Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Avertissement de Beuchot
Des lettres du roi de Prusse, qui jusqu’à ce jour n’ont pas été admises dans les Œuvres de Voltaire[1], à qui pourtant elles sont adressées, donnent la date de la composition des premiers articles du Dictionnaire philosophique, et la fixent à 1751. Colini ne la met cependant qu’à 1752. « Il faut, dit-il, placer à cette année le projet du Dictionnaire philosophique, qui ne parut que longtemps après. Le plan de cet ouvrage fut conçu à Potsdam. J’étais chaque soir dans l’usage de lire à Voltaire, lorsqu’il était dans son lit, quelques morceaux de l’Arioste ou de Boccace : je remplissais avec plaisir mes fonctions de lecteur, parce qu’elles me mettaient à même de recueillir d’excellentes observations, et me fournissaient une occasion favorable de m’entretenir avec lui sur divers sujets. Le 28 septembre, il se mit au lit fort préoccupé : il m’apprit qu’au souper du roi on s’était amusé de l’idée d’un Dictionnaire philosophique, que cette idée s’était convertie en un projet sérieusement adopté, que les gens de lettres du roi et le roi lui-même devaient y travailler de concert, et que l’on en distribuerait les articles, tels que Adam, Abraham, etc. Je crus d’abord que ce projet n’était qu’un badinage ingénieux inventé pour égayer le souper ; mais Voltaire, vif et ardent au travail, commença dès le lendemain[2].»
Les détails donnés par Colini sont tellement précis qu’on est tenté de penser que les lettres du roi de Prusse auront été mal datées dans les copies que j’ai sous les yeux.
L’ouvrage ne parut cependant qu’en 1764[3] sous le titre de Dictionnaire philosophique portatif, en un volume in-8o, que Voltaire désigne quelquefois sous le seul nom de Portatif. Une nouvelle édition in-8o, augmentée de huit articles, vit le jour en décembre 1764, mais avec la date de 1765, date sous laquelle je citerai cette édition, qui fut bientôt reproduite en un seul volume petit in-8o ; l’édition de 1765, en deux volumes in-12, est augmentée de seize nouveaux articles.
Cependant le parlement de Paris, par arrêt du 19 mars 1765, condamna au feu le Dictionnaire philosophique ; et, le 8 juillet de la même année, la congrégation de l’Index à Rome le proscrivit : c’était autant d’éléments de succès de plus. De nouvelles additions furent faites à l’édition de 1767, en un seul volume in-8o de 580 pages, et d’autres encore à l’édition de 1769, en deux volumes in-8o, sous le titre de : la Raison par alphabet, sixième édition revue, corrigée et augmentée par l’auteur[4]. L’édition de 1767, aussi intitulée sixième édition[5] était augmentée de trente-sept articles qui ont été imprimés séparément in-8o pour supplément à l’édition de 1765 de même format. Le frontispice de l’édition de 1770, deux parties in-8o, porte : Dictionnaire philosophique, ou la Raison par alphabet, septième édition revue, etc. Une partie seulement des articles, formant alors le Dictionnaire philosophique, a été reproduite, soit en 1775, dans l’édition encadrée, tome XXXVIII (Ier des Pièces détachées attribuées à divers hommes célèbres), soit en 1777, dans l’édition in-4o, tome XXVIII ; et dans toutes les deux, sous la rubrique de : Fragments sur divers sujets par ordre alphabétique. Une réimpression de 1776 a pour titre : la Raison par alphabet, ou supplément aux Questions sur l’Encyclopédie, attribué à divers hommes célèbres, dixième et dernière édition, revue, corrigée et augmentée par l’auteur, in-8o de 359 pages[6].
Il y a loin de là aux sept volumes, ou plus de 3,500 pages, que remplit aujourd’hui le Dictionnaire philosophique[7]. Cette augmentation est le résultat des dispositions des éditeurs de Kehl, qui, ainsi qu’ils le disent dans leur Avertissement[8], ont fait un seul ouvrage de plusieurs, en refondant dans le Dictionnaire philosophique :
1o Les Questions sur l’Encyclopédie ;
- 2o L’Opinion par alphabet ;
- 3o Les Articles insérés dans l’Encyclopédie ;
- 4o Plusieurs articles destinés par l’auteur au Dictionnaire de l’Académie ;
- 5o Un grand nombre de morceaux publiés depuis plus ou moins longtemps.
Les Questions sur l’Encyclopédie parurent de 1770 à 1772, en neuf volumes in-8o. Les trois premiers sont datés de 1770, et contiennent jusqu’au mot Ciel des anciens ; le quatrième, qui vit le jour en 1771 commence par l’article Cicéron ; les cinquième, sixième, septième et huitième sont de la même année ; le dernier mot est Supplice. Enfin le neuvième, commençant par la troisième section du mot Superstition, et qui outre la fin de l’alphabet, contient un Supplément et une réimpression des Lettres de Memmius à Cicéron (voyez les Mélanges, année 1771), porte la date de 1772. Voltaire doit ne pas avoir été étranger à une réimpression aussi en neuf volumes in-8o, commencée en 1771, date sous laquelle je l’ai citée, réimpression dans laquelle parut l’Addition de l’éditeur qui fait partie de l’article Ana, pages 205-208 du présent volume. L’édition in-4o de 1774 contient des augmentations. Quelques personnes ont cru que les Questions sur l’Encyclopédie n’étaient qu’une nouvelle édition du Dictionnaire philosophique. Voltaire n’avait reproduit dans les Questions qu’un petit nombre d’articles du Dictionnaire. À cela près, les deux ouvrages n’ont de commun que la distribution par ordre alphabétique.
Je ne puis dire précisément de quoi se composait l’Opinion par alphabet que Voltaire avait laissée en manuscrit. Il en est de même des articles qui étaient destinés pour le Dictionnaire de l’Académie française.
Ce n’était pas assez d’avoir brûlé le Dictionnaire philosophique, le 19 mars 1765. On mit cet ouvrage sur le bûcher qui consuma les restes du chevalier de La Barre[9], le 1er juillet 1766 ; voyez dans les Mélanges, année 1766, la Relation de la mort du chevalier de La Barre.
Les critiques ne furent pas moins acharnés contre ce livre. Les rédacteurs du Monthly Review appelaient l’auteur inconsidéré, dissolu, déréglé, infâme. En France, Larcher le traitait de bête féroce ; voyez mon Avertissement en tête du tome XI.
L’abbé Chaudon est le principal auteur du Dictionnaire antiphilosophique pour servir de commentaire et de correctif au Dictionnaire philosophique et aux autres livres qui ont paru de nos jours contre le christianisme, Avignon, 1767, in-8o ; 1769, 2 volumes in-8o ; 1772, 2 volumes in-8o, et dont la dernière édition, 1785, 2 volumes in-8o, est intitulée Anti-Dictionnaire philosophique, etc., 4e édition, corrigée, considérablement augmentée et entièrement refondue sur les mémoires de divers théologiens. Les diverses éditions de l’ouvrage de Chaudon contiennent l’arrêt du parlement, du 19 mars 1765, et le réquisitoire d’Omer Joly de Fleury[10]; mais l’édition de 1767 est la seule où l’on trouve quelques pièces relatives à la condamnation de plusieurs livres, et la Lettre du R. P. Routh, jésuite, à monseigneur Gualterio, nonce de Sa Sainteté, à Paris (sur la catholicité et les derniers moments de Montesquieu). On a quelquefois confondu l’ouvrage de Chaudon avec celui de Nonotte, dont je parlerai plus bas.
L’abbé François s’escrima en même temps contre deux ouvrages de Voltaire, en publiant ses Observations sur la Philosophie de l’histoire et sur le Dictionnaire philosophique, avec des réponses à plusieurs difficultés : 1770, 2 volumes in-8o ; voyez mon Avertissement en tête du tome XI.
L’abbé Paulian donna la même année son Dictionnaire philosopho-théologique portatif ; 1770, un volume in-8o. Les éditeurs de Kehl, dans une note sur le chapitre xiii de l’Homme aux quarante écus, ont confondu cet ouvrage avec celui de Chaudon.
L’abbé Nonotte fit paraître, en 1772, un Dictionnaire philosophique de la religion, où l’on établit tous les points de la religion attaqués par les incrédules, et où l’on répond à toutes leurs objections, 4 volumes in-12.
Ce n’est point par l’aménité que se distinguent les critiques de ces quatre abbés, tandis que c’est avec beaucoup de modestie et d’honnêteté que des opinions de Voltaire sont combattues dans les Remarques sur un livre intitulé Dictionnaire philosophique portatif, par un membre de l’illustre Société d’Angleterre pour l’avancement et la propagation de la doctrine chrétienne ; Lausanne, 1765, in-12.
La date de ces cinq écrits indique assez qu’ils portent sur le Dictionnaire philosophique dans sa forme primitive, c’est-à-dire tel qu’il était en 1764 et années suivantes. C’est sur l’ouvrage dans la forme qui lui a été donnée par les éditeurs de Kehl que portent les Observations philosophiques sur le Dictionnaire philosophique de Voltaire, par G. Feydel, 1820, in-12, dont il n’a paru que les quarante-huit premières pages, qui viennent jusques à Abus des mots inclusivement.
C’était dans leur Dictionnaire philosophique que les éditeurs de Kehl avaient placé la plupart des Lettres philosophiques, ou sur les Anglais ; je les ai, en 1817, rétablies en corps d’ouvrage, et dans leur forme primitive ; on les trouvera dans les Mélanges, à l’année 1734.
On ne peut guère prendre le même parti pour le Dictionnaire philosophique tel qu’il était originairement, c’est-à-dire de 1764 à 1769, et pour les Questions sur l’Encyclopédie. Les deux ouvrages étant de même nature et rangés dans le même ordre, le lecteur, si on les séparait aujourd’hui, serait souvent embarrassé dans ses recherches. Mais en conservant la fusion des deux ouvrages, j’ai cru utile de donner la date de la publication de chaque article, et j’ai fait la même chose pour tous les autres morceaux qui composent aujourd’hui le Dictionnaire philosophique. Si l’on excepte les articles de la lettre T, qui, la plupart, étaient évidemment destinés pour le Dictionnaire de l’Académie, il n’y a, dans les sept volumes, qu’environ quarante articles dont je ne donne pas la date. Il est à croire que la plupart, sinon tous, sont posthumes et appartenaient à l’Opinion par alphabet, dont il est question dans la note 5 de la page viii. J’ai déplacé quelques articles ; mais, toutes les fois que je l’ai fait, une note indique à quel endroit on trouvera les morceaux déplacés.
Deux morceaux seulement ont été ajoutés dans cette édition de 1829. Ce sont : 1o l’article Généreux ; 2o un supplément à l’article Quisquis, que je tiens de feu M. Decroix, l’un des éditeurs de Kehl.
J’ai admis un assez grand nombre de variantes. Les plus remarquables sont aux articles Égalité, Fonte, Guerre. Celle de la fin de l’article Fonte est d’autant plus importante qu’elle sert à expliquer un passage de la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 19 auguste 1770.
Wagnière, dont on trouvera le nom dans quelques notes, a été secrétaire de Voltaire pendant plus de vingt ans : il était entré chez lui en 1754 et y resta jusqu’à la mort du patriarche[11].
1er avril 1829.
- ↑ On les trouvera dans la présente édition, dans la Correspondance, année 1751.
- ↑ Mon Séjour auprès de Voltaire, page 32.
- ↑ D’après la lettre de Voltaire à Damilaville, du 13 juillet 1764, on peut croire que le Dictionnaire philosophique venait d’être publié.
- ↑ Je crois que cette édition de 1769 est la première sous le titre : la Raison par alphabet. Pour la porter à deux volumes, on a réimprimé, à la fin du second, l’A, B, C (voyez les Mélanges, année 1768) en dix-sept dialogues qui occupent plus de 140 pages.
- ↑ C’est à l’occasion de cette édition que Voltaire écrivait à d’Alembert, le 19 juin 1767, que l’ouvrage paraissait en Hollande, tête levée.
- ↑ Il est assez singulier qu’on présente comme Supplément aux Questions sur l’Encyclopédie, qui ont paru de 1770 à 1772, un ouvrage publié longtemps avant.
- ↑ Le Dictionnaire philosophique, dans l’édition de Beuchot, comprend, en effet, sept volumes (3,782 pages). (L. M.)
- ↑ Voici cet Avertissement des éditeurs de Kehl :
« Nous avons réuni sous le titre de Dictionnaire philosophique les Questions sur l’Encyclopédie, le Dictionnaire philosophique réimprimé sous le titre de la Raison par alphabet, un dictionnaire manuscrit intitulé l’Opinion par alphabet, les articles de M. de Voltaire insérés dans l’Encyclopédie ; enfin plusieurs articles destinés pour le Dictionnaire de l’Académie française.« On y a joint un grand nombre de morceaux peu étendus, qu’il eût été difficile de classer dans quelqu’une des divisions de cette collection.
On trouvera nécessairement ici quelques répétitions ; ce qui ne doit pas surprendre, puisque nous réunissons des morceaux destinés à faire partie d’ouvrages différents. Cependant on les a évitées, autant qu’il a été possible de le faire sans altérer ou mutiler le texte. »
J’ai encore diminué le nombre des doubles emplois ; mais il en était d’inévitables : voyez entre autres les articles Air, Distance, et Figure. - ↑ Lettre de d’Alembert, du 16 juillet 1766.
- ↑ Le rapporteur était Marie-Joseph Terray, qui fut depuis contrôleur général des finances. L’arrêt qui condamnait au feu le Dictionnaire philosophique y condamnait aussi les Lettres écrites de la montagne, par Jean-Jacques Rousseau.
- ↑ On a publié des Mémoires sur Voltaire et sur ses ouvrages, par Longchamp et Wagnière, ses secrétaires ; 1820, 2 volumes in-8o.