Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Tuileries (palais et jardin des)

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Tuileries (palais et jardin des).

1re Partie. — Origine du palais. — Constructions.

Plusieurs documents anciens nous prouvent que la tuile qu’on employait à Paris se fabriqua d’abord au bourg Saint-Germain-des-Prés, dans l’emplacement qui a longtemps conservé le nom de rue des Vieilles-Tuileries. (Cette voie publique est confondue aujourd’hui avec celle du Cherche-Midi.) On éleva dans la suite, de l’autre côté de la Seine, plusieurs fabriques de tuiles sur un terrain appelé au XIVe siècle la Sablonnière. En 1372, on comptait en cet endroit trois tuileries. Près de ces fabriques, et à côté des Quinze-Vingts, Pierre des Essarts et sa femme occupaient en 1342, une maison nommée l’hôtel des Tuileries, qu’ils cédèrent à cet hôpital avec un grand terrain qui dépendait de leur propriété. En 1416, Charles VI ordonna que toutes les tueries ou escorcheries seraient transportées hors des murs de la ville, « près ou environ des tuileries Sainct-Honoré, qui sont sur la dite rivière de Seine, outre les fossés du château du Louvre. » (Ordonnances du Louvre, tome 10, page 374.) — Nicolas Neuville de Villeroy, secrétaire des finances et audiencier de France, possédait en cet endroit, au commencement du XVIe siècle, une grande habitation avec cours et jardin clos de murs. Louise de Savoie, mère de François Ier, se trouvant incommodée du séjour de son palais des Tournelles, environné d’eaux stagnantes, résolut de changer d’air. Elle jeta les yeux sur la maison de M. de Neuville qu’elle vint habiter. La santé de Louise de Savoie ne tarda pas à se rétablir. Cette heureuse circonstance engagea François Ier à faire l’acquisition de cet hôtel. Le propriétaire reçut en dédommagement la terre de Chanteloup, près de Montlhéry. Le contrat d’échange porte la date du 12 février 1518. Louise de Savoie s’ennuya bientôt dans sa nouvelle habitation. Cette princesse en fit don à Jean Tiercelin, maître d’hôtel du dauphin, et à Julie du Trot son épouse. Les lettres qui constatent cette donation ont été enregistrées à la chambre des comptes le 23 septembre 1527.

Henri II, blessé dans un tournoi par le comte de Montgommeri, mourut à l’hôtel des Tournelles le 15 juillet 1559. À dater de cette mort, ce palais devint comme un lieu de malédiction, et fut abandonné par Catherine de Médicis. Charles IX, par lettres-patentes du 28 janvier 1563, en ordonna la démolition.

Vers cette époque, la veuve de Henri II fit l’acquisition de la maison des Tuileries, de plusieurs propriétés voisines et d’un grand terrain qui appartenait à l’hôpital des Quinze-Vingts. Les jardins furent environnés d’un mur à l’extrémité duquel on fit commencer les fortifications, du côté de la rivière, par un bastion dont le roi posa la première pierre, le 11 juillet 1566. La reine mère avait chargé Philibert Delorme de la construction de son nouveau palais. Catherine ne se contentait pas de protéger et d’encourager les arts, souvent encore elle traçait elle-même les plans des bâtiments et surveillait leur exécution. Dans la dédicace que Philibert Delorme fit à la reine-mère de son traité d’architecture, on lit ce qui suit : « Madame, je voy de jour en jour l’accroissement du grandissime plaisir que votre majesté prend à l’architecture, et comme de plus en plus votre bon esprit s’y manifeste et reluit, quand vous-même prenez la peine de portraire et esquicher les bâtiments qu’il vous plaît commander estre faits, sans y omettre les mesures des longueurs et largeurs, avec le département des logis qui véritablement ne sont vulgaires et petits, ains fort excellents et plus que admirables comme entre plusieurs est celuy du palays que vous faictes bâtir de neuf en Paris, près la porte neufve, et le Louvre maison du roy, le quel palays je conduis de votre grâce, suivant les dispositions, mesures et commandements qu’il vous plaît m’en faire, etc … »

La demeure que Catherine de Médicis fit élever consistait en un bâtiment avec un pavillon au centre et deux aux extrémités ; ces constructions étaient composées d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. Le pavillon du milieu dans lequel fut pratiqué le grand escalier, était couvert d’une coupole. Par sa forme, ses dimensions et les détails de son architecture, cette coupole était beaucoup plus en harmonie avec les corps de bâtiments adjacents que la toiture actuelle. L’ensemble de la façade du côté du jardin, telle qu’elle fut exécutée par Philibert Delorme, se composait du pavillon central, de deux portiques couverts de terrasses et surmontés d’un étage en mansardes, et se terminait par deux corps de bâtiments percés de trois fenêtres à chaque étage et décorés de deux ordres d’architecture.

Tel était le château des Tuileries dont Catherine de Médicis fit son habitation ordinaire. Le roi occupait le Louvre. À cette époque, un astrologue prédit à la reine mère qu’elle mourrait près de Saint-Germain. On la vit aussitôt déserter tous les endroits et toutes les églises qui portaient ce nom. Elle n’alla plus à Saint-Germain-en-Laye ; son palais des Tuileries, se trouvant sur la paroisse Saint-Germain-l’Auxerrois, elle le quitta, et en fit bâtir un autre près de l’église Saint-Eustache. « Lorsqu’on apprit, dit Saint-Foix, que c’était Laurent de Saint-Germain qui l’avait assistée à ses derniers moments, les gens infatués de l’astrologie, prétendirent que la prédiction s’était accomplie. »

Les troubles qui agitèrent la France sous le règne de Henri III ne permirent pas de continuer les constructions des Tuileries. Henri IV, devenu paisible possesseur d’un trône qu’on lui avait disputé si longtemps, crut sa gloire intéressée à faire terminer un monument qui avait déjà coûté des sommes considérables. On construisit d’abord, de chaque côté des bâtiments achevés par Delorme, et sur le même alignement, deux autres corps de logis avec deux grands pavillons, et l’on commença vers l’année 1600, la superbe galerie qui joint les Tuileries au Louvre du côté de la rivière.

Les deux nouveaux corps de logis et les deux grands pavillons ne furent achevés que sous le règne de Louis XIII, sur les dessins de l’architecte du Cerceau, qui changea la décoration primitive. On lui attribue également la construction des deux corps de bâtiment, d’ordonnance corinthienne ou composite qui font suite aux deux pavillons du milieu, ainsi que les deux grands pavillons d’angle qui terminent chaque côté de cette longue ligne de façade.

Cette réunion de bâtiments de styles si différents, devait produire ces défauts d’ensemble et de proportions qui choquent encore aujourd’hui les regards. Ainsi le pavillon du milieu qui prêtait de l’élégance à la façade du palais de Catherine de Médicis, parait écrasé par le développement actuel des constructions. L’œuvre entière du premier architecte des Tuileries se trouve rapetissée par les grands pavillons des extrémités, sous lesquelles s’affaissent également les deux pavillons intermédiaires, et plus encore les deux premiers corps de bâtiment ou galeries.

Cette irrégularité était encore plus apparente sous le règne de Louis XIV. En regardant ce palais, on pouvait y compter alors cinq espèces de dispositions et de décorations et cinq sortes de combles, sans presque aucun rapport extérieur, soit dans la distribution, soit dans le style, ou dans la conception.

Louis XIV choqué de ces disparates, voulut les dissimuler en mettant de l’accord entre ces cinq parties. Levau, architecte du roi, fut chargé de cette restauration. On lui adjoignit Dorbay, comme constructeur. Levau supprima d’abord l’escalier bâti par Philibert Delorme ; cet escalier, chef-d’œuvre de construction, occupait l’emplacement du vestibule actuel. Ensuite il changea la forme et la disposition du pavillon du milieu qui, dans le principe, était, comme nous l’avons dit, surmonté d’une coupole. Il ne conserva de l’ancienne décoration que le premier ordre à tambour de marbre ; deux ordonnances : la première corinthienne, la seconde composite, surmontées d’un fronton et d’un attique, remplacèrent une partie de la décoration qui provenait de l’architecte Delorme, et une espèce de toit quadrangulaire prit la place de la coupole. Les architectes respectèrent les deux galeries collatérales du pavillon du milieu avec les terrasses qui les surmontaient ; mais ils jugèrent convenable de changer la devanture du corps de bâtiment qui s’élève en retraite des terrasses. Aux mansardes et aux cartels, qui s’y suivaient alternativement, ils substituèrent le rang de croisées et de trumeaux ornés de gaines qui subsiste encore aujourd’hui avec un attique.

Les pavillons de chaque côté de ces deux galeries, qui sont à deux ordres de colonnes, ont été conservés en leur entier ; ces pavillons, dont les dessins sont attribués à Bullant, n’ont eu à subir d’autre changement que celui de l’attique actuel substitué aux mansardes. Leur décoration resta aussi la même, à l’exception pourtant de la sculpture qui orne le fût des colonnes. Les deux pavillons d’angle qui terminent la façade furent également respectés. La hauteur de leur premier étage est plus élevée que la façade ; la différence, qui est de 1 m. 50 c. environ, donne lieu de penser que, lorsqu’ils furent construits, on avait déjà le projet de réunir, du côté du sud, les deux palais du Louvre et des Tuileries par une galerie couverte. C’est probablement à cette différence des deux niveaux qu’il faut attribuer ces croisées montant à travers l’architrave et la frise, jusque sous la corniche, et qui produisent un effet si désagréable.

Les architectes chargés de restaurer un palais dont ils étaient forcés de respecter les constructions premières, ont eu à exécuter un travail ingrat, qu’on ne saurait juger avec sévérité. Cependant il faut le dire, la partie du milieu a seule été heureusement remaniée ; il y règne un accord de lignes assez bien entendu, et la variété des masses, des retraites et des saillies qu’on y découvre, semble y être moins l’effet d’un raccommodement fait après coup, que celui d’une combinaison originale.

2e Partie. — Jardin des Tuileries.

Le plus beau jardin public d’Athènes se nommait les Tuileries ou le Céramique. Moins grand dans l’origine qu’il ne l’est aujourd’hui, le jardin des Tuileries était séparé du château par une rue qui régnait le long de la façade, et aboutissait à peu près à l’endroit où se trouve aujourd’hui la porte d’entrée, du côté du Pont-Royal. Dans ce jardin, on voyait un étang, un bois, une volière, une orangerie, un écho, un petit théâtre et un labyrinthe. La volière, située vers le milieu du quai des Tuileries, était composée de plusieurs bâtiments. L’écho se trouvait à l’extrémité de la grande allée. La muraille qui l’entourait avait près de 4 m. de hauteur. Elle était masquée par des palissades. À peu de distance de cet écho du côté de la porte Saint-Honoré, se trouvait l’orangerie, et tout auprès s’élevait une espèce de ménagerie. Dans le bastion qui touchait à la porte de la Conférence, on avait conservé un grand terrain qui servait de garenne, et à l’extrémité de ce terrain, entre la porte et la volière se trouvait un chenil, que Louis XIII donna le 20 avril 1630 au valet de chambre Renard, à condition de défricher le terrain qui l’entourait, et d’y planter des fleurs précieuses par leur rareté. Renard, en homme adroit, tira parti de son privilège. Indépendamment des fleurs dont il orna son jardin, il réunit dans un joli pavillon qu’il fit bâtir, des meubles d’un excellent goût, et des tapisseries d’une grande richesse. Son caractère obligeant et spirituel lui attira plus tard la bienveillance du cardinal Mazarin, qui venait quelquefois lui faire des acquisitions et se reposer dans ce jardin, des fatigues du ministère. L’isolement du jardin Renard, ses divers agréments en firent un lieu de délices. Il devint le rendez vous des jeunes seigneurs et des plus jolies dames de la cour. Il y avait aussi au milieu de ce parterre, des bâtiments qui servaient à loger les artistes que le roi honorait de sa protection. Leur plus grande illustration fut d’avoir abrité Nicolas Poussin. On trouve dans une des lettres de ce peintre célèbre le passage suivant. Poussin annonce à un de ses protecteurs son arrivée à Paris, et ajoute « Je fus conduit le soir, par ordre du roi, dans l’appartement qui m’avoit été destiné ; c’est un petit palais, car il faut l’appeler ainsi. Il est situé au milieu du jardin des Tuileries. Il est composé de neuf pièces en trois étages, sans les appartements d’en bas, qui sont séparés. Ils consistent en une cuisine, la loge du portier, une écurie, une serre pour l’hiver et plusieurs autres petits endroits où l’on peut placer mille choses nécessaires. Il y a en outre un beau et grand jardin rempli d’arbres à fruits, avec une quantité de fleurs, d’herbes et de légumes ; trois petites fontaines, un puits, une belle cour dans laquelle il y a d’autres arbres fruitiers. J’ai des points de vue de tous côtés, et je crois que c’est un paradis pendant l’été … En entrant dans ce lieu, je trouvai le premier étage rangé et meublé noblement, avec toutes les provisions dont on a besoin, même jusqu’à du bois et un tonneau de bon vin vieux de deux ans ; j’ai été fort bien traité pendant trois jours, avec mes amis aux dépens du roi. » — Tel était encore le jardin des Tuileries à la mort du cardinal Mazarin. — Colbert, qui savait deviner toutes les grandes passions de Louis XIV, avait senti que ce jardin ne complétait pas assez dignement le séjour d’un grand roi. On abattit aussitôt le logement de mademoiselle de Guise, la volière et les bâtiments qui s’étendaient du côté de la rivière jusqu’à la barrière de la Conférence. Le jardin Renard fut compris dans le nouvel enclos, et sur cet emplacement Lenôtre exerça son génie créateur. — « C’est un chef-d’œuvre de bon goût, d’adresse et de génie, disent MM. Percier et Fontaine ; l’artiste, en disposant ce jardin, a su cacher avec beaucoup d’art, la limite des clôtures. » — Considérant ensuite la vaste étendue de la façade, Lenôtre sentit également qu’une ligne aussi longue de bâtiments avait besoin d’une esplanade qui lui fût proportionnée ; et qui en développât complètement toutes les parties. Il eut l’heureuse idée de ne commencer le couvert de ce jardin qu’à 226 m. de la façade. — Tout le sol de la partie découverte fut orné de parterres à compartiments entremêlés de massifs de gazon, dont les dessins nobles et élégants ont été conservés religieusement jusqu’à nos jours. Ces parterres ont été dessinés de manière qu’on a pu y placer trois bassins circulaires qui offrent une agréable variété. Ces trois bassins forment un triangle terminé par le plus grand d’entr’eux, qui se trouve ainsi au milieu de la grande avenue. En face des parterres, et dans l’alignement du grand avant-corps de bâtiments, est plantée une belle allée de marronniers de l’Inde, de 272 m. de longueur. Admirable du côté des Tuileries, ce bois offre peut-être un coup-d’œil plus ravissant encore en entrant par la place de la Concorde. Le jardin se complète heureusement par une partie découverte, entourée par le fer à cheval que forment les terrasses, et au milieu duquel est placé un vaste bassin d’où s’échappe une gerbe d’eau qui domine les arbres les plus élevés. À l’extrémité du fer à cheval qui termine le jardin, on voyait avant la révolution, un pont tournant d’un dessin ingénieux qui servait de communication à la place Louis XV. Ce pont avait été construit en 1716, par un religieux Augustin, nommé Nicolas Bourgeois. À ces perfections que l’empereur Napoléon appréciait hautement, d’autres ont été ajoutées par ses ordres. La terrasse des Feuillants, que les dépendances de l’ancien manège, des couvents des Feuillants, des Capucins et de l’Assomption bordaient dans presque toute sa longueur, a été entièrement dégagée par suite de l’ouverture de la rue de Rivoli. Cette terrasse des Feuillants, cet heureux complément du jardin des Tuileries, présente, de la grille qui est en face de la rue de Castiglione, une riche perspective. La place Vendôme, sa colonne de bronze, l’homme qui est dessus la belle rue de la Paix, et les boulevarts ; toutes ces richesses heureusement groupées font naître de grandes et profondes émotions. Mais du haut de la terrasse qui borde le côté oriental de la place de la Concorde, quel superbe coup-d’œil ! Cette large voie publique avec ses fontaines, ses candélabres étincelants de dorure ; puis ces deux palais jumeaux ; à gauche la Chambre des Députés ; devant soi, la belle avenue des Champs-Élysées ; puis l’Arc-de-Triomphe si rayonnant de gloire. Devant cet imposant panorama, on peut dire avec orgueil : l’art et la nature n’iront jamais plus loin !…

3e Partie. — Faits historiques.

Si l’on considère le palais des Tuileries dégagé de son brillant entourage, les évènements dont il fut le théâtre ont imprimé sur ses pierres une teinte lugubre qui attriste profondément l’écrivain qui n’a pour ainsi dire que des malheurs à rappeler. Ce fut au palais des Tuileries, quatre jours avant le massacre de la Saint-Barthélemi, que la reine Catherine de Médicis donna une fête dont nous empruntons les détails aux mémoires de l’état de France, sous Charles IX : — « Premièrement, en la dite salle, à main droite, il y avoit le Paradis, l’entrée du quel était défendue par trois chevaliers armés de toutes pièces, qui étoient Charles IX et ses frères. À main gauche, étoit l’Enfer dans le quel il y avoit un grand nombre de diables et de petits diablotaux, faisant infinies singeries et tintamarres, avec une grande roue tournante dans le dit enfer, toute environnée de clochettes. Le Paradis et l’Enfer étoient séparés par une rivière qui étoit entre deux, sur la quelle il y avoit une barque conduite par Caron, nautonier d’Enfer. À l’un des bouts de la salle, et derrière le Paradis, étoient les Champs-Élysées, à sçavoir, un jardin embelli de verdure et de toutes sortes de fleurs ; et le ciel empirée, qui étoit une grande roue avec les douze signes du zodiaque, les sept placettes, et une infinitude petites étoiles faites à jour, rendant une grande lueur et clarté par le moyen des lampes et flambeaux qui étoient artistement accomodés par derrière. Cette roue étoit dans un continuel mouvement, faisant aussi tourner ce jardin dans le quel étoient douze nimphes fort richement parées. Dans la salle se présentèrent plusieurs troupes de chevaliers errans (c’étoient des seigneurs de la religion qu’on avoit choisis exprès). Ils étoient armés de toutes pièces, vêtus de diverses livrées, et conduits par leurs princes (le roi de Navarre et le prince de Condé), tous les quels tâchant de gagner ce Paradis, pour ensuite aller quérir ces nimphes au jardin, en étoient empêchés par les trois chevaliers qui en avoient la garde ; les quels, l’un après l’autre, se présentoient à la lice, et ayant rompu la pique contre les dits assaillants, et donné le coup de coutelas, les renvoyoient vers l’Enfer où ils étoient trainés par des diables et diablotaux. Cette forme de combat dura jusqu’à ce que les chevaliers errans eussent été combattus et traînés un à un dans l’Enfer, le quel fut ensuite clos et fermé. À l’instant descendirent du ciel Mercure et Cupidon portés sur un coq. Ce Mercure étoit cet Étienne le Roi, chantre tant renommé, le quel étant à terre, se vint présenter aux trois chevaliers, et près un chant mélodieux, leur fit une harangue, et remonta ensuite au ciel sur son coq, toujours chantant. Alors les trois chevaliers se levèrent de leurs sièges, traversèrent le Paradis, allèrent aux Champs-Élysées quérir les douze nimphes, et les amenèrent au milieu de la salle où elles se mirent à danser un ballet fort diversifié et qui dura une grosse heure. Le ballet achevé, les chevaliers qui étoient dans l’Enfer furent délivrés et se mirent à combattre en foule et à rompre des piques. Ce combat fini, on mit le feu à des traînées de poudre qui étoient autour d’une fontaine dressée presqu’au milieu de la salle, d’où s’éleva un bruit et une fumée qui fit retirer chacun. Tel fut le divertissement de ce jour, d’où l’on peut conjecturer qu’elles étoient, parmi telles feintes, les pensées du roi et du conseil secret. »

Jusqu’à l’époque de la révolution, le château des Tuileries ne fut le théâtre d’aucun événement important. Louis XIV avait abandonné cette habitation pour aller résider à Saint-Germain, puis à Versailles. Ses successeurs l’imitèrent. On donnait des fêtes publiques dans le jardin des Tuileries. L’une d’elles fut attristée le 1er février 1783 par un malheur. Les physiciens Charles et Robert voulurent y faire une expérience aérostatique ; mais le second périt victime de son audace.

Louis XVI habitait Versailles, lorsque le peuple ameuté alla l’y chercher. Le roi vint occuper les Tuileries le 6 octobre 1789. — Au mois de février 1790, le jardin fut le théâtre d’une émeute dont le départ des tantes du roi servit de prétexte. — Au mois d’avril suivant, un autre rassemblement s’y forma pour empêcher Louis XVI d’aller à Saint-Cloud. — Le 20 juin 1792, le peuple envahit les Tuileries, sous prétexte de présenter lui-même des pétitions au roi ; cette désastreuse journée servit de prélude à la sanglante révolution du 10 août. Cette fois, la populace pénétra dans le palais, le fer et le feu à la main. Les défenseurs du roi furent impitoyablement égorgés, tout fut pillé, saccagé. Quelques membres du département voyant le désordre qui régnait dans le château, conseillèrent au roi de se retirer au sein de l’Assemblée. Louis XVI s’y rendit avec sa famille ; quelques heures après son arrivée, fut rendu ce décret célèbre : « Louis XVI est provisoirement suspendu de la royauté ; un plan d’éducation est ordonné pour le prince royale. Une Convention est convoquée. »

Sous la république, les Tuileries prirent le nom de Palais-National. Sur l’emplacement occupé par le théâtre, connu sous le nom de Salle des Machines, on construisit la salle de la Convention. On y entrait par un perron qui donnait sur la terrasse des Feuillants. Dans cette salle fut prononcée, le 20 janvier 1793, la sentence de la Convention qui condamnait à mort l’infortuné Louis XVI.

La fameuse fête de l’Être-Suprême eut lieu dans le jardin des Tuileries, le 9 juin 1794. Nous en rappelons les principales circonstances.

Conquérante aux Alpes, aux Pyrénées, menaçante dans les Pays-Bas, d’une grandeur héroïque sur mer, la république voulait se laver aux yeux de l’Europe du reproche d’impiété. Après avoir administré, égorgé, détruit avec un ensemble effrayant, elle cherchait à recomposer la société en l’appuyant sur deux grandes vérités, la morale et Dieu. La Convention avait fixé au 20 prairial an II, la fête de l’Être-Suprême. Robespierre avait été nommé président. Le soleil s’était levé dans toute sa splendeur, et son éclat semblait favoriser cette fête. On se rassemble à chaque section pour se rendre au jardin des Tuileries. Robespierre parait à la tête de la Convention. Le nouveau pontife tient à la main, comme tous les représentants, un bouquet de fleurs, de fruits et d’épis de blés. Son visage ordinairement impassible est rayonnant de joie. Arrivés sur un vaste amphithéâtre dressé devant le château et adossé au pavillon du milieu, les membres de la Convention prennent place. Alors Robespierre adresse au peuple ce premier discours : « Français républicains, il est enfin arrivé le jour fortuné que le peuple Français consacre à l’Être-Suprême. Jamais le monde qu’il a créé, ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l’imposture ; il voit dans ce moment une nation entière aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Être qui lui donne la mission de les entreprendre et le courage de les imiter. » — Une symphonie succède à ces paroles. Robespierre descend de l’amphithéâtre, et s’avance, une torche enflammée dans la main, vers le bassin du milieu. En cet endroit s’élevait un groupe de figures représentant l’Athéisme, la Discorde et l’Égoïsme. Robespierre y met le feu. Du milieu des cendres apparaît la statue de la Sagesse, mais on remarque que la déesse a été noircie par les flammes. La musique et les applaudissements de la foule accompagnent Robespierre à la tribune, où il prononce un nouveau discours qui se termine ainsi : « Français ! vous combattez des rois, vous êtes donc dignes d’honorer la Divinité. Être des êtres, auteur de la nature, l’esclave abruti, le vil suppôt du despotisme, l’aristocrate perfide et cruel t’outrage en t’invoquant. Mais les défenseurs de la liberté peuvent s’abandonner avec confiance dans ton sein paternel. Être des êtres, nous n’avons point à t’adresser d’injustes prières, tu connais les créatures sorties de tes mains, leurs besoins n’échappent pas plus à tes regards que leurs plus secrètes pensées ! La haine de la mauvaise foi et de la tyrannie brûle dans nos cœurs avec l’amour de la justice et de la Patrie ; notre sang coule pour la cause de l’humanité voilà notre prière, voilà nos sacrifices, voilà le culte que nous t’offrons ! » — Le cortège s’ébranle ensuite, on se met en marche pour se rendre au Champ-de-Mars. Robespierre affecte de devancer ses collègues. Quelques uns indignés, se rapprochent de sa personne, et lui prodiguent les sarcasmes les plus amers. L’un lui dit, en faisant allusion à la statue de la Sagesse, qui avait paru enfumée, que sa Sagesse est obscurcie ; l’autre fait entendre les noms de Tyran, de César, et s’écrie : qu’il est encore des Brutus !… Bourdon de l’Oise lui dit ces mots : « La Roche Tarpéienne est près du Capitole ! » — « Robespierre, dit Lecointre, j’aime la fête, mais toi je te déteste ! » — Le cortège est arrivé au Champ-de-Mars. Au milieu de cette vaste enceinte, s’élève une immense montagne. Au sommet on voit un arbre. La Convention vient s’asseoir sous ses rameaux. Des groupes d’enfants, de vieillards, et de femmes, entourent cette montagne. On chante un hymne composé par le représentant Chénier. Puis une symphonie se fait entendre ; enfin, à un signal donné, les adolescents tirent leurs épées et jurent dans les mains des vieillards, de défendre la patrie et de mourir pour elle. Les mères élèvent leurs enfants dans leurs bras, tous les assistants tendent leurs mains vers le ciel, et rendent hommage à l’Être-Suprême. Les roulements des tambours, les décharges d’artillerie, annoncent la fin de la cérémonie, et les spectateurs reprennent en bon ordre le chemin de leurs sections.

Le Conseil des Anciens remplaça la Convention aux Tuileries, tandis que celui des Cinq-Cents alla s’installer dans la Salle du Manège, jusqu’à l’époque du 18 fructidor, où le gouvernement l’appela près de lui au Luxembourg.

Napoléon, consul et empereur, habita les Tuileries. La famille des Bourbons y demeura également pendant la restauration. — Le 29 juillet 1830, vers midi, le peuple attaqua les Tuileries. Après un combat qui dura une heure et demie, les troupes royales battirent en retraite par la place de la Concorde et se dirigèrent vers Rambouillet. — Depuis 1831, la famille régnante occupe le palais des Tuileries.