fait rendre. Ceux des licenciés qui veulent faire ce voyage, montent assez souvent jusqu’à cinq ou six mille : et de ce nombre on en élève au degré de docteur environ trois cents, dont les compositions sont jugées les meilleures. Il y a eu des temps où l’on ne donnait ce grade qu’à cent cinquante.

Les trois premiers s’appellent tien tseë men feng, c’est-à-dire, les disciples du fils du Ciel. Le premier se nomme tchoang yuen, le second pang yuen, et le troisième tan hoa. Parmi les autres, l’empereur en choisit un certain nombre, auxquels ils donnent le titre de han lin, c’est-à-dire, docteur du premier ordre. Les autres docteurs s’appellent tsin seë.

Quiconque peut parvenir à ce titre glorieux de tsin seë, soit dans les lettres, soit même dans la guerre, doit se regarder comme un homme solidement établi : il ne craint plus l’indigence ; car outre qu’il reçoit une infinité de présents de ses proches et de ses amis, il est à portée des plus importants emplois de l’empire, et tout le monde brigue sa protection. Ses amis et ses parents ne manquent guère d’élever dans leur ville de magnifiques arcs de triomphe en son honneur, sur lesquels ils gravent son nom, le lieu, et l’année qu’il a reçu son grade.

Le feu empereur Cang hi, dans les dernières années de son règne, s’aperçût qu’il ne paraissait plus un aussi grand nombre de livres qu’autrefois, et que ceux qu’on mettait au jour, n’avaient pas le degré de perfection qu’il souhaitait pour la gloire de son règne, et pour mériter d’être transmis à la postérité. Il jugea que ces premiers docteurs de l’empire, jouissant tranquillement du rang où ils avaient été élevés, et de la réputation de savants qu’il s’étaient acquise, négligeaient l’étude dans l’attente des emplois lucratifs.

Pour remédier à cette négligence, aussitôt que l’examen des docteurs fût fini, il voulut, contre la coutume, examiner lui-même ces premiers docteurs, si fiers de leur qualité de juges et d’examinateurs des autres. Cet examen qui surprit fort, fut suivi d’un jugement qui surprit encore davantage. Plusieurs de ces premiers docteurs furent honteusement dégradés, et renvoyés dans leurs provinces. La crainte d’un examen semblable tient en haleine ces premiers savants de l’empire.

Dans cet examen extraordinaire, l’empereur s’applaudit, de ce qu’un des plus habiles de la cour, qu’il chargea du soin d’examiner les compositions, se trouva de son même sentiment, et qu’il avait condamné toutes celles que Sa Majesté avait réprouvées, à une seule près, que ce mandarin jugea d’un mérite douteux.

On peut voir par ce que je viens de dire, que la comparaison n’est pas tout à fait juste, de ces trois divers degrés, qui distinguent à la Chine les gens de lettres avec les bacheliers, les licenciés, et les docteurs d’Europe. 1° parce que ces noms en Europe ne sont connus presque nulle part que dans les universités et les collèges ; et que, pour être licencié, on n’en a pas un plus grand accès chez le monde poli ; au lieu qu’ici ces trois degrés sont toute la noblesse et la politesse de la Chine, et fournissent presque tous les mandarins, à l’exception de quelques Tartares. 2° parce qu’il faut en Europe une grande ouverture dans les sciences spéculatives, et une connaissance nette de la philosophie et de la théologie, pour devenir docteur ; au lieu qu’il ne faut à la Chine que de l’éloquence, et la connaissance des lois et de l’histoire.

Pour mieux faire connaître encore, quelle est l’attention des Chinois à former la jeunesse, et à faire fleurir les sciences dans l’empire, je rapporterai ici divers extraits des livres chinois, qui traitent de l’établissement de ces écoles publiques. C’est le père Dentrecolles qui a fait cette recherche, et qui m’en a fait part. Il n’y a pas de meilleur moyen de s’instruire de la Chine, que par la Chine même : car par là on est sûr de ne se point tromper, dans la connaissance du génie, et des usages de cette nation.



  1. ce sont les quatre livres qui renferment la doctrine de Cong fou tseë ou Confucius, et de Ming tseë ou Mencius.