Dictionnaire infernal/6e éd., 1863/Lettre V
V
Vaccine • Vache • Vade • Vafthrudnis • Vagnoste • Vaïcarani • Vaisseau-fantôme • Valafar • Valens • Valentin • Valentin (Basile) • Valère-Maxime • Valkiries • Vampires • Van-Dale • Vanlund • Vapeurs • Vapula • Varonnin • Vaudois • Vaulx • Vauvert • Veau d’or • Veau marin • Veland le Forgeron • Velleda • Vendredi • Veneur • Ventriloques • Vents • Vépar • Vérandi • Verdelet • Verdung • Verge • Verge d’Aaron • Verre d’eau • Verrues • Vers • Vert • Vert-Joli • Verveine • Vespasien • Vesta • Vêtements des morts • Vétin • Veu-Pacha • Viaram • Vidal de la Porte • Vid-Blain • Vieille • Villain • Villars • Villiers • Vine • Vipère • Virgile • Virgile (Salzbourg) • Visions • Vocératrices • Voile • Voisin • Voiture du diable • Voix • Volac • Volet • Vols (Voust) • Volta • Voltaire • Voltigeur hollandais • Vondel • Vouivre • Voyages des sorcières • Vroucolacas • Vue
Vaccine. Quand l’inoculation s’introduisit à Londres, un ministre anglican la traita en chaire d’innovation infernale, de suggestion diabolique, et soutint que la maladie de Job n’était que la petite vérole que lui avait inoculée le malin[1].
D’autres pasteurs anglais ont traité pareillement la vaccine ; des médecins français ont écrit que la vaccine donnerait aux vaccinés quelque chose de la race bovine, que les femmes soumises à ce préservatif s’exposaient à devenir des vaches comme Io. Voy. les écrits des docteurs Vaume, Moulet, Chapon, etc.
Vache. Cet animal est si respecté dans l’Hindoustan, que tout ce qui passe par son corps a, pour les Hindous, une vertu sanctifiante et
médicinale. Les brahmes donnent du riz aux vaches, puis ils en cherchent les grains entiers dans leurs excréments, et font avaler ces grains aux malades, persuadés qu’ils sont propres à guérir le corps et à purifier l’âme. Ils ont une vénération singulière pour les cendres de bouse de vache. Les souverains ont à leur cour des officiers qui n’ont point d’autre fonction que de présenter le matin à ceux qui viennent saluer le prince un plat de ces cendres détrempées dans un peu d’eau. Le courtisan plonge le bout du doigt dans ce mortier, et se fait sur différentes parties du corps une onction qu’il regarde comme très-salutaire. Voy. Vaïcarani.
Chez les Hébreux, on sacrifiait une vache rousse, pour faire de ses cendres une eau d’expiation destinée à purifier ceux qui s’étaient souillés par l’attouchement d’un mort. C’est de là sans doute que vient, dans le Midi, l’opinion qu’une vache rousse est mauvaise.
Vade. La légende de Vade ou Wade et de son fils Véland le Forgeron est célèbre dans la littérature Scandinave. La voici telle que MM. Depping et Francisque Michel, guidés par les monuments de la Suède et de l’Islande, l’ont exposée dans leur Dissertation sur une tradition du moyen âge, publiée à Paris en 1833 :
« Le roi danois Wilkin, ayant rencontré dans une forêt, au bord de la mer, une belle femme, qui était une haffru ou femme de mer, espèce d’êtres marins qui, sur terre, prennent la forme d’une femme, s’unit avec elle, et le fruit de cette union fut un fils géant, qui fut appelé Vade. Wilkin lui donna douze terres en Seeiande. Vade eut à son tour un fils appelé Veland ou Vanlund. Quand ce dernier eut atteint Page de neuf ans, son père le conduisit chez un habile forgeron du Hunaland, appelé Mimer, pour qu’il apprît à forger, tremper et façonner le fer. Après l’avoir laissé trois hivers dans le Hunaland, le géant Vade se rendit avec lui à une montagne appelée Kallova, dont l’intérieur était habité par deux nains qui passaient pour savoir mieux forger le fer que les autres nains et que les hommes ordinaires. Ils fabriquaient des épées, des casques et des cuirasses ; ils savaient aussi travailler l’or et l’argent, et en faire toute sorte de bijoux. Pour un marc d’or, ils rendirent Veland le plus habile forgeron de la terre. Néanmoins ce dernier tua ses maîtres, qui voulaient profiter d’une tempête dans laquelle Vade avait péri pour mettre à mort leur élève. Veland s’empara alors des outils, chargea un cheval d’autant d’or et d’argent qu’il pouvait en porter, et reprit le chemin du Danemark, il arriva près d’un fleuve, nommé Visara ou Viser-Aa ; il s’arrêta sur la rive, y abattit un arbre, le creusa, y déposa ses trésors et ses vivres, et s’y pratiqua une demeure tellement fermée que l’eau ne pouvait y pénétrer. Après y être entré, il se laissa flotter vers la mer.
» Un jour, un roi de Jutland, nommé Nidung, pêchait avec sa cour, quand les pêcheurs retirèrent de leur filet un gros tronc d’arbre singulièrement taillé. Pour savoir ce qu’il pouvait contenir, on voulut le mettre en pièces ; mais tout à coup une voix, sortant du tronc, ordonna aux ouvriers de cesser. À cette voix, tous les assistants prirent là fuite, croyant qu’un sorcier était caché dans l’arbre. Veland en sortit ; il dit au roi qu’il n’était pas magicien, et que, si on voulait lui laisser la vie et ses trésors, il rendrait de grands services. Le roi lui promit. Veland cacha ses trésors en terre et entra au service de Nidung. Sa charge fut de prendre soin de trois couteaux que l’on mettait devant le roi à table. Le roi, ayant découvert l’habileté de Veland dans l’art de fabriquer des armes, consentit à ce qu’il luttât avec son forgeron ordinaire. Celui-ci fit une armure qu’il croyait impénétrable, mais que Veland fendit en deux d’un seul coup de l’épée d’or qu’il avait fabriquée en peu d’heures. Depuis lors, Veland fut en grande faveur auprès du roi ; mais ayant été mal récompensé d’un message pénible et dangereux, il ne songea plus qu’à se venger. Il tenta d’empoisonner le roi, qui s’en aperçut et lui fit couper les jarrets. Furieux de cette injure, Veland feignit du repentir ; et le roi consentit à lui laisser une forge et les outils nécessaires pour composer de belles armures et des bijoux précieux. Alors le vindicatif artisan sut attirer chez lui les deux fils du roi ; il les tua, et offrit à leur père deux coupes faites avec le crâne de ses enfants. Après quoi il se composa des ailes, s’envola sur la tour la plus élevée, et cria de toutes ses forces pour que le roi vînt et lui parlât. En entendant sa voix, le roi sortit. « Veland, dit-il, est-ce que tu es devenu oiseau ?
» — Seigneur, répondit le forgeron, je suis maintenant oiseau et homme à la fois ; je pars, et tu ne me verras plus. Cependant, avant de partir, je veux t’apprendre quelques secrets. Tu m’as fait couper les jarrets pour m’empêcher de m’en aller : je m’en suis vengé ; je t’ai privé de tes fils, que j’ai égorgés de ma main ; mais tu trouveras leurs ossements dans les vases garnis d’or et d’argent dont j’ai orné ta table. »
» Ayant dit ces mots, Veland disparut dans les airs.
» Ce récit est la forme la plus complète qu’ait reçue la légende de Vade et de son fils dans les monuments de la littérature Scandinave. Le chant de l’Edda, qui nous fait connaître Veland, diffère dans plusieurs de ses circonstances. Là, Veland est le troisième fils d’un roi alfe, c’est-à-dire d’espèce surnaturelle. Ces trois princes avaient épousé trois valkiries ou fées qu’ils avaient rencontrées au bord d’un lac, où, après avoir déposé leur robe de cygne, elles s’amusaient à filer du lin. Au bout de sept années de mariage, les valkiries disparurent, et les deux frères de Veland allèrent à la recherche de leurs femmes ; mais Veland resta seul dans sa cabane, et s’appliqua à forger les métaux. Le roi Niduth, ayant entendu parler des beaux ouvrages d’or que Veland faisait, s’empara du forgeron pendant qu’il dormait ; et, comme il faisait peur à la reine, celle-ci ordonna qu’on lui coupât les jarrets. Veland, pour se venger, accomplit les actions différentes que nous avons rapportées. »
Cette histoire de Wade et de son fils a été souvent imitée par les anciens poëtes allemands et anglo-saxons. Les trouvères français ont parlé plusieurs fois de Veland, de son habileté à forger des armures. Ils se plaisaient à dire que l’épée du héros qu’ils chantaient avait été trempée par Veland.
Vafthrudnis, génie des Scandinaves renommé pour sa science profonde. Odin alla le défier dans son palais, et le vainquit par la supériorité de ses connaissances.
Vagnoste, géant, père d’Agaberte. Voy. ce mot.
Vaïcarani, fleuve de feu que les âmes doivent traverser avant d’arriver aux enfers, selon la doctrine des Indiens. Si un malade tient en main la queue d’une vache au moment de sa mort, il passera sans danger le fleuve Vaïcarani, parce que la vache dont il a tenu la queue se présentera à lui sur le bord du fleuve ; il prendra sa queue et fera doucement le trajet par ce moyen.
Vaisseau-fantôme. Voy. Voltigeur hollandais.
Valafar ou Malafar, grand et puissant duc de l’empire infernal. Il paraît sous la forme d’un ange, quelquefois sous celle d’un lion avec la tête et les pattes d’une oie et une queue de lièvre. Il connaît le passé et l’avenir, donne du génie et de l’audace aux hommes, et commande trente-six légions[2].
Valens, empereur arien. « Curieux de savoir le nom de son successeur, il eut recours aux voies extraordinaires et défendues ; et comme le démon l’eut informé[3] qu’il le connaîtrait aux lettres théod, il fit mourir Théodore, Théodule, etc., sans penser à Théodose, qui lui succéda.
» Cette histoire, ajoute Chevreau, est peut-être plus connue que la suivante. Pierre-Louis, duc de Parme, étant averti par Lucas Gauric d’une conspiration contre lui, se mit en tête de savoir le nom des conjurés par l’évocation des esprits. Le démon lui répondit, se voyant pressé, que s’il prenait garde à sa monnaie, il trouverait ce qu’il demandait. Comme la réponse était obscure, et que pour l’entendre il fallait être aussi diable que le diable même, il s’en moqua, quoiqu’elle fût trouvée véritable par l’événement, puisque la légende de la vieille monnaie de Farnèse était p. alois, parm. et plac. dux. Par ces quatre lettres plac., qui signifient Placentiæ, il lui découvrait le lieu et le nom des conjurés. Chaque lettre des quatre marquait la première du nom des quatre familles qui exécutèrent leur entreprise : P, Pallavicini ; L, Landi ; A, Anguiscioli ; C, Confalonieri. »
Valentin, hérésiarque, originaire d’Égypte, qui enseigna sa doctrine peu de temps après la mort du dernier des apôtres. Il admettait un séjour éternel de lumière, qu’il nommait pléroma ou plénitude, dans lequel habitait la Divinité. Il y plaçait des Éons ou intelligences immortelles, au nombre de trente, les uns mâles, les autres femelles ; il les distribuait en trois ordres, les supposait nés les uns des autres, leur donnait des noms et faisait leur généalogie. Le premier était Bythos, la profondeur, qu’il appelait aussi le premier père, propator. Il lui donnait pour femme Ennoïa, l’intelligence, qu’il appelait encore le silence, Sigé. Jésus-Christ et le Saint-Esprit étaient les derniers nés de ces Éons.
On a peine à concevoir que Valentin ait eu de nombreux disciples et que plusieurs sectes soient nées de sa doctrine ; mais l’esprit humain fourvoyé a aussi ses prodiges.
Valentin (Basile). Voy. Basile-Valentin.
Valère-Maxime, écrivain qui florissait sous Tibère. Le premier livre de son Recueil des actions et des paroles mémorables roule principalement sur les prodiges et les songes merveilleux.
Valkiries. Voy. Walkiries.
Vampires. Ce qu’il y a de plus remarquable dans l’histoire des vampires, c’est qu’ils ont partagé avec les philosophes, ces autres démons, l’honneur d’étonner et de troubler le dix-huitième siècle ; c’est qu’ils ont épouvanté la Lorraine, la Prusse, la Silésie, la Pologne, la Moravie, l’Autriche, la Russie, la Bohême et tout le nord de l’Europe, pendant que les démolisseurs de l’Angleterre et de la France renversaient les croyances en se donnant le ton de n’attaquer que les erreurs populaires.
Chaque siècle, il est vrai, a eu ses modes ; chaque pays, comme l’observe D. Calmet, a eu ses préventions et ses maladies. Mais les vampires n’ont point paru avec tout leur éclat dans les siècles barbares et chez les peuples sauvages : ils se sont montrés au siècle des Diderot et des Voltaire, dans l’Europe, qui se disait déjà civilisée.
On a donné le nom d’upiers oupires, et plus généralement vampires en Occident, de broucolaques (vroucolacas) en Morée, de katakhanès à Ceylan, — à des hommes morts et enterrés depuis plusieurs années, ou du moins depuis plusieurs jours, qui revenaient en corps et en âme, parlaient, marchaient, infestaient les villages, maltraitaient les hommes et les animaux ; et surtout qui suçaient le sang de leurs proches, les épuisaient, leur causaient la mort[4]. On ne se délivrait de leurs dangereuses visites et de leurs infestations qu’en les exhumant, les empalant, leur coupant la tête, leur arrachant le cœur, ou les brûlant.
Ceux qui mouraient sucés devenaient habituellement vampires à leur tour. Les journaux publics de la France et de la Hollande parlent, en 1693 et 1694, des vampires qui se montraient en Pologne et surtout en Russie. On voit dans le Mercure galant de ces deux années que c’était alors une opinion répandue chez ces peuples que les vampires apparaissaient depuis midi jusqu’à minuit ; qu’ils suçaient le sang des hommes et des animaux vivants avec tant d’avidité, que souvent ce sang leur sortait par la bouche, par les narines, par les oreilles. Quelquefois, ce qui est plus fort encore, leurs cadavres nageaient dans le sang au fond de leurs cercueils.
On disait que ces vampires, ayant continuellement grand appétit, mangeaient aussi les linges qui se trouvaient autour d’eux. On ajoutait que, sortant de leurs tombeaux, ils allaient la nuit embrasser violemment leurs parents ou leurs amis, à qui ils suçaient le sang en leur pressant la gorge pour les empêcher de crier. Ceux qui étaient sucés s’affaiblissaient tellement qu’ils mouraient presque aussitôt. Ces persécutions ne s’arrêtaient pas à une personne seulement : elles s’étendaient jusqu’au dernier de la famille ou du village (car le vampirisme ne s’est guère exercé dans les villes), à moins qu’on n’en interrompît le cours en coupant la tête ou en perçant le cœur du vampire, dont on trouvait le cadavre mou, flexible, mais frais, quoique mort depuis très-longtemps. Comme il sortait de ces corps une grande quantité de sang, quelques-uns le mêlaient avec de la farine pour en faire du pain : ils prétendaient qu’en mangeant ce pain ils se garantissaient des atteintes du vampire.
Voici quelques histoires de vampires.
M. de Vassimont, envoyé en Moravie par le duc de Lorraine Léopold Ier, assurait, dit D. Calmet, que ces sortes de spectres apparaissaient fréquemment et depuis longtemps chez les Moraves, et qu’il était assez ordinaire dans ce pays-là de voir des hommes morts depuis quelques semaines se présenter dans les compagnies, se mettre à table sans rien dire avec les gens de leur connaissance, et faire un signe de tête à quelqu’un des assistants, lequel mourait infailliblement quelques jours après.
Un vieux curé confirma ce fait à M. de Vassimont et lui en cita même plusieurs exemples, qui s’étaient, disait-il, passés sous ses yeux.
Les évêques et les prêtres du pays avaient consulté Rome sur ces matières embarrassantes ; mais le saint-siége ne fit point de réponse, parce qu’il regardait tout cela comme des visions. Dès lors on s’avisa de déterrer les corps de ceux qui revenaient ainsi, de les brûler ou de les consumer en quelque autre manière, et ce fut par ce moyen qu’on se délivra de ces vampires, qui devinrent de jour en jour moins fréquents. Toutefois ces apparitions donnèrent lieu à un petit ouvrage composé par Ferdinand de Schertz, et imprimé à Olmutz, en 1706, sous le titre de Magia posthuma. L’auteur raconte qu’en un certain village, une femme, étant morte munie des sacrements, fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. On voit que ce n’était point une excommuniée, mais peut-être une sacrilège. Quatre jours après son décès, les habitants du village entendirent un grand bruit et virent un spectre qui paraissait tantôt sous la forme d’un chien, tantôt sous celle d’un homme, non à une personne seulement, mais à plusieurs. Ce spectre serrait la gorge de ceux à qui il s’adressait, leur comprimait l’estomac jusqu’à les suffoquer, leur brisait presque tout le corps et les réduisait à une faiblesse extrême ; en sorte qu’on les voyait pâles, maigres et exténués. Les animaux mêmes n’étaient pas à l’abri de sa malice : il attachait les vaches l’une à l’autre par la queue, fatiguait les chevaux et tourmentait tellement le bétail de toute sorte, qu’on n’entendait partout que mugissements et cris de douleur. Ces calamités durèrent plusieurs mois : on ne s’en délivra qu’en brûlant le corps de la femme vampire.
L’auteur de la Magia posthuma raconte une autre anecdote plus singulière encore. Un pâtre du village de Blow, près la ville de Kadam en Bohême, apparut quelque temps après sa mort avec les symptômes qui annoncent le vampirisme. Le fantôme appelait par leur nom certaines personnes, qui ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Il tourmentait ses anciens voisins, et causait tant d’effroi que les paysans de Blow déterrèrent son corps et le fichèrent en terre avec un pieu qu’ils lui passèrent à travers le cœur. Ce spectre, qui parlait quoiqu’il fût mort, et qui du moins n’aurait plus dû le faire dans une situation pareille, se moquait néanmoins de ceux qui lui faisaient souffrir ce traitement.
« Vous avez bonne grâce, leur disait-il, en ouvrant sa grande bouche de vampire, de me donner ainsi un bâton pour me défendre contre les chiens ? » On ne fit pas attention à ce qu’il put dire, et on le laissa. La nuit suivante, il brisa son pieu, se releva, épouvanta plusieurs personnes et en suffoqua plus qu’il n’avait fait jusqu’alors. On le livra au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors de la ville et l’y brûler. Le cadavre remuait les pieds et les mains, roulait des yeux ardents et hurlait comme un furieux. Lorsqu’on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta de grands cris et rendit du sang très-vermeil ; mais quand on l’eut bien brûlé, il ne se montra plus…
On en usait de même, dans le dix-septième siècle, contre les revenants de ce genre ; et dans plusieurs endroits, quand on les tirait de terre, on les trouvait pareillement frais et vermeils, les membres souples et maniables, sans vers et sans pourriture, mais non sans une très-grande puanteur.
L’auteur que nous avons cité assure que de son temps on voyait souvent des vampires dans les montagnes de Silésie et de Moravie. Ils apparaissaient en plein jour, comme au milieu de la nuit, et l’on s’apercevait que les choses qui leur avait appartenu se remuaient et changeaient de place sans que personne parût les toucher. Le seul remède contre ces apparitions était de couper la tête et de brûler le corps du vampire.
Vers l’an 1725, un soldat qui était en garnison chez un paysan des frontières de la Hongrie vit entrer, au moment du souper, un inconnu qui se mit à table auprès du maître de la maison. Celui-ci en fut très-effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne savait qu’en juger et craignait d’être indiscret en faisant des questions, parce qu’il ignorait de quoi il s’agissait. Mais le maître du logis étant mort le lendemain, il chercha à connaître le sujet qui avait produit cet accident et mis toute la maison dans le trouble. On lui dit que l’inconnu qu’il avait vu entrer et se mettre à table, au grand effroi de la famille, était le père du maître de la maison ; qu’il était mort et enterré depuis dix ans, et qu’en venant ainsi s’asseoir auprès de son fils, il lui avait apporté la mort. Le soldat raconta ces choses à son régiment. On en avertit les officiers généraux, qui donnèrent commission au comte de Cabreras, capitaine d’infanterie, de faire information de ce fait. Cabréras s’étant transporté sur les lieux avec d’autres officiers, un chirurgien et un auditeur, ils entendirent les dépositions de tous les gens de la maison, qui attestèrent que le revenant n’était autre que le père du maître du logis, et que tout ce que le soldat avait rapporté était exact : ce qui fut aussi affirmé par la plupart des habitants du village. En conséquence, on fit tirer de terre le corps de ce spectre. Son sang était fluide et ses chairs aussi fraîches que celles d’un homme qui vient d’expirer. On lui coupa la tête, après quoi on le remit dans son tombeau. On exhuma ensuite, après d’amples informations, un homme mort depuis plus de trente ans, qui était revenu trois fois dans sa maison à l’heure du repas, et qui avait sucé au cou, la première fois, son propre frère ; la seconde, un de ses fils ; la troisième, un valet de la maison. Tous trois en étaient morts presque sur-le-champ. Quand ce vieux vampire fut déterré, on le trouva, comme le premier, ayant le sang fluide et le corps frais. On lui planta un grand clou dans la tête, et ensuite on le remit dans son tombeau. Le comte de Cabréras fit brûler un troisième vampire, qui était enterré depuis seize ans, et qui avait sucé le sang et causé la mort à deux de ses fils. — Alors enfin le pays fut tranquille[5].
On a vu, dans tout ce qui précède, que généralement, lorsqu’on exhume les vampires, leurs corps paraissent vermeils, souples, bien conservés. Cependant, malgré tous ces indices de vampirisme, on ne procédait pas contre eux sans formes judiciaires. On citait et on entendait les témoins, on examinait les raisons des plaignants, on considérait avec attention les cadavres : si tout annonçait un vampire, on le livrait au bourreau, qui le brûlait. Il arrivait quelquefois que ces spectres paraissaient encore pendant trois ou quatre jours après leur exécution ; cependant leur corps avait été réduit en cendres. Assez souvent on différait d’enterrer pendant six ou sept semaines les corps de certaines personnes suspectes. Lorsqu’ils ne pourrissaient point et que leurs membres demeuraient souples, leur sang fluide, alors on les brûlait. On assurait que les habits de ces défunts se remuaient et changeaient de place sans qu’aucune personne les touchât. L’auteur de la Magia posthuma raconte que l’on voyait à Olmutz, à la fin du dix-septième siècle, un de ces vampires qui, n’étant pas enterré, jetait des pierres aux voisins et molestait extrêmement les habitants.
Dom Calmet rapporte, comme une circonstance particulière, que, dans les villages où l’on est infesté du vampirisme, on va au cimetière, on visite les fosses, on en trouve qui ont deux ou trois, ou plusieurs trous de la grosseur du doigt ; alors on fouille dans ces fosses, et l’on ne manque pas d’y trouver un corps souple et vermeil. Si on coupe la tête de ce cadavre, il sort de ses veines et de ses artères un sang fluide, frais et abondant. Le savant bénédictin demande ensuite si ces trous qu’on remarquait dans la terre qui couvrait les vampires pouvaient contribuer à leur conserver une espèce de vie, de respiration, de végétation, et rendre plus croyable leur retour parmi les vivants ; il pense avec raison que ce sentiment, fondé d’ailleurs sur des faits qui n’ont rien de réellement constaté, n’est ni probable ni digne d’attention.
Le même écrivain cite ailleurs, sur les vampires de Hongrie, une lettre de M. de l’Isle de Saint-Michel, qui demeura longtemps dans les pays infestés, et qui devait en savoir quelque chose. Voici comment M. de l’Isle s’explique là-dessus :
« Une personne se trouve attaquée de langueur, perd l’appétit, maigrit à vue d’œil et, au bout de huit ou dix jours, quelquefois quinze, meurt sans fièvre et sans aucun autre symptôme de maladie que la maigreur et le dessèchement. On dit, en Hongrie, que c’est un vampire qui s’attache à cette personne et lui suce le sang. De ceux qui sont attaqués de cette mélancolie noire, la plupart, ayant l’esprit troublé, croient voir un spectre blanc qui les suit partout, comme l’ombre fait le corps.
» Lorsque nous étions en quartiers d’hiver chez les Valaques, deux cavaliers de la compagnie dont j’étais cornette moururent de cette maladie, et plusieurs autres, qui en étaient attaqués, seraient probablement morts de même, si un caporal de notre compagnie n’avaient guéri les imaginations en exécutant le remède que les gens du pays emploient pour cela. Quoique assez singulier, je ne l’ai jamais lu nulle part. Le voici :
» On choisit un jeune garçon, on le fait monter à poil sur un cheval entier, absolument noir ; on conduit le jeune homme et le cheval au cimetière ; ils se promènent sur toutes les fosses. Celle où l’animal refuse de passer, malgré les coups de cravache qu’on lui délivre, est regardée comme renfermant un vampire. On ouvre cette fosse, et on y trouve un cadavre aussi beau et aussi frais que si c’était un homme tranquillement endormi. On coupe, d’un coup de bêche, le cou de ce cadavre ; il en sort abondamment un sang, des plus beaux et des plus vermeils, du moins on croit le voir ainsi. Cela fait, on remet le vampire dans sa fosse, on la comble et on peut compter que dès lors la maladie cesse et que tous ceux qui en étaient attaqués recouvrent leurs forces peu à peu, comme des gens qui échappent d’une longue maladie d’épuisement… »
Les Grecs appellent leurs vampires broucolaques ; ils sont persuadés que la plupart des spectres d’excommuniés sont vampires, qu’ils ne peuvent pourrir dans leurs tombeaux, qu’ils apparaissent le jour comme la nuit, et qu’il est très-dangereux de les rencontrer.
Léon Allatius, qui écrivait au seizième siècle, entre là-dessus dans de grands détails ; il assure que dans l’île de Chio les habitants ne répondent que lorsqu’on les appelle deux fois, car ils sont persuadés que les broucolaques ne les peuvent appeler qu’une fois seulement. Ils croient encore que quand un broucolaque appelle une personne vivante, si cette personne répond, le spectre disparaît ; mais celui qui a répondu meurt au bout de quelques jours. On raconte la même chose des vampires de Bohême et de Moravie.
Pour se garantir de la funeste influence des broucolaques, les Grecs déterrent le corps du spectre et le brûlent, après avoir récité sur lui des prières. Alors ce corps, réduit en cendres, ne paraît plus.
Ricaut, qui voyagea dans le Levant au dix-septième siècle, ajoute que la peur des broucolaques est générale aux Turcs comme aux Grecs. Il raconte un fait qu’il tenait d’un caloyer candiote, lequel lui avait assuré la chose avec serment.
Un homme, étant mort excommunié pour une faute qu’il avait commise dans la Morée, fut enterré sans cérémonie dans un lieu écarté et non en terre sainte. Les habitants furent bientôt effrayés par d’horribles apparitions qu’ils attribuèrent à ce malheureux. On ouvrît son tombeau au bout de quelques années, on y trouva son corps enflé, mais sain et bien dispos ; ses veines étaient gonflées du sang qu’il avait sucé : on reconnut en lui un broucolaque. Après qu’on eut délibéré sur ce qu’il y avait à faire, les caloyers furent d’avis de démembrer le corps, de le mettre en pièces et de le faire bouillir dans le vin ; car c’est ainsi qu’ils en usent, de temps très-ancien, envers les broucolaques. Mais les parents obtinrent, à force de prières, qu’on différât cette exécution ; ils envoyèrent en diligence à Constantinople, pour solliciter du patriarche l’absolution dont le défunt avait besoin. En attendant, le corps fut mis dans l’église, où l’on disait tous les jours des prières pour son repos. Un matin que le caloyer faisait le service divin, on entendit tout d’un coup une espèce de détonation dans le cercueil : on l’ouvrit, et l’on trouva le corps dissous, comme doit l’être celui d’un mort enterré depuis sept ans. On remarqua le moment où le bruit s’était fait entendre ; c’était précisément l’heure où l’absolution accordée par le patriarche avait été signée…
Les Grecs et les Turcs s’imaginent, que les cadavres des broucolaques mangent pendant la nuit, se promènent, font la digestion de ce qu’ils ont mangé, et se nourrissent réellement (V. Mastication). Ils content qu’en déterrant ces vampires, on en a trouvé qui étaient d’un coloris vermeil, et dont les veines étaient tendues par la quantité de sang qu’ils avaient sucé ; que, lorsqu’on leur ouvre le corps, il en sort des ruisseaux de sang aussi frais, que celui d’un jeune homme d’un tempérament sanguin. Cette opinion populaire est si généralement répandue que tout le monde en raconte des histoires circonstanciées.
L’usage de brûler les corps des vampires est très-ancien dans plusieurs autres pays, Guillaume de Neubrige, qui vivait au douzième siècle, raconte[6] que, de son temps, on vit en Angleterre, dans le territoire de Buckingham, un spectre qui apparaissait en corps et en âme, et qui vint épouvanter sa femme et ses parents. On ne se défendait de sa méchanceté qu’en faisant grand bruit lorsqu’il approchait. Il se montra même à certaines personnes en plein jour. L’évêque de Lincoln assembla sur cela son conseil, qui lui dit que pareilles choses étaient souvent arrivées en Angleterre, et que le seul remède que l’on connût à ce mal était de brûler le corps du spectre. L’évêque ne put goûter cet avis, qui lui parut cruel. Il écrivit une cédule d’absolution ; elle fut mise sur le corps du défunt, que l’on trouva aussi frais que le jour de son enterrement, et depuis lors le fantôme ne se montra plus. Le même auteur ajoute que les apparitions de ce genre étaient alors en effet très-fréquentes en Angleterre.
Quant à l’opinion répandue dans le Levant que les spectres se nourrissent, on la trouve établie depuis plusieurs siècles dans d’autres contrées. Il y a longtemps que les, Allemands sont persuadés que les morts mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux, et qu’il est facile de les entendre grogner en broyant ce qu’ils dévorent[7]. Philippe Rherius, au dix-septième siècle, et Michel Raufft, au commencement du dix-huitième, ont même publié des traités sur les morts qui mangent dans leurs sépulcres[8].
Après avoir parlé de la persuasion où sont les Allemands qu’il y a des morts qui dévorent les linges et tout ce qui est à leur portée, même leur propre chair, ces écrivains remarquent qu’en quelques endroits de l’Allemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met dans le cercueil une motte de terre sous le menton ; qu’ailleurs on leur fourre dans la bouche une petite pièce d’argent et une pierre, et que d’autres leur serrent fortement la gorge, avec un mouchoir. Ils citent des morts qui se sont dévorés eux-mêmes dans leur sépulcre.
On doit s’étonner de voir des savants trouver quelque chose de prodigieux dans des faits aussi naturels. Pendant la nuit qui suivit les funérailles du comte Henri de Salm, on entendit dans l’église de l’abbaye de Haute-Seille, où il était enterré, des cris sourds que les Allemands auraient sans doute pris pour le grognement d’une personne, qui mâche ; et le lendemain, le tombeau du comte ayant été ouvert, on le trouva mort, mais renversé et le visage en bas, au lieu qu’il avait été inhumé sur le dos. On l’avait enterré vivant. On doit attribuer à une cause semblable l’histoire rapportée par Raufft d’une femme de Bohême qui, en 1345, mangea dans sa fosse la moitié de son linceul sépulcral.
Dans le dernier, siècle, un pauvre homme ayant été inhumé précipitamment dans le cimetière, on entendit pendant la nuit du bruit dans son tombeau ; on l’ouvrit le lendemain, et on trouva qu’il s’était mangé les chairs des bras. Cet homme, ayant bu de l’eau-de-vie avec excès, avait été enterré vivant.
Une demoiselle d’Ausbourg tomba dans une telle léthargie qu’on la crut morte ; son corps fut mis dans un caveau profond, sans être couvert de terre ; on entendit bientôt quelque bruit dans le tombeau, mais on m’y fit point attention. Deux ou trois ans après, quelqu’un de la même famille mourut ; on ouvrit le caveau, et l’on trouva le corps de la demoiselle auprès de la pierre qui en fermait l’entrée ; elle avait en vain tenté de déranger cette pierre, et elle n’avait plus de doigt à la main droite, qu’elle s’était dévorée de désespoir.
Tournefort raconte, dans le tome Ier de son Voyage au Levant, la manière dont il vit exhumer un broucolaque de l’île de Mycone, où il se trouvait en 1701.
« C’était un paysan d’un naturel chagrin et querelleur, circonstance qu’il faut remarquer dans de pareils sujets ; il fut tué à la campagne, on ne sait ni par qui, ni comment. Deux jours après qu’on l’eut inhumé dans une chapelle de la ville, le bruit courut qu’on le voyait la nuit se promener à grands pas, et qu’il venait dans les maisons renverser les meubles, éteindre les lampes, embrasser les gens par derrière et faire mille tours d’espiègle. On ne lit qu’en rire d’abord. Mais, l’affaire devint sérieuse lorsque les plus honnêtes gens commencèrent à se plaindre. Les papas (prêtres grecs) convenaient eux-mêmes du fait, et sans doute ils avaient leurs raisons. Cependant le spectre continuait la même vie. On décida enfin, dans une assemblée des principaux de la ville, des prêtres et des religieux, qu’on attendrait, selon je ne sais quel ancien cérémonial, les neuf jours après l’enterrement. Le dixième jour, on dit une messe dans la chapelle où était le corps, afin de chasser le démon que l’on croyait s’y être renfermé. La messe-dite, on déterra le corps et on se mit en devoir de lui ôter le cœur ; ce qui excita les applaudissements de toute l’assemblée. Le corps sentait si mauvais, que l’on fut obligé de brûler de l’encens ; mais la fumée, confondue avec la mauvaise odeur, ne fit que l’augmenter et commença d’échauffer la cervelle de ces pauvres gens : leur imagination se remplit de visions. On s’avisa de dire qu’il sortait une épaisse fumée de ce corps. Nous n’osions pas assurer, dit Tournefort, que c’était celle de l’encens. Oh ne criait que Vroucolacas dans la chapelle et dans la place. Le bruit se répandait dans les rues comme par mugissements, et ce nom semblait fait pour tout ébranler. Plusieurs assistants assuraient que le sang était encore tout vermeil ; d’autres juraient qu’il était encore tout chaud ; d’où l’on concluait que le mort avait grand tort de n’être pas mort, ou, pour mieux dire, de s’être laissé ranimer par le diable. C’est là précisément l’idée qu’on a d’un broucolaque ou vroucolaque. Les gens qui l’avaient mis en terre prétendirent qu’ils s’étaient bien aperçus qu’il n’était pas roide, lorsqu’on le transportait de la campagne à l’église pour l’enterrer, et que, par conséquent, c’était un vrai broucolaque. C’était le refrain. Enfin, on fut d’avis de brûler le cœur du mort, qui, après cette exécution, ne fut pas plus docile qu’auparavant. On l’accusa encore de battre les gens la nuit, d’enfoncer les portes, de déchirer les habits et de vider les cruches et les bouteilles. C’était un mort bien altéré. Je crois, ajoute Tournefort, qu’il n’épargna que la maison du consul chez qui nous logions. Mais tout le monde avait l’imagination renversée ; c’était une vraie maladie, de cerveau, aussi dangereuse que la manie et la rage. On voyait des familles entières abandonner leurs maisons, portant leurs grabats à la place, pour y passer la nuit. Les plus sensés se retiraient à la campagne. Les citoyens un peu zélés pour le bien public assuraient qu’on avait manqué au point le plus essentiel de la cérémonie. Il ne fallait, disaient-ils, célébrer la messe qu’après avoir ôté le cœur du défunt. Ils prétendaient qu’avec cette précaution on n’aurait pas manqué de surprendre le diable, et sans doute il n’aurait pas eu l’audace d’y revenir ; au lieu qu’ayant commencé par la messe, il avait eu le temps de rentrer, après s’être d’abord enfui. On fit cependant des processions dans toute la ville pendant trois jours et trois nuits ; on obligea les papas de jeûner ; on se détermina à faire le guet pendant la nuit, et on arrêta quelques vagabonds qui assurément avaient part à tout ce désordre. Mais on les relâcha trop tôt, et deux jours après, pour se dédommager du jeûne qu’ils avaient fait en prison, ils recommencèrent à vider les cruches de vin de ceux qui avaient quitté leur maison la nuit. On fut donc obligé de recourir de nouveau aux prières.
» Un matin que l’on récitait certaines oraisons, après avoir planté quantité d’épées nues sur la fosse du cadavre, que l’on déterrait trois ou quatre fois par jour, suivant le caprice du premier venu, un Albanais qui se trouvait à Mycone s’avisa de dire, d’un ton de docteur, qu’il était ridicule de se servir, en pareil cas, des épées des chrétiens. Ne voyez-vous pas, pauvres gens, ajouta-t-il, que la garde de ces épées, faisant une croix avec la poignée, empêche le diable de sortir de ce corps ? Que ne vous servez-vous plutôt des sabres des Turcs ? L’avis ne servit de rien ; le broucolaque ne fut pas plus traitable, et on ne savait plus à quel saint se vouer, lorsqu’on résolut, d’une voix unanime, de brûler le corps, tout entier : après cela ils défiaient bien le diable de s’y nicher. On prépara donc un bûcher avec du goudron, à l’extrémité de l’île de Saint-Georges, et les débris du corps furent consumés le 1er janvier 1701. Dès lors on n’entendit plus parler du broucolaque. On se contenta de dire que le diable avait été bien attrapé cette fois-là, et l’on fit des chansons pour le tourner en ridicule.
» Dans tout l’Archipel, dit encore Tournefort, on est bien persuadé qu’il n’y a que les Grecs du rite grec dont le diable ranime les cadavres. Les habitants de l’île de Santonine appréhendent fort ces sortes de spectres. Ceux de Mycone, après que leurs visions furent dissipées, craignaient également les poursuites des Turcs et celles de l’évêque de Tine. Aucun prêtre, ne voulut se trouver à Saint-Georges quand on brûla le corps, de peur que l’évêque n’exigeât une somme d’argent pour avoir fait déterrer et brûler le mort sans sa permission. Pour les Turcs, il est certain qu’à la première visite ils ne manquèrent pas de faire payer à la communauté de Mycone le sang de ce pauvre revenant, qui fut, en toute manière, l’abomination et l’horreur de son pays. »
On a publié, en 1773, un petit ouvrage intitulé[9] Pensées philosophiques et chrétiennes sur les vampires, par Jean-Christophe Herenberg. L’auteur parle, en passant, d’un spectre qui lui apparut à lui-même en plein midi : il soutient en même temps que les vampires ne font pas mourir les vivants, et que tout ce qu’on en débite ne doit être attribué qu’au trouble de l’imagination des malades. Il prouve par diverses expériences que l’imagination est capable de causer, de très-grands dérangements dans le corps et dans les humeurs. Il rappelle qu’en Esclavonie on empalait les meurtriers, et qu’on y perçait le cœur du coupable avec un pieu qu’on lui enfonçait dans la poitrine. Si l’on a employé le même châtiment contre les vampires, c’est parce qu’on les suppose auteurs de la mort de ceux dont on dit qu’ils sucent le sang.
Christophe Herenberg donne quelques exemples de ce supplice exercé contre les vampires, l’un dès l’an 1337, un autre en l’année 1347, etc. ; il parle de l’opinion de ceux qui croient que les morts mâchent dans leurs tombeaux, opinion dont il tâche de prouver l’antiquité par des citations de Tertullien, au commencement de son livre de la Résurrection, et de saint Augustin, livre VIII de la Cité de Dieu.
Quant à ces cadavres qu’on a trouvés, dit-on, pleins d’un sang fluide, et dont la barbe, les cheveux et les ongles se sont renouvelés, avec beaucoup de surveillance on peut rabattre les trois quarts de ces prodiges ; et encore faut-il être complaisant pour en admettre une partie. Tous ceux qui raisonnent connaissent assez comme le crédule vulgaire et même certains historiens sont portés à grossir les choses qui paraissent extraordinaires. Cependant il n’est pas impossible d’en expliquer physiquement la cause. On sait qu’il y a certains terrains qui sont propres à conserver les corps dans toute leur fraîcheur : les raisons en ont été si souvent expliquées qu’il n’est pas nécessaire de s’y arrêter.
On montre encore à Toulouse, dans une église, un caveau où les corps restent si parfaitement dans leur entier, qu’il s’en trouvait, en 1789, qui étaient là depuis près de deux siècles, et qui paraissaient vivants. On les avait rangés debout contre la muraille, et ils portaient les vêtements avec lesquels on les avait enterrés.
Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les corps qu’on met de l’autre côté de ce même caveau deviennent, deux ou trois jours après, la pâture des vers. Quant à l’accroissement des ongles, des cheveux et de la barbe, on l’aperçoit très-souvent dans plusieurs cadavres. Tandis qu’il reste encore beaucoup d’humidité dans les corps, il n’y a rien de surprenant que pendant un certain temps on voie quelque augmentation dans des parties qui n’exigent pas l’influence des esprits vitaux. Pour le cri que les vampires font entendre lorsqu’on leur enfonce le pieu dans le cœur, rien n’est plus naturel. L’air qui se trouve renfermé dans le cadavre, et que l’on en fait sortir avec violence, produit nécessairement ce bruit en passant par la gorge : souvent même les corps morts produisent des sons sans qu’on les touche.
Voici encore une anecdote qui peut expliquer quelques-uns des traits du vampirisme, que nous ne prétendons pourtant pas nier ou expliquer sans réserve. Le lecteur en tirera les conséquences qui en dérivent naturellement. Cette anecdote a été rapportée dans plusieurs journaux anglais, et particulièrement dans le Sun du 22 mai 1802.
Au commencement d’avril de la même année, le nommé Alexandre Anderson, se rendant d’Elgin à Glascow, éprouva un certain malaise, et entra dans une ferme qui se trouvait sur sa route, pour y prendre un peu de repos. Soit qu’il fût ivre, soit qu’il craignît de se rendre importun, il alla se coucher sous une remise, ou il se couvrit de paille, de manière à n’être pas aperçu. Malheureusement, après qu’il fut endormi, les gens de la ferme eurent occasion d’ajouter une grande quantité de paille à celle où cet homme s’était enseveli. Ce ne fut qu’au bout de cinq semaines qu’on le découvrit dans cette singulière situation. Son corps n’était plus qu’un squelette hideux et décharné ; son esprit était si fort aliéné, qu’il ne donnait plus aucun signe d’entendement : il ne pouvait plus faire usage de ses jambes. La paille qui avait environné son corps était réduite en poussière, et celle qui avait avoisiné sa tête paraissait avoir été mâchée. Lorsqu’on le retira de cette espèce de tombeau, il avait le pouls presque éteint, quoique ses battements fussent très-rapides, la peau moite et froide, les yeux immobiles, très-ouverts, et le regard étonné. — Après qu’on lui eut fait avaler un peu de vin, il recouvra suffisamment l’usage de ses facultés physiques et intellectuelles pour dire à une des personnes qui l’interrogeaient que la dernière circonstance qu’il se rappelait était celle où il avait senti qu’on lui jetait de la paille sur le corps ; mais il paraît que, depuis cette époque, il n’avait eu aucune connaissance de sa situation. On supposa qu’il était constamment resté dans un état de délire, occasionné par l’interception de l’air et par l’odeur de la paille, pendant les cinq semaines qu’il avait ainsi passées, sinon sans respirer, du moins en respirant difficilement, et sans prendre de nourriture que le peu de substance qu’il put extraire de la paille qui l’environnait et qu’il eut l’instinct de mâcher.
« Cet homme vit peut-être encore. Si sa résurrection eût eu lieu chez des peuples infectés d’idées de vampirisme, en considérant ses grands yeux, son air égaré et toutes les circonstances de sa position, on l’eût brûlé avant de lui donner le temps de se reconnaître ; et ce serait un vampire de plus. » Voy. Paul, Harpe, Plogojowits, Polycrite, Katakhanès, Gholes, Huet, etc.
Van-Dale (Antoine), médecin hollandais, mort en 1708. Il a publié une Histoire des oracles, très-inexacte, qui a été abrégée par Fontenelle.
Vanlund. Voy. Vade.
Vapeurs. Les Knistenaux, peuplade sauvage du Canada, croient que les vapeurs qui s’élèvent et restent suspendues au-dessus des marais sont les âmes des personnes nouvellement mortes[10]. Les vapeurs sont prises chez nous, lorsqu’elles, s’enflamment, pour des esprits follets.
Vapula, grand et puissant duc de l’enfer ; il paraît sous la forme d’un lion, avec des ailes de griffon. Il rend l’homme très-adroit dans la mécanique et la philosophie, et donne l’intelligence aux savants. Trente-six légions lui obéissent[11].
Varonnin, dieu de la lumière chez les Indiens. C’est le soleil. Il est monté sur un crocodile et armé d’un fouet d’argent.
Vaudois, hérétiques, sectateurs de Pierre Valdo, qui, égarés par une fausse humilité, se séparèrent de l’Église et allèrent bien vite très-loin. Ils niaient le purgatoire et l’efficacité des prières pour les morts ; mais ils évoquaient les démons et faisaient de la magie. Naturellement, ils rejetèrent la messe, saccagèrent les églises et les couvents, troublèrent la société par le fanatisme en se mêlant aux Albigeois, et sont comptés parmi les précurseurs de la prétendue réforme.
Vaulx (Jean de), de Stavelot, dans le pays de Liège, sorcier renommé
Vauvert. Saint Louis, ayant fait venir des chartreux à Paris, leur donna une habitation au faubourg Saint-Jacques, dans le voisinage du château de Vauvert, vieux manoir bâti par le roi Robert, mais depuis longtemps inhabité, parce qu’il était infesté de démons (qui étaient peut-être des faux monnayeurs). On y entendait des hurlements affreux ; on y voyait des spectres traînant des chaînes, et entre autres un monstre vert, avec une grande barbe, blanche, moitié homme, et moitié serpent, armé d’une grosse massue, et qui semblait toujours prêt à s’élancer, la nuit, sur les passants. Il parcourait même, disait-on, la rue où se trouvait le château, sur un chariot enflammé, et tordait le cou aux téméraires qui se trouvaient sur son passage. Le peuple, l’appelait le diable de Vauvert. Les chartreux ne s’en effrayèrent point et demandèrent le manoir à saint Louis ; il le leur donna avec toutes ses appartenances et dépendances, et les revenants ni le diable de Vauvert n’y revinrent plus. Le nom d’Enfer resta seulement à la rue, en mémoire de tout le tapage, que les diables y avaient fait[12].
Veau d’or. Le rabbin Salomon prétend que le veau d’or des Israélites était vivant et animé. Le Koran dit qu’il mugissait. Plusieurs rabbins pensent qu’il fut fabriqué par des magiciens qui s’étaient mêlés aux Israélites à la sortie d’Égypte, Hur avait refusé de le faire ; et on voit dans les vieilles légendes que les Hébreux, irrités de ce refus, crachèrent si fort contre lui qu’ils l’étouffèrent sous ce singulier projectile[13].
Veau marin. Si l’on prend, du sang de ce poisson avec un peu de son cœur, et qu’on le mette dans de l’eau, on verra à l’entour une multitude de poissons ; et celui qui prendra un morceau de son cœur et le placera sous ses aisselles surpassera tout le monde en jugement et en esprit. Enfin, le criminel qui l’aura rendra son juge doux et favorable[14]. Voy. Mérovée.
Veland le Forgeron. Voy. Vade.
Velleda, druidesse qui vivait du temps de Vespasien, chez les Germains, au rapport de Tacite, et qui, moitié fée, moitié prophétesse, du haut d’une tour où elle siégeait, exerçait au loin une puissance égale ou supérieure à celle des rois. Les plus illustres guerriers n’entreprenaient rien sans son aveu et lui consacraient une partie du butin.
Vendredi. Ce jour, comme celui du mercredi, est consacré, par les sorcières du sabbat, à la représentation de leurs mystères. Il est regardé par les superstitieux comme funeste, quoique l’esprit de la religion chrétienne nous apprenne le contraire[15]. Ils oublient tous les malheurs qui leur arrivent les autres jours, pour se frapper l’imagination de ceux qu’ils éprouvent le vendredi. Néanmoins, ce jour tant calomnié a eu d’illustres partisans. François Ier assurait que tout lui réussissait le vendredi. Henri iv aimait ce jour-là de préférence. Sixte-Quint préférait aussi le vendredi à tous les autres jours de la semaine, parce que c’était le jour de sa naissance, le jour de sa promotion au cardinalat, de son élection à la papauté et de son couronnement.
Le peuple est persuadé que le vendredi est un jour sinistre, parce que rien ne réussit ce jour-là. Mais si un homme fait une perte, un autre fait un gain ; et si le vendredi est malheureux pour l’un, il est heureux pour un autre, comme tous les autres jours.
Cette superstition est très-enracinée aux États-Unis. À New-York, on voulut la combattre il y a quelques années ; on commanda un navire qui fut commencé un vendredi ; on en posa la première pièce un vendredi ; on le nomma un vendredi ; on le lança à la mer un vendredi ; on le fit partir un vendredi, avec un équipage qu’on avait éclairé. Il ne revint jamais… Et la crainte du vendredi est à New-York plus forte que jamais.
Les chemises qu’on fait le vendredi attirent les poux[16] dans certaines provinces.
Veneur. L’historien Mathieu raconte que le roi Henri iv, chassant dans la forêt de Fontainebleau entendit, à une demi-lieue de lui, des jappements de chiens, des cris et des cors de chasseurs ; et qu’en un instant tout ce bruit, qui semblait-fort éloigné, s’approcha à vingt pas de ses oreilles, tellement que, tout étonné, il commanda au comte de Soissons de voir ce que c’était. Le comte s’avance ; un homme noir se présente dans l’épaisseur des broussailles, et disparaît en criant d’une voix terrible : M’entendez-vous ?
Les paysans et les bergers des environs dirent que c’était un démon, qu’ils appelaient le grand veneur de la forêt de Fontainebleau, et qui chassait souvent dans cette forêt. D’autres prétendaient que c’était la chasse de Saint-Hubert, chasse mystérieuse de fantômes d’hommes et de fantômes de chiens, qu’on entendait aussi en d’autres lieux. Quelques-uns, moins amis du merveilleux, disaient que ce n’était qu’un compère qui chassait impunément les bêtes du roi sous le masque protecteur d’un démon ; mais voici sans doute la vérité du fait :
Il y avait à Paris, en 1596, deux gueux qui dans leur oisiveté s’étaient si bien exercés à contrefaire le son des cors de chasse et la voix dés chiens, qu’à trente pas on croyait entendre une meute et des piqueurs. On devait y être encore plus trompé dans des lieux où les rochers renvoient et multiplient les moindres cris. Il y a toute apparence qu’on s’était servi de ces deux hommes pour l’aventure de la forêt de Fontainebleau, qui fut regardée comme l’apparition véritable d’un fantôme.
Un écrivain anglais, dans un remarquable travail sur les traditions populaires, publié par le Quarterly Magazine, cite ce fait avec des accessoires qu’il n’est pas inutile de reproduire :
« Henri, dit-il, ordonna au comte de Soissons d’aller à la découverte ; le comte de Soissons obéit en tremblant, ne pouvant s’empêcher de reconnaître qu’il se passait dans l’air quelque chose de surnaturel : quand il revint auprès de son maître : — Sire, lui dit-il, je n’ai rien pu voir, mais j’entends, comme vous, la voix des chiens et le son du cor.
» — Ce n’est donc qu’une illusion ! dit le roi.
» Mais alors une sombre figure se montra à travers les arbres et cria au Béarnais :
» — Vous voulez me voir, me voici ! »
Cette histoire est remarquable pour plusieurs raisons : Mathieu la rapporte dans son Histoire de France et des choses mémorables advenues pendant sept années de paix du règne de Henri IV, ouvrage publié du temps de ce monarque à qui il est dédié. Mathieu était connu personnellement de Henri IV, qui lui donna lui-même plusieurs renseignements sur sa vie.
On a supposé que ce spectre était un assassin déguisé, et que le poignard de Ravaillac aurait été devancé par l’inconnu de Fontainebleau, si le roi avait fait un pas de plus du côté de l’apparition.
Quel que soit le secret de cette histoire, il est clair que Henri IV ne la fit nullement démentir. « Il ne manque pas de gens, dit Mathieu, qui auraient volontiers relégué cette aventure avec les fables de Merlin et d’Urgande, si la vérité n’avait été certifiée par tant de témoins oculaires et auriculaires. Les bergers du voisinage prétendent que c’est un démon qu’ils appellent le grand veneur, et qui chasse dans cette forêt ; mais on croit aussi que ce pouvait bien être la chasse de Saint-Hubert, prodige qui a lieu dans d’autres provinces.
» Démon, esprit, ou tout ce qu’on voudra, il fut réellement aperçu par Henri IV, non loin de la ville et dans un carrefour qui a conservé la désignation de « la Croix du Grand Veneur ! » À côté de cette anecdote, nous rappellerons seulement l’apparition semblable qui avait frappé de terreur le roi Charles VI, et qui le priva même de sa raison.
Ventriloques, gens qui parlent par le ventre, et qu’on a pris autrefois pour des démoniaques ou des magiciens. Voy. Cécile, etc.
Vents. Les anciens donnaient à Éole plein pouvoir sur les vents ; la mythologie moderne a imité cette fable en donnant une pareille prérogative à certains sorciers. Voy. Finnes, Éric, etc.
Il y avait dans le royaume de Congo un petit despote qui tirait des vents un parti plus lucratif. Lorsqu’il voulait imposer un nouveau tribut à son peuple, il sortait dans la campagne par un temps orageux, le bonnet sur l’oreille, et obligeait à payer l’impôt du vent ceux de ses sujets sur les terres desquels tombait le bonnet.
Le vent violent est, chez les Slaves, un méchant esprit qui habite les ruines et cherche à en faire. Il s’attaque aux cheminées et les secoue. Il se montre quelquefois sous la forme d’un hibou.
À Quimper, en Bretagne, les femmes qui ont leur mari en mer vont balayer la chapelle la plus voisine et en jeter la poussière en l’air, dans l’espérance que cette cérémonie procurera un vent favorable à leur retour[17]. Dans le même pays, une femme ne souffre pas qu’on lui passe son enfant par-dessus la table ; si dans ce passage un mauvais vent venait à le frapper, il ne pourrait en guérir de la vie[18].
Vépar ou Sépar, puissant et redoutable duc du sombre empire. Il se montre sous la forme d’une syrène, conduit les vaisseaux marchands et afflige les hommes de blessures venimeuses, qu’on ne guérit que par l’exorcisme. Il commande vingt-neuf légions.
Vérandi. Voy. Nornes.
Verdelet, démon du second ordre, maître des cérémonies de la cour infernale. Il est chargé du transport des sorcières au sabbat. « Verdelet prend aussi le nom de Jolibois, ou de Vert-Joli, ou de Saute-Buisson, ou de Maître Persil, pour allécher les femmes et les faire tomber dans ses pièges, dit Boguet, par ces noms agréables et tout à fait plaisants. »
Verdung (Michel), sorcier de la Franche-Comté, pris en 1521 avec Pierre Burgot et le Gros-Pierre. Wierus a rapporté les faits qui donnèrent lieu au supplice des trois frénétiques[19]. Tous trois confessèrent s’être donnés au diable. Michel Verdung, qui se vantait d’avoir un esprit nommé Guillemin, avait mené Burgot près du Château-Charlon, où chacun, ayant à la main une chandelle de cire verte qui faisait la flamme bleue, avait offert des sacrifices et dansé en l’honneur du diable. Après s’être frotté de graisse, ils s’étaient vus changés en loups. Dans cet état, ils vivaient absolument comme des loups, dirent-ils.
Burgot avoua qu’il avait tué un jeune garçon avec ses pattes et dents de loup, et qu’il l’eût mangé, si les paysans ne lui eussent donné la chasse. Michel Verdung confessa qu’il avait tué une jeune fille occupée à cueillir des pois dans un jardin, et que lui et Burgot avaient tué et mangé quatre autres jeunes filles. Ils désignaient le temps, le lieu et l’âge des enfants qu’ils avaient dérobés. Il ajouta qu’ils se servaient d’une poudre qui faisait mourir les personnes. Ces trois loups-garoux furent condamnés à être brûlés vifs. Les circonstances de ce fait étaient peintes en un tableau qu’on voyait dans une église de Poligny. Chacun de ces loups-garoux avait la patte droite armée d’un couteau[20].
Verge. On donne quelquefois témérairement le nom de verge de Moïse à la baguette divinatoire. Voy. Baguette.
Sans doute aussi le lecteur a entendu parler de la verge foudroyante, avec laquelle les sorciers faisaient tant de prodiges. Pour la faire, il faut acheter un chevreau, le premier jour de la lune, l’orner trois jours après d’une guirlande de verveine, le porter dans un carrefour, l’égorger avec un couteau neuf, le brûler dans un feu de bois blanc, en conservant la peau, aller ensuite chercher une baguette fourchue de noisetier sauvage, qui n’ait jamais porté fruit, ne la toucher ce jour-là que des yeux, et la couper le lendemain matin, positivement au lever du soleil, avec la même lame d’acier qui a servi à égorger la victime, et dont on n’a pas essuyé le sang. Il faut que cette baguette ait dix-neuf pouces et demi de longueur, ancienne mesure du Rhin, qui fait à peu près un demi-mètre. Après qu’on l’a coupée, on l’emporte, on la ferre par les deux extrémités de la fourche avec la lame du couteau ; on l’aimante ; on fait un cercle avec la peau du chevreau qu’on cloue à terre au moyen de quatre clous qui aient servi à la bière d’un enfant mort. On trace avec une pierre ématite un triangle au milieu de la peau ; on se place dans le triangle, puis on fait les conjurations, tenant la baguette à la main, et ayant soin de n’avoir sur soi d’autre métal que de l’or et de l’argent. Alors les esprits paraissent, et on commande… Ainsi le disent du moins les grimoires.
Verge d’Aaron. Quelques esprits pointus, à propos de ces paroles du chapitre viii de l’Exode, où l’on voit qu’Aaron ayant étendu sa verge sur les fleuves, les rivières, et les étangs, toute l’Égypte fut remplie de grenouilles, en ont conclu que cette verge avait une puissance suprême, divine ou magique, et qu’elle était la cause de ces prodiges. Mais Benjamin Binet leur a répondu non : Aaron était le ministre et sa verge le symbole que Dieu employait.
Verre d’eau. On prédit encore l’avenir dans un verre d’eau, et cette divination était surtout en vogue sous la régence du duc d’Orléans. Voici comment on s’y prend : on se tourne vers l’orient, on prononce Abraxa per nostrum ; après quoi on voit dans le vase plein d’eau tout ce qu’on veut : on choisit d’ordinaire pour cette opération des enfants qui doivent avoir les cheveux longs.
À côté de la divination par le verre d’eau, par la coupe, qui était usitée en Égypte du temps de Joseph, et qui se pratique encore avec diverses cérémonies, par la carafe, comme l’exerçait Cagliostro, on pourrait placer d’autres divinations qui ont pour élément un corps liquide. M. Léon de Laborde donne le détail de scènes produites au Caire[21] par un Algérien réputé sorcier, lequel prenait l’enfant qu’on lui présentait, le magnétisait par des incantations, lui traçait dans la main certaines figures, plaçait sur celle main un pâté d’encre en prononçant de mystérieuses paroles puis lui faisait voir dans ce pâté d’encre tout ce qui pouvait piquer la curiosité des assistants. Les vivants et les morts y paraissaient. Shakespeare y vint et plusieurs autres. L’auteur d’un vol tout récent fut même découvert ainsi. S’il est vrai, comme l’assure M. Léon de Laborde, que ce récit soit sérieux, c’est fort singulier. Voy. Cagliostro, Oomancie, Harvis, Hydromancie, etc.
Verrues. On peut se délivrer des verrues, dit le Petit Albert, en enveloppant dans un linge autant de pois qu’on a de verrues, et en les jetant dans un chemin, afin que celui qui les ramassera prenne les verrues et que celui qui les a en soit délivré. Cependant voici un remède plus admirable pour le même objet : c’est de couper la tête d’une anguille vivante, de frotter les verrues et les porreaux du sang qui en découle ; puis on enterrera la tête de l’anguille, et, quand elle sera pourrie, toutes les verrues qu’on a disparaîtront.
Les physiognomonistes, Lavater même, voient dans les verrues du visage une signification et un pronostic. On ne trouve guère, dit Lavater, au menton d’un homme vraiment sage, d’un caractère noble et calme, une de ces verrues larges et brunes que l’on voit si souvent aux hommes d’une imbécillité décidée. Mais si par hasard vous en trouviez une pareille à un homme d’esprit, vous découvririez bientôt que cet homme a de fréquentes absences, des moments d’une stupidité complète, d’une faiblesse incroyable. Des hommes aimables et de beaucoup d’esprit peuvent avoir, au front ou entre les sourcils, des verrues qui, n’étant ni fort brunes, ni fort grandes, n’ont rien de choquant, n’indiquent rien de fâcheux ; mais si vous trouvez une verrue forte, foncée, velue, à la lèvre supérieure d’un homme, soyez sûr qu’il manquera de quelque qualité très-essentielle, qu’il se distinguera au moins par quelque défaut capital.
Les Anglais du commun prétendent au contraire que c’est un signe heureux d’avoir une verrue au visage. Ils attachent beaucoup d’importance à la conservation des poils qui naissent ordinairement sur ces sortes d’excroissances.
Vers. On voit dans le livre des Admirables secrets d’Albert le Grand que les vers de terre, broyés et appliqués sur des nerfs rompus ou coupés, les rejoignent en peu de temps.
Vert. Dans les îles Britanniques, on croit que le vert est la couleur que les fées affectionnent le plus.
Vert-Joli. Voy. Verdelet.
Verveine, herbe sacrée dont on se servait pour balayer les autels de Jupiter. Pour chasser des maisons les malins esprits, on faisait des aspersions d’eau lustrale avec de la verveine. Les druides surtout ne l’employaient qu’avec beaucoup de superstitions : ils la cueillaient à la canicule, à la pointe du jour, avant que le soleil fût levé. Nos sorciers ont suivi le même usage, et les démonographes croient qu’il faut être couronné de verveine pour évoquer les démons.
Vespasien. On raconte qu’étant en Achaïe avec Néron, il vit en songe un inconnu qui lui prédit que sa bonne fortune ne commencerait que lorsqu’on aurait ôté une dent à Néron. Quand Vespasien se fut réveillé, le premier homme qu’il rencontra fut un chirurgien, qui lui annonça qu’il venait d’arracher une dent à l’empereur. Peu de temps après, ce tyran mourut ; mais Vespasien ne fut pourtant couronné qu’après Galba, Othon et Vitellius.
Vesta, déesse du feu chez les païens. Les cabalistes la font femme de Noé. Voy. Zoroastre.
Vêtements des morts. Ménasseh-ben-Israël dit que Dieu les conserve. Il assure que Samuel apparut à Saül dans ses habits de prophète ; qu’ils n’étaient point gâtés, et que cela ne doit point surprendre, puisque Dieu conserve les vêtements aussi bien que les corps, et qu’autrefois tous ceux qui en avaient les moyens se faisaient ensevelir en robe de soie, pour être bien vêtus le jour de la résurrection.
Vétin. Un moine du neuvième siècle nommé Vétin, étant tombé malade, vit entrer dans sa cellule une multitude de démons horribles, portant des instruments propres à bâtir un tombeau. Il aperçut ensuite des personnages sérieux et graves, vêtus d’habits religieux, qui firent sortir ces démons ; puis il vit un ange environné de lumière qui vint se présenter au pied de son lit, le prit par la main et le conduisit par un chemin agréable sur le bord d’un large fleuve, où gémissaient un grand nombre d’âmes en peine, livrées à des tourments divers, suivant la quantité et l’énormité de leurs crimes. Il y trouva plusieurs personnes de sa connaissance, entre autres un moine qui avait possédé de l’argent en propre, et qui devait expier sa faute dans un cercueil de plomb jusqu’au jour du jugement. Il remarqua des chefs, des princes et même l’empereur Charlemagne qui se purgeaient par le feu, mais qui devaient être délivrés dans un certain temps. Il visita ensuite le séjour des bienheureux qui sont dans le ciel, chacun à sa place selon ses mérites. Quand Vétin fut éveillé, il raconta au long toute cette vision, qu’on écrivit aussitôt. Il prédit en même temps qu’il n’avait plus que deux jours à vivre ; il se recommanda aux prières des religieux, et mourut en paix le matin du troisième jour. Cette mort arriva, le 31 octobre 824, à Aigue-la-Riche[22], et la vision de ce bon moine a fourni des matériaux à ceux qui ont décrit les enfers.
Veu-Pacha, enfer des Péruviens.
Viaram, espèce d’augure qui était en vogue dans le moyen âge. Lorsqu’on rencontrait en chemin un homme ou un oiseau qui venait par la droite et passait à la gauche, on en concluait mauvais présage, et au sens contraire passable augure[23].
Vidal de la Porte, sorcier du seizième siècle que les juges de Riom condamnèrent à être pendu, étranglé et brûlé pour ses maléfices, tant sur les hommes que sur les chiens, chats et autres animaux.
Vid-Blain, le plus haut des elfs.
Vieille. Bien des gens superstitieux croient encore que dans certaines familles une vieille apparaît et annonce la mort de quelqu’un de la
Villain (l’abbé), auteur de l’Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle, sa femme, in-12. Paris, 1761, livre assez recherché.
Villars (l’abbé de), littérateur de Limoux, assassiné, en 1673, sur la route de Lyon. Il était, dit-on, de l’ordre, secret, des Rose-Croix. Il a beaucoup écrit sur la cabale, et de manière qu’on ne sait pas très-bien découvrir s’il y croyait ou s’il s’en moquait. On a de lui : le Comte, de Gabalis, ou Entretiens sur les sciences secrètes, in-12, Londres, 1742 ; les Génies assistants, in-12, même année, suite du Comte de Gabalis ; le Gnome irréconciliable, autre suite du même ouvrage ; les Nouveaux Entretiens sur les sciences secrètes, troisième suite du Comte de Gabalis. Nous avons cité souvent ces opuscules, aujourd’hui peu recherchés. Voy. Cabale, etc.
Villiers (Florent de), grand astrologue, qui dit a son père qu’il ne fallait pas qu’il lui bâtît une maison, parce qu’il saurait habiter en divers lieux et toujours chez autrui. En effet, il alla à Beaugency, de là à Orléans, puis à Paris, en Angleterre, en Écosse, en Irlande ; il étudia la médecine à Montpellier ; de là il fut à Rome, à Venise, au Caire, à Alexandrie, et revint auprès du duc Jean de Bourbon. Le roi Louis XI le prit à son service ; il suivit ce prince en Savoie pour étudier les herbes des montagnes et les pierres médicinales. Il apprit à les tailler et à les graver en talismans. Il se retira à Genève, puis à Saint-Maurice en Chablais, à Berne en Suisse, et vint résider à Lyon ; il y fit bâtir une étude, où il y avait-deux cents volumes de livrés singuliers qu’il consacra au public, il se maria, eut des enfants, tint ouverte une école d’astrologie, où le roi Charles VII se rendit pour écouter ses jugements. On l’accusa d’avoir un esprit familier, parce qu’il répondait promptement à toutes questions.
Vine, grand roi et comte de la cour infernale. Il se montre furieux comme un lion ; un cheval noir lui sert de monture. Il tient une vipère à la main, bâtit des maisons v enfle les rivières et connaît Impasse. Dix-neuf légions lui obéissent[24].
Vipère. On trouve sans doute encore en Espagne et en Italie de prétendus parents de saint Paul qui se vantent de charmer les serpents et de guérir les morsures de vipère. Voy. Salive.
Virgile. Les hommes qui réfléchissent s’étonnent encore de la légende des faits merveilleux de Virgile, tradition du moyen âge, que tous les vieux chroniqueurs ont ornée à l’envi, et qui nous présente comme un grand magicien celui qui ne fut qu’un grand poète. Est-ce à cause de l’admiration qu’il inspira ? Est-ce à cause de la quatrième églogue, qui route sur une prophétie de la naissance de Jésus-Christ ? N’est-ce pas pour l’aventure d’Aristée et les descriptions magiques du sixième livre de l’Énéide ? Des savants l’ont pensé. Mais Gervais de Tilbury, Vincent de Beauvais, le poëte Adenès, Alexandre Neeckam, Gratian du Pont, Gauthier de Metz et cent autres racontent de lui de prodigieuses aventures, qui semblent une page arrachée aux récits surprenants des Mille et une Nuits.
Il attrape le diable, après lui avoir escamoté tous les secrets de la magie, et cela à peine sorti des écoles. Il a appris qu’on a dépouillé sa mère de ses domaines ; il en fait enlever toutes les récoltes par des esprits qui sont à ses ordres, et il les fait apporter chez lui. Il se fait bâtir un château immense, où il a une armée de domestiques qui ne sont que des démons ; mais il les domine. L’empereur de Rome vient pour le prendre dans son château ; Virgile l’a entouré d’un brouillard où personne ne peut se reconnaître, et les soldats de l’empereur, sous l’empire d’une fascination prodigieuse, se croient les pieds dans l’eau.
L’empereur a ses magiciens, qui essayent vainement de lutter contre Virgile. Il rend tous ceux qui cherchent à l’investir immobiles comme des statues, et force l’empereur à capituler.
Devenu alors le favori de l’empereur, il lui fait des statués enchantées, au. moyen desquelles il sera informé de tout mouvement d’insurrection jusque dans les provinces les plus éloignées de Rome ; puis l’enchanteur opère d’autres merveilles. Il aime la ville de Naples ; il la protège donc contre les mouches qui l’infestent. Elles ne pourront plus y entrer, arrêtées par une grosse mouche d’airain qu’il a placée sur une des portes. Il construit pour l’empereur des bains merveilleux où toute maladie quelconque trouve sa guérison immédiate. Il délivre les eaux de Rome du fléau des sangsues, en plaçant dans un de ses puits une sangsue d’or dont il a fait un talisman. Il allume au milieu de Rome un fanal qui brûlera trois cents ans et qui éclairera la grande cité jusque, dans ses moindres carrefours.
Pourtant il paraît que ces merveilles ne sont pas l’œuvre du grand poëte, que c’est a tort qu’on les lui attribue ; que le vrai magicien Virgile était un chevalier des Ardennes, plus ancien que l’auteur de l’Enéide, et que son histoire excentrique a sa source dans un vieux roman chevaleresque du moyen âge[25].
Virgile, évêque de Salzbourg. Voy. Antipodes.
Visions. Il y a plusieurs sortes de visions, qui la plupart ont leur siège dans l’imagination ébranlée. Aristote parle d’un fou qui demeurait tout le jour au théâtre, quoiqu’il n’y eût personne, et que là il frappait des mains et riait de tout son cœur, comme s’il avait vu jouer la comédie la plus divertissante.
Un jeune homme, d’une innocence et d’une pureté de vie extraordinaires, étant venu a mourir à l’âge de vingt-deux ans, une vertueuse veuve vit en songe plusieurs serviteurs de Dieu qui ornaient un palais magnifique. Elle demanda pour qui on le préparait ; on lui dit que c’était pour le jeune homme qui était mort la veille. Elle vit ensuite dans ce palais un vieillard vêtu de blanc, qui ordonna à deux de ses gens de tirer ce jeune homme du tombeau et de l’amener au ciel. Trois jours après la mort du jeune homme, son père, qui se nommait Armène, s’étant retiré dans un monastère, le fils apparut à l’un des moines et lui dit que Dieu l’avait reçu au nombre des bienheureux, et qu’il l’envoyait chercher son père. Armène mourut le quatrième jour[26].
Voici des traits d’un autre genre. Torquemada conte qu’un grand seigneur espagnol, sorti un jour pour aller à la chasse sur une de ses terres, fut fort étonné lorsque, se croyant seul, il s’entendit appeler par son nom. La voix ne lui était pas inconnue ; mais comme il ne paraissait pas empressé, il fut appelé une seconde fois et reconnut distinctement l’organe de son père, décédé depuis peu. Malgré sa peur, il ne laissa pas d’avancer. Quel fut son étonnement de voir une grande caverne ou espèce d’abîme dans laquelle était une longue échelle ! Le spectre de son père se montra sur les premiers échelons, et lui dit que Dieu avait permis qu’il lui apparût, afin de l’instruire de ce qu’il devait faire pour son propre salut et pour la délivrance de celui qui lui parlait, aussi bien que pour celle de son grande père, qui était quelques échelons plus bas ; que la justice divine, les punissait et les retiendrait jusqu’à ce qu’on eût restitué un héritage usurpé par ses aïeux ; qu’if eût à le faire incessamment, qu’autrement sa place était déjà marquée dans ce lieu de souffrance. À peine ce discours eut-il été prononcé que le spectre et l’échelle disparurent, et l’ouverture de la caverne se referma. Alors la frayeur l’emporta sur l’imagination du chasseur ; il retourna chez lui, rendit l’héritage, laissa à son fils ses autres biens et se retira dans un monastère, où il passa le reste de sa vie.
Il y a des visions qui tiennent un peu à ce que les Écossais appellent la seconde vue. Boaistuau raconte ce qui suit :
« Une femme enchanteresse, qui vivait à Pavie du temps du règne de Léonicettus, avait cet avantage qu’il ne se pouvait rien faire de mal à Pavie sans qu’elle je découvrît par son artifice, en sorte que la renommée des merveilles qu’elle faisait par l’art des diables lui attirait tous les seigneurs et philosophes de l’Italie. Il y avait en ce temps un philosophe à qui, l’on ne pouvait persuader d’aller voir cette femme, lorsque, vaincu par les sollicitations de quelques magistrats de la ville, il s’y rendit. Arrivé devant cet organe de Satan, afin de ne demeurer muet et pour la sonder au vif, il la pria de lui dire, à son avis, lequel de tous les vers de Virgile était le meilleur. La vieille, sans rêver, lui répondit aussitôt :
Discite juslitiam moniti et non temnero divos.
» Voilà, ajouta-t-elle, le plus digne vers que Virgile ait fait. Va-t’en, et ne reviens plus pour me tenter. Ce pauvre philosophe et ceux qui l’accompagnaient s’en retournèrent sans aucune réplique et ne furent en leur vie plus étonnés d’une si docte réponse, attendu qu’ils savaient tous qu’elle n’avait en sa vie appris ni à lire ni à écrire…
» Il y a encore, dit le même auteur, quelques visions qui proviennent d’avoir mangé du venin ou poison, comme Pline et Edouardus enseignent de ceux qui mangent la cervelle d’un ours, laquelle dévorée, on se droit transformée en ours. Ce qui est advenu à un gentilhomme espagnol de notre temps à qui on en fit manger, et il errait dans les montagnes, pensant être changé en ours.
» Il reste, pour mettre ici toutes espèces de visions, de traiter des visions artificielles, lesquelles, ordonnées et bâties par certains secrets et mystères des hommes, engendrent la terreur en ceux qui les contemplent. Il s’en est trouvé qui ont mis des chandelles dans des têtes de morts pour épouvanter le peuple, et d’autres qui ont attaché des chandelles de cire allumées sur des coques de tortues et limaces, puis les mettaient dans les cimetières la nuit, afin que le vulgaire, voyant ces animaux se mouvoir de loin avec leurs flammes, fut induit à croire que c’étaient les esprits dès morts. Il y a encore certaines visions diaboliques qui se sont faites de nos jours avec des chandelles composées de suif humain ; et pendant qu’elles étaient allumées de nuit, les pauvres gens demeuraient si bien charmés, qu’on dérobait leur bien devant eux sans qu’ils sussent se mouvoir de leurs lits ; ce qui a été pratiqué en Italie de notre temps, Mais Dieu, qui ne laissé rien impuni, a permis que ces voleurs fussent appréhendés ; et, convaincus, ils ont depuis terminé leurs vies misérablement au gibet. » Voy. Main de gloire.
Nous reproduirons maintenant quelques pièces curieuses et rares :
« Un gentilhomme de Silésie, ayant convié quelques amis, et, à l’heure du festin venue, se voyant frustré par l’excuse des conviés, entre en grande colère, et commence à dire que, puisque nul homme ne daignait être chez lui, tous les diables y vinssent ! Cela dit, il sort de sa maison et entre à l’église, ou le curé prêchait, lequel il écoute attentivement. Comme il était là, voici entrer dans la cour du logis des hommes à cheval, de haute stature et tout noirs, qui commandèrent aux valets du gentilhomme d’aller dire à leur maître que les conviés étaient venus. Un des valets court à l’église avertir son maître, qui, bien étonné, demande avis au curé, celui, finissant son sermon, conseille qu’on fasse sortir toute la famille hors du logis. Aussitôt dit, aussitôt fait ; mais de hâte que les gens eurent de déloger, ils laissèrent dans la maison un petit enfant dormant au berceau. Ces hôtes, ou, pour mieux dire, ces diables (c’est le sentiment du narrateur) commencèrent bientôt à remuer les tables, à hurler, à regarder par les fenêtres, en forme d’ours, de loups, de chais, d’hommes terribles, tenant à la main ou dans leurs pattes des verres pleins de vin, des poissons, de la chair bouillie et rôtie. Comme les voisins, le gentilhomme, le curé et autres contemplaient avec frayeur un tel spectacle, le pauvre père se mit à crier : « Hélas ! ou est mon pauvre enfant ? »
» Il avait encore le dernier mot à la bouche, quand un de ces hommes noirs apporta l’enfant aux fenêtres et le montra à tous ceux qui étaient dans la rue. Le gentilhomme demanda à un de ses serviteurs auquel il se fiait le mieux : a Mon ami, que ferai-je ? — Monsieur, répond le serviteur, je recommanderai ma vie à Dieu ; après quoi j’entrerai dans la maison, d’où, moyennant son secours, je vous rapporterai reniant. — À la bonne heure ! dit le maître ; Dieu t’accompagne, l’assiste et te fortifié ! »
» Le serviteur, ayant reçu la bénédiction de son maître, du curé et des autres gens de bien, entra au logis, et, approchant du poêle où étaient ces hôtes ténébreux, se prosterne à genoux, se recommande à Dieu et ouvre la porte. Voilà les diables en horribles formes, les uns assis, les autres debout, aucuns se promenant, autres rampant sur le plancher, qui tous accoururent contre lui, criant ensemble : « Hui ! hui ! que viens-tu faire céans ? » Le serviteur, suant de détresse et néanmoins fortifié de Dieu, s’adresse au malin qui tenait l’enfant et lui dit : « Ça, baillez-moi cet enfant. — Non, répond l’autre, il est mien ; va dire à ton maître qu’il vienne le recevoir. »
» Le serviteur insiste et dit : « Je fais la charge que Dieu m’a commandée, et sais que-tout ce que je fais selon icelle lui est agréable ; partant, à l’égard de mon office, en vertu de Jésus-Christ, je t’arrache et saisis cet enfant, lequel je rapporte à soir père. » Ce disant, il empoigne l’enfant, puis le serre entre ses bras. Les hôtes noirs ne répondent que par des cris effroyables et par ces mots : « Hui ! hui ! méchant ; hui ! garnement ! laisse, laisse cet enfant ; autrement nous te dépiécerons. » Mais lui, méprisant ces menaces, sortit sain et sauf et rendit l’enfant au gentilhomme son père ; et quelques jours après tous ces hommes s’évanouirent, et le gentilhomme, devenu sage et bon chrétien, retourna en sa maison. »
« Samedi, premier jour de février 1620, il arriva un grand malheur et désastre en la ville de Quimper-Corentin. Une belle et haute pyramide couverte de plomb, étant sur la nef de la grande église, fut brûlée par la foudre et feu du ciel depuis le haut jusqu’à ladite nef, sans que l’on pût y apporter aucun remède. Le même jour, sur les sept heures et demie, tendant à huit du matin, se fit un coup de tonnerre et d’éclair terrible. À l’instant fut visiblement vu un démon horrible, au milieu d’une grande ondée de grêle, se saisir de ladite pyramide par le haut et au-dessous de la croix, étant ce démon de couleur verte, avec une longue queue. Aucun feu ni fumée n’apparut sur la pyramide que vers une heure après midi, que la fumée commença à sortir du haut d’icelle et dura un quart d’heure ; et du même endroit commença le feu à paraître peu à peu, en augmentant toujours ainsi qu’il dévalait du haut en bas ; tellement qu’il se fit si grand et si épouvantable que l’on craignait que toute l’église ne fût brûlée, et non seulement l’église, mais toute la ville. Les trésors de ladite église furent tirés hors, les processions allèrent à l’entour, et finalement on fit mettre des reliques saintes Sur la nef de l’église, au-devant du feu. Messieurs du chapitre commencèrent à conjurer ce méchant démon que chacun voyait dans le feu, tantôt bleu, vert ou jaune. Ils jetèrent des agnus Dei dans icelui et près de cent cinquante barriques d’eau, quarante ou cinquante charretées de fumier, et néanmoins le feu continuait. Pour, dernière ressource, on fit jeter un pain de seigle de quatre sous, puis on prit de l’eau béni le avec du lait d’une, femme nourrice de bonne vie, et tout cela jeté dedans le feu, tout aussitôt le démon fut contraint de quitter la flamme, et avant de sortir il fit un si grand remue-ménage, que l’on semblait être tous brûlés et qu’il devait emporter l’église et-tout avec lui ; il ne s’en alla qu’à six heures et demie du soir, sans avoir fait autre mal, Dieu merci, que la totale ruine de ladite pyramide, qui est de douze mille écus au moins. Ce méchant étant hors, on eut raison du feu, et peu de temps après on trouva encore ledit pain de seigle en essence, sans être endommagé, hors que la croûte était un peu noire ; et sur les huit ou neuf heures et demie, après que tout le feu fut éteint, la cloche sonna pour amasser le peuple, afin de rendre grâces à Dieu. Messieurs du chapitre, avec les choristes et musiciens, chantèrent un Te Deum et un Stabat Mater dans la chapelle de la Trinité, à neuf heures du soir. Grâces à Dieu, il n’est mort personne ; mais il n’est pas possible de voir chose plus horrible et épouvantable qu’était ce dit feu. »
« La nuit du mercredi 22 juillet, apparurent entre le château de Lusignan et la Fare, sur la rivière, deux hommes de feu extrêmement puissants, armés de toutes pièces, dont le harnais était enflammé, avec un glaive en feu dans une main et une lance flambante dans l’autre, de laquelle dégouttait du sang. Ils se rencontrèrent et se combattirent longtemps, tellement qu’un des deux fui blessé, et en tombant fit un si horrible cri qu’il réveilla plusieurs habitants de la haute et basse ville et étonna la garnison. Après ce combat, parut comme une souche de feu qui passa la rivière et s’en alla dans le parc, suivie de plusieurs monstres de feu semblant des singes. Des gens qui étaient allés chercher du bois dans la forêt rencontrèrent ce prodige, dont ils pensèrent mourir, entre autres un pauvre ouvrier du bois de Galoche, qui fut si effrayé qu’il eut une fièvre qui ne le quitta point. Comme les soldats de la garnison s’en allaient sur les murs de la ville, il passa sur eux une troupe innombrable d’oiseaux, les uns noirs, les autres blancs, tous criant d’une voix épouvantable. Il y avait des flambeaux qui les précédaient et. Une figure d’homme qui les suivait faisant le hibou. Ils furent effrayés d’une telle vision, et il leur tardait fort qu’il fût jour pour la raconter aux habitants. — Voici (ajoute le narrateur) l’histoire, que j’avais à vous présenter, et vous me remercierez et serez contents de ce que je vous donne pour vous, avertir de ce que vous pouvez voir quand vous allez la nuit dans les, champs. »
« Guicciardin écrit en son histoire italique que sur la venue du petit roi Charles VIII à Naples, outre les prédictions du frère Hiérôme Savonarole, tant prêchées au peuple que révélées au roi même, apparurent en la Pouille, de nuit, trois soleils au milieu du ciel, offusqués de nuages à l’entour, avec force tonnerres et éclairs ; et vers Arezzo furent vues en l’air de grandes troupes de gens armés à cheval, passant par là avec grand bruit et son des tambours et trompettes ; et en plusieurs parties de l’Italie, maintes images et statues suèrent, et divers monstres d’hommes et d’animaux naquirent, de quoi le pays fut épouvanté. On vit depuis la guerre qui advint au royaume de Naples, que les Français conquirent et puis perdirent. — En la ville d’Altorff, au pays de Wurtemberg, en Allemagne, à une lieue de la ville de Tubingue et aux environs, on a vu, le cinquième jour de décembre 1577, environ sept heures du matin, que le soleil commençant à se lever n’apparaissait pas en sa clarté et splendeur naturelle, mais montrait une couleur jaune, ainsi qu’on voit la lune quand elle est pleine, ressemblait au rond d’un gros tonneau, et reluisait, si peu qu’on le pouvait regarder sans s’éblouir les yeux. Bientôt après il s’est montré à l’entour aillant d’obscurité que s’il s’en fût suivi une éclipse, et le soleil s’est couvert d’une couleur plus rouge que du sang, tellement qu’on ne savait pas si c’était le soleil ou non. Incontinent après, on a vu deux soleils, l’un rouge, l’autre jaune, qui se sont heurtés et battus : cela a duré quelque peu de temps, où l’un des soleils s’est évanoui, et on n’a plus vu que le soleil jaune. Peu après s’est apparue une nuée noire de la forme d’une boule, laquelle a tiré tout droit contre le soleil et l’a couvert au milieu, de sorte qu’on n’a vu qu’un grand cercle jaune à l’entour. Le soleil ainsi couvert, est apparue une autre nuée noire, laquelle a combattu avec lui, et l’un a couvert l’autre plusieurs fois, tant que le soleil est retourné à ladite première couleur jaunâtre. Un peu après est apparue derechef une nuée longue comme un bras, venant du côté du soleil couchant, laquelle S’est arrêtée près dudit soleil. De cette nuée est sorti un grand nombre de gens habillés de noir et armés comme gens de guerre, à pied et à cheval, marchant en rang, lesquels ont passé tout bellement par dedans ce soleil vers l’Orient, et cette troupe a été suivie derrière d’un grand et puissant homme beaucoup plus haut que les autres. Après que cette troupe a été passée, le soleil s’est un peu obscurci, mais a gardé sa clarté naturelle et a été couvert de sang, en sorte que le ciel et la terre se sont montrés tout rouges, parce que sont sorties du ciel plusieurs nuées sanglantes et s’en sont retournées par-dessus, et ont tiré du côté de l’Orient, tout ainsi qu’avait fait avant la gendarmerie. Beaucoup de nuées noires se sont montrées autour du soleil, comme c’est coutume quand il y a grande tempête, et bientôt après sont sorties du soleil d’autres nuées sanglantes et ardentes ou jaunes comme du safran. De ces nuées sont parties des réverbérations semblables à de grands chapeaux hauts et larges, et s’est montrée toute la terre, jaune et sanglante, couverte de grands chapeaux, lesquels avaient diverses couleurs, rouge, bleu, vert, et la plupart noirs ; ensuite il a fait un brouillard et comme une pluie de sang, dont non-seulement le ciel, mais encore la terre et tous les habillements d’hommes se sont montrés sanglants et jaunâtres. Cela a duré jusqu’à ce que le soleil eut repris sa clarté naturelle, ce qui n’est arrivé qu’à dix heures du matin.
» Il est aisé de penser ce que signifie ce prodige : ceci n’est autre chose que menaces, » dit l’auteur. — Quant à nous, comme il n’y a dans le pays d’Altorff aucun témoignage qui appuie ce merveilleux récit, nous n’y verrons qu’un puff du dix-septième siècle.
« Il n’y a personne qui, ayant été vers la ville de Bellac, en Limousin, n’ait passé par une grande et très-spacieuse plaine nullement habitée. Or en icelle, quantité de gens dignes de foi et croyance, même le sieur Jacques Rondeau, marchand tanneur de la ville de Montmorillon, le curé d’Isgre, Pierre Ribonneau, Mathurin Cognac, marchand de bois, demeurant en la ville de Chanvigné, étant tous de même compagnie, m’ont assuré avoir vu ce que je vous écris : 1° trois hommes vêtus de noir, inconnus de tous les regardants, tenant chacun une croix à la main ; 2° après eux marchait une troupe de jeunes filles, vêtues de longs manteaux de toile blanche, ayant les pieds et les jambes nus, portant des chapeaux de fleurs, desquels pendaient jusques aux talons de grandes bandes de toile d’argent, tenant en leur main gauche quelques rameaux et de la droite un vase de faïence d’où sortait de la fumée ; 3° marchait après celles-ci une dame accoutrée en deuil, vêtue d’une longue robe noire qui traînait fort longue sur la terre, laquelle robe était semée de cœurs percés de flèches, de larmes et de flammes de satin blanc, et ses cheveux épars sur ses vêtements ; elle tenait en sa main comme une branche de cèdre, et ainsi vêtue cheminait toute triste ; 4° ensuite marchaient six petits enfants couverts de longues robes de taffetas vert, tout semé de flammes de Satin rouge et de gros flambeaux allumés, et leurs têtes couvertes de chapeaux de fleurs. Ceci n’est rien encore, il marchait après une foule de peuples vêtus de blanc et de noir, qui cheminaient deux à deux, ayant des bâtons blancs à la main. Au milieu de la troupe était comme une déesse, vêtue richement, portant une grande couronne de fleurs sur la tête, les bras retroussés, tenant en sa main une belle branche de cyprès, remplie de petits cristaux qui pendaient de tous côtés. À l’entour d’elle, il y avait comme des joueurs d’instruments, lesquels toutefois ne formaient aucune mélodie. À la suite de cette procession étaient huit grands hommes nus jusqu’à la ceinture, ayant le corps fort garni de poil, la barbe jusqu’à mi-corps et le reste couvert de peaux de chèvres, tenant en leurs mains de grosses masses ; et, comme tout furieux, suivaient la troupe de loin. La course de cette procession s’étendait tout le long de l’île, jusqu’à une autre île voisine, où tous ensemble s’évanouissaient lorsqu’on voulait en approcher pour les contempler Je vous prie, à quoi tend cette vision merveilleuse, vous autres qui savez ce que valent les choses ?… »
Nous transcrivons le naïf écrivain. Nous ajouterons que la mascarade qu’il raconte eut lieu à l’époque du roman de l’Astrée, et que c’était une société qui se divertissait à la manière des héros de Don Quichotte.
« Le troisième jour de décembre, environ neuf heures du matin, faisant un temps doux et un beau soleil, l’on vil en l’air une figure d’un homme de la hauteur d’environ neuf lances, qui dit trois fois : « Peuples, peuples, peuples, amendez-vous, ou vous êtes à la fin de vos jours. » El ce advint un jour de marché, devant plus de dix mille personnes, et, après ces paroles, la dite figure s’en alla en une nue, comme se-retirant droit au ciel. Une heure après, le temps s’obscurcit tellement, qu’à vingt lieues autour de la ville on ne voyait plus ni ciel ni terre. Il y eut beaucoup de personnes qui moururent ; le pauvre monde se mit à prier Dieu et à faire des processions. Enfin, au bout de trois jours, vint un beau temps comme auparavant, et un vent le plus cruel que l’on ne saurait voir, qui dura environ une heure et demie, et une telle abondance d’eau, qu’il semblait qu’on la jetait à pipes, avec un merveilleux tremblement de terre, tellement que la ville fondit, comprenant quatorze lieues de long et six de large, et n’est demeuré qu’un château, un clocher et trois maisons tout au milieu. On les voit en un rondeau de terre assises comme par devant ; on voit quelques portions des murs de la ville, et dans le clocher et le château, du côté d’un village appelé des Guetz, on voit comme des enseignes et étendards qui pavolent ; et n’y saurait-on aller. Pareillement on, ne sait ce que cela signifie, et n’y a homme qui regarde cela à qui les cheveux ne dressent sur la tête ; car c’est une chose merveilleuse et épouvantable. »
Sans être très-crédule, l’auteur de ce petit ouvrage admet les apparitions et reconnaît que les unes viennent du démon, les autres de Dieu. Mais il en attribue beaucoup à l’imagination. Il raconte l’histoire d’un malade qui vit longtemps dans sa chambre un spectre habillé en ermite avec une longue barbe, deux cornes sur la tête et une figure horrible. Cette vision, qui épouvantait le malade sans qu’on pût le rassurer, n’était, dit le professeur, que l’effet du cerveau dérangé. Voyez Hallucinations.
Il croit que les morts peuvent revenir, à cause de l’apparition de Samuel ; et il dit que les âmes dit purgatoire ont une figure intéressante et se contentent en se montrant de gémir et de prier, tandis que les mauvais esprits laissent toujours entrevoir quelque supercherie et quelque malice. Voy. Apparitions.
Terminons les visions par le fait suivant, qu’on lit dans divers recueils d’anecdotes.
Un capitaine anglais, ruiné par des folies de jeunesse, n’avait plus d’autre asile que la maison d’un ancien ami. Celui-ci, obligé d’aller passer quelques mois à la campagne, et ne pouvant y conduire le capitaine, parce qu’il était malade, le confia aux soins d’une vieille domestique, qu’il chargeait de la garde de sa maison quand il s’absentait. La bonne femme vint un matin voir de très-bonne heure son malade, parce qu’elle avait rêvé qu’il était mort dans la nuit ; rassurée en le trouvant dans le même état que la veille, elle le quitta pour aller soigner ses affaires et oublia de fermer la porte après elle.
Les ramoneurs, à Londres, ont coutume de se glisser dans les maisons qui-ne sont point habitées, pour s’emparer de la suie, dont ils font un petit commerce. Deux d’entre eux avaient su l’absence du maître de la maison ; ils épiaient le moment de s’introduire chez lui. Ils virent sortir la vieille, entrèrent dès qu’elle fut éloignée, trouvèrent la chambre du capitaine ouverte, et, sans prendre garde à lui, grimpèrent tous les deux dans la cheminée. Le capitaine était en ce moment assis sur son séant. Le jour était sombre ; la vue de deux créatures aussi noires lui causa une frayeur inexprimable ; il retomba dans ses draps, n’osant faire aucun mouvement. Le docteur arriva un instant après ; il entra avec sa gravité ordinaire et appela le capitaine en s’approchant du lit. Le malade reconnut la voix, souleva ses couvertures et regarda d’un œil égaré, sans avoir la force de parler. Le docteur lui prit la main et lui demanda comment il se trouvait. — Mal, répondit-il ; je suis perdu : les diables se préparent à m’emporter, ils sont dans ma cheminée… Le docteur, qui était un esprit fort, secoua la tête, tâta le pouls et dit gravement : — Vos idées sont coagulées ; vous avez un lucidum caput, capitaine… — Cessez votre galimatias, docteur : il n’est plus temps de plaisanter, il y a deux diables ici… — Vos idées sont incohérentes ; je vais vous le démontrer. Le diable n’est pas ici : votre effroi est donc…
Dans ce moment, les ramoneurs, ayant rempli leur sac, le laissèrent tomber au bas de la cheminée et le suivirent bientôt. Leur apparition rendit le docteur muet ; le capitaine se renfonça dans sa couverture, et, se coulant aux pieds de son lit, se glissa dessous sans bruit, priant les diables de se contenter d’emporter son ami. Le docteur, immobile d’effroi, cherchait à se ressouvenir des prières qu’il avait apprises dans sa jeunesse. Se tournant vers son ami pour lui demander son aide, il fut épouvanté de ne plus le voir dans son lit. Il aperçut dans ce moment un des ramoneurs qui se chargeait du sac de suie ; il ne douta pas que le capitaine ne fût dans le sac. Tremblant de remplir l’autre, il ne fit qu’un saut jusqu’à la porte de la chambre, et de là au bas de l’escalier. Arrivé dans la rue, il se mit à crier de toutes ses forces : — Au secours ! le diable emporte mon ami ! La populace accourt à ses cris ; il montre du doigt la maison, on se précipite en foule vers la porte, mais personne ne veut entrer le premier… Le docteur, un peu rassuré par le nombre, excite tout le monde. Les ramoneurs, en entendant le bruit qu’on faisait dans la rue, posent leur sac dans l’escalier, et, de crainte d’être surpris, remontent quelques étages. Le capitaine, mal à son aise sous son lit, ne voyant plus les diables, se hâte de sortir de la maison. Sa peur et sa précipitation ne lui permettent pas de voir le sac, il le heurte, tombe dessus, se couvre de suie, se relève et descend avec-rapidité ; l’effroi de la populace augmente à sa vue : elle recule et lui ouvre un passage ; le docteur reconnaît son ami et se cache dans la foule pour l’éviter. Enfin un ministre, qu’on était allé chercher pour conjurer l’esprit malin, parcourt la maison, trouva les ramoneurs, les force à descendre, et montre les prétendus diables au peuple assemblé. Le docteur et le capitaine se rendirent enfin à l’évidence ; mais le docteur, honteux d’avpir, par sa sotte frayeur, démenti le caractère d’intrépidité qu’il avait toujours affecté, voulait rosser ces coquins qui, disait-il, avaient fait une si grande peur à son ami.
Vocératrices. Lorsqu’un homme est mort, en Corse, particulièrement lorsqu’il a été assassiné, on place son corps sur une table ; et les femmes de sa famille, à leur défaut des amies ou même des femmes étrangères connues par leur talent poétique, improvisent devant un auditoire nombreux des complaintes en vers, dans le dialecte du pays. On nomme ces femmes voceratrici, ou, suivant la prononciation corse, bucerairici, et la complainte s’appelle vocero, buceru, buceratu, sur la côte orientale ; ballata sur la côte opposée. Le mot vocero, ainsi que ses dérivés vocerar, voceratrice, vient du latin vociferare. Quelquefois plusieurs femmes improvisent tour à tour, et fréquemment la femme ou la fille du mort chante elle-même la complainte funèbre[27].
Voile. Chez les Juifs modernes, c’est une tradition qu’un voile qu’on se met sur le visage empêche que le fantôme ne reconnaisse celui qui a peur. Mais si Dieu juge qu’il l’ait mérité par ses péchés, il lui fait tomber le masque, afin que l’ombre puisse le voir et le mordre.
Voisin (la), devineresse qui tirait les cartes, faisait voir tout ce qu’on voulait dans un bocal plein d’eau et forçait le diable à paraître à sa volonté. Il y avait un grand concours de monde chez elle. Un jeune époux, remarquant que sa femme sortait aussitôt qu’il quittait la maison, résolut de savoir qui pouvait ainsi la déranger. Il la suit donc un jour et la voit entrer dans une sombre allée ; il s’y glisse, l’entend frapper à une porte qui s’ouvre, et, content de savoir ou il peut la surprendre, il regarde par le trou de la serrure et entend ces mots : — Allons, il faut vous déshabiller ; ne faites pas l’enfant, ma chère amie, hâtons-nous… La femme se déshabillait ; le mari frappe à la porte à coups rédoublés. La Voisin ouvre, et le curieux voit sa femme, une baguette magique à la main, prête à évoquer le diable… Une autre fois, une dame très-riche était venue la trouver pour qu’elle lui tirât les cartes. La Voisin, qui à sa qualité de sorcière joignait les talents de voleuse, lui persuade qu’elle fera bien de voir le diable, qui ne lui fera d’ailleurs aucun mal ; la dame y consent. La bohémienne lui dit d’ôter ses vêtements et ses bijoux. La dame obéit et se trouve bientôt seule, n’ayant qu’une vieille paillasse, un bocal et un jeu de cartes. Cette dame était venue dans son équipage ; le cocher, après avoir attendu très-longtemps sa maîtresse, se décide enfin a monter, monte et la trouve au désespoir. La Voisin avait disparu avec ses hardes ; on l’avait dépouillée. Il lui met son manteau sur les épaules et la reconduit chez elle.
On cite beaucoup d’anecdotes pareilles. Voici quelques détails sur son procès, tirés des relations contemporaines.
Vers l’an 1677, la fameuse Voisin s’unit à la femme Vigoureux et à un ecclésiastique apostat nommé Lesage, pour trafiquer des poisons d’un Italien nommé Exili, qui avait fait en ce genre d’horribles découvertes. Plusieurs morts Subites firent soupçonner des crimes secrets. On établit à l’Arsenal, en 1680, la chambre des poisons, qu’on appela la chambre ardente. Plusieurs personnes de distinction furent citées à cette chambre, entre autres deux nièces du cardinal Mazarin, la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons, mère du prince Eugène, et enfin le célèbre maréchal de Luxembourg.
La Voisin, la Vigoureux et Lesage s’étaient fait un revenu de la curiosité des ignorants, qui étaient en très-grand nombre ; ils prédisaient l’avenir ; ils faisaient voir le diable. S’ils s’en étaient tenus là, il n’y aurait eu que du ridicule et de la friponnerie chez eux, et la chambre ardente n’était pas nécessaire.
La Reynie, l’un des présidents de cette chambre, demanda à la duchesse de Bouillon si elle avait vu le diable. Elle répondit : — Je le vois dans ce moment ; il est déguisé en conseiller d’État, fort laid et fort vilain.
Ce procès dura quatorze mois, pendant lesquels la comtesse de Soissons se sauva en Flandre. Le maréchal de Luxembourg fut acquitté, comme tous les personnages de condition impliqués dans cette affaire[28]. La Voisin et ses deux complices furent condamnés par jugement de la Chambre ardente à être brûlés en place de Grève.
On lit ailleurs que la Voisin, par ses relations avec le diable, sut son arrêt, chose assez extraordinaire, quatre jours avant son supplice. Cela ne l’empêcha pas de boire, de manger et de faire débauche. Le lundi, à minuit, elle demanda du vin et se mit à chanter des chansons indécentes. Le mardi, elle eut la question ordinaire et extraordinaire ; elle avait bien dîné et dormi huit heures. Elle soupa le soir et recommença, toute brisée qu’elle était, à faire débauche de table. On lui en fit honte ; on lui dit qu’elle ferait bien mieux de penser à Dieu et de chanter un Ave maris stella ou un Salve. Elle chanta l’un et l’autre en plaisantant et dormit ensuite. Le mercredi se passa de même en débauche et en chansons ; elle refusa de voir un confesseur. Enfin le jeudi on ne voulut lui donner qu’un bouillon ; elle en gronda, disant qu’elle n’aurait pas la force de parler à ces messieurs…
Elдe vint en carrosse de Vincennes à Paris. On la voulut faire confesser ; il n’y eut pas moyen d’y parvenir. À cinq heures on la lia, et avec une torche à la main elle parut dans le tombereau, habillée de blanc ; on voyait qu’elle repoussait le confesseur et le crucifix avec violence.
À Notre-Dame, elle ne voulut jamais prononcer l’amende honorable ; à la Grève, elle se défendit autant qu’elle put de sortir du tombereau. On l’en tira de force ; on l’a mit sur le bûcher, assise et liée avec des chaînes ; on la couvrit de paille. Là elle jura beaucoup, repoussa la paille cinq ou six fois ; mais enfin le feu monta et on la perdit de vue.
Voiture du diable. On vit pendant plusieurs nuits, dans un faubourg de Paris, au commencement du dix-septième siècle, une voiture noire, traînée par des chevaux noirs, conduite par un cocher également noir, qui passait au galop des chevaux, sans faire le moindre bruit. La voiture paraissait sortir tous les soirs de la maison d’un seigneur mort depuis peu. Le peuple se persuada que ce ne pouvait être que la voiture du diable qui emportait le corps. On reconnut par la suite que celle jonglerie était l’ouvrage d’un fripon, qui voulait avoir à bon compte la maison du gentilhomme. Il avait attache des feutres autour des roues de la voiture et sous les pieds des chevaux, pour donner à sa promenade nocturne l’apparence d’une œuvre magique.
Voix. Boguet assure qu’on reconnaît un possédé à la qualité de sa voix. Si elle est sourde et enrouée, nul doute, dit-il, qu’il ne faille aussitôt procéder aux exorcismes.
Sous le règne de Tibère, vers le temps de la mort de Notre-Seigneur, le pilote Thamus, côtoyant les îles de la mer Egée, entendit un soir, aussi bien que tous ceux qui se trouvaient sur son vaisseau, une grande voix qui l’appela plusieurs fois par son nom. Lorsqu’il eut répondu, la voix lui commanda de crier, en un certain lieu, que le grand Pan était mort. À peine eut-il prononcé ces paroles dans le lieu désigné, qu’on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissements, comme d’une multitude de personnes affligées par cette nouvelle[29]. L’empereur Tibère assembla des savants pour interpréter ces paroles. On les appliqua à Pan, fils de Pénélope, qui vivait plus de mille ans auparavant ; mais, selon les versions les plus accréditées, il faut entendre par le grand Pan le maître des démons, dont l’empire était détruit parla mort de Jésus-Christ.
Les douteurs attribuent aux échos les gémissements qui se firent entendre au pilote Thamus ; mais on n’explique pas la voix.
Cette grande voix, dit le comte de Gabalis, était produite par les peuples de l’air, qui donnaient avis aux peuples des eaux que le premier et le plus âgé des sylphes venait de mourir. Et comme il s’ensuivrait de là que les esprits élémentaires étaient les faux dieux des païens, il confirme cette conséquence en ajoutant que les démons sont trop malheureux et trop faibles pour avoir jamais eu le pouvoir de se faire adorer ; mais qu’ils ont pu persuader aux hôtes des éléments de se montrer aux hommes et de se luire dresser des temples ; et que, par la domination naturelle que chacun d’eux a sur l’élément qu’il habite, ils troublaient l’air et la mer, ébranlaient la terre et dispensaient les feux du ciel à leur fantaisie : de sorte qu’ils n’avaient pas grand-peine à être pris pour des divinités.
Le comte Arigo bel Missere (Henri le bel Missere) mourut vers l’an 1000. Il avait combattu les Maures qui envahissaient la Corse. Une tradition prétend qu’à sa mort une voix s’entendit dans l’air, qui chantait ces paroles prophétiques :
È morto il conte Arigo bel Missere,
E Corsica sarà di maie in peggio[30].
Saint Clément d’Alexandrie raconte qu’en Perse, vers la région des mages, on voyait trois montagnes, plantées au milieu d’une large campagne, distantes également l’une de l’autre. En approchant de la première, on entendait comme des voix confuses de plusieurs personnes qui se battaient ; près de la seconde, le bruit était plus grand ; et à la troisième, c’étaient des fracas d’allégresse, comme d’un grand nombre de gens qui se réjouissaient. Le même auteur dit avoir appris d’anciens historiens que, dans la Grande-Bretagne, on entend au pied d’une montagne des sons de cymbales et de cloches qui carillonnent en mesure.
Il y a, dit-on, en Afrique, dans certaines familles, des sorcières qui ensorcellent par la voix et la langue, et font périr les blés, les animaux et les hommes dont elles parlent, même pour en dire du bien. — En Bretagne, le mugissement lointain de la trier, le sifflement des vents, entendu dans la nuit, sont la voix d’un noyé qui demande un tombeau[31].
Volac, grand président aux enfers ; il apparaît sous la forme d’un enfant avec des ailes
Volet (Marie). Vers l’année 1691, une jeune fille, de la paroisse de Pouillat en Bresse, auprès de Bourg, se prétendit possédée. Elle poussait des cris que l’on prit pour de l’hébreu. L’aspect des reliques, l’eau bénite, la vue d’un prêtre, la faisaient tomber en convulsions. Un Chanoine de Lyon consulta un médecin sur ce qu’il y avait à faire. Le médecin visita la possédée ; il prétendit qu’elle avait un levain corrompu dans l’estomac, que les humeurs cacochymes de la masse du sang et l’exaltation d’un acide violent sur les autres parties qui le composent étaient l’explication naturelle de l’état de maladie de cette fille. Marie Volet fui envoyée aux eaux minérales ; le grand air, la défense de lui parler du diable et de l’enfer, et sans doute le retour de quelque paix dans sa conscience troublée, calmèrent ses agitations ; bientôt elle fut en état de reprendre ses travaux ordinaires[33].
Vols ou Voust, de vultus, figure, effigie. On appelait ainsi autrefois une image de cire, au moyen de laquelle on se proposait de faire périr ceux qu’on haïssait ; ce qui s’appelait envoûter. La principale formalité de l’envoûtement consistait à modeler, soit en cire, soit en argile, l’effigie de ceux à qui On voulait mal. Si l’on perçait la figurine, l’envoûté qu’elle représentait était lésé dans la partie correspondante de sa personne. Si on la faisait dessécher ou fondre au feu, il dépérissait et ne tardait pas à mourir.
Enguerrand de Marigny fut accusé d’avoir voulu envoûter Louis X. L’un des griefs de Léonora Galigaï fut qu’elle gardait de petites figures de cire dans de petits cercueils. En envoûtant, on prononçait des paroles et on pratiquait des cérémonies qui ont varié. Ce sortilège remonte à une haute antiquité. Platon le mentionne dans ses Lois : « Il est inutile, dit-il, d’entreprendre de prouvera certains esprits fortement prévenus qu’ils ne doivent point s’inquiéter des petites figures de cire qu’on aurait mises ou à leur porte, ou dans les carrefours, ou sur le tombeau de leurs ancêtres, et de les exhorter à les mépriser, parce qu’ils ont une foi confuse à la vérité de ces maléfices. — Celui qui se sert de charmes, d’enchantements et de tous autres maléfices de cette nature, à dessein de nuire par de tels prestiges, s’il est devin ou versé dans l’art d’observer les prodiges, qu’il meure ! Si, n’ayant aucune connaissance de ces arts, il est convaincu d’avoir usé de maléfices, le tribunal décidera ce qu’il doit souffrir dans sa personne ou dans ses biens. » (Traduction de M. Cousin.)
Ce qui est curieux, c’est qu’on a retrouvé la même superstition chez les naturels du nouveau monde. Le père Charlevoix raconte que les Illinois font de petits marmousets pour représenter ceux dont ils veulent abréger les jours, et qu’ils les percent au cœur. Voy. Envoûtement.
Volta. C’est une ancienne tradition de l’Étrurie que les campagnes furent désolées par un monstre appelé Voila. Porsenna fit tomber la foudre sur lui. Lucius Pison, l’un des plus braves auteurs de l’antiquité, assure qu’avant lui Nu ma avait fait usage du même moyen, et que Tullus Hostilius, l’ayant imité sans être suffisamment instruit, fut frappé de ladite foudre[34]…
Voltaire. L’abbé Fiard, Thomas, madame de Staël et d’autres têtes sensées le mettent au nombre des démons incarnés.
Voltigeur hollandais. Les marins de toutes les nations croient à l’existence d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice divine, pour crime de pirateries et de cruautés abominables, à errer sur les mers jusqu’à la fin des siècles. On considère sa rencontre comme un funeste présage. Un écrivain de nos jours, à fort bien décrit cette croyance dans une scène maritime que nous transcrivons :
« Mon vieux père m’a souvent raconté, lorsque, tout petit, il me berçait dans ses bras, pour m’accoutumer au roulis, et il jurait que c’était la pure vérité, qu’étant un jour ou plutôt une nuit dans les parages du cap de Bonne-Espérance, un malavisé de mousse jeta par-dessus bord un chat, vivant qu’il avait pris en grippé, et qu’aussitôt, comme cela ne pouvait manquer d’arriver, un affreux coup de vent assaillit le navire, lequel, ne pouvant supporter une seule aune de toile, fut obligé de fuir à sec devant la bourrasque, avec la vitesse d’au moins douze nœuds.
» Ils étaient dans cette position, lorsque, vers minuit, ils virent tout à coup, à leur grand étonnement, un bâtiment de construction étrangère courir droit dans le lit du vent, qui était cependant alors dans sa plus grande violence. Pendant qu’ils examinaient ce singulier navire, dont les voiles pendaient en lambeaux, et dont les œuvres mortes étaient recouvertes d’une épaisse couche de coquillages et d’herbes marines, comme s’il n’eût pas été nettoyé depuis de longues
» — Au nom de Dieu tout-puissant, je l’ordonne de qui Lier mon bord ! s’écria enfin le capitaine, en s’adressant au spectre. À peine ces mots eurent-ils été prononcés, qu’un cri long et aigu, tel que mille voix humaines n’auraient pu en produire un semblable, domina le bruit de la tempête, qu’un horrible coup de tonnerre ébranla le bâtiment jusqu’à sa quille… »
Le navire eut le bonheur d’échapper ; ce qui est rare.
On dit encore que ceux qui ont reçu les lettres que les matelots-fantômes du navire appelé le Voltigeur hollandais envoyaient à leurs parents et amis ont vu qu’elles étaient adressées à des personnes qui n’existent plus depuis des siècles.
Vondel, poëte hollandais célèbre, auteur du drame de Lucifer.
Vouivre. Voy. Wivre.
Voyages des sorcières. Si elles vont au sabbat portées par un bouc ou par un mouton noir ou par un démon, dans leurs autres excursions elles ne voyagent généralement qu’à cheval sur un manche à balais.
Vroucolacas ou Broucolaques. V. Vampires.
Vue. Il y a des sorcières qui tuent par leur regard ; mais, en Écosse, beaucoup de femmes ont ce qu’on appelle la seconde vue, c’est-à-dire le don de prévoir l’avenir et de l’expliquer, et de connaître par une mystérieuse intuition ce qui se passe au loin. Voy. Yeux.
- ↑ M. Salues, Des erreurs et des préjugés, etc., t. III, p. 84.
- ↑ Wierus, in Pseudomonarch. dæmon.
- ↑ Par l’alectryomancie. Voy. ce mot.
- ↑ C’est la définition que donne le R. P. D. Calmet.
- ↑ D. Calmet déclare qu’il tient ces faits d’un homme grave, qui les tenait de M. le comte de Cabréras.
- ↑ Wilhelm. Neubrig., Berum. anglicarum lib. V, cap. xxii.
- ↑ Les anciens croyaient aussi que les morts mangeaient. On ne dit pas s’ils les entendaient mâcher ; mais il est certain qu’il faut attribuer à l’idée qui conservait aux morts la faculté de manger d’habitude des repas funèbres qu’on servait, de temps immémorial et chez tous les peuples, sur la tombe des défunts.
- ↑ De masticatione mortuorum in tumulis.
- ↑ Philosophicæ et christianæ cogitationes de vampiriis, a Joanne Christophoro Herenbergio.
- ↑ Mackensie, Voyage dans l’Amérique septentrionale, 1802.
- ↑ Wierus, in Pseudom. dæm.
- ↑ Saint-Foix, Essais sur Paris.
- ↑ Bayle, Dictionnaire critique ; Aaron, note A.
- ↑ Admirables secrets d’Albert le Grand, p. 110.
- ↑ La mort de Notre-Seigneur, la rédemption du genre humain, la chute du pouvoir infernal, doivent au contraire sanctifier le vendredi.
- ↑ Thiers, Traité des superstitions.
- ↑ Cambry, Voyage dans le Finistère, t. III, p. 35.
- ↑ Cambry, Voyage dans le Finistère, t. III, p. 48.
- ↑ Liv. VI, ch. xiii.
- ↑ Boguet, p. 364.
- ↑ Revue des Deux Mondes, août 1833.
- ↑ Lenglet-Dufresnoy.
- ↑ Michel Scott, De physiogn., ch. lvi.
- ↑ Wierus, Pseudom. dæm.
- ↑ Voyez cette grande légende dans les Légendes infernales.
- ↑ Lettre de l’évêque Evode a saint Augustin.
- ↑ Prosper Mérimée, Colomba.
- ↑ Les grands personnages, dans ce procès, où ils se trouvaient mêlés à une canaille infâme, y allaient toutefois d’un ton fort dégagé. Madame de Bouillon, assignée pour répondre par-devant les commissaires de la chambre des poisons (en 1680), s’y rendit accompagnée de neuf carrosses de princes ou ducs ; M. de Vendôme la menait. M. de Bezons lui demanda d’abord si elle n’était pas venue pour répondre aux interrogations qu’on lui ferait. Elle dit que oui ; mais qu’avant d’entrer en matière elle lui déclarait que tout ce qu’elle allait dire ne pourrait préjudicier au rang qu’elle tenait, ni à tous ses privilèges. Elle m voulut rien dire ni écouter davantage que le greffier n’eût écrit cette déclaration préliminaire. M. de Bezons la questionna sur ce qu’elle avait demandé à la Voisin. Elle répondit « qu’elle l’avait priée de lui faire voir des sibylles » ; et après huit ou dix autres questions d’aussi peu d’importance, sur lesquelles elle répondit toujours en se moquant, M. de Bezons lui dit qu’elle pouvait s’en aller. M. de Vendôme lui donnait la main, sur le seuil de la porte de celle chambre, elle s’écria « qu’elle n’avait jamais ouï dire tant de sottises d’un ton si grave ».
- ↑ Eusèbe, après Plutarque.
- ↑ Prosper Mérimée, Colomba.
- ↑ Cambry, Voyage dans le Finistère.
- ↑ Wierus, in Pseudom. dæm.
- ↑ M. Garinet, Histoire de la magie en France, p. 255.
- ↑ Pline, liv. II, ch. xxxiii.