Dictionnaire philosophique/Garnier (1878)/Salomon

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Éd. Garnier - Tome 20
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SALOMON[1].

Plusieurs rois ont été de grands clercs et ont fait de bons livres. Le roi de Prusse, Frédéric le Grand, est le dernier exemple que nous en ayons. Il sera peu imité ; nous ne devons pas présumer qu’on trouve beaucoup de monarques allemands qui fassent des vers français, et qui écrivent l’histoire de leur pays. Jacques Ier en Angleterre, et même Henri VIII, ont écrit. Il faut en Espagne remonter jusqu’au roi Alfonse X ; encore est-il douteux qu’il ait mis la main aux Tables Alfonsines.

La France ne peut se vanter d’avoir eu un roi auteur[2]. L’empire d’Allemagne n’a aucun livre de la main de ses empereurs ; mais l’empire romain se glorifie de César, de Marc-Aurèle, et de Julien. On compte en Asie plusieurs écrivains parmi les rois. Le présent empereur de la Chine, Kien-long, passe surtout pour un grand poëte ; mais Salomon, ou Soleyman l’Hébreu, a encore plus de réputation que Kien-long le Chinois.

Le nom de Salomon a toujours été révéré dans l’Orient. Les ouvrages qu’on croit de lui, les annales des Juifs, les fables des Arabes, ont porté sa renommée jusqu’aux Indes. Son règne est la grande époque des Hébreux.

Il était le troisième roi de la Palestine. Le premier livre des Rois dit que sa mère Bethsabée obtint de David qu’il fît couronner Salomon son fils, au lieu de son aîné Adonias. Il n’est pas surprenant qu’une femme complice de la mort de son premier mari ait eu assez d’artifice pour faire donner l’héritage au fruit de son adultère, et pour faire déshériter le fils légitime, qui de plus était l’aîné.

C’est une chose très-remarquable que le prophète Nathan, qui était venu reprocher à David son adultère, le meurtre d’Urie, le mariage qui suivit ce meurtre, fût le même qui depuis seconda Bethsabée, pour mettre sur le trône Salomon, né de ce mariage sanguinaire et infâme. Cette conduite, à ne raisonner que selon la chair, prouverait que ce prophète Nathan avait, selon les temps, deux poids et deux mesures. Le livre même ne dit pas que Nathan reçut une mission particulière de Dieu pour faire déshériter Adonias. S’il en eut une, il faut la respecter ; mais nous ne pouvons admettre que ce que nous trouvons écrit.

C’est une grande question en théologie si Salomon est plus renommé par son argent comptant, ou par ses femmes, ou par ses livres. Je suis fâché qu’il ait commencé son règne à la turque, en égorgeant son frère.

Adonias, exclu du trône par Salomon, lui demanda pour toute grâce qu’il lui permît d’épouser Abisag, cette jeune fille qu’on avait donnée à David pour le réchauffer dans sa vieillesse. L’Écriture ne dit point si Salomon disputait à Adonias la concubine de son père, mais elle dit que Salomon, sur la seule demande d’Adonias, le fit assassiner. Apparemment que Dieu, qui lui donna l’esprit de sagesse, lui refusa alors celui de justice et d’humanité, comme il lui refusa depuis le don de la continence.

Il est dit dans le même livre des Rois qu’il était maître d’un grand royaume qui s’étendait de l’Euphrate à la mer Rouge et à la Méditerranée ; mais malheureusement il est dit en même temps que le roi d’Égypte avait conquis le pays de Gazer dans le Chanaan, et qu’il donna pour dot la ville de Gazer à sa fille, qu’on prétend que Salomon épousa ; il est dit qu’il y avait un roi à Damas ; les royaumes de Sidon et de Tyr florissaient : entouré d’États puissants, il manifesta sans doute sa sagesse en demeurant en paix avec eux tous. L’abondance extrême qui enrichit son pays ne pouvait être que le fruit de cette sagesse profonde, puisque du temps de Saül il n’y avait pas un ouvrier en fer dans son pays[3]. Nous l’avons déjà remarqué[4], ceux qui veulent raisonner trouvent difficile que David, successeur de Saül vaincu par les Philistins, ait pu pendant son administration fonder un vaste empire.

Les richesses qu’il laissa à Salomon sont encore plus merveilleuses ; il lui donna comptant cent trois mille talents d’or, et un million treize mille talents d’argent. Le talent d’or hébraïque vaut, selon Arbuthnot, six mille livres sterling. La somme totale du legs en argent comptant, sans les pierreries et les autres effets, et sans le revenu ordinaire proportionné sans doute à ce trésor, montait, suivant ce calcul, à un milliard cent dix-neuf millions cinq cent mille livres sterling, ou à cinq milliards cinq cent quatre-vingt-dix-sept millions d’écus d’Allemagne, ou à vingt-cinq milliards six cent quarante-huit millions de France. Il n’y avait pas alors autant d’espèces circulantes dans le monde entier. Ouelques érudits évaluent ce trésor un peu plus bas, mais la somme est toujours bien forte pour la Palestine.

On ne voit pas après cela pourquoi Salomon se tourmentait tant à envoyer ses flottes au pays d’Ophir pour rapporter de l’or. On devine encore moins comment ce puissant monarque n’avait pas dans ses vastes États un seul homme qui sût façonner du bois dans la forêt du Liban. Il fut obligé de prier Hiram, roi de Tyr, de lui prêter des fendeurs de bois et des ouvriers pour le mettre en œuvre. Il faut avouer que ces contradictions exercent le génie des commentateurs.

On servait par jour, pour le dîner et le souper de sa maison, cinquante bœufs et cent moutons, et de la volaille et du gibier à proportion : ce qui peut aller par jour à soixante mille livres pesant de viande ; cela fait une bonne maison.

On ajoute qu’il avait quarante mille écuries et autant de remises pour ses chariots de guerre, mais seulement douze mille écuries pour sa cavalerie. Voilà bien des chariots pour un pays de montagnes, et c’était un grand appareil pour un roi dont le prédécesseur n’avait eu qu’une mule à son couronnement, et pour un terrain qui ne nourrit que des ânes.

On n’a pas voulu qu’un prince qui avait tant de chariots se bornât à un petit nombre de femmes ; on lui en donne sept cents qui portaient le nom de reines ; et ce qui est étrange, c’est qu’il n’avait que trois cents concubines, contre la coutume des rois, qui ont d’ordinaire plus de maîtresses que de femmes.

[5]Il entretenait quatre cent douze mille chevaux, sans doute pour aller se promener avec elles le long du lac de Génézareth, ou vers celui de Sodome, ou vers le torrent de Cédron, qui serait un des endroits les plus délicieux de la terre si ce torrent n’était pas à sec neuf mois de l’année, et si le terrain n’était pas horriblement pierreux.

Quant au temple qu’il fit bâtir, et que les Juifs ont cru le plus bel ouvrage de l’univers, si les Bramante, les Michel-Ange, et les Palladio, avaient vu ce bâtiment, ils ne l’auraient pas admiré. C’était une espèce de petite forteresse carrée qui renfermait une cour, et dans cette cour un édifice de quarante coudées de long, et un autre de vingt ; et il est dit seulement que ce second édifice, qui était proprement le temple, l’oracle, le saint des saints, avait vingt coudées de large comme de long, et vingt de haut. M. Soufflot n’aurait pas été fort content de ces proportions[6].

Les livres attribués à Salomon ont duré plus que son temple.

Le nom seul de l’auteur a rendu ces livres respectables : ils devaient être bons[7], puisqu’ils étaient d’un roi, et que ce roi passait pour le plus sage des hommes.

Le premier ouvrage qu’on lui attribue est celui des Proverbes. C’est un recueil de maximes qui paraissent à nos esprits raffinés quelquefois triviales, basses, incohérentes, sans goût, sans choix, et sans dessein. Ils ne peuvent se persuader qu’un roi éclairé ait composé un recueil de sentences dans lesquelles on n’en trouve pas une seule qui regarde la manière de gouverner, la politique, les mœurs des courtisans, les usages d’une cour. Ils sont étonnés de voir des chapitres entiers où il n’est parlé que de gueuses qui vont inviter les passants dans les rues à coucher avec elles.

Ils se révoltent contre les sentences dans ce goût : « Il y a trois choses insatiables, et une quatrième qui ne dit jamais C’est assez : le sépulcre, la matrice, la terre qui n’est jamais rassasiée d’eau ; et le feu, qui est la quatrième, ne dit jamais C’est assez[8].

« Il y a trois choses difficiles, et j’ignore entièrement la quatrième : la voie d’un aigle dans l’air, la voie d’un serpent sur la pierre, la voie d’un vaisseau sur la mer, et la voie d’un homme dans une femme[9].

« Il y a quatre choses qui sont les plus petites de la terre, et qui sont plus sages que les sages : les fourmis, petit peuple qui se prépare une nourriture pendant la moisson ; le lièvre, peuple faible qui couche sur des pierres ; la sauterelle, qui, n’ayant pas de rois, voyage par troupes ; le lézard, qui travaille de ses mains, et qui demeure dans les palais des rois[10]. »

Est-ce à un grand roi, disent-ils, au plus sage des mortels qu’on ose imputer de telles niaiseries ? Cette critique est forte, il faut parler avec plus de respect.

Les Proverbes ont été attribués à Isaïe, à Elzia, à Sobna, à Éliacin, à Joacké, et à plusieurs autres ; mais qui que ce soit qui ait compilé ce recueil de sentences orientales, il n’y a pas d’apparence que ce soit un roi qui s’en soit donné la peine. Aurait-il dit que « la terreur du roi est comme le rugissement du lion » ? C’est ainsi que parle un sujet ou un esclave que la colère de son maître fait trembler. Salomon aurait-il tant parlé de la femme impudique ? Aurait-il dit : « Ne regardez point le vin quand il paraît clair, et que sa couleur brille dans le verre[11] ? »

Je doute fort qu’on ait eu des verres à boire du temps de Salomon : c’est une invention fort récente; toute l’antiquité buvait dans des tasses de bois ou de métal ; et ce seul passage indique peut-être que cette collection juive fut composée dans Alexandrie, ainsi que tant d’autres livres juifs[12].

L’Ecclésiaste, que l’on met sur le compte de Salomon, est d’un ordre et d’un goût tout différent. Celui qui parle dans cet ouvrage semble être détrompé des illusions de la grandeur, lassé de plaisirs, et dégoûté de la science. On l’a pris pour un épicurien qui répète à chaque page que le juste et l’impie sont sujets aux mêmes accidents, que l’homme n’a rien de plus que la bête, qu’il vaut mieux n’être pas né que d’exister, qu’il n’y a point d’autre vie, et qu’il n’y a rien de bon et de raisonnable que de jouir en paix du fruit de ses travaux avec la femme qu’on aime.

Il se pourrait faire que Salomon eût tenu de tels discours à quelques-unes de ses femmes : on prétend que ce sont des objections qu’il se fait ; mais ces maximes, qui ont l’air un peu libertin, ne ressemblent point du tout à des objections ; et c’est se moquer du monde d’entendre dans un auteur le contraire de ce qu’il dit.

On a cru voir un matérialiste à la fois sensuel et dégoûté, qui paraissait avoir mis au dernier verset un mot édifiant sur Dieu, pour diminuer le scandale qu’un tel livre devait causer.

Au reste, plusieurs Pères ont prétendu que Salomon avait fait pénitence ; ainsi on peut lui pardonner.

Les critiques ont de la peine à se persuader que ce livre soit de Salomon ; et Grotius prétend qu’il fut écrit sous Zorobabel. Il n’est pas naturel que Salomon ait dit : « Malheur à la terre qui a un roi enfant ! » Les Juifs n’avaient point eu encore de tels rois.

Il n’est pas naturel qu’il ait dit : « J’observe le visage du roi. » Il est bien plus vraisemblable que l’auteur ait voulu faire parler Salomon, et que, par cette aliénation d’esprit qu’on découvre dans tant de rabbins, il ait oublié souvent dans le corps du livre que c’était un roi qu’il faisait parler.

Ce qui leur paraît surprenant, c’est que l’on ait consacré cet ouvrage parmi les livres canoniques. S’il fallait, disent-ils, établir aujourd’hui le canon de la Bible, peut-être n’y mettrait-on pas l’Ecclésiaste ; mais il fut inséré dans un temps où les livres étaient très-rares, où ils étaient plus admirés que lus. Tout ce qu’on peut faire aujourd’hui, c’est de pallier autant qu’il est possible l’épicuréisme qui règne dans cet ouvrage. On a fait pour l’Ecclésiaste comme pour tant d’autres choses qui révoltent bien autrement. Elles furent établies dans des temps d’ignorance ; et on est forcé, à la honte de la raison, de les soutenir dans des temps éclairés. et d’en déguiser ou l’absurdité par des allégories. Ces critiques sont trop hardis.

Le Cantique des cantiques est encore attribué à Salomon, parce que le nom de roi s’y trouve en deux ou trois endroits, parce qu’on fait dire à l’amante qu’elle est belle comme les peaux de Salomon, parce que l’amante dit qu’elle est noire, et qu’on a cru que Salomon désignait par là sa femme égyptienne.

Ces trois raisons n’ont pas persuadé.

1° Quand l’amante, en parlant à son amant, dit : « Le roi m’a menée dans ses celliers, » elle parle visiblement d’un autre que de son amant : donc le roi n’est pas cet amant ; c’est le roi du festin, c’est le paranymphe, c’est le maître de la maison, qu’elle entend ; et cette Juive est si loin d’être la maîtresse d’un roi que, dans tout le cours de l’ouvrage, c’est une bergère, une fille des champs, qui va chercher son amant à la campagne et dans les rues de la ville, et qui est arrêtée aux portes par les gardes qui lui volent sa robe.

Je suis belle comme les peaux de Salomon est l’expression d’une villageoise qui dirait : Je suis belle comme les tapisseries du roi ; et c’est précisément parce que le nom de Salomon se trouve dans cet ouvrage qu’il ne saurait être de lui. Quel monarque ferait une comparaison si ridicule ? « Voyez, dit l’amante au troisième chapitre, voyez le roi Salomon avec le diadème dont sa mère l’a couronné au jour de son mariage. » Qui ne reconnaît à ces expressions la comparaison ordinaire que font les filles du peuple en parlant de leurs amants ? Elles disent : Il est beau comme un prince, il a un air de roi, etc.

3° Il est vrai que cette bergère qu’on fait parler dans ce cantique amoureux dit qu’elle est hâlée du soleil, qu’elle est brune. Or, si c’était là la fille du roi d’Égypte, elle n’était point si hâlée. Les filles de qualité en Égypte sont blanches. Cléopâtre l’était ; et en un mot, ce personnage ne peut être à la fois une fille de village et une reine.

Il se peut qu’un monarque qui avait mille femmes ait dit à l’une d’elles : « Qu’elle me baise d’un baiser de sa bouche, car vos tétons sont meilleurs que le vin. » Un roi et un berger, quand il s’agit de baiser sur la bouche, peuvent s’exprimer de la même manière. Il est vrai qu’il est assez étrange qu’on ait prétendu que c’était la fille qui parlait en cet endroit, et qui faisait l’éloge des tétons de son amant.

On avoue encore qu’un roi galant a pu faire dire à sa maîtresse : « Mon bien-aimé est comme un bouquet de myrte, il demeurera entre mes tétons. »

Qu’il a pu lui dire : « Votre nombril est comme une coupe dans laquelle il y a toujours quelque chose à Loire ; votre ventre est comme un boisseau de froment ; vos tétons sont comme deux faons de chevreuil, et votre nez est comme la tour du mont Liban. »

J’avoue que les églogues de Virgile sont d’un autre style ; mais chacun a le sien, et un Juif n’est pas obligé d’écrire comme Virgile.

On n’a pas approuvé ce beau tour d’éloquence orientale : « Notre sœur est encore petite, elle n’a point de tétons ; que ferons-nous de notre sœur ? Si c’est un mur, bâtissons dessus ; si c’est une porte, fermons-la. »

À la bonne heure que Salomon, le plus sage des hommes, ait parlé ainsi dans ses goguettes ; mais plusieurs rabbins ont soutenu que non-seulement cette petite églogue voluptueuse n’était pas du roi Salomon, mais qu’elle n’était pas authentique. Théodore de Mopsuète était de ce sentiment ; et le célèbre Grotius appelle le Cantique des cantiques un ouvrage libertin, flagiliosus. Cependant il est consacré, et on le regarde comme une allégorie perpétuelle du mariage de Jésus-Christ avec son Église. Il faut avouer que l’allégorie est un peu forte, et qu’on ne voit pas ce que l’Église pourrait entendre quand l’auteur dit que sa petite sœur n’a point de tétons.

Après tout, ce cantique est un morceau précieux de l’antiquité ; c’est le seul livre d’amour qui nous soit resté des Hébreux. Il y est souvent parlé de jouissance. C’est une églogue juive. Le style est comme celui de tous les ouvrages d’éloquence des Hébreux, sans liaison, sans suite, plein de répétitions, confus, ridiculement métaphorique ; mais il y a des endroits qui respirent la naïveté et l’amour.

Le livre de la Sagesse est dans un goût plus sérieux ; mais il n’est pas plus de Salomon que le Cantique des cantiques. On l’attribue communément à Jésus fils de Sirach, d’autres à Philon de Biblos ; mais, quel que soit l’auteur, on a cru que de son temps on n’avait point encore le Pentateuque, car il dit au chapitre x qu’Abraham voulut immoler Isaac du temps du déluge, et dans un autre endroit il parle du patriarche Joseph comme d’un roi d’Égypte : du moins c’est le sens le plus naturel.

Le pis est que l’auteur, dans le même chapitre, prétend qu’on voit de son temps la statue de sel en laquelle la femme de Loth fut changée. Ce que les critiques trouvent de pis encore, c’est que le livre leur paraît un amas très-ennuyeux de lieux communs ; mais ils doivent considérer que de tels ouvrages ne sont pas faits pour suivre les vaines règles de l’éloquence. Ils sont écrits pour édifier et non pour plaire ; il faut même lutter contre son dégoût pour les lire.

Il y a grande apparence que Salomon était riche et savant pour son temps et pour son peuple. L’exagération, compagne inséparable de la grossièreté, lui attribua des richesses qu’il n’avait pu posséder, et des livres qu’il n’avait pu faire. Le respect pour l’antiquité a depuis consacré ces erreurs.

Mais que ces livres aient été écrits par un Juif, que nous importe ? Notre religion chrétienne est fondée sur la juive, mais non pas sur tous les livres que les Juifs ont faits.

Pourquoi le Cantique des cantiques, par exemple, serait-il plus sacré pour nous que les fables du Talmud ? C’est, dit-on, que nous l’avons compris dans le canon des Hébreux. Et qu’est-ce que ce canon ? C’est un recueil d’ouvrages authentiques. Eh bien ! un ouvrage pour être authentique est-il divin ? Une histoire des roitelets de Juda et de Sichem, par exemple, est-elle autre chose qu’une histoire ? Voilà un étrange préjugé. Nous avons les Juifs en horreur, et nous voulons que tout ce qui a été écrit par eux et recueilli par nous porte l’empreinte de la Divinité. Il n’y a jamais eu de contradiction si palpable.



  1. La première édition du Dictionnaire philosophique, en 1764, contenait un article que Voltaire reproduisit dans les éditions de 1765, en un volume, qu’il revit et augmenta pour l’édition de 1765, en 2 volumes in-12. L’édition de 1767 contient le texte de 1764, à quelques mots près. C’est le texte de 1765 qui fut suivi, en 1769, dans la Raison par alphabet. Le texte actuel est de 1771, huitième partie des Questions sur l’Encyclopédie. Les changements faits alors consistent en additions, transpositions, et corrections. Je n’ai relevé que quelques variantes : les donner toutes serait fastidieux.
  2. On a prétendu que Charles IX était l’auteur d’un livre sur la chasse. Il est très-vraisemblable que si ce prince eût moins cultivé l’art de tuer les bêtes, et n’eût point pris dans les forêts l’habitude de voir couler le sang, on eût eu plus de peine à lui arracher l’ordre de la Saint-Barthélemy. La chasse est un des moyens les plus sûrs pour émousser dans les hommes le sentiment de la pitié pour leurs semblables : effet d’autant plus funeste que ceux qui l’éprouvent, placés dans un rang plus élevé, ont plus besoin de ce frein. (K.) — Voltaire ne croyait pas que les vers attribués à François Ier fussent de ce prince (voyez tome XII, page 271). Il croyait que les bons vers qu’on a sous le nom de Charles IX sont de son précepteur (voyez Charles IX, tome XVIII, page 142). Henri IV, dont on a un assez grand nombre de lettres, a fait quelques couplets : on les trouve dans des chansonniers ; ils ont été recueillis sous le titre de Henri IV poëte, et imprimés par M. C.-L.-F. Panckoucke, 1825), deux feuilles in-folio. La traduction des Préceptes d’Agapetus, par Louis XIII, est attribuée à son précepteur. Ce n’est qu’en 1806 qu’on a imprimé des Œuvres de Louis XIV, en six volumes in-8o, qui se composent de lettres et de mémoires. Les écrits de Louis XIV n’ont point été inconnus à Voltaire, qui en parle dans le chapitre xxviii du Siècle de Louis XIV (voyez tome XIV). Voltaire, dans son Éloge de Louis XV (voyez les Mélanges, année 1774), parle de la Géographie par le cours des fleuves, composée par ce monarque, ou par G. Delisle, son maître (voyez tome XIV, l’article Delisle, dans le Catalogue des écrivains qui est en tête du Siècle de Louis XIV). C’est donc en connaissance de cause que Voltaire a dit que « la France ne peut se vanter d’avoir eu un roi auteur ». Je ne sais si les écrits de Louis XVI et de Louis XVIII détruisent sa remarque. On dit que Louis XVI est auteur du Supplément à l’art du serrurier, 1781, in-folio. On lui attribue une traduction des Doutes historiques sur la vie et le règne de Richard III, par H. Walpole, traduction qui ne fut imprimée que huit ans après sa mort, en 1800 ; et encore la traduction des deux premiers volumes de l’Histoire de la décadence de l’empire romain, par Gibbon ; n’étant que Dauphin, il avait fait imprimer une Description de la forêt de Compiègne, 1766, in-8o ; et les Maximes morales et politiques tirées du Télémaque, 1766, réimprimées en 1814, in-18. On a attribué à Louis XVIII plusieurs opuscules ; voyez la table du Dictionnaire des anonymes, de A.-A. Barbier, seconde édition ; ce prince est certainement auteur de la Relation d’un voyage à Bruxelles et à Coblentz, 1823, in-8o, plusieurs fois réimprimée en divers formats. (B.)
  3. Le texte de 1765, reproduit en 1769, portait : « ... dans son pays, et qu’on ne trouva que deux épées quand il fallut que Saül fit la guerre aux Philistins, auxquels les Juifs étaient soumis.

    « Saül, qui ne possédait d’abord dans ses États que deux épées, eut bientôt une armée de trois cent trente mille hommes. Jamais le sultan des Turcs n’a eu de si nombreuses armées ; il y avait là de quoi conquérir la terre. Ces belles contradictions semblent exclure tout raisonnement ; mais ceux qui veulent raisonner trouvent très-difficile que David, qui succéda à Saül vaincu par les Philistins, ait pu, pendant son administration, fonder un vaste empire.

    « Les richesses qu’il laissa, etc. » (B.)

  4. Je pense que Voltaire veut parler ici de ce qu’il avait dit, en 1765, dans le Dictionnaire philosophique, et, en 1769, dans la Raison par alphabet ; voyez la note qui précède. (B.)
  5. Au lieu de cet alinéa, qui est de 1769, on lisait, en 1765 : « Si ces histoires ont été dictées par le Saint-Esprit, avouons qu’il aime le merveilleux. » (B.)
  6. La dernière phrase de cet alinéa est de 1771. Les éditions de 1764, 1765, 1767, 1769, portent : « Il n’y a point d’architecte en Europe qui ne regardât un tel bâtiment comme un monument de barbares. » (B.)
  7. Le texte de 1765, reproduit en 1769, porte : « On les a crus bons, parce qu’on les a crus d’un roi, et que ce roi, etc. » (B.)
  8. Proverbes, chapitre xxx, v. 15 et 16.
  9. Ibid., V. 18 et 19.
  10. Ibid, V. 24, 23, 26, 27 et 28.
  11. Proverbes, chapitre xxiii, v. 31.
  12. Un pédant a cru trouver une erreur dans ce passage ; il a prétendu qu’on a mal traduit par le mot de verre, le gobelet qui était, dit-il, de bois ou de métal, mais comment le vin aurait-il brillé dans un gobelet de métal ou de bois ? et puis qu’importe ? (Note de Voltaire.) — Le pédant dont parle ici Voltaire est l’abbé Guénée, auteur des Lettres de quelques juifs, etc. (B.)