Description de la Chine (La Haye)/Sur les discours qui se tiennent en notre présence

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Scheuerlee (3p. 197-198).


Sur les discours qui se tiennent en notre présence.


Ne vous attachez point aux discours des gens du commun : ils ne sont d’aucune utilité ; mais écoutez avec attention les sages, vous aurez toujours de quoi profiter. Pour ce qui est de nous autres lettrés, il ne doit rien nous échapper de vain et de frivole. Il faut qu’on ne trouve pas plus à changer à nos entretiens, qu’à ce qui se grave sur le marbre. Que les maximes du peuple passent avec la même vitesse vos oreilles, qu’un oiseau qui fend les airs, et qui ne laisse après lui aucune trace.

Trois sortes de discours qu’il ne faut point entendre ; ceux où l’on parle de galanterie et d’attachements illicites : tels sont ceux d’une femme qui a oublié ce qui fait la gloire de son sexe ; ceux où l’on propose un avantage qu’on ne peut obtenir que par une injustice : tels sont les discours du peuple ; ceux qui partent d’un cœur double et d’une bouche peu sincère : tels sont les discours des malhonnêtes gens.

Celui qui d’abord, et presque avant que de m’entendre, est de mon sentiment, et s’empresse à me le témoigner, je dois le regarder comme un homme très dangereux, et dont la compagnie est à éviter.

Si je me trouve dans un cercle, où il y ait de ces gens qui se plaisent à lancer contre les autres des traits malins et empoisonnés, je dois me tenir sur la réserve, et dans le silence. C’est une instruction muette, qui ne laisse pas d’être éloquente.

Il ne faut qu’entendre parler un homme, pour connaître quelle est sa passion dominante. Celui qui aime le plaisir, n’ouvre la bouche que pour parler des charmes et des agréments du sexe. Un joueur fera tomber le discours sur les adresses du jeu. Un marchand avide de gain, ne sait vous entretenir que de son commerce, et du profit qu’il en retire.

Si l’on parle de moi, et que je sente qu’on ait raison, je songe à me corriger. Mais si en rentrant en moi-même, je ne vois rien de quoi je puisse rougir, j’écoute la médisance, et n’y fais plus d’attention. Les anciens ont sagement dit que le moyen d’imposer silence aux médisants, c’est de ne jamais avoir d’éclaircissement avec eux. Plus vous marquerez de vivacité, plus ils auront d’ardeur à soutenir ce qu’ils ont témérairement avancé.

Les personnes riches et les magistrats ne doivent faire nulle attention aux rapports de leurs domestiques et des huissiers de justice. Ceux qui sont d’une condition médiocre ne doivent pas de même ajouter foi aux discours de leurs femmes ; la pénétration de celles-ci est ordinairement bornée, et les vues des autres sont communément intéressées : ce serait s’exposer à des démarches dangereuses.

Si j’apprends qu’on trouve à redire à ma conduite, j’examinerai soigneusement toutes mes actions, sans m’inquiéter pour savoir quel est celui qui me blâme. Les avis donnés sans dessein, et comme par hasard, sont d’ordinaire bien fondés. Les personnes d’un rang distingué, ont des défauts dont elles ne s’aperçoivent pas, et que le peuple sait bien remarquer. Le sage empereur Chun allait secrètement écouter ce que ses sujets disaient de lui, et il en profitait.

Celui qui donne légèrement sa parole, est sujet à y manquer. Il vaut mieux ne pas faire de promesses, que de ne pas tenir celles qu’on a faites.

Je dois être en garde contre ceux, qui ayant connu mes penchants et mes aversions, s’avisent de me donner des conseils. Si je les suis, il m’en coûtera ma fortune, et peut-être ma réputation.

On prête aisément l’oreille à la flatterie : songez que tout flatteur a l’âme basse et intéressée. On n’écoute pas volontiers une juste réprimande. Sachez que celui qui ose la faire, est un véritablement honnête homme, qui veut sincèrement votre bien ; c’est lui qu’il faut écouter.