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Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Tour

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TOUR, s. f. (tor). Dans l’ancienne fortification, la tour est un ouvrage saillant sur les courtines, à plan carré ou circulaire, et formant un flanquement suffisant avant l’emploi des bouches à feu.

Il serait difficile de remonter au premier emploi de la tour comme défense. Dès la plus haute antiquité, la tour est connue : les Asiatiques et les Grecs, les Phéniciens et les Étrusques bâtissaient des tours pour fortifier les murailles de leurs villes et forteresses. Ces tours étaient généralement élevées sur plan carré ou barlong, et dépassaient le niveau du chemin de ronde des courtines.

Les Romains avaient pris la tour aux Étrusques et aux Grecs, et dès l’époque des rois ils flanquaient les courtines au moyen de tours à plan carré. Autour de Rome, sous les remparts de l’empire, des bas temps et du moyen âge, on retrouve encore d’assez nombreuses traces de ces ouvrages élevés en gros blocs de pépérin par les Tarquins.

Cependant il n’est pas rare de trouver des tours romaines d’une époque assez ancienne, sur plan circulaire, flanquant des portes. À Arles, on voit encore, du côté opposé au Rhône, deux souches de tours qui flanquaient une porte, qui datent d’une très belle époque et sont sur plan circulaire. Ces tours ont 8 mètres de diamètre et sont espacées l’une de l’autre de 15 mètres. À Nîmes, la porte dite d’Auguste était flanquée de deux tours circulaires. Il en était de même aux portes d’Arroux et de Saint-André, à Autun (IVe siècle), à la porte de Vézone (Périgueux), à l’est de l’ancienne cathédrale. Les tours romaines sur plan circulaire, flanquant des courtines, sont beaucoup plus rares : on en voit quelques-unes sur le front occidental des remparts d’Autun, mais qui appartiennent à une très basse époque ; de même à Rome.

Les Romains élevaient aussi des tours isolées en dehors des remparts, sortes d’ouvrages avancés qui protégeaient un point faible, un passage de rivière, et commandaient la campagne. Ces tours tenaient lieu de ce que nous appelons aujourd’hui des forts détachés ; elles étaient parfois reliées par un vallum, ou relief de terre avec fossé, soit avec d’autres tours, soit avec les murailles de la ville. L’édifice auquel, à Autun, on donne le nom de temple de Janus, paraît avoir été un de ces ouvrages, qui formait le saillant d’une large tête de pont, d’un camp retranché sur la rive droite de l’Arroux.

Quand les frontières de l’empire furent menacées, les empereurs romains firent bâtir des tours isolées pour protéger les passages et pour maintenir les populations voisines[1]. Ces tours, comme plus tard les donjons féodaux, n’avaient point de portes au niveau du sol, mais à une certaine hauteur, de manière qu’on fût obligé de se servir d’une échelle pour entrer[2]. La tour carrée d’Autun, dont nous venons de parler, paraît avoir eu sa porte relevée au-dessus du sol extérieur.

Certaines tours romaines n’étaient que des postes d’observation. « Une ligne non interrompue de ces tours part de Beuvray et se dirige, par la Vieille-Montagne, vers le cours de l’Aron, jusqu’à Decize, par Cercy-la-Tour… La plaine d’Autun en offre une autre semblable qui longe la chaîne des montagnes au nord-ouest, entre les camps de la vallée d’Arroux, au-dessus et au-dessous de la ville. Elle commence au coude d’Arroux, sur la rive droite, entre le Mont-Dru et la Perrière, et, franchissant le bassin d’Autun, sur les points culminants de la plaine, va aboutir à la vallée de Barnay, en face du camp de la montagne de Bar, sans qu’aucune des tours qui composent cette ligne se perde jamais de vue l’une l’autre. Le souvenir de leurs fanaux s’est conservé presque partout, soit dans leur nom, soit dans la tradition populaire. Le nom de Montigny, Mons ignis, Mons ignitus, est resté à plusieurs de ces localités[3]. »

La colonne Trajane nous montre, dans ses bas-reliefs, beaucoup de ces tours d’observation avec fanaux, qui permettaient de concerter des opérations militaires pendant la nuit, et de surveiller les mouvements d’ennemis ou de bandes de pillards pendant le jour. Quand un gouvernement approche de sa dissolution, le premier symptôme qui se manifeste bien avant les grandes crises finales, c’est le brigandage. L’empire romain à son déclin, mais longtemps avant le moment des débordements des barbares, était rongé par le brigandage ; des bandes armées se répandaient non-seulement sur les frontières de l’empire, mais autour des grands centres et jusque dans la campagne de Rome. Les derniers empereurs se préoccupèrent, non sans raison, de guérir cet ulcère des gouvernements qui finissent, sans y parvenir. Constance, Julien, Valentinien, établirent dans les Gaules des lignes de postes sur les marches, le long des vallées voisines des frontières, et à l’entour des grandes villes. Ces postes n’étaient autre chose que des tours élevées sur des promontoires, des monticules naturels ou factices (mottes). Nous verrons bientôt que ce système romain fut longtemps observé pendant le moyen âge.

Il convient donc tout d’abord de distinguer les tours flanquantes, c’est-à-dire attachées aux courtines d’une place, des tours isolées.

Vitruve explique comment il faut établir les tours flanquantes : « Elles doivent, dit-il[4], être en saillie sur le parement extérieur du mur de telle manière que lorsque l’ennemi s’approche (de la courtine), il soit pris en flanc par deux tours, l’une à droite, l’autre à gauche… Les murs des forteresses doivent être plantés, non sur plan carré ou présentant des angles saillants, mais suivant un périmètre circulaire (ou se rapprochant de cette figure), afin que l’ennemi puisse être vu de plusieurs points, car les saillants sont difficilement défendables, et plus favorables aux assiégeants qu’aux assiégés… L’intervalle entre les tours doit être calculé en raison de la portée d’un trait, afin que l’assiégeant soit repoussé par les machines de jet manœuvrant sur les deux flancs.

Il faut, au droit des tours, que les courtines soient interrompues par une coupure ayant une largeur égale au diamètre de ces tours. De la sorte les chemins de ronde, étant interrompus, sont seulement complétés intérieurement par des passerelles de charpente qui, n’étant pas fixées avec des attaches de fer, peuvent être jetées bas si l’ennemi s’est emparé d’une portion de courtine, et rendre ainsi l’occupation des autres courtines et des tours impossible.

Les tours doivent être élevées sur plan circulaire ou polygonal, car, étant carrées, les béliers les détruisent plus facilement en ruinant leurs angles. Circulaires, chaque pierre formant coin et reportant la percussion au centre, ces tours résistent mieux à l’effort des machines. Mais rien n’est tel que de terrasser les remparts et les tours pour leur donner une grande puissance de résistance… »

Ces préceptes, sauf les modifications amenées par la portée des engins modernes, sont les mêmes que ceux admis de nos jours. Voir l’ennemi de plusieurs points, éviter, par conséquent, les saillants qui sont difficiles à flanquer ; mettre toujours l’assiégeant entre des feux convergents ; faire qu’un ouvrage pris n’entraîne pas immédiatement l’abandon des autres ; relier au besoin ou séparer les ouvrages, tels sont les immuables principes de la fortification. Ils furent établis, à notre connaissance, par les Grecs et les Romains, pratiqués pendant le moyen âge avec une supériorité marquée, singulièrement développés dans les temps modernes par suite de l’emploi des bouches à feu. En effet, de la tour ronde à court flanquement, et ayant toujours des points morts, au bastion moderne avec ses flancs et ses faces, il y a une longue suite d’essais, de tentatives et de transitions[5].

La tour romaine sur plan circulaire ou carré (car, quoi qu’ait enseigné Vitruve, les Grecs et les Romains ont élevé beaucoup de tours flanquantes carrées), était ouverte ou fermée à la gorge, c’est-à-dire du côté intérieur de la forteresse. Si elle était ouverte, le chemin de ronde des courtines voisines s’interrompait, comme l’indique Vitruve, au droit de cette ouverture. Si elle était fermée, les rondes circulant sur la courtine devaient se faire ouvrir deux portes pour entrer et sortir de la tour, afin de reprendre l’autre courtine. Dans ce cas, la tour formait obstacle à la circulation continue de plain-pied sur le sommet des remparts ; Les premières de ces tours sont, à proprement parler, des tours retranchées, tandis que les secondes sont des postes ou petits forts espacés, commandant les remparts.

Ce qui prouverait que le système des tours retranchées a été de préférence pratiqué par les Romains, c’est que nous voyons pendant le moyen âge l’emploi de ce système persister dans les villes qui ont le mieux conservé les traditions romaines ; tandis que dans le Nord, où l’influence normande se fait sentir de bonne heure dans l’art de la fortification, les tours sont toujours fermées, à moins toutefois qu’elles ne flanquent une enceinte extérieure commandée par une enceinte intérieure.

Nous diviserons donc cet article en : Tours flanquantes, ouvertes ou fermées à la gorge ; Tours réduit, tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons ; Tours de guet, Tours isolées, postes, tours de signaux, de passages, de ponts, de phares.

Tours flanquantes. Les tours flanquantes établies suivant la tradition romaine, qui se perpétua en Occident jusqu’à l’époque des grandes invasions normandes, sont (à moins qu’elles ne dépendent de portes) généralement pleines jusqu’à une certaine hauteur au-dessus du fossé ou du sol extérieur, afin de résister à l’effort des engins d’attaque ou à la sape ; leur flanquement ne commence donc qu’au niveau des chemins de ronde des courtines, et consiste en des ouvertures assez larges masquées par des mantelets mobiles de bois. Ce premier flanquement est surmonté de l’étage supérieur crénelé, formant couronnement et second flanquement. Cet étage supérieur est couvert par un comble, de manière à mettre le crénelage à l’abri, ou découvert, le comble étant alors établi en contre-bas du chemin de ronde ou au ras de ce chemin de ronde.

Voici (fig. 1) un type de ces tours de la fin de l’empire romain[6], ouvertes à la gorge, mais interrompant les chemins de ronde des courtines.

Des plats-bords posés sur les poutres engagées A permettaient de passer d’un chemin de ronde sur l’autre, et d’entrer de plain-pied au premier étage de la tour. Ce premier étage est mis en communication avec le second et avec le crénelage au moyen d’échelles de bois. Une échelle mobile, que l’on relève au moyen d’un treuil, met le plancher du premier étage en communication avec le sol du chemin militaire intérieur. Cette portion d’échelle relevée et les plats-bords enlevés, le poste gardant la tour ne peut redouter une surprise ; il est complètement isolé. Cependant il voit ce qui se passe dans la ville et peut être surveillé. La tour, occupée par l’ennemi, ne peut battre le chemin militaire, puisque les étages de cette tour sont ouverts sur ce chemin. Les approvisionnements de projectiles se font, comme l’indique notre figure, par ces ouvertures sur le chemin militaire.

La tour se défend, extérieurement, par des ouvertures pratiquées dans les deux étages et par le crénelage supérieur. Les larges créneaux en façon d’arcades sont masqués par des mantelets mobiles de bois roulant sur un axe.

La cité de Carcassonne possède encore des tours datant de la domination des Visigoths, construites suivant cette donnée, si ce n’est que le chemin de ronde passe à travers la tour, et que celle-ci est percée de portes au niveau de ce chemin de ronde. À Carcassonne, les tours visigothes avaient leurs crénelages couverts, des mantelets pour les créneaux supérieurs comme pour les créneaux des étages, et des hourds de bois pour permettre de battre le pied de la défense.

Voici (fig. 2) le plan d’une de ces tours[7], au niveau du chemin de ronde. Au-dessous de ce niveau, l’ouvrage est de maçonnerie pleine.

La figure 3 montre la face latérale de cette tour, avec la coupe du chemin de ronde de la courtine.
En A est tracée en place une ferme des hourds[8] ; en, le détail perspectif d’un des corbeaux des créneaux supérieurs, destinés à recevoir les tourillons des mantelets, et en C les pierres saillantes posées sous les arcades-créneaux pour supporter de même les axes à tourillons qui permettent de relever ou d’abaisser les volets fermant ces arcades. Au-dessus du plancher, posé en D, est ouvert, sur la ville, un arc qui laisse voir ce qui se passe à l’étage supérieur et qui facilite les approvisionnements de projectiles. Cet arc surmonte le mur de fermeture C (voyez le plan), et porte sur les deux pieds-droits H, I.

La question des approvisionnements rapides de projectiles destinés à défendre ces tours ne paraît pas avoir été examinée avec assez d’attention. On remarquera que ces tours, d’une époque ancienne, c’est-à-dire qui datent de la fin de l’empire romain aux derniers Carlovingiens, sont généralement d’un faible diamètre, et ne pouvaient, par conséquent, contenir un approvisionnement très-considérable de projectiles, soit armes de trait, soit pierres propres à être jetées sur les assaillants qui voulaient s’approcher du pied des ouvrages pour les saper.

En supposant qu’une tour, comme celle que nous présentons ici (fig. 2 et 3), soit attaquée à son pied ; que, protégés par des chats, les mineurs s’attachent à la maçonnerie, les défenseurs ne peuvent repousser cette attaque qu’en jetant sur les galeries, sur les chats, force pierres ou matières enflammées, afin de les détruire. Si l’attaque se prolongeait, on peut estimer la quantité considérable de projectiles qu’il fallait avoir sous la main. Il était donc nécessaire de renouveler à chaque heure cette provision, comme aujourd’hui il faut, dans une place assiégée, renouveler sans cesse les munitions des bouches à feu placées sur les ouvrages qui contribuent à la défense d’un point attaqué.

Ces tours ouvertes à la gorge se prêtaient à ces approvisionnements incessants, car plus leur diamètre était petit, plus il fallait remplacer souvent les projectiles employés à la défense. D’ailleurs l’attaque n’étant sérieuse qu’autant qu’elle était très-rapprochée, c’était le point attaqué qui se défendait sans attendre secours des ouvrages voisins. Tous les efforts de l’attaque, et, par suite, de la défense, étant ainsi limités à un champ très-étroit, les moyens de résistance s’accumulaient sur ce point attaqué et devaient être renouvelés avec activité et facilité. Nous verrons comment cette partie du programme de la défense des tours se modifie peu à peu suivant les perfectionnements apportés dans le mode d’attaque.

Il est encore une observation dont il faut tenir compte. Dans les ouvrages de la fin de l’empire romain, comme pendant les périodes grecque et romaine, les tours ont sur les courtines un commandement considérable (fig. 4)[9] : cette disposition est assez régulièrement observée jusque vers le milieu du XIIIe siècle, mais alors les courtines s’élèvent ; le commandement des tours sur ces courtines diminue d’autant. À cette époque, il arrive même parfois que ces tours ne remplissent que la fonction de flanquement, et n’ont plus de commandement Sur les courtines. C’est encore le système de l’attaque qui provoque ces changements. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.

En examinant les tours d’angle du château de Carcassonne, dont la construction remonte aux premières années du XIIe siècle, on peut se rendre un compte exact des moyens d’approvisionnement des défenses supérieures de ces tours, car ces ouvrages sont parfaitement conservés, les anciennes charpentes ayant seules été supprimées.

La figure 5 présente le plan de la tour de l’angle nord-est, dite tour du Major, au niveau du sol de la cour du château. La salle ronde voûtée en calotte hémisphérique se défend par cinq meurtrières qui battent le fond du fossé.
La figure 6 donne le plan du premier étage, qui se trouve au niveau du chemin de ronde des courtines. Les meurtrières qui, de la salle, s’ouvrent sur les dehors au nombre de quatre, ne sont pas percées au-dessus de celles du rez-de-chaussée, afin de laisser le moins de points morts possible. La voûte également en calotte qui couvre cette seconde salle est percée d’un trou A, ou porte-voix, qui communique avec les étages supérieurs. Le deuxième étage n’est pas voûté, mais couvert par un plancher placé en contre-bas du chemin de ronde de la tour. Cette troisième salle n’était destinée qu’au logement du poste de la tour, elle ne se défend pas. Au-dessus s’élève le crénelage avec son chemin de ronde et ses hourds (fig. 7).
Pour faciliter la pose de la charpente du comble, l’intérieur du crénelage est à pans. Ce comble était ainsi pyramidal, avec des coyaux qui formaient la transition entre la pyramide et le cône. De B en C, les fermes des hourds sont supposées placées. Ces hourds étaient évidemment très-saillants, car les deux trous superposés réservés dans la construction pour recevoir les fermes, indiquent un système de liens avec corbelets[10] soulageant la bascule des pièces horizontales destinées à porter le plancher. La coupe, faite sur la ligne ab, du plan du rez-de-chaussée (fig. 8), montre la disposition des deux salles inférieures percées de meurtrières, de la salle D, chambrée des hommes de garde, et de l’étage supérieur, poste du capitaine et défense principale.
La corne E (voy. fig. 7), s’élevant d’aplomb sur la cour du château, permettait de hisser les munitions au sommet des défenses, sans qu’il fût nécessaire de les monter à dos d’homme par l’escalier. Au moyen d’un treuil posé en G et d’une poulie passant en E à travers le bout de l’entrait de la ferme principale du comble, on élevait facilement des poids assez considérables. Notre coupe (fig. 8) indique ce mécanisme si simple. Le bourriquet hissé au niveau du plancher du hourd, on fermait la trappe, on lâchait sur le treuil, et les munitions étaient disposées le long des hourds ou dans la salle supérieure ; car on remarquera que cette salle est mise en communication avec le chemin de ronde des hourds au moyen des créneaux.

Cette salle bien garnie de pierres et les hourds de sagettes et de carreaux, il était possible de couvrir les assaillants de projectiles pendant plusieurs heures. Les mâchicoulis de hourds, aussi saillants, étaient habituellement doubles, c’est-à-dire qu’ils permettaient de laisser tomber des pierres en I et en L. Les matériaux tombant en I ricochaient sur le talus K, et prenaient les assaillants en écharpe (voyez Mâchicoulis).

La figure 9 explique d’une façon claire, pensons-nous, le mode de montage des munitions. Le servant attend que le bourriquet soit hissé au niveau du plancher, pour fermer la trappe et répartir les projectiles où besoin est. En A, est tracée la section horizontale des potelets doubles des hourds au droit des angles, laissant entre eux la rainure dans laquelle s’engagent les masques du chemin de ronde. Le plancher de la salle supérieure, étant à 1 mètre 28 centimètres en contre-bas de l’appui des créneaux, permettait d’approvisionner une quantité considérable de projectiles que les servants, postés dans cette salle, passaient, au fur et à mesure du besoin, aux défenseurs des hourds, de manière à ne pas encombrer leur chemin de ronde. Pendant une attaque même, on pouvait hisser, à l’aide du treuil, de la chaux vive, de la poix bouillante, de la cendre qui aveuglait les assaillants[11] (voyez Siége). On observera que cette tour d’angle, comme toutes celles des défenses de la cité de Carcassonne, interrompt la circulation sur les chemins de ronde des courtines, et force ainsi les patrouilles de se faire reconnaître à chaque tour. D’ailleurs, c’était dans les tours que logeaient les postes de défense, et chacun de ces postes avait à défendre une portion de courtine. La tactique des assaillants consistait à s’emparer d’une courtine en dépit des flanquements, et de se répandre ainsi dans la place.

Alors les postes des tours s’enfermaient, et il fallait les assiéger séparément, ce qui rendait possible un retour offensif de la garnison et mettait les assiégeants dans une position assez périlleuse. Cependant on voulut, dès le milieu du XIIIe siècle, rendre les parties de la défense plus solidaires, et l’on augmenta le relief des courtines en renonçant ainsi aux commandements considérables des tours. Dans le dernier exemple que nous présentons, le niveau des chemins de ronde des courtines est en N ; le commandement de la tour est donc très-prononcé.

Déjà ces commandements sont moins considérables au château de Coucy, bâti vers 1220[12]. Les quatre tours d’angle de ce château sont très-remarquables, au double point de vue de la structure et de la défense. Elles sont pleines dans toute la hauteur du talus. Cinq étages s’élèvent au-dessus de ce talus ; deux sont voûtés, deux sont fermés par des planchers, le cinquième est couvert par le comble conique[13].

Les plans (fig. 10) présentent en A la tour d’angle nord-ouest, au niveau du sol du premier étage du château ; en C, au niveau du sol du second étage ; en D, au niveau du crénelage supérieur.

L’étage inférieur, voûté, au niveau du sol de la cour, ne possède aucune meurtrière ; c’est une cave à provisions dont la voûte est percée d’un œil. L’escalier ne monte que du niveau de la cour au sol du quatrième étage, et l’on n’arrivait à l’étage crénelé que par un escalier de bois (échelle de meunier)[14]. En g, sont des cheminées ; en l, des latrines[15]. Une ouverture laissée au centre des planchers permettait de hisser les munitions du rez-de-chaussée au sommet de la tour sur les chemins de ronde. Les meurtrières sont alternées, afin de laisser le moins possible de points morts.

Les tours du château de Coucy présentent une particularité intéressante, c’est la transition entre le hourdage de bois et le mâchicoulis de pierre[16]. Des corbeaux de pierre remplacent les trous par lesquels on passait (comme nous l’avons vu dans l’exemple précédent) les pièces de bois en bascule qui recevaient les chemins de ronde établis en temps de guerre. Ces corbeaux à demeure recevaient alors les hourds[17].

La figure 11 donne la coupe (sur la ligne ad du plan A) de ce bel ouvrage. Outre les jours des meurtrières, les salles des troisième et quatrième étages possèdent une fenêtre chacune, qui les éclaire. Les munitions étaient montées à l’aide d’un treuil placé dans la salle du quatrième étage, ainsi que le fait voir notre figure, et étaient déposées sur le plancher supérieur mis en communication avec les hourds au moyen des créneaux couverts. Les hourds tracés en G expliquent le système des défenses de bois posées en temps de guerre sur les corbeaux à demeure de pierre, C. Le niveau du chemin de ronde des courtines se trouvant en R, on voit que le commandement de la tour sur ce chemin de ronde était moins considérable déjà que dans l’exemple précédent[18]. En E, commence l’escalier de bois qui, passant à travers un des arcs de l’hexagone, montait du quatrième étage au niveau du plancher supérieur, très-solidement construit pour recevoir la charge d’une provision de projectiles. Cette construction est merveilleusement exécutée en assises de 40 à 50 centimètres, et n’a subi aucune altération, malgré le chevauchement des piles. Le talus extérieur descend à 8 mètres en contre-bas du niveau K, sol de la cour. Une élévation extérieure prise en B (voy. le plan), fig. 12, complète notre description. Les hourds sont supposés placés sur une moitié des corbeaux.

Ces défenses du château de Coucy sont construites au sommet d’un escarpement ; leur effet ne devait s’exercer, par conséquent, que suivant un rayon peu étendu, lorsque l’assaillant cherchait à se loger au pied même des murs.

Les meurtrières, percées à chaque étage, sont plutôt faites pour se rendre compte des mouvements de l’ennemi que pour tirer. Il s’agissait ici d’opposer aux attaques un obstacle formidable par son élévation et par la défense du couronnement. Sur trois côtés, en effet, le château de Coucy ne laisse entre ses murs et la crête du coteau qu’une largeur de quelques mètres, un chemin de ronde extérieur qui lui-même pouvait être défendu. Un très-large fossé et le gros donjon protègent le quatrième côté[19]. Il n’était besoin que d’une défense rapprochée et presque verticale. Mais la situation des lieux obligeait souvent, alors comme aujourd’hui, de suppléer à l’obstacle naturel d’un escarpement par un champ de tir aussi étendu que possible, horizontalement, afin de gêner les approches. Cette condition est remplie habituellement au moyen d’ouvrages bas, d’enceintes extérieures flanquées, dominées par le commandement des ouvrages intérieurs. L’enceinte si complète de Carcassonne nous fournit, à cet égard, des dispositions d’un grand intérêt. On sait que la cité de Carcassonne est protégée par une double enceinte : celle extérieure n’ayant qu’un commandement peu considérable ; celle intérieure, au contraire, dominant et cette enceinte extérieure et la campagne[20]. Or, l’enceinte extérieure, bâtie vers le milieu du XIIIe siècle par ordre de saint Louis, est flanquée de tours, la plupart fermées à la gorge et espacées les unes des autres de 50 à 60 mètres. Ces tours, qui n’ont qu’un faible commandement sur les courtines, et parfois même qui s’unissent avec elles, sont disposées pour la défense éloignée. Bien munies de meurtrières, elles se projettent en dehors des murs et recevaient des hourdages saillants.

L’une de ces tours[21], entièrement conservée, présente une disposition conforme en tous points au programme que nous venons d’indiquer.


La figure 13 donne le plan de cette tour au niveau du sol des lices, c’est-à-dire de la route militaire pratiquée entre les deux enceintes. La figure 14 donne le plan du premier étage.
Le chemin de ronde de la courtine est en A, et la tour n’interrompt pas la circulation. La porte B met le chemin de ronde en communication avec le rez-de-chaussée par l’escalier D, avec le premier étage de plain-pied, et avec les défenses supérieures par l’escalier C. Les meurtrières, nombreuses, sont chevauchées pour éviter les points morts.
La figure 15 présente le plan de ces défenses supérieures, les hourds étant supposés placés en E. Le crénelage est largement ouvert en G pour permettre les approvisionnements et pour que l’ouvrage ne puisse se défendre contre l’enceinte intérieure, qui, du reste, possède un commandement très considérable. En temps de paix, l’espace circulaire H était seul couvert par un comble à demeure. Les combles des hourds posés en temps de guerre couvraient le chemin de ronde K et les galeries de bois L ; un large auvent protégeait l’ouverture G. La coupe faite sur la ligne ab de ce plan est présentée dans la figure 16.
En M, est tracé le profil d’ensemble de cet ouvrage, avec le fossé, la crête de la contrescarpe et le sol extérieur formant le glacis. On voit comme les meurtrières sont disposées pour couvrir de projectiles rasants ce glacis, et de projectiles plongeants la crête et le pied de la contrescarpe. Quant à la défense rapprochée, il y est pourvu par les mâchicoulis des hourds, ainsi qu’on le voit en P.
La figure 17 donne le tracé géométral de cette tour du côté intérieur, les hourds n’étant posés que du côté R.

Si l’assaillant parvenait à s’emparer de cet ouvrage, il se trouvait à 20 mètres du pied de l’enceinte intérieure, dont les tours plus rapprochées, mais moins saillantes sur les courtines, présentent un front avec courts flanquements très-multipliés. Du haut de cette enceinte intérieure, dont le relief est de 15 mètres au-dessus du chemin de ronde S, il n’était pas difficile de mettre le feu aux couvertures des tours de l’enceinte extérieure au moyen de projectiles incendiaires, et d’en rendre ainsi l’occupation impossible, d’autant que ces tours ne se défendent pas sur le chemin militaire des lices. Avec les armes de jet et les moyens d’attaque de l’époque, on ne pouvait adopter une meilleure combinaison défensive. Ces tours pleines dans la hauteur du talus qui enveloppe la roche naturelle ne pouvaient être ruinées par la sape. Bien percées de meurtrières, elles envoyaient des projectiles divergeant de plein fouet à 60 mètres de leur circonférence. Pour les aborder, il fallait donc entreprendre une suite d’ouvrages qui demandaient du temps et beaucoup de monde ; tandis que pour les défendre, il suffisait d’un poste peu nombreux. Un ouvrage de cette étendue pouvait longtemps défier les attaques avec un capitaine et vingt hommes[22]. Si l’attaque était très-rapprochée, les meurtrières inférieures devenaient inutiles, et alors les vingt hommes répandus sur les galeries des hourds couvraient les assaillants d’une pluie de projectiles. Nous avons dit ailleurs (voyez Architecture Militaire) que les assiégeants dirigeaient plutôt leurs attaques méthodiques contre les courtines que contre les tours, parce que la courtine possédait moins de moyens défensifs que les tours, et qu’il était plus difficile à l’assiégé de les retrancher. Mais, il va sans dire que, pour emporter une courtine, il fallait d’abord détruire ou masquer les flanquements que donnaient les tours voisines.

Tant que les tours enfilaient la courtine, on ne pouvait guère avancer les chats et les beffrois contre cette courtine. Ainsi, quoiqu’il ne fût pas conforme à la tactique d’envoyer une colonne d’assaut contre une tour — et les beffrois n’étaient qu’un moyen de jeter une colonne d’assaut sur la courtine, — il fallait toujours que l’assaillant rendît nulles les défenses des tours sur les flancs, avant de rien entreprendre contre la courtine.

Mais admettant que les hourds des tours eussent été détruits ou brûlés, et que les défenses de celles-ci eussent été réduites aux meurtrières des étages inférieurs, que les beffrois fussent approchés de la courtine ; le chemin de ronde de la courtine étant toujours élevé au-dessus du sol intérieur, les assaillants qui se précipitaient du beffroi sur ces chemins de ronde étaient pris en flanc par les défenseurs qui sortaient des tours voisines comme de réduits, au moment de l’assaut. C’est en prévision de cette éventualité que les tours, bien qu’elles interceptent la communication d’un chemin de ronde à l’autre, possèdent des portes donnant directement sur ces chemins de ronde et permettant aux postes des tours de se jeter sur les flancs de la colonne d’assaut.

Voici (fig. 18) une des tours de l’enceinte extérieure de Carcassonne, bâtie par saint Louis, qui remplit exactement ce programme. C’est la tour sur le front nord, dite de la Porte-Rouge. Cette tour possède deux étages au-dessous du crénelage. Comme le terrain s’élève sensiblement de a en b, les deux chemins de ronde des courtines ne sont pas au même niveau ; le chemin de ronde b est à 3 mètres au-dessus du chemin de ronde a. En A, est tracé le plan de la tour au-dessous du terre-plein ; en B, au niveau du chemin de ronde d ; en C, au niveau du crénelage de la tour qui arase le crénelage de la courtine e. On voit en d la porte qui, s’ouvrant sur le chemin de ronde, communique à un degré qui descend à l’étage inférieur A, et en c la porte qui, s’ouvrant sur le chemin de ronde plus élevé, communique à un second degré qui descend à l’étage B. On arrive du dehors au crénelage de la tour par le degré g. De plus, les deux étages A et B sont en communication entre eux par un escalier intérieur hh′, pris dans l’épaisseur du mur de la tour. Ainsi les hommes postés dans les deux étages A et B sont seuls en communication directe avec les deux chemins de ronde. Si l’assiégeant est parvenu à détruire les hourds et le crénelage supérieur, et si croyant avoir rendu l’ouvrage indéfendable, il tente l’assaut de l’une des courtines, il est reçu de flanc par les postes établis dans les étages inférieurs, lesquels, étant facilement blindés, n’ont pu être bouleversés par les projectiles des pierrières ou rendus inhabitables par l’incendie du comble et des hourds. Une coupe longitudinale faite sur les deux chemins de ronde de c en d permet de saisir cette disposition (fig. 19).


On voit en e′ la porte de l’escalier e, et en d′ la porte de l’escalier d (du plan). Cette dernière porte est défendue par une échauguette f, à laquelle on arrive par un degré de six marches. En h′, commence l’escalier qui met en communication les deux étages A et B. Une couche de terre posée en k empêche le feu, qui pourrait être mis aux hourds et au comble l par les assiégés, de communiquer aux deux planchers qui couvrent ces deux étages A et B.

La figure 20 donne la coupe de cette tour suivant l’axe perpendiculaire au front. En d″, est la porte donnant sur l’escalier d. Les hourds sont posés en m. En p, est tracé le profil de l’escarpement avec le prolongement des lignes de tir des deux rangs de meurtrières des étages A et B.

Il n’est pas besoin de dire que les hourds battent le pied o de la tour.

Une vue perspective (fig. 21), prise du chemin militaire entre ces deux enceintes (point X du plan), fera saisir les dispositions intérieures de cette défense. Les approvisionnements des hourds et chemins de ronde de la tour se font par le créneau c (du plan C), au moyen d’un palan et d’une poulie, ainsi que le fait voir le tracé perspectif.

Ici la tour ne commande que l’un des chemins de ronde (voy. la coupe, fig. 19). Lors de sa construction sous saint Louis, elle commandait les deux chemins de ronde ; mais sous Philippe le Hardi, lorsqu’on termina les défenses de la cité de Carcassonne, on augmenta le relief de quelques-unes des courtines, qui ne paraissaient pas avoir un commandement assez élevé. C’est à cette époque que le crénelage G fut remonté au-dessus de l’ancien crénelage H, sans qu’on ait pris la peine de démolir celui-ci ; de sorte qu’extérieurement ce premier crénelage H reste englobé dans la maçonnerie surélevée. En effet, le terrain extérieur s’élève comme le chemin militaire de a en b (voy. le plan), et les ingénieurs, ayant cru devoir adopter un commandement uniforme des courtines sur l’extérieur, aussi bien pour l’enceinte extérieure que pour l’enceinte intérieure, on régularisa vers 1285 tous les reliefs. Il faut dire aussi qu’à cette époque, on ne donnait plus guère aux tours un commandement important qu’aux angles des forteresses ou sur quelques parties où il était nécessaire de découvrir les dehors. Pour les grands fronts, les tours flanquantes n’ont pas de commandement sur les courtines, et cette disposition est observée pour le grand front sud de l’enceinte intérieure de Carcassonne, rebâti sous Philippe le Hardi.

La cité de Carcassonne est une mine inépuisable de renseignements sur l’art de la fortification du XIIe au XIVe siècle. Là ce ne sont pas des fragments épars et très-altérés par le temps et la main des hommes, que l’on trouve, mais un ensemble coordonné avec méthode, presque intact, construit en matériaux robustes par les plus habiles ingénieurs des XIIe et XIIIe siècles, comme étant un point militaire d’une très-grande importance. Lorsque Carcassonne fut comprise dans le domaine royal, sous saint Louis, cette place devenait, sur un point éloigné et mal relié aux possessions de la couronne, une tête de pont garantissant une notable partie du Languedoc contre l’Aragon.

Toutes les dispositions défensives que l’on trouve encore en France datant de cette époque, n’ont point l’unité de conception et la valeur des fortifications de Carcassonne. On comprendra dès lors pourquoi nous choisissons de préférence nos exemples dans cette place de guerre, qui, heureusement aujourd’hui, grâce aux efforts du gouvernement, à l’intérêt que la population de Carcassonne apporte à cette forteresse, unique en Europe, est préservée de la ruine qui si longtemps l’a menacée.

La disposition de la dernière tour de l’enceinte extérieure que nous venons de donner est telle, que cet ouvrage ne pouvait se défendre contre l’enceinte intérieure ; car, non-seulement cette tour est dominée de beaucoup, mais elle est, à l’intérieur, nulle comme défense.

Tous les ouvrages de cette enceinte extérieure sont dans la même situation, bien que variés dans leurs dispositions, en raison de la nature du sol des dehors et des besoins auxquels ils doivent satisfaire. Il n’est qu’un point où l’enceinte extérieure est reliée à la défense intérieure au moyen d’une tour bâtie à cheval sur le chemin militaire qui sépare les deux fronts. C’est un ouvrage sur plan rectangulaire, posé en vedette, flanquant à la fois les courtines extérieures, les lices (chemin militaire) et les courtines intérieures ; permettant de découvrir, sans sortir de la défense intérieure, la montée à la porte de l’Aude, tout le front jusqu’au saillant occidental de la place défendu par deux grosses tours du coin, et la partie la plus rapprochée du faubourg de la Barbacane. Cette tour, dite de l’Évêque, parce qu’elle donnait sur le palais épiscopal, est un admirable ouvrage, bâti de belles pierres de grès dur avec bossages, et dépendant des travaux terminés sous Philippe le Hardi[23].

En voici (fig. 22) les plans à différents étages.
En A, au niveau des lices ou du chemin militaire entre les deux enceintes, — le crénelage de l’enceinte extérieure étant en a et la courtine de l’enceinte intérieure en b. — Le premier étage est tracé en B. Du terre-plein de la cité, on arrive à cet étage par l’escalier d, qui monte aux deux étages supérieurs. Le plan C donne l’étage du crénelage avec son hourd de face e. On communique du chemin de ronde g au chemin de ronde h, en passant par la porte i, montant quelques degrés qui arrivent au niveau de la salle k et en redescendant par l’escalier à vis. Deux mâchicoulis en m et n (voy. le plan B) commandent les deux arcs à cheval sur le chemin militaire. La figure 23 donne la coupe de cet ouvrage, faite sur la ligne op.
Le niveau des lices est en A, le niveau du sol intérieur de la cité en B. Outre les deux mâchicoulis percés dans les archivoltes des passages P, on établissait, en temps de guerre, des hourds au deuxième étage, au-dessus de ces arcs, ainsi que l’indiquent le tracé D et le profil d ; hourds auxquels les baies C donnaient accès. Un hourd établi en E, sur la face de la tour, commandait son pied et flanquait ses angles. Le profil F donne la coupe sur la courtine intérieure, les lices et la courtine extérieure. Tous les étages sont mis en communication par les œils percés au milieu des voûtes d’arête. Ces œils permettent aussi d’approvisionner les étages supérieurs des munitions nécessaires au service des hourds. La figure 24 présente la vue perspective de cette tour en dehors de l’enceinte extérieure, avec les hourds posés partout.
On voit que les meurtrières des crénelages ont leur champ de tir dégagé au-dessous des hourds, ce qui permet à deux lignes d’arbalétriers ou d’archers de défendre les ouvrages, puisque les hourds possèdent des meurtrières au-dessus des mâchicoulis. Les tourelles d’angle, octogones, donnent un tir divergeant et sont flanquées par les meurtrières des flancs des hourds. Cette tour a l’avantage d’enfiler le chemin militaire entre les deux enceintes, de le couper totalement au besoin, et de posséder des flanquements sur l’escarpe de l’enceinte extérieure. Parfaitement conservée, bâtie avec des matériaux inaltérables, elle a pu être utilisée au moyen de travaux peu importants.

Tous les ouvrages entrepris à Carcassonne, sous Philippe le Hardi, ont un caractère de puissance remarquable, et indiquent de profondes connaissances dans l’art de la fortification, eu égard aux moyens d’attaque de l’époque. Les flanquements étant courts, il est impossible de les mieux combiner. Les garnisons étaient composées alors de gens de toutes sortes, hommes liges et mercenaires, il fallait se tenir en défiance contre les trahisons possibles. Ces tours étaient des réduits indépendants, interceptant le parcours sur les chemins de ronde, même sur les lices, comme on le voit par l’exemple précédent. Commandées chacune par un capitaine, la reddition de l’une d’elles n’entraînait pas la chute des autres. Les gens de la ville ne pouvaient monter sur les chemins de ronde, qui avaient Sur le terre-plein un relief considérable et n’étaient mis en communication avec le sol intérieur que par des escaliers très-rares passant généralement par des postes. Toute tentative de trahison devenait difficile, chanceuse, parce qu’il fallait, ou qu’elle pût mettre beaucoup de monde dans la confidence des moyens à employer, ou qu’elle restât isolée, et par suite promptement réprimée.

Quelquefois le chemin de ronde de la courtine tourne autour de l’ouvrage flanquant et contenant un poste ; mais alors la tour a tous les caractères d’un réduit, d’un petit donjon possédant ses moyens de défense, de retour offensif et de retraite, indépendants. Plusieurs des tours de l’enceinte intérieure de la cité de Carcassonne sont conçues suivant ce système. L’une d’elles, dite tour Saint-Martin, est bien conservée et nous explique clairement cette disposition.

Bâtie sur le front sud, près de la poterne de Saint-Nazaire, la tour Saint-Martin s’élève de 25 mètres au-dessus du chemin militaire des ces et de 15e,50 au-dessus du sol de la cité. Elle possède deux étages inférieurs voûtés et deux étages supérieurs sous le comble, avec plancher intermédiaire au niveau des hourds. La figure 25 donne en A les plans superposés des deux étages inférieurs, et en B les plans superposés des deux étages supérieurs.


En examinant ces plans avec quelque attention, on observera que le cylindre de maçonnerie est plus épais vers l’extérieur que vers l’intérieur de la cité ; en d’autres termes, que le cercle traçant le vide n’est pas concentrique au cercle traçant la périphérie de la tour ; que cette périphérie qui fait face à l’extérieur, est renforcée par un éperon C ou bec saillant. Cet éperon et cette plus forte épaisseur donnée à la maçonnerie ont pour résultat d’annuler les effets du bosson ou bélier, et de placer l’assaillant sous le tir direct des flanquements voisins (voyez Architecture Militaire, Porte). De la ville, on entre dans la tour par la porte P, et la rampe droite qui monte au premier étage. De ce premier étage, par l’escalier à vis, on descend à l’étage inférieur et l’on monte aux étages supérieurs.

L’étage crénelé, et pouvant être muni de hourds, est mis en communication avec le chemin de ronde des courtines par les deux portes K et L. Ce chemin de ronde pourtourne l’étage supérieur de la tour du côté de la ville en G. Une coupe faite sur ab (fig. 26) permet de saisir facilement ces dispositions.
L’étage H renferme une cheminée et est éclairé par une fenêtre F donnant sur la cité. Les hourds étaient posés en I, conformément à l’usage. Les meurtrières des deux salles inférieures sont chevauchées, ainsi que l’indique le plan[24].

Cet ouvrage, comme le précédent, appartient aux constructions de Philippe le Hardi, et qui datent, par conséquent, des dernières années du XIIIe siècle.

Quelquefois, à cette époque, pour étendre les flanquements des tours, on leur donne en plan la forme d’un arc brisé[25]. C’est sur ce plan que sont bâties quelques-unes des tours du château de Loches.

Les grands engins d’attaque étaient alors perfectionnés : on leur opposait des murs bâtis en pleine pierre de taille, des merlons épais, des hourds formés de gros bois ; on disposait plusieurs étages voûtés afin de mettre les postes à l’abri des projectiles lancés en bombe. Parfois on revenait à la tour carrée comme présentant des flancs plus étendus et des faces que l’on protégeait par des hourdages très-saillants et bientôt par des mâchicoulis de pierre.

Les tours d’Aigues-Mortes, bâties par Philippe le Hardi, sont sur plan quadrangulaire ; même plan adopté pour la plus grande partie des tours de l’enceinte d’Avignon. Il faut dire que tout un front de ces remparts fut ordonné sous le pape Innocent VI, par Jean Fernandez Heredia, commandeur de Malte, et que les dispositions adoptées alors furent suivies successivement, c’est-à-dire de 1350 à 1364[26]. La plupart de ces tours sont très-saillantes sur la courtine, dont le chemin de ronde passe derrière elles ou qui se trouve interrompu par les flancs. De plus, ces tours sont généralement ouvertes à la gorge.

La figure 27 présente le plan d’une de ces tours d’Avignon, à rez-de-chaussée. Un escalier E, fermé par une porte, permet de monter au premier étage (fig. 28), qui communique par deux issues avec les chemins de ronde des courtines voisines G, H.
Un second escalier en encorbellement monte jusqu’à l’étage crénelé supérieur (fig. 29), percé de mâchicoulis.
Cette tour ne se défend, comme on peut le voir, que par son sommet.
La vue perspective (fig. 30), prise du côté de la ville, explique complétement le système de défense, et indique les moyens d’accès aux deux étages. Ouverte à la gorge, elle ne peut être considérée comme un réduit indépendant, au besoin ; cependant les chemins de ronde des courtines sont interrompus à la façon des tours romaines dont parle Vitruve. Sa surface étendue permettait de réunir à son sommet un assez grand nombre de défenseurs. Si l’assaillant parvenait à saper sa face en K (fig. 27), il était encore possible de défendre la brèche, soit en remparant la gorge de L en M, soit en accablant les ennemis de projectiles lancés à travers le grand mâchicoulis ouvert au milieu du plancher du premier étage. Un comble, que nous avons supposé enlevé, afin de mieux faire voir le système de défense, était posé sur le vide supérieur et abritait le plancher du premier étage et le sol du rez-de-chaussée.

Déjà, au milieu du XIVe siècle, on commençait à faire usage de bouches à feu. Ces premiers engins, toutefois, n’ayant qu’un faible calibre et une portée médiocre, ne pouvaient produire un effet sérieux sur des maçonneries quelque peu épaisses. Les anciens grands engins de siège, pierrières, mangonneaux, trébuchets, envoyant des projectiles de pierre pesant 100 ou 150 kilogrammes, et quelquefois plus, suivant un tir parabolique, étaient plus redoutables que les premières pièces d’artillerie. Les projectiles lancés par ces grands engins ne pouvaient produire d’effet qu’autant qu’ils passaient par-dessus les défenses et qu’ils retombaient, soit sur les combles des tours, soit dans les places. Du Guesclin, bien qu’il ne fît pas trop usage de ces machines de guerre et qu’il préférât brusquer les attaques, les employa parfois, et lorsqu’il les mit en batterie devant une forteresse, ce fut toujours pour démoraliser les garnisons par la quantité de projectiles dont il couvrait les rues et les maisons[27].

Si les défenses étaient très-hautes, les projectiles ne faisaient que frapper directement leurs parements et ne pouvaient les entamer[28]. Le trouvère Cuvelier, dans la Vie de Bertrand du Guesclin, raconte comment, au siège du château de Valognes, à chaque pierre que lançaient les engins des assiégeants, un homme de garde venait frotter les moellons, par dérision, avec une serviette blanche. Il a le soin de nous dire aussi, dans le même passage, comment la garnison avait fait blinder les tours avec du fumier, pour éviter l’effet des projectiles lancés à la volée :

« De fiens y ot-on mis mainte grande chartée. »

La grande puissance donnée alors aux engins obligeait les architectes militaires à surhausser les tours et les courtines. Mais s’il s’agissait d’une place couvrant une grande superficie, on ne pouvait donner à ces courtines un relief très-considérable sans de grandes dépenses ; aussi sous Charles V prit-on de nouvelles dispositions. Jusqu’alors on n’avait songé qu’exceptionnellement à terminer les tours par des plates-formes propres à recevoir des engins. Ces machines étaient mises en position sur des plates-formes de bois charpentées intérieurement le long des courtines, ou même sur le sol, derrière celles-ci, lorsqu’elles n’avaient qu’un faible relief, ou encore le long des lices, quand les places possédaient une double enceinte, afin d’éloigner l’assaillant. Mais quand la première enceinte était prise, il ne s’agissait plus que de pourvoir à la défense très-rapprochée, et alors les machines de jet devenaient inutiles, les hourds ou les mâchicoulis suffisaient.

Sous Charles V, disons-nous, on modifia l’ancien dispositif défensif. On possédait déjà de petites pièces d’artillerie, qui permettaient d’allonger les fronts, d’éloigner les flanquements par conséquent. On avait reconnu que les fronts courts avaient l’inconvénient, si les deux flancs voisins avaient été détruits, de défiler l’assaillant et de ne lui présenter qu’un obstacle peu étendu, contre lequel il pouvait accumuler ses moyens d’attaque. Aussi était-ce toujours contre ces courtines étroites, entre deux tours, que les dernières opérations d’un siége se concentraient, dès qu’au préalable on était parvenu à ruiner les défenses supérieures des tours par le feu, si elles se composaient de hourds, ou par de gros projectiles, si les galeries des mâchicoulis étaient revêtues d’un manteau de maçonnerie. Vers 1360, les courtines furent donc allongées ; les tours furent plus espacées, prirent une plus grande surface, eurent parfois des flancs droits, — c’est-à-dire que ces tours furent bâties sur plan rectangulaire, — et furent couronnées par des plates-formes. Le château de Vincennes est une forteresse type conforme à un nouveau dispositif. Le plan bien connu de cette place[29] présente un grand parallélogramme flanqué de quatre tours rectangulaires aux angles, d’une tour (porte) également rectangulaire au milieu de chacun des petits côtés, de trois tours carrées sur l’un des grands côtés, et par le donjon avec son enceinte sur l’autre.

Les courtines entre les tours ont environ 100 mètres de long, ce qui dépasse la limite des anciennes escarpes flanquées.

Les tours d’angle sont plantées de telle façon, que leurs flancs sont plus longs sur les petits côtés du parallélogramme que sur les grands, afin de mieux protéger les portes.

Voici en A (fig. 31) le plan d’une de ces tours d’angle, à rez-de-chaussée, c’est-à-dire au niveau du sol de la place.
De gros contre-forts reposant sur un talus montent jusqu’à la corniche supérieure, qui n’est qu’une suite de larges mâchicoulis. Les trois étages étaient voûtés, et sur la dernière voûte reposait une plate-forme dallée, très-propre à recevoir, ou de grands engins, ou des bouches à feu. Un crénelage protégeait les arbalétriers. En B, est tracé le plan de cette plate-forme. La figure 32 donne l’élévation de cette tour sur son grand côté, avec la courtine voisine.
On reconnaît ici que vers la seconde moitié du XIVe siècle, on revenait aux commandements considérables des tours sur les courtines, avec l’intention évidente de faire servir ce commandement au placement d’engins à longue portée. La voûte supérieure, couverte d’un épais blindage de cran[30] sous le dallage, résistait à tous les projectiles lancés à la volée, en supposant que ces projectiles aient pu s’élever assez haut pour retomber sur la plate-forme.

La tour ne se défend absolument que du sommet, soit par les engins de position, soit, contre l’attaque rapprochée, par les crénelages et mâchicoulis[31].

Il est curieux de suivre pas à pas, depuis l’antiquité, ce mouvement d’oscillation constant, qui, dans les travaux de défense, tantôt fait donner aux tours ou flanquements un commandement sur les courtines, tantôt réduit ce commandement et arase le sommet des tours au niveau des courtines. De nos jours encore ces mêmes oscillations se font sentir dans l’art de la fortification, et Vauban lui-même, vers la fin de sa carrière, après avoir préconisé les flanquements de niveau avec les courtines, était revenu aux commandements élevés sur les bastions.

C’est qu’en effet, quelle que soit la portée des projectiles, ce n’est là qu’une question relative, puisque les conditions de tir sont égales pour l’assiégé comme pour l’assaillant. Si l’on supprime les commandements élevés, on découvre l’assaillant de moins loin, et on lui permet de commencer de plus près ses travaux d’approche ; si l’on augmente ces commandements, on donne une prise plus facile à l’artillerie de l’assiégeant. Aussi voyons-nous, pendant le moyen âge, et principalement depuis l’adoption des bouches à feu, les systèmes se succéder et flotter entre ces deux principes[32]. D’ailleurs une difficulté surgissait autrefois comme elle surgit aujourd’hui.

Le tracé d’une place en projection horizontale peut être rationnel, et ne plus l’être en raison des reliefs.

Avec les commandements élevés, on peut découvrir au loin la campagne, mais on enfile les fossés et les escarpes par un tir plongeant qui ne produit pas l’effet efficace du tir rasant. Il faut donc réunir les deux conditions.

Nous verrons tout à l’heure comment les derniers architectes militaires du moyen âge essayèrent de résoudre ce double problème. Le château de Vincennes n’en est pas moins, pour le temps où il fut élevé, une tentative dont peut-être on n’a pas apprécié toute l’importance, L’architecte constructeur des défenses a prétendu soustraire les tours à l’effet du tir parabolique, en leur donnant un relief considérable, et il a prétendu utiliser ce commandement, inusité alors, pour le tir des nouveaux engins à feu, et des grands engins perfectionnés, tels que les mangonneaux et trébuchets[33].

Sous le règne de Charles V, on ne trouve nulle part, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre ou en Espagne, un second exemple de la disposition adoptée pour la construction du château de Vincennes. C’est une tentative isolée qui ne fut pas suivie ; en voici la raison : Alors (de 1365 à 1370)[34] on commençait à peine à employer des bouches à feu d’un assez faible calibre, ou des bombardes de fer courtes, frettées, propres à lancer des boulets de pierre à la volée, ainsi que pouvaient le faire les engins à contre-poids. On ne croyait pas que la nouvelle artillerie à feu remplacerait un siècle plus tard ces machines encombrantes, mais dont le tir était très-précis et l’effet terrible jusqu’à une portée de 150 à 200 mètres. L’artillerie à feu usitée vers la fin du XIVe siècle dans les places consistait en des tubes de fer qui envoyaient des balles de deux ou trois livres au plus, ou même des cailloux arrondis. Ces engins remplaçaient avec avantage les grandes arbalètes, et pouvaient être mis en batterie derrière les merlons des tours. Il y avait donc intérêt à augmenter le relief de ces tours, car le tir de plein fouet étant faible, plus on l’élevait, plus il pouvait causer de dommages aux assiégeants, D’ailleurs, ainsi que nous l’avons dit tout à l’heure, il était important de soustraire le sommet de ces tours aux projectiles lancés à la volée par les anciens engins. Les courtines devaient, relativement, n’avoir qu’un relief moindre, afin de poster les arbalétriers, qui envoyaient leurs carreaux de but en blanc à 60 mètres environ. Les machines et bouches à feu des plates-formes des tours couvraient la campagne de gros projectiles dans un rayon de 200 mètres, et tenant ainsi les assiégeants à distance, les courtines se trouvaient protégées jusqu’au moment où, par des travaux d’approche, les assaillants arrivaient à la crête du fossé. Dans ce dernier cas, les arbalétriers des courtines en défendaient l’approche, et ceux des tours prenaient en flanc les colonnes d’assaut par un tir plongeant. Mais bien que les progrès de l’artillerie à feu fussent lents, cependant, à la fin du XIVe siècle, les armées assiégeantes commençaient à mettre des bombardes en batterie. Celles-ci, couvertes par des épaulements et des gabionnades, n’avaient pas à redouter beaucoup les rares engins disposés au sommet des tours, concentraient leur feu sur les courtines relativement basses, écrêtaient leurs parapets, détruisaient leurs mâchicoulis, rendaient la défense impossible, et l’assiégeant pouvait alors procéder par la sape pour faire brèche. Les commandements élevés des tours devenaient inutiles dès que l’ennemi s’attachait au pied de l’escarpe. Vers 1400, on changea donc de système, on éleva les courtines au niveau des tours ; la défense bâtie fut réservée pour l’attaque rapprochée, et en dehors de cette défense on éleva des ouvrages avancés sur lesquels on mit les bouches à feu en batterie. Celles-ci furent donc réservées pour garnir ces ouvrages bas, étendus, battant la campagne, et la forteresse ne fut plus qu’une sorte de réduit uniquement destiné à la défense rapprochée.

Nous voyons, en effet, que les châteaux bâtis à cette époque établissent les défenses des courtines presque au niveau de celles des tours, ne laissant à celles-ci qu’un commandement un peu plus élevé, pour la surveillance des dehors, et que beaucoup de vieilles courtines des XIIIe et XIVe siècles sont relevées jusqu’au niveau des chemins de ronde des tours[35]. On renonçait complétement alors à mettre des pièces en batterie sur ces tours ; les plates-formes disparurent pour un temps, et l’artillerie à feu ne fut employée par la défense que pour balayer les approches.

Le château de Pierrefonds, bâti entièrement par Louis d’Orléans, nous fournit à cet égard des renseignements précieux. Non-seulement les travaux de déblaiement et de restauration entrepris dans cette forteresse[36] ont permis de reconnaître exactement les dispositions des tours et courtines, c’est-à-dire de la défense rapprochée, mais ils ont mis en lumière une suite d’ouvrages avancés, de peu de relief, qui formaient une zone de défense faite pour recevoir de l’artillerie à feu. Ces ouvrages expliquent comment les troupes envoyées à deux reprises par Henri IV, avec de l’artillerie pour prendre ce château, ne purent s’en emparer, et comment il fallut, sous la minorité de Louis XIII, entreprendre un siége en règle pour le réduire.

Ces observations feront comprendre pourquoi les tours de Vincennes, qui datent du règne de Charles V, possèdent des plates-formes propres à placer de l’artillerie, et pourquoi elles ont sur les courtines un commandement considérable, tandis que les tours du château de Pierrefonds, bâties trente ans plus tard environ, ne présentent aucune disposition propre à recevoir des bouches à feu, et n’ont sur les courtines qu’un commandement insignifiant. Nous voyons qu’à partir de 1400, les architectes militaires suivent pas à pas les progrès de l’artillerie à feu, tantôt donnant à ces engins un commandement sur la campagne, tantôt les plaçant à la base des tours et les réservant pour battre la crête des fossés ; tantôt les rendant indépendants des anciennes défenses conservées, et les employant à retarder les travaux d’approche au moyen d’ouvrages avancés, de boulevards, de cavaliers, etc.[37].

La figure 33 donne le plan du rez-de-chaussée de l’une des tours du château de Pierrefonds[38], au niveau du sol de la cour et au-dessus des deux étages souterrains par rapport à ce sol. En A, sont des bâtiments d’habitation adossés aux courtines B. Conformément à la disposition habituelle, il faut entrer dans la tour occupée par un poste pour arriver à l’escalier qui monte à tous les étages. La porte du poste est en a. Trois fenêtres éclairent cette salle, auprès de laquelle se trouvent, en b, des latrines. En c, est une cheminée. La coupe sur fe (fig. 34) explique les divers services de cet ouvrage.
Le niveau du chemin de ronde couvert des courtines est en N, et le crénelage supérieur de ces courtines, à la base des combles des bâtiments, est au niveau G du chemin de ronde des tours ; donc ces tours n’ont sur les courtines que le commandement GK.

Les quatre étages supérieurs, compris le rez-de-chaussée, sont fermés par des planchers, mais les deux étages au-dessous du sol de la cour, qui est en L, sont voûtés. On remarquera même que la voûte V est couverte par une épaisse couche de blocage qui met celle-ci a l’abri des incendies ou chutes des parties supérieures.

L’escalier à vis s’arrête au niveau du sol A de la seconde cave, car la première cave B est un cachot dans lequel on ne descend que par l’œil percé au milieu de la voûte ellipsoïde construite par assises horizontales posées en encorbellement. On ne peut douter que cette cave n’ait été destinée à servir de cachot, de chartre, puisqu’elle possède une niche avec siège d’aisances C et petite fosse.

Le sol des lices, ou du chemin militaire extérieur, est, le long de cette tour, au niveau P.

Le cachot B ne reçoit ni air ni lumière de l’extérieur. On observera que la maçonnerie du cylindre, au niveau P, a 5m,20 d’épaisseur (16 pieds), et que derrière les parements, intérieur et extérieur, en pierres d’appareil, cette maçonnerie est composée d’un blocage bien lité de gros moellons de caillasse d’une extrême dureté[39]. Il n’était donc pas aisé de saper un ouvrage ainsi construit, défendu par la ceinture des mâchicoulis du chemin de ronde G. Cet ouvrage date de 1400. Nulle trace de plates-formes supérieures pour mettre de la grosse artillerie en batterie. Les bombardes, les passe-volants, veuglaires, basilics, coulevrines, étaient placés sur les ouvrages extérieurs, c’est-à-dire sur la crête du plateau qui sert d’assiette au château, de manière à battre les vallons environnants. Les chemins de ronde supérieurs n’étaient occupés, au moment de la construction du château de Pierrefonds, que par des arbalétriers ou des archers contre l’attaque rapprochée.

Cependant, du jour que les assiégeants possédaient des pièces d’artillerie d’un assez gros calibre pour pouvoir battre les ouvrages extérieurs et éteindre leur feu, il fallait que la défense dernière, le château, pût opposer du canon aux assaillants. Les architectes s’ingénièrent donc, dès l’époque de la guerre contre les Anglais, à trouver le moyen de placer des bouches à feu sur les tours[40]. Pour obtenir ce résultat, on donna à celles-ci moins de relief, on augmenta l’épaisseur de leurs parois cylindriques, on les voûta pour porter une plate-forme ; ou bien, conservant l’ancien système de la défense supérieure du XIVe siècle, destinée aux arbalétriers, on perça des embrasures pour du canon à la base de ces tours, si elles étaient bâties sur un lieu escarpé, afin de battre les approches[41].

Il faut dire qu’alors les bouches à feu, qui envoyaient des projectiles de plein fouet, n’avaient qu’un faible calibre ; ces engins projetaient des balles de plomb, mais plus souvent des pyrites de fer ou de petites sphères de grès dur. Ces derniers projectiles ne pouvaient avoir une longue portée. Quant aux grosses bouches à feu réservées pour les dehors ou les plates-formes des tours, elles n’envoyaient guère, pendant le cours du XVe siècle, que des boulets de pierre à la volée, c’est-à-dire suivant une parabole. Les artilleurs d’Orléans, au moment du siège, en 1428, possédaient cependant des canons envoyant des balles de plein fouet à 600 mètres[42] ; ces canons furent tous placés sur les anciennes tours ou sur des boulevards[43] ; quant aux courtines, elles étaient garnies de mâchicoulis et de hourdis de maçonnerie ou de bois. Pendant long temps, en effet, l’artillerie à feu est mise en batterie sur les tours pour commander les approches, ou à la base des tours pour enfiler les fossés, protéger les courtines, qui ne se défendent que contre l’attaque rapprochée à l’aide des anciennes armes. Ainsi le rôle des tours, à la fin du moyen âge, au lieu de diminuer, prend plus d’importance. Moins rapprochées les unes des autres, puisqu’elles sont munies d’engins à longue portée, elles se projettent davantage en dehors des courtines afin de les mieux flanquer ; elles s’en détachent même parfois presque entièrement, surtout aux saillants ; elles étendent considérablement leur diamètre, elles renforcent leurs parois et sont casematées. Souvent même la batterie supérieure, au lieu d’être découverte, est blindée au moyen d’une carapace de maçonnerie et de terre. Nous ne pourrions dire si cette innovation des batteries supérieures blindées est due à la France, à l’Allemagne ou à l’Italie. Francesco di Giorgio Martini, architecte de Sienne, qui vivait au milieu du XVe siècle, donne plusieurs exemples de ces tours avec batteries supérieures blindées dans son Traité de l’architecture militaire[44]. Nous avons trouvé, en France, des traces de ces couvertures dans des ouvrages en forme de tours protégeant des saillants[45], ce qui n’interdisait pas l’emploi des anciens mâchicoulis et crénelages.

Voici (fig. 35) un exemple de ces sortes de tours. En A est tracé le plan de l’ouvrage au niveau du sol de la place. La salle D est percée d’embrasures pour trois pièces de canon ; un escalier, ouvert au centre de cette salle, permet de descendre dans le moineau C′, dont le plan est détaillé en C[46]. La salle D, voûtée, est ouverte du côté de la place, tant pour aider à la défense que pour laisser échapper la fumée. La tour est munie d’un parapet crénelé avec mâchicoulis en forme de pyramides renversées pour faciliter le tir de haut en bas et mieux protéger le talus. Sur la plate-forme est établie une batterie casematée avec quatre embrasures, ainsi que l’indique le plan B. Ces embrasures commandent les dehors par-dessus la crête des merlons. Une traverse en maçonnerie E garantit les hommes postés derrière le parapet des coups d’enfilade et de revers. La voûte de la batterie et celle du moineau sont couvertes de cran et de terre battue et gazonnée. Le système défensif de cette tour est facile à comprendre. La batterie basse, avec les deux pièces a, enfile les courtines, bat le fossé ; et flanque les tours voisines ; avec sa pièce b elle défend la contrescarpe du fossé en face du point mort. La batterie haute protège les dehors ; le moineau empêche le passage du fossé ; les crénelages et mâchicoulis protègent la base de l’ouvrage contre l’attaque rapprochée et la sape. L’incertitude qui apparaît dans les ouvrages défensifs de la seconde moitié du XVe siècle est ici évidente. On n’ose pas abandonner entièrement la forme et la destination de l’ancienne tour. Les tours étaient les parties fortes des places du moyen âge avant l’emploi des bouches à feu. On ne cherchait point, pendant un siège, à entamer une forteresse par ses tours, mais par ses courtines. Les architectes militaires du XVe siècle n’avaient d’autre préoccupation que d’approprier les tours aux nouveaux engins, de les rendre plus épaisses pour résister aux coups de l’assaillant et à l’ébranlement causé par l’artillerie qu’elles devaient contenir, de les garantir contre les feux courbes et de leur donner un flanquement plus efficace. On voulait leur conserver un commandement sur les dehors et même sur les courtines, et l’on craignait, en les élevant, de les exposer trop aux coups de l’ennemi. On sentait que ces crénelages et ces mâchicoulis étaient, contre les boulets, une faible défense, facilement bouleversée bien avant le moment où l’on en avait le plus besoin, et cependant on ne pensait pas pouvoir les supprimer, tant on avait pris l’habitude de considérer cette défense rapprochée comme une garantie sérieuse. Toutefois ce furent ces mâchicoulis et crénelages qui disparurent les premiers dans les défenses fortement combinées vers la fin du XVe siècle. Le crénelage supérieur, destiné à empêcher l’approche, descendit au niveau du fossé, devint une fausse braie couvrant la base des tours. Le tir à ricochet n’était pas encore employé. Les batteries de l’assiégeant ne pouvaient détruire ce qu’elles ne voyaient pas ; or la fausse braie primitive, étant couverte par la contrescarpe du fossé, restait intacte jusqu’au moment où l’assaillant s’apprêtait à franchir ce fossé pour s’attaquer aux escarpes et aux tours. Elle devenait ainsi un obstacle opposé à l’attaque rapprochée, et qui restait debout encore quand toutes les défenses supérieures étaient écrêtées. Mais déjà, vers le milieu du XVe siècle, les armées assiégeantes traînaient avec elles des pièces de bronze sur affûts, qui envoyaient des boulets de fonte[47]. Ces projectiles, lancés de plein fouet contre les tours, couvraient les fausses braies d’éclats de pierre et comblaient l’intervalle qui séparait ces fausses braies de la défense, si l’on ruinait celle-ci. Les tours à court flanquement et de faible diamètre devenaient plus gênantes qu’utiles ; on songea à les supprimer tout à fait, du moins à les appuyer par de nouveaux ouvrages disposés pour recevoir de l’artillerie, indépendamment des boulevards de terre que l’on élevait en avant des points faibles. Ces nouveaux ouvrages tenaient au corps de la place. Bâtis à distance d’une demi-portée de canon, ils affectaient la forme de grosses tours cylindriques, recevaient des pièces à longue portée à leur sommet pour battre les dehors et enfiler les fronts et les fossés, à leur pied pour la défense rapprochée et pour envoyer des projectiles rasants sur les boulevards de terre qui couvraient les saillants ou les portes[48]. Alors, à la fin du XVe siècle, le château féodal ne pouvait avoir assez d’étendue pour se défendre efficacement contre l’artillerie à feu. Le canon acheva la ruine de la féodalité. Il fallait, pour pouvoir résister à l’artillerie à feu, des fronts étendus ; les villes seules comportaient ce genre de défenses. Étendant les fronts, il fallait les flanquer. On ne pourvut d’abord à cette nécessité, indiquée par la nature des choses, qu’au moyen de boulevards de terre établis en dehors des saillants et des portes, lesquels boulevards croisaient leurs feux ; puis comme il faut, en toute fortification, que ce qui défend soit défendu, on ne trouva rien de mieux que d’établir le long des vieilles enceintes, en arrière des boulevards, de grosses tours ayant assez de relief pour commander ces boulevards et les dehors par-dessus leurs parapets. Les systèmes trouvés par les ingénieurs militaires depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours sont donc en germe dans ces premières tentatives faites à la fin du XVe siècle en Italie, en France et en Allemagne. Les Allemands, conservateurs par excellence, possèdent encore des exemples intacts de ces ouvrages, transition entre l’ancien système de la fortification du moyen âge et le système moderne. Nuremberg est, à ce point de vue, la ville la plus intéressante à étudier.

Le plan général de Nuremberg affecte la forme d’un trapèze arrondi aux angles, possédant un point culminant près de l’un des angles, occupé par un ancien château. Une double enceinte des XIVe et XVe siècles avec tours carrées flanquantes et large fossé extérieur plein d’eau, avec contrescarpe, entourait entièrement la cité, traversée par une rivière dans sa largeur. À chaque angle, Albert Dürer éleva une grosse tour, et une cinquième auprès du château, sur le point culminant de la ville. Des portes sont percées dans le voisinage des quatre tours, lesquelles sont protégées par des ouvrages avancés. Du haut de chacune des cinq tours, on découvre les quatre autres. Celles de l’enceinte protègent les saillants, flanquent deux fronts, commandent les portes, enfilent les lices entre les deux enceintes, et découvrent la campagne par-dessus les boulevards des portes. Ces tours ont environ 20 mètres de diamètre à 5 mètres du sol, sont bâties en fruit par assises de grès dur, avec bossages en bas et près du sommet. Au rez-de-chaussée elles possèdent une chambre voûtée, mais tracée de manière à laisser à la maçonnerie une épaisseur considérable du côté extérieur (voyez le plan, fig. 36[49]).


L’intérieur de la ville est en A ; en B sont les lices, entre la porte de l’enceinte extérieure et celle C de l’enceinte intérieure ; la poterne D permet de descendre dans le fossé. En a est pratiqué un large mâchicoulis qui défend l’entrée dans la salle basse, et en b un œil carré, ouvert dans la voûte, met le premier étage, également voûté, en communication avec ce rez-de-chaussée. On ne monte à la plate-forme supérieure que par un escalier pris dans l’épaisseur du mur et partant du niveau du chemin de ronde des courtines. En d sont deux chambres avec embrasures pour des pièces d’artillerie. La figure 37 donne la vue perspective de cette tour[50].
Les remparts datent du XVe siècle ; Albert Dürer n’a bâti, dans cet ouvrage, que la tour et la porte qui s’y réunit. La salle du premier étage était destinée à loger le poste, car elle ne possède aucune embrasure. Sa voûte épaisse porte la plate-forme circulaire supérieure entourée d’un masque de gros bois de charpente, avec créneaux à volets[51] pour du canon. Un blindage, également de charpente, reçoit la toiture conique qui autrefois était surmontée d’une guette[52]. En A nous avons tracé le profil de cette plate-forme supérieure.

Ces commandements élevés furent rarement adoptés en France à dater de la fin du XVe siècle. Les ingénieurs français cherchaient plutôt à élargir les fronts, à étendre le champ de tir, qu’à obtenir des commandements considérables. Ils préféraient les batteries à barbette à ces batteries blindées où le service était gêné et où l’on était étouffé par la fumée, comme dans l’entrepont d’un vaisseau de guerre. D’ailleurs, en supposant ces tours battues par de l’artillerie, même à grande distance, les feux convergents de l’ennemi devaient promptement détruire ces masques de bois qui, pareils à des bordages de gros vaisseaux, n’avaient pas l’avantage de la mobilité que donne la mer et servaient de points de mire. Si longue que fût la portée des pièces mises en batterie sur la plate-forme, ces pièces ne pouvaient opposer qu’un tir divergent à l’artillerie de l’assiégeant et recevaient dix projectiles pour un qu’elles envoyaient[53].

Quelques tentatives en ce genre furent cependant faites de ce côté-ci du Rhin, mais les tours françaises du commencement du XVIe siècle ont un plus grand diamètre, moins de hauteur et étaient couronnées par des batteries à barbette avec gabionnades, ou par des caponnières, comme celle présentée dans l’exemple précédent. Le plus souvent on fit de ces tours de véritables porte-flancs, c’est-à-dire qu’on leur donna, en plan horizontal, la forme d’un fer à cheval, et leurs batteries supérieures ne dépassèrent guère le niveau de la crête des courtines (fig. 38).

Il y a toujours un avantage cependant, pour l’assiégé, à obtenir des commandements élevés, ou tout au moins des guettes qui permettent de découvrir au loin les travaux d’approche de l’assiégeant, à établir sur les bastions retranchés des réduits à cheval sur le fossé du retranchement, de manière à rendre l’occupation du bastion difficile. C’est ce besoin qui explique pourquoi on maintint si tard les vieilles tours des places du moyen âge en arrière des bastions ou des demi-lunes ; pourquoi Vauban, dans sa troisième manière, tenta de revenir à ces tours dominant les bastions, et pourquoi aussi Montalembert fit de ces tours dominantes en capitales un des principes de son système défensif. De nos jours et depuis les progrès merveilleux de l’artillerie, la question est de nouveau posée, d’autant que ces tours peuvent servir de traverses pour garantir les défenseurs des coups de revers et défier les effets du tir en ricochet. La difficulté est de recouvrir ces tours d’une cuirasse capable de résister aux projectiles modernes, car, si épaisse que soit leur maçonnerie, celle-ci serait bientôt bouleversée par les gros boulets creux de notre artillerie, et un de ces projectiles pénétrant dans une casemate y causerait de tels désordres, que la défense deviendrait impossible. Ce n’est donc pas seulement la cuirasse qu’il s’agit de trouver, mais aussi, pour les embrasures, un masque qui arrête complètement le projectile de l’ennemi, tout en permettant de pointer les pièces.

Il existe encore un exemple à peu près intact du système défensif de transition où l’emploi des tours (non point d’anciennes tours conservées, mais des tours construites pour recevoir de l’artillerie à feu) entre dans le plan général d’une place forte suivant une donnée méthodique : c’est la place de Salces, commencée en 1497 et terminée vers 1503 environ, sous la direction d’un ingénieur nommé Ramirez.

Voisine de Perpignan, la place de Salces est située entre l’étang de Leucate et les montagnes ; elle commande ainsi le passage du Roussillon en Catalogne. Bâtie avec un grand soin, elle consiste en un parallélogramme flanqué aux angles de quatre tours. Deux demi-lunes couvrent deux des fronts. Un donjon occupe le troisième, et une demi-lune forme saillant sur un des angles. Les ouvrages sont casematés ; les tours et demi-lunes couronnées par des plates-formes pour recevoir de l’artillerie. De petites bouches à feu étaient en outre mises en batterie dans les étages inférieurs des tours pour enfiler les fossés. Les ouvrages que nous désignons comme des demi-lunes sont de véritables tours isolées porte-flancs, ouvertes à la gorge et réunies aux casemates des courtines par des caponnières, ou galeries couvertes, percées d’embrasures pour de la mousqueterie[54]. Un fossé de 15 mètres de largeur environ sur 7 mètres de profondeur circonscrit tout le château. Ce fossé, qui peut être inondé jusqu’au niveau de la cour du château et même au-dessus, est mis en communication avec le château par des poternes étroites. En outre, d’autres issues ouvertes dans la contrescarpe donnaient vraisemblablement sur les dehors, car dans la légende jointe au plan du château de Salces donné par le chevalier de Beaulieu[55], on lit : « Il y a plus de logement soubs terre, dans ce château, qu’il n’y en a dehors ; car il est casematé et contre-miné partout, et l’on passe par dessoubs les fossés pour aller dans les dehors… » On ne passait certainement pas sous la cunette des fossés qui étaient inondés, mais on passait au fond du fossé, dans des galeries casematées qui communiquaient à un chemin couvert pratiqué derrière la contrescarpe ; chemin couvert dont on retrouve certaines galeries creusées sur le fossé et de là sur les dehors, protégés par des ouvrages de terre avancés.

Mais ce qui donne à l’étude des tours du château de Salces un intérêt marqué, c’est la manière dont elles sont disposées pour abriter les défenseurs. En effet, la place de Salces, barrant la route entre l’étang de Leucate et les derniers contre-forts des Corbières, est dominée par ces hauteurs. Les tours, les courtines, les demi-lunes sont soumises à des vues de revers et d’enfilade.

C’est en exhaussant les parapets des tours du côté dangereux et en établissant à la gorge des tours opposées des parados, que l’ingénieur a couvert les plates-formes. L’exhaussement des parapets du côté de la montagne met les embrasures à couvert, tandis que celles du côté opposé sont à ciel ouvert.

La figure 39 présente à vol d’oiseau la perspective d’une de ces tours. On voit en A le parapet exhaussé défilant les canonniers et les pièces placés sur la plate-forme, ainsi que le ferait un cavalier ou une traverse. Les courtines, construites seulement pour de la mousqueterie, ne sont pas munies d’embrasures, mais possèdent une banquette B et relèvent leurs parapets en face des terrains élevés qui ont des vues sur le château. Des échauguettes C occupent les angles rentrants des tours avec les courtines, et peuvent recevoir des arquebusiers dont le tir flanque les escarpes. De plus, de petites pièces placées dans des étages voûtés et suffisamment aérés enfilent les fossés à la base et vers le sommet des talus des tours. La figure 40 donne la perspective d’une des demi-lunes avec son parapet relevé en E pour couvrir la plate-forme contre les vues d’enfilade des hauteurs voisines.
On observera, dans cette figure, le bec saillant qui renforce la demi-lune sur sa face, et qui couvre une partie de l’angle mort dont l’assiégeant pourrait profiter, car ces demi-lunes sont incomplètement flanquées par les tours d’angle.

Les plates-formes ne sont pas assez spacieuses pour pouvoir garnir à la fois toutes les embrasures par de grosses pièces de canon. L’ingénieur comptait, ou ne mettre en batterie que des fauconneaux, ou changer les pièces de place au besoin.

« De grandes précautions sont prises contre la mine, dit M. le capitaine Ratheau[56] ; une galerie règne le long des quatre courtines, en avant des souterrains, et de distance en distance sont des amorces de galerie d’écoute ingénieusement disposées.»

Tours-réduits tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons.. — Les plus anciens donjons ne sont guère que de grosses tours voisines de l’un des fronts du château féodal, commandant les dehors du côté attaquable et tous les ouvrages de la forteresse, avec sortie particulière sur les dehors et porte donnant dans la cour du château (voyez Architecture Militaire, Château, Donjon). Mais certaines places fortes possédaient des réduits qui doivent être plutôt considérés comme des tours dominantes et indépendantes que comme des donjons. Puis, vers la fin du XIIIe siècle, les donjons devenant de véritables logis, renfermant les services propres à l’habitation, sont renforcés souvent de tours formidables qui commandent les dehors, protègent ces logis et deviennent au besoin des réduits pouvant tenir encore, si le donjon était en partie ruiné par la sape ou l’incendie.

On voit encore à Compiègne les restes d’une grosse tour du commencement du XIIe siècle) voisine de l’ancien pont sur lequel passa Jeanne Darc le jour où elle fut prise par les Anglais, et qui est un de ces ouvrages servant de réduit le long d’une enceinte. À Villeneuve-sur-Yonne il existe également, sur le front opposé à la rivière, une grosse tour cylindrique indépendante, qui servait de réduit et commandait la campagne. Cette tour appartient au XIIIe siècle. Le château de Carcassonne possède, sur le front qui fait face au dehors, du côté de la Barbacane et de l’Aude, deux tours sur plans quadrangulaires presque juxtaposées, qui tenaient lieu de donjon ; ces tours datent du XIIe siècle et furent encore surélevées à la fin du XIIIe (voyez Architecture Militaire, fig. 12 et 13). Le château (palais) des papes, à Avignon, ne possède pas, à proprement parler, de donjon, mais plusieurs tours-réduits qui commandent les dehors et la forteresse et qui datent du XIVe siècle. Il est donc nécessaire de distinguer, dans cet article, les tours-réduits tenant à des enceintes, des tours-réduits tenant à des châteaux et des tours tenant à des donjons. Nous nous occuperons d’abord des premières.

C’est encore à l’enceinte de la cité de Carcassonne qu’il faut recourir pour trouver les exemples les mieux caractérisés de ces tours, sortes de donjons appuyant un front. Le long de la première enceinte de cette cité, vers le sud-est, il existe une grosse tour cylindrique presque entièrement détachée de cette enceinte, et qui a nom, tour de la Vade ou du Papegay[57]. Elle est bâtie sur un saillant et en face de la partie la plus élevée du plateau qui, de ce côté, fait face aux remparts. Sa base est flanquée par un redan de la courtine et par la tour que nous avons donnée dans cet article[58]. Elle domine de beaucoup les alentours, est complétement fermée, et n’était commandée que par la tour qui, derrière elle, appartient à l’enceinte intérieure. Elle renferme cinq étages, dont trois sont voûtés. Son crénelage supérieur était, en cas de guerre, garni de hourds[59]. Le sol de l’étage inférieur est un peu au-dessus du niveau du fond du fossé. Cet étage inférieur possède un puits.

Nous donnons les plans des étages de cette tour figure 41.
L’étage A est à rez-de-chaussée pour le chemin militaire des lices L, entre les deux enceintes de la cité. Le chemin de ronde des courtines de l’enceinte extérieure est en c, le fossé en F. De la route militaire L, on monte sur le chemin de ronde par un degré d’une dizaine de marches d, puis on se trouve en face de l’unique porte de la tour e qui donne entrée dans la salle voûtée S. En prenant l’escalier f, on descend à l’étage inférieur B, également voûté. Cet escalier débouche en g′. Une trémie, établie de g′ en g, permet de monter, au moyen d’un treuil de l’eau ou des provisions au niveau du sol du rez-de-chaussée. Le puits est en p, Cette cave n’est éclairée que par deux soupiraux relevés i. De la salle du rez-de-chaussée S, en prenant l’escalier k, on monte à la salle du premier étage S′, où l’on débouche en l. Cette salle S′, voûtée, possède une cheminée m et est éclairée par quatre meurtrières et une baie relevée. De cette salle S″, en prenant l’escalier n, on monte à la salle du second étage S″, couverte par un plancher ; cet escalier débouche en o. En reprenant le degré q, on arrive au crénelage supérieur. Ce second étage possède quatre fenêtres et des latrines en t. On remarquera que la salle du rez-de-chaussée S est percée de sept meurtrières qui enfilent la crête de la contrescarpe du fossé. Si nous faisons une section sur ab, et que nous prenions la partie de cette section du côté des lices, nous obtenons la coupe figure 42, coupe qui permet de se rendre compte de la disposition de toutes les issues des escaliers.
Le niveau du fond du fossé est en N et les niveaux des crénelages des courtines en R. En E est tracé le plan du crénelage supérieur, au sol duquel on arrive par l’escalier h. Des hourds étaient disposés tout autour de ce crénelage, ainsi que nous l’avons indiqué partiellement en VV′. Par les fenêtres rr (voyez en D, fig. 41), le poste enfermé dans la tour voyait les parties supérieures de l’enceinte intérieure et communiquait ou recevait des avis. Trente hommes pouvaient facilement loger dans cette tour, y amasser des provisions pour longtemps, avoir de l’eau et faire la cuisine. C’était donc un réduit se défendant encore si l’enceinte extérieure tombait au pouvoir de l’assiégeant. La seule entrée, étroite, était barricadée et fermée avec des barres épaisses.

La tour du Trésau, de la même cité de Carcassonne, attachée à l’enceinte intérieure et qui dépend des ouvrages dus à Philippe le Hardi, est aussi un réduit. Nous donnons cette belle tour à l’article Construction fig. 149, 150, 151, 152, 153 et 154).

La tour du Trésau domine de beaucoup les courtines, et, de plus, elle est munie de deux guettes qui permettaient de découvrir tous les abords de la cité de ce côté, le château, la tour du coin ouest au saillant opposé, et tout le front du nord (voyez le plan de la cité, Architecture Militaire, fig. 11[60]).

Il serait superflu de fournir un grand nombre d’exemples de ces tours, qui ne diffèrent des tours flanquantes fermées que par leur hauteur et leur diamètre relativement plus fort. Les enceintes bien défendues possédaient toujours un certain nombre de tours-réduits plus ou moins considérable, en raison de leur étendue ; quelques enceintes d’un développement peu considérable n’en possédaient parfois qu’une seule. Telle est l’enceinte de Villeneuve-sur-Yonne. Cette tour remplaçait alors le château et était entourée d’une chemise. Les tours dépendant de châteaux et tenant lieu de donjons présentent, au contraire, comme les donjons eux-mêmes, une grande variété de formes. Les unes sont indépendantes peuvent au besoin s’isoler, possèdent une chemise, ont leur porte relevée au-dessus du sol extérieur ; les autres sont comme le réduit du donjon et y tiennent par un point : elles sont au donjon ce que celui-ci est au château. Il ne faut pas perdre de vue la véritable fonction du donjon, qui est l’habitation du seigneur ; or il est fort rare de trouver des donjons qui, comme ceux du Louvre et de Coucy, ne se composent que d’une grosse tour sans aucune dépendance. Nous voyons que les donjons normands, par exemple ceux du Berry, du Poitou, consistent habituellement, jusqu’au XIIIe siècle, en un gros logis quadrangulaire divisé à chaque étage en deux salles. Ce donjon était toujours l’habitation seigneuriale. Les donjons du Louvre et de Coucy sont des exceptions, et ne servaient de logis seigneurial qu’en temps de guerre (voy. Donjon).

Dans tous les châteaux de quelque importance, il est une partie plus forte, dont les murailles sont plus épaisses, qui domine les autres ouvrages ; partie qui est réellement le donjon. Ou ce donjon est renforcé d’une tour plus haute et plus forte que les tours de flanquements ; ou bien, à côté de la partie du château qui était le plus spécialement réservée à l’habitation du seigneur, est une tour isolée qui devient, en cas de siège, le réduit dans lequel le seigneur se retire avec ses fidèles, sa famille et ce qu’il possède de plus précieux. Enfermé dans cette tour, il surveille les dehors (car ces ouvrages sont élevés sur le point le plus accessible) ; il contient sa garnison et peut soutenir un second siège lorsque le château proprement dit est pris. Si le château n’occupait pas une assez grande surface de terrains propres à recevoir des bâtiments pour les gens de la garnison, une cour, un logis pour le seigneur ou donjon complet, s’il avait peu d’étendue, en temps ordinaire le seigneur et les siens occupaient le logis ; en temps de guerre, il appelait les hommes liges, ceux qui lui devaient le service militaire, il recrutait des gens de guerre soldés, et se retirait, lui et ses proches, dans une tour, la plus forte, qui devenait ainsi le donjon. Nous trouvons la trace bien évidente de cet usage jusqu’au XIVe siècle, dans les places fortes intéressantes, mais petites, de la Guyenne. Plus anciennement, dans des châteaux de l’Île-de-France d’une médiocre étendue, nous pouvons également reconnaître cette disposition. À peine si les caractères effacés de notre siècle nous permettent de comprendre la vie, en temps de guerre, d’un seigneur possesseur de fiefs considérables et d’une belle et grande habitation seigneuriale ; mais combien nous sommes loin de nous représenter exactement l’énergie morale et physique de ces châtelains possesseurs de forteresses peu étendues, et dans lesquelles, cependant, ils n’hésitaient pas, au besoin, à se défendre contre des voisins dix fois plus puissants qu’eux. Dans ces places resserrées, le châtelain, entouré d’un petit nombre de vassaux sur la fidélité desquels il pouvait toujours compter, s’enfermait dans la tour maîtresse, et de là devait pourvoir à la défense extérieure, prévoir les trahisons, et inspirer assez de crainte et de respect à sa garnison pour qu’elle ne fût pas tentée de l’abandonner. Alors (ce fait se présentait-il souvent) le châtelain et quelques fidèles, les ponts coupés, les herses baissées, les portes et fenêtres barricadées, enclos dans ce dernier refuge, se défendaient à outrance jusqu’à ce que les vivres vinssent à manquer.

Ce système de réduit, propre à une défense extrême, est adopté d’une manière absolue dans la grosse tour éventrée du château de Montépilloy, près de Senlis. D’un côté, cette tour donnait sur la baille du château, de l’autre sur le château lui-même, qui avait peu d’étendue[61]. Nous parlons ici du château tel qu’il existait au XIIe siècle avant les adjonctions et modifications que lui fit subir Louis d’Orléans.

Nous donnons (fig. 43) le plan du premier étage de cette tour, au niveau duquel s’ouvrait la seule poterne donnant entrée dans l’intérieur. En A est la porte qui permet de descendre, par un escalier voûté, dans l’épaisseur du cylindre, à l’étage inférieur ; en B, la porte qui, par un long degré, également voûté, donne accès au second étage en C, et à la chambre D de la herse et du mâchicoulis de la poterne. En continuant l’ascension par le degré, on arrive au troisième étage. La poterne P est donc relevée au-dessus du sol extérieur de toute la hauteur du rez-de-chaussée. On n’y arrive que par une passerelle de bois facile à détruire. Cette poterne était fermée au moyen d’une grille, d’une herse, d’un mâchicoulis et d’un vantail barré. Une petite chambre E, propre à contenir deux hommes, est percée d’une meurtrière oblique qui enfile le tablier de la passerelle. Ce tablier était percé d’une trappe, par laquelle, au moyen d’une échelle, on descendait, défilé par la pile du pont, sur le chemin de ronde de la chemise G. L’intervalle entre cette chemise et la tour formait donc comme un fossé[62].
La coupe faite sur ab (fig. 44) montre en A la tour de Montépilloy telle qu’elle existait au XIIe siècle, et en B avec les modifications qui furent apportées aux défenses, en 1400, dans les parties supérieures[63]. On voit en C la coupe de la chemise, en P la coupe de la poterne, et en D celle de la chambre de la herse et du mâchicoulis au-dessus de cette poterne. On observera que le rez-de-chaussée est voûté, ainsi que l’étage au-dessus, au moyen d’arcs ogives à section rectangulaire reposant sur cinq piles. Cette salle voûtée supérieure est divisée par un plancher, c’est le second étage. Le troisième étage, dans lequel on débouche par la porte I, est resté tel qu’il était au XIIe siècle, seulement au XVe siècle on entailla sa muraille sur un point pour y loger un escalier à vis qui était destiné à monter au quatrième étage et à l’étage crénelé, avec mâchicoulis, M. La hauteur de l’ancienne tour ne dépassait pas le niveau N. Alors les hourds H donnaient une plongée en dehors de la chemise, comme l’indique la ligne ponctuée. Ce quatrième étage était destiné à l’approvisionnement des projectiles et à la défense supérieure qui se faisait par une série d’arcades dont on distingue quelques restes englobés dans la maçonnerie de 1400 ; arcades qui mettaient la salle supérieure en communication avec les hourds. Cette défense n’ayant pas paru avoir un commandement suffisant, en 1400 on suréleva cet étage à arcades ; on le voûta en V, et l’on établit sur cette voûte une plate-forme avec crénelage et mâchicoulis M dont la plongée permettait de battre le pied de l’escarpe de la chemise, ainsi que l’indique, de ce côté, la ligne ponctuée. Il est clair que les passerelles S qui mettaient la tour en communication avec le château pouvaient être enlevées facilement. En E est figurée l’échelle qui, de la trappe de cette passerelle, permettait de descendre derrière la pile par le chemin de ronde de la chemise.
La figure 45 donne le développement de l’intérieur de la tour de Montépilloy de e en f (voyez au plan, fig. 43). Les escaliers, pris aux dépens de l’épaisseur du mur cylindrique, sont indiqués par des lignes ponctuées. En A est la poterne, et en B, au-dessus, la chambre de la herse et du mâchicoulis. En C, les arcades qui, de l’étage supérieur, donnaient sur la galerie des hourds avant la surélévation du XVe siècle.

Cette construction est bien faite, en assises réglées de 0m, 32 de hauteur (un pied), et tout l’ouvrage serait intact si l’on n’avait pas fait sauter à la mine la moitié environ du cylindre. Heureusement la partie conservée est celle qui présente le plus d’intérêt, en ce qu’elle renferme les escaliers de la poterne. Naturellement on a fait sauter de préférence les parties qui regardaient l’extérieur, lorsqu’on a voulu démanteler le château.

On comprend, quand on visite le château de Montépilloy, pourquoi Louis d’Orléans jugea nécessaire de surélever la tour et de la terminer par une plate-forme.

Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce territoire un vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d’avoir près de Senlis, sur la route de la capitale, un point d’observation qui pût découvrir le parcours de cette route depuis sa sortie de Senlis jusqu’à Crespy. Or, on ne pouvait mieux choisir ce point d’observation qui, occupé par une garnison sur une hauteur, permettait de couper le passage à tout corps d’armée débouchant de Senlis. Cette garnison avait d’ailleurs la certitude d’être soutenue par les troupes enfermées dans Crespy, Béthisy, Vez et Pierrefonds, si ce corps d’armée tentait de forcer le passage. Les gens sortis de Montépilloy n’avaient point à s’inquiéter s’ils étaient coupés eux-mêmes de leur château, puisqu’ils pouvaient battre en retraite jusqu’à Crespy, et plus loin encore, en défendant pied à pied la route qui pénètre au cœur du Valois. Mais pour que ces obstacles fussent efficaces, il fallait avoir le temps : 1o de se mettre en travers de la route ou sur ses flancs, au moment où une armée envahissante sortait de Senlis ; 2o de prévenir par des signaux ou des émissaires les garnisons des châteaux de Crespy et de Béthisy situés chacun à huit kilomètres de Montépilloy, afin de se faire appuyer sur les flancs.

Or, pour prendre ces dispositions militaires, il était d’une grande importance de donner à la tour de Montépilloy la hauteur que nous lui connaissons.

Il faut considérer que l’élévation de ces sortes de tours tenait bien plus de leur situation stratégique que de leur défense propre. On fait habituellement trop bon marché des dispositions stratégiques dans les forteresses du moyen âge. On les étudie séparément, avec plus ou moins d’attention, mais on tient peu compte de l’appui qu’elles se prêtaient pour défendre un territoire appartenant à un même suzerain ou à des seigneurs alliés en vue d’une défense commune, fait qui se présentait souvent. La fréquence des luttes entre châtelains n’empêchait point qu’ils ne se réunissent, à un moment donné, contre un envahisseur ; et ce fait s’est présenté notamment lors du voyage de saint Louis dans la vallée du Rhône pour se rendre à Aigues-Mortes. Ce prince réduisit les petites forteresses qui commandaient le fleuve, et dont les possesseurs se défendirent tous contre son corps d’armée, bien que ces châtelains fussent perpétuellement en guerre les uns avec les autres.

Pour ne parler que d’une contrée qui a conservé un grand nombre de restes féodaux, le Valois, on remarquera que les postes militaires étaient disposés en vue d’une défense commune au besoin, bien avant la suzeraineté de Louis d’Orléans, et que ce prince ne fit qu’améliorer et compléter une situation stratégique déjà forte.

Le Valois était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l’Oise, de l’Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d’Ourcq, au sud par la Marne. Il n’était largement ouvert que du côté de Paris, au sud-ouest, de Gesvres à Creil. Or, le château de Montépilloy est placé en vedette entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis ; il s’appuyait sur le château de Nanteuil-le-Haudouin, sur la route de Paris à Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l’Ourcq. C’était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places s’appuyant à l’Oise et suivant le petit cours d’eau de l’Automne : Verberie, Béthisy, Crespy, Vez, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon sur l’Ourcq, et Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d’Orléans établit, comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excellente position. Des tours isolées furent élevées ou d’anciens châteaux augmentés sur les bords de l’Aisne et de l’Ourcq. Le passage de la Champagne en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d’Ouchy, sur l’Ourcq, et de Braisne, sur la Vesle, couverts par la forêt de Daule.

Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d’Orléans avait acheté et restauré la place de Coucy, qui couvrait le cours de l’Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté) étaient mis en communication par les vues directes qu’ils avaient les uns sur les autres au moyen de ces hautes tours, ou par des postes intermédiaires. C’est ainsi, par exemple, que le château de Pierrefonds était mis en communication de signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont, dont on voit encore les restes sur le point culminant de la forêt de Villers-Cotterets.

Les expéditions tentées par Louis d’Orléans, et qui n’eurent qu’un médiocre succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce prince, mais il est certain que lorsqu’il résolut de s’établir dans le Valois de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris, il dut s’adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec une connaissance parfaite des localités et le coup d’œil d’un stratégiste. Aussi le premier acte du duc de Bourgogne, après l’assassinat du duc d’Orléans, fut-il d’envoyer des troupes dans le Valois, pour mettre la main sur ce réseau formidable de places fortes.

Ainsi donc il ne faut pas confondre le donjon proprement dit, ou habitation seigneuriale, dernier réduit d’une garnison, avec ces tours qui, indépendamment de ces qualités, ont été élevées suivant une disposition stratégique, afin d’établir des communications entre les diverses places d’une province, et de fournir les moyens à des garnisons isolées de concerter leurs efforts.

La féodalité en France et en Angleterre possède ce caractère militaire particulier ; caractère que nous ne voyons pas exprimé d’une manière aussi générale en Allemagne et en Espagne, si ce n’est, dans cette dernière contrée, par les Maures. Il semble chez nous que ces dispositions défensives d’ensemble soient dues plus particulièrement au génie des Normands, qui, au moment de leur entrée sur le sol des Gaules, comprirent la nécessité de concerter les moyens défensifs pour assurer leur domination. Aussi ne les voyons-nous jamais perdre du terrain dès qu’ils ont pris possession d’une contrée ; et, de toutes les conquêtes enregistrées depuis l’époque carlovingienne, celles des Normands ont été à peu près les seules qui aient pu assurer une possession durable aux conquérants : la noblesse française profita, pensons-nous, de cet enseignement, et, malgré le morcellement féodal, comprit de bonne heure cette loi de solidarité entre les possesseurs d’un pays. L’unité que put établir plus tard la monarchie avait donc été préparée, en partie, par un système de défense stratégique du sol, par provinces, par vallées ou cours d’eau. Philippe-Auguste paraît être le premier qui ait compris l’importance de ce fait, car nous le voyons rompre méthodiquement ces lignes ou réseaux de forteresses, en s’attaquant toujours, dans chaque noyau, avec la sagacité d’un capitaine consommé, à celle qui est comme la clef des autres ; Saint Louis continua l’œuvre de son aïeul moins en guerrier qu’en politique.

Quand les Anglais furent en possession de la Guyenne, ils suivirent avec méthode ce principe de défense, et tous les châteaux qu’ils ont élevés dans cette contrée ont, indépendamment de leur force particulière, une assiette choisie au point de vue stratégique. Nous trouvons en Bourgogne l’influence de la même pensée. Nulle contrée peut-être ne présentait un système de défense solidaire plus marqué. Les cours d’eau, les passages, sont hérissés d’une suite de châteaux ou postes dont l’emplacement est merveilleusement choisi, tant pour la défense locale que pour la défense générale contre une invasion. Ces points fortifiés se donnent la main comme le faisaient nos tours de télégraphes aériens ; et la preuve en est que la plupart de ces postes télégraphiques, en Bourgogne, s’établirent sur les restes des forteresses des XIIIe et XIVe siècles. Considérant donc les châteaux à ce point de vue, on comprend l’importance des tours dont nous nous occupons ; elles constituaient une défense sérieuse par elles-mêmes, et assuraient d’autant mieux ainsi la communication entre les garnisons féodales, leur action commune. Il importait surtout, si l’un de ces châteaux était pris par trahison ou par un coup de main, que des hommes dévoués pussent tenir encore quelques jours ou seulement quelques heures dans ces réduits, du haut desquels il était facile de communiquer, par signaux, avec les forteresses les plus rapprochées ; car, alors, les garnisons voisines pouvaient, à leur tour, envahir la place tombée et mettre l’agresseur dans la plus fâcheuse position. C’est ce qui arrivait fréquemment. En France, les cours d’eau ont un développement considérable, les bassins sont parfaitement définis ; il s’établissait ainsi forcément, par la configuration même du terrain, de longues lignes de forteresses solidaires qui préparaient merveilleusement l’unité d’action en un moment donné. Ce sont là des vues qui nous semblent n’avoir pas été suffisamment appréciées dans l’histoire de notre pays, et qui expliqueraient en partie certains phénomènes politiques que l’on énonce trop souvent sans en rechercher les causes diverses. Mais toute notre histoire féodale est à faire, et, pour l’écrire, il serait bon, une fois pour toutes, de laisser de côté ces lieux communs sur les abus du régime féodal. Il est bien certain que nous ne pourrons posséder une histoire de notre pays que du jour où nous cesserons d’apprécier notre passé avec les partis pris qui nous troublent l’entendement, du jour où nous saurons appliquer à cette étude l’esprit d’analyse et de méthode que notre temps apporte dans l’observation des phénomènes naturels, du jour, enfin, où nous comprendrons que l’histoire n’est pas un réquisitoire ou un plaidoyer, mais un procès-verbal fidèle et impartial dressé pour éclairer des juges, non pour faire incliner leur opinion vers tel ou tel système.

Mais laissons là ces considérations un peu trop générales relativement à l’objet qui nous occupe, et revenons à nos tours.

Parmi ces tours de la Bourgogne dont la destination est bien marquée, c’est-à-dire qui servaient à la fois de réduits au besoin et de postes d’observation, il faut citer la tour de Montbard, du sommet de laquelle on aperçoit la tour du petit château qui domine le village de Rougemont, sur la Brenne, et le château de Montfort, qui, par une suite de postes, mettait Montbard en communication avec le château de Semur en Auxois, sur l’Armançon.

Montbard était un point très-fort ; le château occupait un large mamelon escarpé, de roches jurassiques, à la jonction de trois vallées. De ce château il ne reste que l’enceinte, et la grosse tour à six pans, qui occupe un angle de cette enceinte au point culminant, de telle sorte qu’elle donne directement sur les dehors, au-dessus de roches abruptes. La figure 46 donne les plans de cette tour, qui date de la fin du XIIIe siècle.
Le rez-de-chaussée A se compose d’une salle dans laquelle on n’entre que par la porte a, percée au niveau du sol du terre-plein ; en b et c sont les deux courtines. L’angle d profite d’une saillie du rocher et contient des latrines. Un caveau est creusé dans le roc, au-dessous de cette salle ; son orifice est en e. La salle basse est éclairée par deux fenêtres et possède une meurtrière sur les dehors ; elle est voûtée en arcs d’ogive et n’est pas mise en communication avec les étages supérieurs. On ne peut pénétrer dans la salle du premier étage que par les chemins de ronde des courtines (voyez en B). L’angle g est couvert par un talus de pierre ; puis, à partir de ce niveau, un pan coupé h correspond au pan coupé i. Le pan coupé h est porté sur l’arc inférieur j. La salle du premier étage est éclairée par deux fenêtres donnant sur les dehors. Un escalier, pratiqué dans l’épaisseur du mur, du côté du terre-plein, monte au deuxième étage, semblable en tout au troisième, dont nous donnons le plan (voyez en C). Ce troisième étage possède trois fenêtres et deux armoires k qui n’existent pas dans l’étage du dessous, à cause du passage de l’escalier. Ces pièces sont voûtées comme le rez-de-chaussée. Un escalier à vis monte à la plate-forme, dont nous donnons le plan figure 47.


Cette plate-forme est défendue par un crénelage, et, sur chaque face, par un mâchicoulis avec meurtrière[64]. La figure 48 donne la coupe de cet ouvrage sur la ligne op.
Des pinacles, dressés sur le crénelage supérieur, font reconnaître au loin le sommet de la tour. Le couronnement du donjon de Coucy présente une disposition analogue[65]. Ces pinacles pouvaient d’ailleurs faciliter l’intelligence des signaux, puisqu’une bannière posée au droit de tel pinacle indiquait un mouvement de l’ennemi, ou les dispositions prises par la garnison, ou la nature des secours qu’elle attendait.

La porte A de l’étage inférieur était masquée par le terre-plein du château, dont le niveau s’élevait au-dessus de son linteau. Les défenseurs préposés à la garde de la tour, postés dans les étages supérieurs, commandaient les deux courtines, et tous les efforts d’un assaillant qui, après s’être emparé du château, aurait cherché à pénétrer dans l’étage inférieur de la tour, — ce qui était difficile, puisque sa porte est percée dans un angle rentrant, — n’auraient abouti qu’à le faire tomber dans une véritable souricière, puisque cet étage n’a pas de communication avec les salles supérieures. D’ailleurs, un mâchicoulis est directement placé au-dessus de cette porte et en rendait l’accès fort périlleux. Si, du dehors, l’assaillant, au moyen d’échelles, gravissant le rocher à pic sur lequel la tour est bâtie, parvenait à attacher le mineur au pied de cette tour et pénétrait dans la salle du rez-de-chaussée, — opération qui n’était guère praticable, — il n’était pas pour cela maître de l’ouvrage. Ici le système angulaire est adopté pour le plan de la tour, conformément à la méthode admise vers la fin du XIIIe siècle pour les tours-réduits couronnées par des plates-formes, particulièrement dans les provinces méridionales. Cette configuration se prêtait mieux au logement des hommes et aux dispositions d’habitation que la forme circulaire ; elle donnait des faces inabordables, et l’on comptait sur la force passive des saillants pour résister aux attaques. Ceux-ci étaient d’ailleurs flanqués par des échauguettes supérieures, ou, vers le milieu du XIVe siècle, dominés par des mâchicoulis.

C’est en 1318 que l’archevêque Gilles Ascelin construisit la grosse tour quadrangulaire du palais archiépiscopal de Narbonne. Cet ouvrage est un réduit, en même temps qu’il commande la place de la ville, les quais de l’ancien port, les rues principales et tous les alentours. Bâti à l’angle aigu formé par les bâtiments d’habitation, il peut être isolé, puisqu’il n’avait, avec ces corps de logis, aucune communication directe[66]. Cette tour renferme quatre étages et une plate-forme ou place d’armes, en contre-bas du crénelage, bien abritée du vent, terrible en ce pays, et pouvant contenir une masse considérable de projectiles. Trois échauguettes flanquent, au sommet de la tour, les angles vus, et le quatrième angle, qui est engagé dans le palais, contient l’escalier couronné par une guette.

Voici (fig. 49) les plans de cette tour, en A, au niveau du sol extérieur, et en B, au niveau du premier étage. L’étage A n’est qu’une cave circulaire voûtée en calotte hémisphérique, ne prenant pas de jour à l’extérieur. Le premier étage, de forme octogone à l’intérieur, se défend par des meurtrières sur chacune des trois faces vues du dehors. On observera que les chambres de tir de ces meurtrières sont séparées de la salle centrale, qui est voûtée en arête. Au-dessus (fig. 50) est élevée une salle quadrangulaire destinée à l’habitation (plan C).
Cette salle était la seule qui possédât une cheminée. Elle était éclairée par trois fenêtres et couverte par un plafond de charpente. Le quatrième étage présente également une salle carrée, voûtée en arcs d’ogive, possédant trois petites fenêtres et des meurtrières dont les chambres de tir sont, de même qu’au premier étage, séparées de la salle centrale (plan D). Puis, sur la voûte est disposée la plate-forme, dont la figure 51 donne le plan.
La partie centrale, immédiatement sur la voûte, est en contre-bas du chemin de ronde, dont le parapet n’est point percé de créneaux, mais seulement de longues meurtrières. Les échauguettes flanquantes possèdent trois étages de meurtrières. Les défenseurs pénètrent dans l’étage inférieur par les portes a, percées un peu au-dessus du niveau de la place d’armes, dans le premier étage par les portes b, et arrivent au troisième étage, à ciel ouvert, par les baies d. De l’escalier à vis on arrive à la place d’armes par la porte c, et au chemin de ronde du crénelage par la porte e. Les chemins de ronde pourtournent en f les échauguettes. Une coupe faite sur gh (fig. 52) explique cette intéressante disposition.
En A est la salle destinée à l’habitation du seigneur, tous les autres étages étant aménagés pour la défense. Cette tour ne possédait ni hourds ni mâchicoulis ; elle se défendait surtout par sa masse, composée d’une excellente maçonnerie de pierre de taille dure de Sainte-Lucie. Les faces étaient à peine flanquées par les échauguettes. Aussi pensons-nous qu’en cas de siége, des mâchicoulis de bois étaient disposés au-dessus du parapet, ou peut-être seulement au-dessus des échauguettes, pour pouvoir découvrir la base de la tour et la défendre. Ce magnifique réduit est un chef-d’œuvre de structure ; les assises, réglées de hauteur, sont choisies dans le cœur de la pierre et reliées par un excellent mortier. Dans cette masse nul craquement, nulle déchirure ; c’est un bloc de maçonnerie homogène. Cette place d’armes, pratiquée à un niveau inférieur à celui du chemin de ronde, servait à plusieurs fins. C’était une excellente assiette pour établir des engins à longue portée, mangonneaux ou pierrières, un abri pour les défenseurs et un magasin à projectiles. Vers le même temps, c’est-à-dire de 1320 à 1325, était élevée, au château de Curton, en Guyenne (arrondissement de Libourne), une tour-réduit dont le plan présente certaines particularités remarquables. Ce château était plutôt défendu par sa position et son double fossé que par ses ouvrages ; seule, la tour principale avait de l’importance[67]. Cette tour, dont la figure 53 présente les plans, contenait cinq étages et un cachot, tous voûtés en berceaux chevauchés.
La seule entrée b, dans la tour, était pratiquée du logis voisin au niveau du second étage A. Par l’escalier à vis on descendait à l’étage au-dessous B, percé de deux meurtrières. Par une trappe c on descendait dans le cachot C, composé de deux étroites galeries se coupant à angle droit et contenant un siège d’aisances. L’escalier à vis montait du second étage A aux trois salles supérieures, bâties sur le même plan, et à la plate-forme D, munie d’un crénelage et de mâchicoulis. Les contre-forts qui épaulent les quatre angles n’avaient d’autre fonction que de donner des flanquements, car les murs de la tour sont assez épais pour n’avoir pas besoin de ces appendices. Si l’on examine le plan général du château[68], on verra en effet que l’angle G forme un saillant que flanquent (incomplètement, il est vrai) les échauguettes voisines. Ce renfort avec saillant avait encore l’avantage de rendre la tâche du mineur beaucoup plus longue et plus difficile. La tour de Curton a d’ailleurs 33 mètres de hauteur, du niveau du sol du cachot à la plate-forme supérieure, et les quatre contre-forts augmentent singulièrement son assiette. Dans la même contrée, il faut citer la tour carrée du château de Lesparre, qui était un réduit couronné par une plate-forme sur voûte[69], un véritable poste, car la surface de ce château en dehors de la tour carrée n’est que de 700 mètres. Beaucoup de ces châteaux de la Guyenne anglaise du XIVe siècle n’ont qu’une très-médiocre étendue, et paraissent plutôt être des forteresses propres à garder le pays que des habitations seigneuriales telles qu’étaient nos châteaux du Nord. Ce n’est pas qu’alors la population de la Gascogne ne fût complétement soumise à la domination anglaise, dont elle n’avait pas à se plaindre et qui fut pour ce pays une ère de prospérité, mais il s’agissait de protéger la Guyenne contre les attaques presque continuelles du roi de France, et ces petits châteaux, nombreux, bien établis au point de vue stratégique, commandant le cours de la Garonne et les débouchements des vallées latérales, étaient plus propres à garder la campagne que ne l’eussent été de vastes forteresses séparées par de grandes distances. Aussi la plupart de ces petits châteaux, bâtis ou restaurés à cette époque, se défendent-ils par leur assiette même, quelques ouvrages peu importants et par des tours-réduits, où des troupes d’hommes d’armes isolées pouvaient se retirer et attendre en sûreté qu’on les vînt dégager ; d’où elles pouvaient sortir et surveiller la contrée.

En Normandie, où la domination anglaise, au commencement du XVe siècle, fut contestée par une grande partie de la population, où il s’agissait non-seulement de protéger le pays contre des ennemis du dehors, mais de se garder contre ceux du dedans, les rares fortifications que les Anglais ont élevées ont un tout autre caractère. Elles tendent à augmenter et à renforcer les places importantes, afin d’avoir des garnisons nombreuses centralisées sur certains points stratégiques. C’est ainsi que le château de Falaise, dont la position était si importante, fut renforcé pendant la domination anglaise, c’est-à-dire de 1418 à 1450, par une grosse tour cylindrique qui formait une annexe au donjon normand du XIIe siècle (fig. 54).


Le château de Falaise couvre une surface d’un hectare et demi[70] ; le donjon, composé de bâtiments quadrangulaires juxtaposés, suivant l’habitude normande, était peu élevé et ne commandait pas suffisamment les dehors : les Anglais y ajoutèrent la grosse tour A, dite tour de Talbot, qui renferme six étages, dont un cachot et l’étage de combles. Cette grosse tour-réduit est couronnée par des mâchicoulis avec chemin de ronde. Le crénelage supérieur et le comble n’existent plus depuis les guerres de religion du XVIe siècle. Plusieurs anciens donjons carrés de l’époque romane furent simplement considérés comme des logis à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe siècle, logis que l’on renforçait au moyen de grosses tours annexes. Cette disposition motiva un nouveau programme qui fut suivi, à cette époque, dans des constructions élevées d’un seul jet. On se mit à bâtir des donjons qui consistaient en un logis spacieux habitable pour le seigneur, en tout temps, et l’on flanqua ce logis de fortes et hautes tours commandant les dehors. C’est suivant cette donnée qu’a été conçu le donjon du château de Pierrefonds[71]. Sur les dehors, ce donjon est en effet protégé par deux grosses tours cylindriques dont le diamètre est de 15 mètres 50 centimètres hors œuvre. Ces deux tours, pleines dans la hauteur du talus, pouvant par conséquent défier la sape, renferment trois étages destinés aux provisions et à l’habitation, et un étage supérieur de défenses très-important, couronné par un crénelage double[72].

Des deux tours, à peu près pareilles dans leurs distributions intérieures, nous donnons celle d’angle, dite tour de Charlemagne[73]. Elle contient, au niveau de la cour du château, une cave voûtée, éclairée par deux meurtrières (fig. 55, en A). Un couloir B permet de communiquer des salles basses du donjon à cette cave. Par l’escalier C, on monte à la vis qui dessert tous les étages et la guette. En E, est une fosse pratiquée sous les garde-robes voisines de cette tour. Au-dessus de la cave A est une salle voûtée en arcs ogives surbaissés, qui est de plain-pied avec le premier étage du logis et dont le plan est semblable à celui de la salle G du second étage, laquelle salle est de même voûtée en arcs ogives et se trouve de plain-pied avec le deuxième étage du logis. Ces pièces hexagones sont éclairées chacune par trois fenêtres, possèdent une cheminée K et un couloir I communiquant aux garde-robes M. En O, est la cour des provisions[74]. L’escalier de la guette N met ce couloir I, et par conséquent la salle G, en communication avec le chemin de ronde P du mur de garde de la cour aux provisions, qui lui-même communique aux défenses supérieures du château.
Au-dessus de cette salle voûtée G est l’étage particulièrement réservé à la défense et dont nous traçons le plan (fig. 56). On monte à cet étage par l’escalier à vis. Une première porte L donne entrée de plain-pied sur l’aire S dallée sur la voûte de la salle du deuxième étage. Une seconde porte percée au niveau de la révolution supérieure de la vis donne accès sur le chemin de ronde R des mâchicoulis. Des arcades percées dans le mur cylindrique donnent, au moyen d’emmarchements en façon de gradins d’amphithéâtre ; du chemin de ronde R sur l’aire S placée à 3 mètres au-dessous. L’escalier à vis permet d’atteindre, au-dessus de cette salle, un balcon circulaire intérieur ayant vue sur les dehors par un grand nombre de créneaux. La coupe faite sur ab (fig. 57) explique l’importance de cet étage, au point de vue de la défense.
Sur l’aire A étaient accumulés les projectiles propres à être lancés par les mâchicoulis, pierres rondes, cailloux de toutes grosseurs, jusqu’à 40 centimètres de diamètre, puisque les trous des mâchicoulis ont 42 centimètres environ. Cet amas de projectiles pouvait, à la rigueur, atteindre le niveau du chemin de ronde B, en laissant un vide dans le milieu pour le service et pour le passage des hommes par la porte C. Les servants des mâchicoulis se tenaient sur le chemin de ronde B, ainsi que les arbalétriers. Des manœuvres passaient les projectiles aux servants, suivant les ordres donnés par le capitaine de la tour, qui était posté sur le balcon D dont nous avons parlé plus haut. Par les créneaux nombreux donnant sur le balcon, le capitaine découvrait tous les dehors, et les gens postés dans la galerie, non plus que ceux préposés aux projectiles, n’avaient point à s’enquérir des mouvements de l’ennemi, mais seulement à exécuter les ordres qui leur étaient donnés. L’étage crénelé supérieur E était en outre garni d’arbalétriers chargés du tir dominant et éloigné. Suivant que l’assiégeant se portait vers un point, le capitaine faisait accumuler les projectiles sur ce point sans qu’il pût y avoir de confusion. Si l’assaillant abordait le pied du talus de la tour, par les trous des mâchicoulis les servants le voyaient et n’avaient qu’à laisser tomber des moellons pour l’écraser. Le tir par les créneaux découverts E ne pouvait être qu’éloigné, ou au plus suivant un angle de 60 degrés, à cause du défilement produit par la saillie de la galerie. Le tir par les créneaux du balcon D était ou parabolique, ou suivant un angle de 30 et de 60 degrés. Il en était de même du tir des arbalétriers, postés sur le chemin de ronde B. Puis, par les mâchicoulis on obtenait un tir très-plongeant et la chute verticale des projectiles, qui, ricochant sur le talus, prenaient les assaillants en écharpe. Ainsi, dans un rayon de 150 à 200 mètres, les défenseurs pouvaient couvrir le terrain d’une quantité innombrable de carreaux, de viretons et de pierres. Le sommet de la guette dépasse de plusieurs mètres le sommet du comble de la tour, et son escalier à vis possède un noyau à jour de manière à permettre au guetteur de se faire entendre des gens postés dans le chemin de ronde, comme s’il parlait à travers un tube ou porte-voix.

En G, est tracée la coupe sur le milieu des côtés de l’hexagone intérieur, c’est-à-dire suivant l’axe des fenêtres.

C’est là un des derniers ouvrages qui précèdent de peu l’emploi régulier des bouches à feu, puisque le château de Pierrefonds était terminé en 1407 ; aussi ces belles tours, élevées suivant l’ancien système défensif perfectionné, sont-elles très-promptement renforcées d’ouvrages de terre avancés propres à recevoir des bouches à feu. À Pierrefonds comme autour des autres places fortes, au commencement du XVe siècle, on retrouve des traces importantes et nombreuses de ces défenses avancées faites au moment où les assiégeants traînent avec eux du canon. La plate-forme qui précède ces tours vers le plateau est disposée pour pouvoir mettre en batterie des bombardes ou coulevrines.

La célèbre tour de Montlhéry, sur l’ancienne route de Paris à Orléans, est à la fois réduit du donjon et guette. Ce qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de château de Montlhéry n’est, à proprement parler, que le donjon, situé au point culminant de la motte. Le château consistait en plusieurs enceintes disposées en terrasses les unes au-dessus des autres, et renfermant des bâtiments dont on découvre à peine aujourd’hui les traces. Chacune de ces terrasses avait plus de cent pieds de longueur, et c’était après les avoir successivement franchies qu’on arrivait au donjon ayant la forme d’un pentagone allongé (fig. 58).
Lorsqu’on avait gravi les terrasses, on se trouvait devant l’entrée A du donjon, dont la construction appartient à la première moitié du XIIIe siècle.

Du château où résida Louis le Jeune en 1144, il reste peut-être des substructions, mais toutes les portions encore visibles du donjon, et notamment la tour principale, réduit et guette, ne remontent pas au delà de 1220, bien qu’elle passe généralement pour avoir été construite par Thibaut, forestier du roi Robert, au commencement du XIe siècle.

Cette tour B, plus grosse et plus haute que les quatre autres qui flanquent le donjon, a 9m,85 de diamètre au-dessus du talus (30 pieds) ; le niveau de sa plate-forme était à 35 mètres environ au-dessus du seuil de la porte du donjon. Son plan présente des particularités curieuses. Une poterne relevée, fermée par une herse, donne sur les dehors indépendamment de la porte qui s’ouvre sur la cour. Deux étages étaient voûtés, trois autres supérieurs fermés par des planchers. Une ceinture de corbeaux, comme ceux du donjon de Coucy, recevait des hours à double étage ; une porte s’ouvrait aussi sur le chemin de ronde de la courtine C. Cette entrée passait à travers la cage d’un escalier à vis qui, inscrit dans une tourelle cylindrique, partait du niveau de ce chemin de ronde pour arriver à tous les étages supérieurs. Du rez-de-chaussée on montait au premier étage par un degré pris dans l’épaisseur du mur du côté intérieur. En D, il existait un bâtiment d’habitation assez vaste, dont on aperçoit aujourd’hui seulement les fondations. On sait quel rôle important joua le château de Montlhéry pendant le moyen âge.

Cette valeur tenait plus encore à sa position stratégique qu’à la puissance de ses ouvrages ; et la grosse tour B du donjon était bien plus un point d’observation qu’une défense. Il est évident que pour la garnison de Montlhéry, l’essentiel était d’être prévenue à temps, car alors il devenait impossible à des assaillants d’aborder la motte élevée sur laquelle s’étageaient les défenses ; quelques hommes suffisaient à déjouer un coup de main.

Tour de guet. (guettes). — Les châteaux, les donjons, avaient leur guette mais aussi les villes. Dans l’état présent de l’Europe, on ne saurait comprendre l’importance de ces observatoires élevés sur les points dominants des châteaux et des villes.

Si nous avons encore conservé les voleurs qui cherchent à s’introduire la nuit dans les habitations des cités et des campagnes, du moins cette corporation n’exécute-t-elle ses projets qu’en se cachant du mieux qu’elle peut. Mais il n’en était pas ainsi depuis l’empire romain jusqu’au XVIIe siècle. Pendant l’administration des derniers empereurs, les villæ et même les bourgades n’étaient pas toujours à l’abri des expéditions de bandes d’aventuriers qui, en plein jour, rançonnaient les particuliers et les petites communes, ainsi que nous voyons encore la chose se faire parfois en Italie, en Sicile et sur une partie du territoire de l’Asie. Le brigandage (pour nous servir d’un mot qui ne date que du XVe siècle) existait à l’état permanent sous l’administration romaine, aux portes mêmes de la capitale de l’empire, et il n’est pas équitable de faire remonter cette institution au moyen âge seulement ; elle appartient un peu à tous les temps, et aux sociétés particulièrement qui inclinent vers la dissolution. Le moyen âge féodal ne pratiqua pas le brigandage et ne l’éleva pas à la hauteur d’une institution, ainsi que plusieurs feignent de le croire pour arriver à nous démontrer que l’histoire de la civilisation ne date que du XVIe siècle.

La féodalité entreprit au contraire de détruire le brigandage qui, après la chute de l’empire romain, était passé dans les mœurs et s’étendait à l’aise sur toute l’Europe occidentale. La féodalité fut une véritable gendarmerie, une magistrature armée, et malgré tous les abus qui entourent son règne, elle eut au moins cet avantage de relever les populations de l’affaissement où elles étaient tombées à la fin de l’empire et sous les Mérovingiens. Ces premiers possesseurs terriens, ces leudes, surent grouper autour de leurs domaines les habitants effarés des campagnes, et si des colons romains ils ne firent pas du jour au lendemain des citoyens (tâche impossible, puisque à peine les temps modernes ont pu la remplir), du moins leur enseignèrent-ils par l’exemple à se défendre et à se réunir au besoin, à l’ombre du donjon, contre un ennemi commun. Que des châtelains aient été des voleurs de grands chemins, le fait a pu se présenter, surtout au déclin de la féodalité ; mais il serait aussi injuste de rendre l’institution féodale responsable de ces crimes qu’il serait insensé de condamner les institutions de crédit, parce qu’il se rencontre parfois des banqueroutiers parmi les financiers. Les Assises de Jérusalem, ce code élaboré par la féodalité taillant en plein drap, est, pour l’état de la société d’alors, un recueil d’ordonnances fort sages, et qui indique une très-exacte appréciation des conditions d’ordre social ; et les barons, guerriers et légistes qui ont rédigé ce code, eussent été fort surpris si on leur eût dit qu’un siècle comme le nôtre, qui se prétend éclairé sur toutes choses, les considérerait comme des détrousseurs de pèlerins, des soudards, pillards sans vergogne.

La guette, ou la tour de guet, est le signe visible du système de police armée établi par la féodalité. La tour de guet du château n’a pas seulement pour objet de prévenir la garnison d’une approche suspecte, mais bien plus d’avertir les gens du bourg ou du village de se défier d’une surprise et de se prémunir contre une attaque possible. Il n’était pas rare de voir une troupe de partisans profiter de l’heure où les gens étaient aux champs pour s’emparer d’une bourgade et la mettre à rançon. À la première alarme, le châtelain et ses hommes avaient bientôt fait de relever le pont et de se mettre à l’abri des insultes ; mais ces garnisons, très-faibles en temps ordinaire, n’eussent pas pu déloger des troupes d’aventuriers et empêcher le pillage du bourg ; il fallait avoir le temps de rassembler les paysans dispersés dans la campagne : c’est à cette fin que les tours de guet étaient élevées. Aux premiers sons du cor, aux premiers tintements du beffroi, les populations rurales se groupaient sous les murs du château et organisaient la défense, appuyées sur la garnison de la forteresse. Les villes possédaient, par le même motif, des tours de guet sur les points qui découvraient la campagne au loin. Ces tours de guet établies le long des remparts devinrent, vers le XIVe siècle, le beffroi de la ville ; outre les guetteurs, elles renfermaient des cloches dont les tintements appelaient les habitants aux points de leurs quartiers désignés d’avance, d’où les quarteniers les dirigeaient d’après les instructions qui leur étaient transmises par les chefs militaires.

Dans les châteaux, les tours de guet ne servaient pas seulement à prévenir les dangers d’une surprise ; les guetteurs, qui veillaient nuit et jour à leur sommet, avertissaient les gens du château de la rentrée du maître, de l’heure des repas, du lever et du coucher du soleil, des feux qui s’allumaient dans la campagne, de l’arrivée des visiteurs, des messagers, des convois. La guette était ainsi la voix du château, son avertisseur ; aussi les fonctions de guetteur n’étaient-elles confiées qu’à des hommes éprouvés et étaient-elles largement rétribuées, car le métier était pénible.

Souvent les tours de guet ne sont que des guettes, c’est-à-dire des tourelles accolées à une tour principale et dépassant en hauteur ses couronnements[75]. Mais aussi existe-t-il de véritables tours de guet, c’est-à-dire uniquement destinées à cet usage.

La cité de Carcassonne en possède une très-élevée d’une époque ancienne (fin du XIe siècle), entièrement conservée. Cette tour dépend du château, domine toute la cité et le cours de l’Aude ; elle est bâtie sur plan rectangulaire[76] et ne contenait qu’un escalier de bois avec paliers. Son sommet pouvait être garni de hourds[77].

L’angle sud-ouest des murs romains de la ville d’Autun, point culminant de l’enceinte, possède une tour de guet du XIIe siècle, dont nous donnons (fig. 59) la vue prise au dehors des murs. Cette tour contenait plusieurs chambres les unes au-dessus des autres et un escalier de bois. Les fenêtres jumelles de la chambre supérieure s’ouvrent du côté de la ville. La corniche de couronnement formait parapet, et le chéneau du comble en charpente, chemin de ronde. Les eaux de ce comble plat, posé en contre-bas du couronnement, s’écoulaient par des gargouilles[78].

La tour de Nesle, à Paris, qui commandait, sur la rive gauche, le cours de la Seine à sa sortie de la ville, était plutôt une tour de guet qu’un ouvrage propre à la défense. Elle était mise en communication par une estacade avec la tour de la rive droite (dite tour qui fait le coin), qui, en amont du Louvre, terminait l’enceinte de la ville. Un fanal était suspendu à ses créneaux pour indiquer aux bateliers l’entrée de l’estacade qui barrait une partie notable du fleuve. De sa plate-forme on découvrait les enceintes de l’ouest (rive gauche), le faubourg Saint-Germain, le Pré aux Clercs, le Louvre et la Cité.

La tour de Nesle, bâtie sous le règne de Philippe-Auguste, en même temps que l’enceinte de Paris, c’est-à-dire vers 1200, est désignée dans un acte de 1210 : Tornella Philippi Hamelini supra Sequanam[79]. Ce n’est qu’un siècle plus tard qu’elle est connue sous le nom de tour de Nesle ou de Nelle. Elle était plantée à la place qu’occupe le pavillon oriental du palais de l’Institut. Sur le quai, près d’elle, s’ouvrait la porte de la ville dite porte de Nesle (voyez le plan, fig. 60), et en A s’étendait l’hôtel de même nom.
La tour de Nesle D avait, hors œuvre, cinq toises de diamètre, possédait deux étages voûtés et deux étages plafonnés, avec une plate-forme à laquelle arrivait l’escalier à vis E, après avoir desservi tous les étages. Cet escalier dépassait de beaucoup le niveau de la plate-forme (qui peut-être était primitivement couverte par un comble conique) et servait de guette.
La vue perspective de cette tour (fig. 61), prise en dehors de la porte de Nesle[80], en fait comprendre la valeur comme poste d’observation sur le fleuve. De là des signaux pouvaient être transmis au Louvre, et vice versa, sur tout le front occidental des remparts de la rive gauche[81] et au palais de la Cité. En amont de Paris, deux autres tours à peu près semblables à celle-ci barraient la rivière : l’une, dite tour Barbeau, formait tête du rempart sur la rive droite ; l’autre, dite la Tournelle, avait la même destination sur la rive gauche. Ces deux ouvrages, qui se trouvaient au droit du milieu de l’île Saint-Louis, se reliaient avec deux autres tours élevées sur les berges de cette île, coupée alors par un fossé que remplissait la Seine[82]. La tour de Villeneuve-lez-Avignon, bâtie sur la rive droite du Rhône, au débouché du pont de Saint-Bénezet, par Philippe le Bel, en 1307, est une tour d’observation en même temps qu’un donjon propre à la défense. Elle se reliait à un vaste système de fortifications qui défendait de ce côté le territoire français contre les empiétements de la Provence[83], et qui, plus tard, contribua à enlever aux papes d’Avignon tous droits de seigneurie sur le cours du Rhône.

Cette tour, bâtie sur plan quadrilatère losangé, possède plusieurs salles voûtées et une guette carrée au sommet, avec tourelle propre encore à recevoir un guetteur. C’est un ouvrage admirablement construit, avec plate-forme, crénelage armé de mâchicoulis, et échauguettes aux angles. Ce genre de défenses nous amène à parler des tours considérées comme postes isolés, sortes de blockaus permanents.

Tours-postes isolées. Tours défenses de passages, de ponts. — Le cours de nos fleuves, les passages des montagnes, certaines lignes de défense d’un territoire, laissent encore voir des traces de tours, carrées habituellement, qui servaient à assurer le péage sur les cours d’eau, à réprimer le brigandage, arrêter les invasions, les surprises de voisins trop puissants ou turbulents. Ces tours, que l’on trouve encore en grand nombre dans les passages des Pyrénées, le long de la haute Loire, du Rhône, de la Saône, de l’Aveyron et du Tarn, du Doubs et de l’Isère, sur les frontières du Morvan, dans les Vosges, sont plantées sur des points élevés et peuvent correspondre au moyen de signaux. L’assiette choisie est habituellement un promontoire escarpé ne se reliant aux hauteurs voisines que par une langue de terre, de manière à n’être accessible que vers un point. Cette chaussée naturelle est parfois coupée par un fossé ou défendue par un rempart qui sert de chemise à la tour. On ne peut pénétrer dans l’intérieur de celle-ci que par une porte relevée au-dessus du sol et par une échelle ou par un pont volant jeté sur le chemin de ronde de la chemise. Un exemple type fera comprendre cette disposition adoptée fréquemment dans les passages des Pyrénées (fig. 62).
Devant la porte de la chemise était placée une barrière de bois. Un mâchicoulis défendait cette première porte. Pour pénétrer dans la tour-poste, on montait un degré qui aboutissait au chemin de ronde de la chemise. Ce chemin se présentait latéralement à la face de la tour dans laquelle était percée la porte. Un pont mobile qui s’abattait d’un encorbellement sur le chemin de ronde de la chemise au moyen d’un treuil placé dans le mâchicoulis-échauguette, permettait de pénétrer dans ce réduit contenant plusieurs étages et une plate-forme supérieure destinée à la défense et aux signaux. Ces postes sont souvent munis de cheminées et même d’un four et d’un puits allant chercher une source, ou d’une citerne creusée dans le roc et recueillant les eaux de pluie de la plate-forme et du plateau.

Les chevaliers du Temple possédaient beaucoup de ces postes établis, sur une grande échelle, en Syrie. « Les diverses places de guerre possédées au moyen âge par les chrétiens, en terre sainte, étaient reliées entre elles par de petits postes ou tours élevés d’après un plan uniforme : un grand nombre subsistent encore aujourd’hui, savoir : Bord-ez-Zara, Bordj-Maksour, Om-el-Maasch, Aïn-el-Arab, Miar, Toklé, etc.[84]. »

Ces tours-postes bâties par les chevaliers du Temple, en Syrie et en Occident, sont sur plan barlong. M. G. Rey, auquel nous empruntons les renseignements concernant celles de la Syrie, donne les plans et la coupe d’une de ces tours, celle de Toklé, que nous reproduisons ici d’après lui (fig. 63).
On pénètre dans la salle basse par une porte A. Au centre de cette salle est creusée une citerne. Pour aller chercher la porte qui donne dans les escaliers droits montant aux étages supérieurs, il fallait atteindre le niveau du plancher B au moyen d’une échelle. Une voûte en berceau forme le premier étage, et une voûte d’arête, sans arêtiers, supporte la plate-forme supérieure ; un second plancher divise ce second étage en deux pour réserver, sous la plate-forme, un magasin à provisions. Un mâchicoulis commande la porte. Le rez-de-chaussée pouvait servir d’écurie pour quelques chevaux.

Il est intéressant de retrouver à Paris une tour bâtie par les chevaliers du Temple, et qui présente une disposition analogue à celles que l’on rencontre en Syrie dans les postes de cet ordre militaire. Cette défense, placée en face du Collège de France actuel, était connue sous le nom de tour Bichat, parce que le célèbre professeur y fit longtemps ses cours[85] Elle dépendait de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem, qui plus tard, au XVIe siècle, prit le nom de Saint-Jean de Latran. « L’entrée principale de la commanderie s’ouvrait, dit M. le baron de Guilhermy[86], en face du Collège de France. Les bâtiments les plus notables de l’enclos étaient la grange aux dîmes, le logis du commandeur, la tour, l’église et le cloître… Nous pensons que cette tour était le donjon de la commanderie, le dépôt des titres, des armes, des objets précieux, le lieu de réunion des chevaliers, le signe de la suzeraineté du commandeur sur les fiefs qui relevaient de Saint-Jean… »

La tour de la commanderie de Saint-Jean de Jérusalem, bâtie sur plan barlong, se rattachait au logis du commandeur par un de ses angles ; par l’autre elle se reliait à la courtine. Cette commanderie ayant été transformée à plusieurs reprises, il devenait difficile de reconnaître exactement quelle était la position de la tour par rapport aux bâtiments de la même époque. Cependant le plan de Gomboust la montre comme faisant face sur les dehors du côté de l’occident, et en effet ses défenses principales se présentaient de ce côté. Du reste, les relevés sur place nous en apprendront plus que ne pourraient le faire les documents fournis par les plans anciens de Paris. Voici donc (fig. 64), en A, le plan de la tour à rez-de-chaussée.
Ce rez-de-chaussée consistait en une salle voûtée en deux travées d’arcs ogives, avec une poterne basse a qui donnait autrefois sur les fossés extérieurs ; une porte b s’ouvrait également sur l’escalier qui permettait d’atteindre le niveau h du sol de la cour en passant sur un pont mobile g, car le fossé intérieur f se prolongeait par un redan jusqu’à cet escalier. D était donc le fossé de clôture de la commanderie ; f, le fossé spécial à la tour. La salle basse n’avait aucune communication avec les étages supérieurs. Pour arriver au premier étage B, il fallait monter par l’escalier C accolé à la courtine occidentale. Ce premier étage ne communiquait pas avec le logis du commandeur situé en H ; il fallait reprendre l’escalier C pour atteindre le niveau du deuxième étage E. De cette salle on pouvait entrer dans le bâtiment du commandeur par la porte e, percée dans un pan coupé. C’était encore par l’escalier C que l’on montait à la plate-forme G, qui était couverte par un comble en pavillon. Cet escalier C était de bois, enfermé dans une cage dont les murs de pierre étaient minces. Du logis du commandeur, à mi-étage du premier, on communiquait par une galerie crénelée I (voyez le plan K), avec le chemin de ronde O de la courtine. Une coupe longitudinale faite sur mn expliquera plus clairement ces dispositions (voyez fig. 65).
A est le fond du fossé, dont la contrescarpe ne paraît pas avoir dépassé le niveau B. En C, on retrouve la porte qui donne entrée dans la cage de l’escalier. En D, des meurtrières sont percées au fond de trois niches ouvertes dans la salle du premier étage. En E, est le passage crénelé communiquant, à mi-étage, du logis du commandeur à la courtine de l’ouest. La salle basse n’était éclairée que par des soupiraux ; quant aux deux salles voûtées au-dessus, des fenêtres assez nombreuses y laissaient pénétrer la lumière. Les créneaux supérieurs étaient fermés par des volets de bois entrant en feuillure. La figure 66 présente la coupe en travers de la salle du premier étage du côté de la défense.


On aperçoit les trois niches pratiquées au fond de la salle. Devant celle du milieu, est plantée une colonne double qui porte les deux arcs de décharge sur lesquels repose le mur supérieur (voyez le plan B et la coupe longitudinale). Car on observera que pour donner plus de solidité à la construction et porter ses pressions vers l’intérieur, les murs se retraitent intérieurement sur les formerets des voûtes. De l’extérieur de la commanderie, la tour avait un aspect sévère. Nous en donnons la vue (fig. 67), avec la courtine, la cage de l’escalier et l’amorce du logis du commandeur.

Cette construction, de petit appareil, était bien traitée et n’avait subi d’autres altérations que celles causées par le voisinage de constructions modernes accolées à ses flancs. Les voûtes des salles étaient en bon état, et la restauration de ce curieux spécimen d’une tour de commanderie n’eût été ni difficile ni dispendieuse.

La tour du Temple, à Paris, datait de la fin du XIIIe siècle et avait été achevée en 1306, peu avant la dissolution de l’ordre[87]. Cette tour était sur plan carré, avec quatre tourelles aux angles, montant de fond. Elle servait de trésor, de dépôts de titres et de prison, comme la plupart de ces donjons appartenant aux établissements des chevaliers du Temple. Cet édifice fut détruit en 1805.

Nous possédons encore à Paris un de ces ouvrages servant de retrait, de trésor, de lieu de sûreté, dans les hôtels que les princes possédaient au milieu des villes : c’est la tour que l’on voit encore dans la rue du Petit-Lion, et qui dépendait de l’hôtel des ducs de Bourgogne. « L’édifice, dit notre savant ami M. le baron de Guilhermy[88], est solidement construit en pierres de taille soigneusement appareillées ; il est percé de baies en tiers-point et couronné de mâchicoulis. Un large escalier à vis monte à l’étage supérieur, comprenant une belle salle voûtée en arcs ogives. Les fenêtres qui éclairent l’escalier sont rectangulaires et décorées de moulures. Les degrés tournent autour d’une colonne qui se termine par un chapiteau très-simple ; mais ce chapiteau sert de support à une caisse cylindrique d’où s’élancent des tiges vigoureuses figurant des branches de chêne dont les entrelacs forment les nervures de quatre voûtes d’arête et dont le feuillage se détache en saillie sur les remplissages de la maçonnerie. » Une chambre secrète est disposée au sommet de la tour, et pouvait être isolée des passages au moyen d’une bascule.

La tour a été bâtie par le duc Jean-sans-Peur, dans les premières années du XVe siècle. Ce prince habitait cet hôtel lorsqu’il fit assassiner Louis d’Orléans dans la rue Barbette. L’hôtel de Jacques Cœur, à Bourges, possédait aussi sa tour, réduit et trésor, dont la pièce principale, au niveau du premier étage, était fermée par une porte de fer[89].

Nous ne saurions passer sous silence les tours-portes. Souvent des portes secondaires, ou même des poternes étaient percées à travers des tours, au lieu d’être flanquées par elles. Cette disposition n’apparaît guère qu’à la fin du XIIIe siècle, et est-elle assez rare. C’est encore dans la cité de Carcassonne que nous trouverons un des exemples les plus remarquables de ces sortes d’ouvrages. Sur le front sud de la seconde enceinte s’élève une haute tour carrée avec quatre échauguettes montant de fond, qui, à l’extérieur, ne laisse voir aucune issue, mais sur l’un de ses flancs (celui de l’est) s’ouvre une porte ou plutôt une large poterne dont le seuil est posé à 2 mètres au-dessus du sol extérieur. La figure 68 présente le plan de cette tour au niveau du rez-de-chaussée.


Pour atteindre le seuil A, il fallait disposer en dehors une échelle ou un plan incliné de bois. Cette première entrée est défendue par un mâchicoulis a, une herse b et des vantaux c. On pénètre alors sous la voûte percée d’un œil carré au centre ; puis il faut se détourner à droite, et l’on se trouve en face d’une seconde porte également défendue par un mâchicoulis d, une herse f, et des vantaux g. Cette seconde porte franchie, on est dans la cité[90]. Les courtines de l’enceinte sont en B et en C. Les deux portes h et i donnent dans un couloir qui communique à l’escalier à vis montant à la guérite l et aux étages supérieurs.
Le premier étage (fig. 69) montre en o le mâchicoulis extérieur, qui est servi par-dessus la herse p, lorsque celle-ci est baissée ; le second mâchicoulis q et la seconde herse r, servie par le passage t. La salle du premier étage contient une cheminée k avec four, trois armoires s, et un puits v, qui possède aussi une ouverture sur les lices. Deux fenêtres f éclairent la pièce. L’escalier à vis monte, au-dessus de cette salle, sur un premier crénelage entourant une seconde salle voûtée en berceau, couronnée par une plate-forme propre à recevoir un engin à longue portée. La figure 70 donne l’aspect de la tour du côté de la ville.

On observera que cette tour interrompt le chemin de ronde des courtines sur lesquelles, d’ailleurs, elle prend un commandement considérable. Un large degré à rampe droite, posé sur des arcs (voyez en E, fig. 68), atteint le niveau d’un des chemins de ronde et débouche en face d’une porte s’ouvrant sur l’escalier à vis. La pente du sol intérieur s’inclinant vers l’entrée, une gargouille est percée en G, à 2 mètres environ au-dessus du sol des lices, et pouvait, au besoin, servir de porte-voix pour des patrouilles rentrantes. Cet ouvrage, qui appartient aux défenses ajoutées à la cité de Carcassonne par Philippe le Hardi, est construit comme la tour de l’Évêché, en assises de grès dur, à bossages, et appareillé avec soin. Il domine la barbacane de l’enceinte extérieure et tous les alentours, car il se trouve planté sur le point le plus élevé du plateau. Sa masse sert de masque à l’église de Saint-Nazaire, distante seulement de 25 mètres. Sa plate-forme est couverte de dalles, et une guette H (voyez fig. 70) la surmonte, afin de permettre au maître enginéor de commander la manœuvre du grand engin mis en batterie sur cette plate-forme[91].

Du dehors, la tour de la poterne Saint-Nazaire présente un aspect plus imposant encore, car le sol des lices est à 3 mètres en contre-bas du seuil de la seconde porte.
La figure 71 montre ces dehors du côté de la poterne, les hourds étant supposés mis en place pour la défense. Ces hourds ne sont posés que sur les trois faces de la tour, devant le crénelage du chemin de ronde, laissant les échauguettes libres et leurs meurtrières ; de sorte que ces échauguettes flanquent les hourds et sont flanquées par les archères latérales de ceux-ci. Les hourds sont doubles et disposés ainsi que l’indique la coupe (fig. 71 bis).

Suivant l’usage, la communication entre le chemin de ronde A ordinaire et le chemin de ronde B de guerre se faisait par les créneaux percés dans le parapet. De ce chemin de ronde B, par un bout d’échelle de meunier, les arbalétriers montaient sur le chemin relevé C et pouvaient envoyer des carreaux par le mâchicoulis D. Trois rangs d’arbalétriers tiraient ainsi simultanément. De plus, des projectiles étaient jetés verticalement, au besoin, par les mâchicoulis M.

Profitant du commandement de la plate-forme supérieure E, un quatrième rang d’arbalétriers envoyait des carreaux au loin par les créneaux à volets et les meurtrières percés dans le parapet F. Les lignes ponctuées indiquent les angles de tir.

Quelquefois la disposition des tours-portes était adoptée par raison d’économie. Il était moins dispendieux d’ouvrir une baie à la base d’une tour que de flanquer cette baie de deux tours suivant l’usage le plus général. Plusieurs des bastides bâties dans la Guyenne, sous la domination anglaise, ont, pour portes, des tours carrées. On trouve même avant cette époque, dans la contrée, des traces de portes percées à travers des ouvrages carrés ou barlongs. Telle est la porte Brunet, à Saint-Émilion, dont la construction est encore romane, bien qu’elle ne remonte guère plus loin que le commencement du XIIIe siècle. Une des portes de Cadillac offre une disposition curieuse, parmi les ouvrages de cette nature. Ce ne fut qu’en 1315 que la clôture de la bastide de Cadillac et ses portails furent commencés[92]. Les habitants devaient élever les murs, et le seigneur du lieu, Pierre de Grailly, les quatre portails bons et suffisants. Il paraîtrait que de ces quatre portails, le sire de Grailly n’en éleva que deux. Or, voici l’un de ceux-ci, dit porte Garonne, construit avec la plus grande économie, mais présentant une disposition peu commune.

Des fossés de 20 mètres de largeur environ, remplis par les eaux de l’Œille, entourent l’ancienne bastide. La porte Garonne projette toute son épaisseur en dehors de la courtine, dont les chemins de ronde continuent derrière elle, et bat le fossé.
Voici (fig. 72) le plan de cette porte au niveau du rez-de-chaussée, en A, et au niveau du premier étage, en B. Dans ce dernier plan, on voit en a le chemin de ronde de la courtine, que l’ouvrage n’interrompt pas. Les mâchicoulis et meurtrières b sont percés à 2 mètres en contre-haut du sol de ce chemin de ronde, et ne pouvaient, par conséquent, être servis par les gens postés sur ce chemin, mais bien par les soldats placés sur un plancher de bois que l’on voit tracé en d dans la coupe longitudinale (fig. 73) ; or, on ne pouvait se placer sur ce plancher qu’en passant par une porte percée au niveau du plancher du premier étage en e (voyez le plan B), et l’on ne pouvait monter sur ce plancher que par une échelle mobile tracée en f (voyez la coupe 73) et qui partait du sol de la porte.
Les gardes de la porte avaient donc l’unique charge de veiller à sa défense et ne communiquaient pas avec les chemins de ronde des courtines. Comme, d’après la charte d’établissement des défenses de Cadillac, ce sont les habitants qui construisent l’enceinte et le seigneur qui élève les portes, il se pourrait que la garde de celles-ci eût été confiée seulement aux gens du sire de Grailly. Eux seuls auraient pu ouvrir les portes, eux seuls devaient les défendre. Le seigneur aurait eu ainsi moins à redouter les conséquences de la faiblesse, du découragement, ou même de la négligence des bourgeois, assez disposés en tout temps à ne pas affronter les longueurs et les privations d’un siége. S’entendre avec des ennemis et leur faciliter les moyens de passer un fossé plein d’eau, de 20 mètres de largeur, et d’escalader un rempart de 10 mètres, c’était là un acte de trahison que de braves gens ne pouvaient accomplir ; mais laisser surprendre le poste d’une porte ou écouter des propositions, et consentir à baisser le pont-levis devant une troupe qui fait de belles promesses, c’était ce qui arrivait fréquemment aux milices. Il semble que le constructeur de la porte Garonne de Cadillac ait voulu prévenir ce danger, en faisant de cette défense, malgré son peu d’importance, un poste absolument indépendant des remparts de la ville. Dans notre coupe longitudinale (73), on voit que le chemin de ronde en n n’a point de vues sur l’intérieur de la tour, et que ce chemin de ronde est facilement surveillé par les hommes postés sur le plancher d. La place de l’échelle mobile qui permettait d’atteindre la porte e (voyez le plan 72 B, et la coupe 73) est parfaitement visible encore. Le pied-droit p (voyez le plan) est plus large que le pied-droit q. Puis le mâchicoulis et les meurtrières ne commencent qu’après la porte e (voyez la coupe transversale 74).
Le mur de garde de ces meurtrières, porté sur deux corbeaux saillants et sur un arc, laisse donc une sorte de rainure entre lui et le mur latéral g ; rainure dans laquelle passait l’échelle. Celle-ci était en deux parties : l’un des jambages de la partie supérieure était fixe, posé sur un repos ménagé sur le corbeau à côté du mur de garde ; l’autre suivait le mur g jusqu’au sol. La seconde partie de l’échelle f (voyez la coupe 73) coulait au besoin sur le jambage i accolé au mur, et sur l’autre jambage l maintenu en l’air par la pièce de bois m appuyée sur le repos du corbeau s. Par la porte e, au moyen d’un cordage, il était aisé de faire glisser l’échelle descendante sur les montants de l’échelle fixe. Bien entendu, un guide empêchait cette échelle descendante de sortir de son plan. Les hommes de garde ayant remonté l’échelle passaient par la porte e et redescendaient par la petite échelle sur le chemin de ronde spécial d. De là ils pouvaient, par trois meurtrières, envoyer des carreaux sur la première porte, et servir le mâchicoulis, si l’ennemi arrivait jusqu’à la porte-barrière t. Un petit pont-levis V fermait la première porte. Le chemin de ronde d était couvert par un simple appentis très-incliné r. C’était également par des échelles qu’on montait au second étage et à la défense supérieure, consistant en des créneaux et merlons percés de meurtrières avec mâchicoulis, sur la face et les flancs de la tour. Si nous supposons une section faite de x en y (du plan B) en regardant vers l’intérieur de la tour, nous obtenons la figure 75.


Ce tracé nous montre l’arc de la porte en a, le sol du chemin de ronde des courtines pour le service des milices en b, et le chemin de ronde du poste spécialement affecté à la garde de la tour en c, avec sa porte e donnant sur l’échelle mobile[93].

Cependant ces tours carrées servant de portes ne paraissaient pas offrir assez de résistance contre un assaillant déterminé ; leurs faces n’étaient point flanquées, et la défense sérieuse ne commençait qu’à l’intérieur même de la tour, lorsque la porte extérieure était déjà prise. Il y avait dans ce parti un inconvénient. Il a toujours été mauvais, en fait de fortifications, de réserver les moyens défensifs les plus efficaces en arrière, car les troupes sont alors disposées à abandonner facilement les défenses extérieures pour se réfugier dans celles qu’elles considèrent comme plus fortes, mais qui sont les dernières, et qui, par cela même, excitent les efforts énergiques de l’assaillant. Place entamée est bientôt prise, l’assiégeant devenant d’autant plus entreprenant et audacieux, qu’il a déjà obtenu un premier avantage. Il est un autre axiome de défense qui n’a jamais cessé d’être applicable. Il est plus aisé d’empêcher un assaillant d’avancer qu’il ne l’est de le faire reculer lorsqu’il a gagné un poste.

Une porte non flanquée, comme celle de la bastide de Cadillac, était bientôt forcée en comblant le fossé. Alors l’assiégeant se trouvait, il est vrai, en face d’une seconde défense, relativement forte et bien munie ; mais il lui était facile de mettre le feu aux planchers de la tour en accumulant des fascines sous le passage, et, dans ce cas, l’ouvrage n’avait plus de valeur. À la fin du XIVe siècle, les tours cependant, à cause de leur commandement, prenaient une nouvelle importance[94], et un homme de guerre célèbre, Olivier de Clisson, persista à les employer comme portes. Toutefois Olivier de Clisson renonça au plan carré, et adopta la forme cylindrique. Le château de Blain, situé entre Redon et Nantes, fut bâti à la fin du XIVe siècle par le connétable Olivier de Clisson. La porte d’entrée de la baille est pratiquée dans une tour ronde, dite tour du Pont-levis, qui montre encore à l’extérieur et à l’intérieur l’M couronnée accostée d’un heaume. Ce chiffre équivaut à une date certaine, car on le retrouve sur le sceau d’Olivier de Clisson, de 1407, et sur les bâtiments de l’hôtel du connétable, bâti à Paris vers 1388, et compris aujourd’hui dans l’hôtel des Archives de l’empire[95]. On sait, d’ailleurs, que vers 1366, Olivier de Clisson, qui avait juré de n’avoir jamais d’Anglais pour voisins, alla démolir le château de Gâvre que le duc de Bretagne venait de donner à Jean Chandos, et en fit porter les pierres à Blain pour les employer dans la bâtisse du nouveau château. Or, il paraîtrait que le farouche connétable avait adopté, dans les défenses qu’il faisait élever, un système de portes passant à travers le cylindre d’une tour ronde, avec pont-levis, long couloir, vantaux, mâchicoulis et herses[96].

La tour ronde avait cet avantage sur la tour carrée, qu’elle envoyait des projectiles divergents, ne laissait pas de points morts sous les mâchicoulis et était difficile à attaquer par la mine. Ces tours-portes cylindriques d’Olivier de Clisson avaient sur les courtines un commandement considérable. Celle de Blain est couverte par un comble conique, et au-dessus du passage voûté de la porte est une salle carrée, avec cheminée, cabinets et escalier montant aux chemins de ronde des mâchicoulis.

Le célèbre château de Montargis possédait une tour-porte construite à peu près suivant ce programme, mais développé. Nous en présentons les plans (fig. 76)[97].
En A, est tracé le plan du rez-de-chaussée. Un pont-levis s’abattait en a, sur une chaussée ; b était un large fossé ; d, la courtine isolée de la tour ; e, la grande salle crénelée[98] ; f, un second pont-levis, de sorte que la tour pouvait être complétement isolée des dehors et de la cour du château g.

Quand on avait franchi la première porte a, on se trouvait dans une cour cylindrique, sorte de puits à ciel ouvert, n’ayant d’autre issue que la porte f vers la cour. Au premier étage B, la tour était mise en communication avec la courtine d au moyen d’une passerelle de bois aboutissant à un petit poste h. Par deux couloirs réservés dans l’épaisseur du cylindre, on arrivait aux deux chambres de herses, et l’on trouvait en face de la passerelle un escalier à vis montant à l’étage supérieur de la défense, dont le plan est figuré en C. Cet étage ne consistait qu’en une galerie annulaire crénelée à l’extérieur et à l’intérieur, afin de permettre aux défenseurs d’écraser les assaillants qui se seraient aventurés dans la cour circulaire.

Du rez-de-chaussée on ne pouvait monter aux étages supérieurs. De petits postes étaient probablement ménagés dans l’épaisseur du cylindre, entre l’étage des chambres de herses et la galerie de couronnement. La figure 77 présente la coupe de cette tour, faite sur l’axe des portes en A, et le détail de la galerie supérieure en B.
Nous ne saurions dire si cet ouvrage était antérieur ou postérieur aux défenses faites dans l’Ouest sous les ordres du connétable de Clisson ; mais il est certain qu’il appartient au même ordre de défenses.

Nous avons montré, dans l’article Pont, des tours destinées à défendre ces passages : les unes sont carrées, comme celles du pont de Cahors ; d’autres sont circulaires ou elliptiques, comme la grosse tour du pont de Saintes. Il est donc inutile de nous étendre plus longtemps ici sur ces tours à cheval sur des passages. Il nous reste à dire quelques mots des tours-phares. Une des plus anciennes est la tour d’Aigues-Mortes, dite tour de Constance, bâtie par saint Louis. Cette tour cylindrique a 29 mètres de hauteur sur 22 mètres de diamètre ; une tourelle de 11 mètres s’élève près du crénelage sur la plate-forme, et portait les feux de nuit destinés à guider les navires entrant dans le port. Cette plate-forme est disposée pour recevoir les eaux pluviales qui s’écoulent dans une citerne. Deux salles voûtées sont pratiquées sous le crénelage et ne sont éclairées que par des meurtrières. Sur la tour carrée du fort Saint-Jean qui flanque le côté gauche de l’entrée du vieux port de Marseille, et qui date du XIVe siècle, existait autrefois une tourelle portant un feu. Sur les côtes de la Méditerranée, dans les environs d’Aigues-Mortes, on voit encore la trace de tours isolées qui servaient à la fois de phares et de postes pour défendre le littoral contre les descentes fréquentes des pirates. La plupart de ces ouvrages datent des règnes de saint Louis, de Philippe le Hardi et de Charles VI.

Le climat destructeur des côtes de l’Océan n’a pas laissé subsister de tours de phares d’une époque reculée, et l’on peut considérer comme une des plus anciennes la tour du port de la Rochelle, dite tour de la Lanterne. Cet ouvrage, attaché aux remparts, s’élève sur le bord de la mer, à 100 mètres environ du goulet du port, à l’extrémité du front de gauche. C’est une grosse tour de 16 mètres de diamètre, terminée par une flèche pyramidale de pierre.

Nous donnons les plans (fig. 78) de ses trois étages, en A à rez-de-chaussée, en B au niveau du premier, et en C au niveau du chemin de ronde[99]. L’étage bas est voûté ; il est mis en communication avec la ville par le couloir a, mais n’est relié aux étages supérieurs par aucun escalier. On n’entre au premier étage que par le couloir b donnant sur le chemin de ronde de la courtine. De ce couloir on monte par un escalier à vis jusqu’au chemin de ronde crénelé de la tour, C ; puis à ce niveau on trouve le second escalier h qui monte à la lanterne accolée à la flèche. La figure 79 présente la coupe de la tour.
On remarquera que le chemin de ronde est percé de mâchicoulis. En A, est la lanterne qui recevait le feu, lequel, vers certains points de l’horizon, était masqué par la flèche. Il est vrai que la lanterne est tournée du côté de la haute mer, et que son feu illuminait la pointe de la flèche, ce qui pouvait être, pour les navigateurs, un moyen de ne point confondre ce phare avec un autre. La construction de cette tour date de la fin du XIVe siècle. La figure 80 présente son élévation du côté de l’entrée du port.
Un balcon, auquel on arrive par l’escalier à vis, est pratiqué à mi-hauteur de la flèche de pierre, et permettait de placer des guetteurs ou encore des feux supplémentaires.

Il a été reconnu, de nos jours, qu’il ne pouvait suffire de placer des phares à l’entrée des rades ou des fleuves pour indiquer les passes aux navigateurs, mais qu’il importait, avant tout, de signaler la position du littoral. « Or, ce littoral présente une série de caps diversement accentués, qui peuvent être considérés comme les sommets d’un polygone circonscrit à tous les écueils ; et l’on a placé un feu sur chacun d’eux, de manière à annoncer la terre aussi loin que le permettent la hauteur et la puissance des appareils. On a établi d’ailleurs une relation telle entre l’espacement des sommets et la portée des phares, qu’il soit impossible d’approcher de la côte sans avoir au moins un feu en vue, tant que l’atmosphère n’est pas embrumée[100]. » On comprendra que pour faire un travail de cette nature, et d’après cette méthode, il faut, avant tout, posséder des cartes côtières très-exactes. Or, la science topographique est une science toute moderne.

Les côtes, pendant le moyen âge, aussi bien que pendant la période de l’antiquité grecque et romaine, n’étaient reconnues que d’une manière incomplète, assez cependant pour que les écueils ou les promontoires aient été signalés par des tours ou de simples fourneaux dans lesquels on brûlait des matières résineuses pendant la nuit.

Si l’on parcourt les côtes de France, particulièrement en Normandie et sur la Méditerranée, il est bien rare que, dans le voisinage des phares modernes, établis sur des promontoires, on ne trouve pas les traces de constructions du moyen âge. Pendant cette période, comme pendant l’antiquité, si l’on correspondait au moyen de signaux placés sur des points élevés tant que durait le jour, la nuit les feux devenaient un moyen habituel de correspondance entre des points éloignés, ainsi que cela se pratiquait encore dans les montagnes de la Suisse et des Cévennes, avant l’établissement des télégraphes électriques. Il n’est pas besoin de dire que ces phares portaient, ou de simples grils à résine, ou des feux fixes enfermés dans des lanternes, et qu’ils ne pouvaient avoir la portée de nos appareils modernes.

L’étendue que nous avons été obligé de donner à cet article fait assez connaître de quelle importance étaient, dans l’architecture du moyen âge, les constructions à grands commandements. Ce désir ou ce besoin d’élever des tour a existé chez toutes les civilisations qui ne sont point arrivées à un développement complet. Ceux qui bâtissent tiennent à voir au loin et à être vus. La tour devient ainsi, en même temps qu’une sûreté, un moyen de surveillance et une marque honorifique.

Sous le régime féodal, les seigneurs seuls avaient le droit d’élever des tours ; les tenanciers ne pouvaient en posséder (voyez Château, Manoir).

Bien entendu, comme seigneurs féodaux, les abbés usaient de ce même droit, qui, pour les seigneurs laïques aussi bien que pour les religieux, était soumis à l’autorisation du suzerain. C’est ainsi que sous Philippe-Auguste et sous saint Louis, maint seigneur est contraint de démolir les tours qu’il fait élever sans, au préalable, avoir obtenu la sanction royale.

Les démolitions de tours ordonnées par le suzerain étaient presque toujours provoquées par les plaintes de voisins. Les abbayes notamment, et les évêques, veillaient scrupuleusement à ce qu’il ne fût pas élevé de châteaux avec tours dans leur voisinage. Leurs plaintes à ce sujet sont fréquentes, et quand les parties ne pouvaient s’accommoder, il fallait recourir à l’autorité royale. Était-elle toujours respectée ? Cela est douteux ; de là, entre seigneurs, des conflits qui, en fin de compte, finissaient par provoquer l’intervention royale au détriment de l’un des deux adversaires, quelquefois de tous les deux, et au profit du pouvoir suzerain. Le roi, d’ailleurs, en cas de guerre, de défense du territoire, avait le droit d’occuper et de faire occuper par ses troupes les châteaux, tours et donjons de ses vassaux.

Or, en dépit de ce droit, il arriva parfois que les portes des châteaux restaient closes devant leur suzerain, qui n’était pas toujours en état de les faire ouvrir par la force. Les châteaux et leurs tours formidables devinrent ainsi, pour la royauté, à mesure qu’elle s’affermissait, un souvenir d’insultes souvent demeurées impunies. Louis XI porta un premier coup à ces nids féodaux. La renaissance, plus encore par mode que par politique, en vit détruire un grand nombre. Henri IV, Richelieu et Mazarin démantelèrent les derniers.

Tel était leur nombre, cependant, sur le territoire français, que nous trouvons beaucoup de ces défenses et de ces postes encore debout.

  1. « Castra extollens altius et castella, turresque adsiduas per habiles locos et opportunos, quà Galliarum extenditur longitudo ; nonnunquam etiam ultra flumen ædificiis positis subradens barbaros fines. » (Ammien Marcellin, lib. XXVIII, cap. II.)
  2. C’est ainsi que sont construites les tours romaines de Besigheim, au confluent du Necker et de l’Enz.
  3. Voyez Essai sur le système défensif des Romains dans le pays éduen, par M. Bulliot, p. 26.
  4. Lib. I, cap. v.
  5. Voyez La fortification déduite de son histoire, par le général Tripier. Paris, 1866.
  6. Tours visigothes de Carcassonne ; tours d’Autun, de Cologne, de Dax ; tours de Rome du temps de Bélisaire.
  7. La tour dite du Four Saint-Nazaire.
  8. Voyez Hourd.
  9. Mosaïque gallo-romaine, musée de Carpentras.
  10. Voyez Hourd, fig. 1.
  11. Quant au plomb fondu, à l’huile bouillante, ce sont là des moyens de défense un peu trop dispendieux pour qu’on les puisse prendre au sérieux. D’ailleurs le plomb fondu, tombant de cette hauteur, serait arrivé en bas en gouttes froides, ce qui n’était pas très-redoutable. Ce n’était que par exception qu’on avait recours à ces moyens de défense. De simples cailloux du poids de 8 à 10 kilogrammes, tombant d’une hauteur de 20 mètres, étaient les projectiles les plus dangereux pour des hommes armés et pavaisés.
  12. Il n’est question, bien entendu, que des constructions du commencement du XIIIe siècle, dues à Enguerrand. Les courtines du château de Coucy furent encore exhaussées vers 1400 par Louis d’Orléans.
  13. Voyez, pour le système de structure de ces tours, à l’article Construction, la figure 144.
  14. Ces escaliers ont été surélevés, sous Louis d’Orléans, jusqu’au niveau des combles.
  15. Voyez Latrines, fig. 1.
  16. Donjon, Hourd, Mâchicoulis.
  17. Voyez Hourd, Porte (la porte de Laon à Coucy-le-Château).
  18. La partie supérieure du crénelage, détruite aujourd’hui, est restaurée à l’aide des gravures de du Cerceau et de Châtillon.
  19. Voyez Château.
  20. Voyez Architecture Militaire, fig. 11, et Siége, fig. 2.
  21. Tour dite de la Peyre, à la gauche de la barbacane de la porte Narbonnaise.
  22. Huit arbalétriers dans les deux étages intérieurs servaient facilement les seize meurtrières, ci 
    8 hommes
    Un servant à chaque étage 
    2
    Huit arbalétriers dans les hourds 
    8
    Deux servants pour les mâchicoulis 
    2
    Un capitaine de tour, ci 
    1
    Total 
    21 hommes
    L’enceinte extérieure de Carcassonne possède quatorze tours ; en les supposant gardées chacune en moyenne par vingt hommes, cela fait 
    280 hommes
    Vingt hommes dans chacune des trois barbacanes 
    60
    Cent hommes pour servir les courtines sur les points d’attaque 
    100
    L’enceinte intérieure comprend vingt-quatre tours, à vingt hommes par poste, en moyenne 
    480
    Pour la porte Narbonnaise 
    50
    Pour garder les courtines 
    100
    Pour la garnison du château 
    200
    Total 
    1270 hommes
    Ajoutons à ce nombre d’hommes les capitaines, un par poste ou par tour, suivant l’usage 
    50 hommes
    Nous obtenons un total de 
    1320 hommes

    Ce nombre était plus que suffisant, puisque les deux enceintes n’avaient pas à se défendre simultanément, et que les hommes de garde, dans l’enceinte intérieure, pouvaient envoyer des détachements pour défendre l’enceinte extérieure, ou que celle-ci étant tombée au pouvoir de l’ennemi, ses défenseurs se réfugiaient derrière l’enceinte inférieure. D’ailleurs l’assiégeant n’attaquait pas tous les points à la fois. Le périmètre de l’enceinte extérieure est de 1400 mètres en dedans des fossés, donc c’est environ un homme par mètre de développement qu’il fallait compter pour composer la garnison d’une ville fortifiée comme l’était la cité de Carcassonne.

  23. Voyez le plan général de la cité de Carcassonne, Architecture Militaire, fig. 11, B, et les archives des Monuments historiques.
  24. Les meurtrières du rez-de-chaussée sont hachées, ainsi que la porte qui, de cet étage, donne dans l’escalier à vis.
  25. Voyez Architecture Militaire, fig.24 bis.
  26. La plupart des ouvrages militaires des ordres du Temple et de Malte présentent des tours carrées. (Voyez Essai sur la dominat. franç. en Syrie durant le moyen âge, par E. G. Rey, 1866.)
  27. « Et… (du Guesclin) prit son chemin et son retour, et tous les seigneurs de France en sa compagnie, pour venir de rechef devant la cité d’Usson, en Auvergne, et l’assiégèrent ; et firent là le duc de Berry, le duc de Bourbon et le connétable, amener et charrier grands engins de Riom et de Clermont, et dresser devant ladite forteresse, et avec tout ce appareiller grands atournemens d’assaut. » (Froissart, Chron., cccxxix.)
  28. « Encontre Bertran a la deffense levée :
    N’i avoit sale amont qui ne fust bien semée ;
    De fiens y ot-on mis mainte grande chartée,
    Par coi pierres d’engien, qui laiens soit getée,
    Ne mefface léons une pomme pelée.
    Car Bertran ot mandé par toute la contrée
    Pluseurs engiens, qu’il fist venir en celle anée,
    De Saint-Lo en y vint, cette ville alozée ;
    Bertran les fist lever sans point de l’arrestée.
    Pardevant le chastel (de Valognes), dont je fuis devisée
    Ont dréciez .VI. engiens getans de randonnée,
    Mais en son de la tour, qui fu haulte levée,
    Il avoit une garde toute jour ajournée,
    Qui sonnoit .I. becin, quant la pierre est levée ;
    Et quant la pierre estoit au chastel assenée,
    D’une blanche touaille (serviette), qui li fut présentée,
    Aloit frolant les murs, faisait grande risée ;
    De ce avoit Bertran forment la chière irée. »

    (La Vie vaillant Bertran du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle, v. 5076 et suiv.)
  29. Voyez Architecture Militaire, fig. 41.
  30. Le cran est la poussière que produit la taille de la pierre, et que l’on recueille sur les chantiers. On s’en servait beaucoup, pendant le moyen âge, pour charger des voûtes que l’on voulait mettre à l’abri des projectiles ou des incendies.
  31. Ces tours ont été dérasées au niveau des courtines en 1814. (Voyez les grandes gravures d’Israël Sylvestre, Les plus excellens bastimens de France de du Cerceau, etc.)
  32. De notre temps nous avons vu la fortification allemande revenir aux commandements élevés, aux tours bastionnées.
  33. Voyez Engin.
  34. Le château de Vincennes, dont il existe des restes considérables que nous voyons aujourd’hui, fut commencé par le roi Jean, sur de nouveaux plans ; mais si l’on considère le style de l’architecture, il ne paraît pas que les prédécesseurs de Charles V aient élevé l’ouvrage au-dessus du sol de la place ; si même Charles V n’a pas entièrement repris l’œuvre.
  35. Ce fait est bien visible dans les ouvrages entrepris par Louis d’Orléans, au château de Coucy, de Montépilloy près de Senlis.
  36. Ces travaux ont été commencés en 1858 par ordre de l’Empereur, et en grande partie au moyen des crédits ouverts sur la cassette de Sa Majesté.
  37. Voyez Architecture Militaire, Boulevard.
  38. Tour Hector.
  39. Il a fallu vingt-sept jours à un ouvrier habile pour pratiquer un trou d’un mètre carré environ dans l’un de ces murs, au-dessus du talus, c’est-à-dire au point où la maçonnerie n’a que 4 mètres d’épaisseur.
  40. Au siège d’Orléans, plusieurs des anciennes tours de l’enceinte furent terrassées pour recevoir des pièces d’artillerie.
  41. Voyez à l’article Château, la description des défenses du château de Bonaguil (fig. 28 et 29).
  42. Voyez Siége, page 426.
  43. Voyez Boulevard.
  44. Trattato di architettura civile e militare di F.G. Martini, publié pour la première fois par les soins du chevalier César Saluzzo. Turin, 1861. Voyez l’atlas, pl. V, XXII, XXIII et suiv.
  45. À Langres, à Dijon, ancien château, XVe siècle ; à Marseille, fin du XVe siècle (front démoli du Nord) ; peut-être au château de Ham, avant la reconstruction de la plate-forme de la grosse tour, bâtie par le comte de Saint-Pol, et dont les murs ont 10 mètres d’épaisseur.
  46. On donnait le nom de moineau à un petit ouvrage saillant bas, placé au fond du fossé, le défendant et pouvant contenir des arquebusiers ou même des arbalétriers. On croyait ainsi protéger le point mort des tours circulaires. (Voyez à l’article Boulevard le grand ouvrage de Schaffhausen, les défenses circulaires qui remplissaient exactement dans le fossé d’office de moineaux.)
  47. On donne généralement, à l’invention du boulet de fonte de fer, une date trop récente. Déjà, vers 1430, l’artillerie française et allemande s’en servait. Les inventaires d’artillerie de Charles VII en font mention. Des vignettes de manuscrits de 1430 à 1440 figurent des projectiles de fer. Au musée d’artillerie il existe un canon de 1423, de bronze, provenant de Rhodes, fondu en Allemagne, qui ne pouvait servir qu’à envoyer des boulets de fonte. À la défense d’Orléans, en 1428, les artilleurs orléanais avaient des boulets de fonte.
  48. Plus tard Castriotto (1584) adopte de nouveau les tours rondes au milieu des bastions, en capitales, et au milieu des courtines. Vauban lui-même, dans sa dernière manière (1698), établit des tours bastionnées formant traverses en capitales, entre les bastions retranchés d’une façon permanente et le corps de la place, sortes de réduits qui devaient inévitablement retarder la reddition de la place, puisque la chute du bastion non-seulement n’entraînait pas celle des défenses voisines, mais exigeait des travaux considérables pour prendre la tour bastionnée formant saillant porte-flancs. Montalembert (1776) plaça également en capitales, à la gorge des bastions, des caponnières élevées en maçonnerie, à plusieurs étages, qui ne sont autre chose que des tours casematées ayant un commandement considérable sur les dehors. À la base, la caponnière de Montalembert est entourée d’une série de moineaux qui donnent en plan une suite d’angles saillants en étoile, se flanquant réciproquement, pour poster des fusiliers. Les Allemands de nos jours en sont revenus aux tours possédant un commandement sur les ouvrages. Mais en présence des effets destructifs de la nouvelle artillerie, ce système ne peut être d’une grande valeur, à moins qu’on ne puisse revêtir ces tours casematées d’une cuirasse assez forte pour résister aux projectiles. Ces tentatives répétées sans cesse depuis le moyen âge prouvent seulement que les commandements sur les dehors sont toujours considérés comme nécessaires, et que la fortification du moyen âge (eu égard aux moyens d’attaque) avait sur la nôtre un avantage.
  49. Cette tour est celle qui commande la porte Laufer.
  50. Les cinq tours sont bâties sur le même modèle.
  51. Voyez Créneau, fig. 19.
  52. Sauf ces guettes, les tours de Nuremberg sont intactes. Les guettes sont indiquées dans d’anciennes gravures (voyez Mérian, Cosmogr. univers.).
  53. De notre temps, la fumeuse tour Malakof, qui était un ouvrage à commandement élevé, fut détruite dès les premiers moments du siège, et la résistance de ce point dépendit des ouvrages de terre qui furent élevés autour de la première défense.
  54. Voyez la Monographie du château de Salces par M. le capitaine Ratheau (Paris, 1860, Tanera). Cette étude, très-bien faite, de cette ancienne place en donne l’idée la plus complète.
  55. Plans et profils des principales villes et lieux considérables de la principauté de Catalogne. Paris, 168…
  56. Monogr. du château de Salces.
  57. Voyez Architecture Militaire, fig. 11. C’est la tour marquée O sur le plan.
  58. Tour de la Peyre, fig. 13, 14, 15, 16 et 17.
  59. Cet ouvrage dépend de l’enceinte bâtie sous le règne de saint Louis.
  60. La tour du Trésau est marquée M sur ce plan. (Voyez aussi l’article Porte , fig. 18.)
  61. Ce château, qui dépendait du Valois, fut rebâti en partie par Louis d’Orléans, quand ce prince fortifia son duché pendant la maladie de Charles VI. Le château de Montépilloy, situé sur une hauteur, commandant la route de Senlis à Crespy, servit de point d’appui aux armées des partis qui manœuvrèrent dans cette contrée pendant les guerres du XVe et du XVIe siècle. Il fut démantelé après l’entrée de Henri IV à Paris.
  62. Plus tard Louis d’Orléans fit détruire une partie de cette chemise, et bâtir une courtine en F, laquelle enfermait les nouveaux ouvrages.
  63. Pour plus de clarté, nous n’avons pas présenté la passerelle avec ses piles en coupe, mais en élévation latérale.
  64. Voyez Mâchicoulis, fig. 6 et 7.
  65. Beaucoup de ces tours étaient couronnées de pinacles isolés les uns des autres.
  66. Voyez le plan du palais archiépiscopal de Narbonne à l’article Palais, fig. 11, 12 et 13.
  67. Voyez la Guyenne militaire, par M. Léo Drouyun, t. II, p. 158 et suiv.
  68. Voyez la Guyenne militaire, t. II, p. 162. M. Léo Drouyn donne, sur cette petite place, de curieux détails auxquels nous engageons nos lecteurs à recourir.
  69. Voyez la Guyenne militaire, pl. 132.
  70. Voyez Château, fig. 7.
  71. Voyez Château, fig. 24, et Donjon, fig. 41, 42, 43 et 44.
  72. Ces deux tours avaient été renversées par la mine. Leurs fragments, en quartiers énormes, gisaient sur le sol ; c’est à l’aide de ces débris que ces ouvrages ont été restaurés. Les hauteurs d’étages étaient d’ailleurs indiquées par les amorces sur les bâtiments voisins conservés.
  73. Chacune des huit tours du château de Pierrefonds portait le nom du preux dont la statue est placée sur le parement extérieur. La statue de Charlemagne remplissait la niche pratiquée au sommet du cylindre de la tour d’angle du donjon. (Voyez la Notice sur le château impérial de Pierrefonds, 4e édition.)
  74. Voyez Donjon, fig. 41, 42 et 43.
  75. Voyez l’article Construction, fig. 154 ; voyez aussi l’article Échauguette. Les deux tours extérieures du donjon de Pierrefonds possèdent chacune une guette (voyez la figure précédente).
  76. Une légende prétend qu’elle salua Charlemagne à son passage à Carcassonne ; mais Charlemagne est-il jamais passé à Carcassonne ? puis la tour n’est que du XIe siècle.
  77. Voyez Architecture Militaire, le plan du château de Carcassonne, fig. 12 (la tour de guet est en S), et figure 13, la vue perspective de ce château. Voyez aussi les Archives des monuments historiques, Gide éditeur.
  78. Cette tour est dite aujourd’hui, tour de François Ier.
  79. Voyez Dissert. archéol. sur les anciennes enceintes de Paris, par Bonnardot Parisien, 1852. Voyez les plans de Gomboust, de de Fer, de Mérian, la tapisserie de l’hôtel de ville, les gravures de Callot, d’Israël Sylvestre, les plans déposés aux Archives de l’empire, les dessins et gravures de della Bella, les dessins de Le Vau (Archiv. de l’empire). Cette tour ne fut démolie qu’au moment où l’on commença le palais des Quatre Nations (l’Institut actuel), vers 1660.
  80. D’après les documents cités plus haut.
  81. Ces remparts suivaient la direction de la rue Mazarine actuelle, qui, bâtie hors de la ville, dès le XVe siècle, s’appelait la rue des Fossés de Nesle, parce qu’elle s’élevait sur la contrescarpe de ces fossés.
  82. Voyez Architecture Militaire, fig. 78.
  83. Voyez, à l’article Pont, l’historique de la construction de cette tour et la figure 2.
  84. Voyez Essai sur la domination française en Syrie durant le moyen âge, par E. G. Rey, 1866.
  85. Il eût été facile de conserver ce précieux monument qui ne gênait pas sérieusement le tracé des voies nouvelles sur ce point de Paris. C’était un très-curieux exemple des travaux dus aux Templiers vers la fin du XIIe siècle.

    Malgré des réclamations appuyées pur les personnages les plus autorisés, la démolition de la tour Bichat fut décidée hâtivement, et c’est à peine si nous eûmes le temps de mesurer cet édifice. Quelques chapiteaux provenant de cette démolition ont été transportés au musée de Cluny ; mais ce n’était pas par sa sculpture, bien qu’elle soit belle, que cet édifice intéressait l’historien.

  86. Voyez l’excellent Itinéraire archéologique de Paris du savant auteur de tant de travaux précieux sur nos antiquités nationales. M. de Guilhermy déplorait, en 1855, comme tous ceux qui ont quelque souci de nos monuments historiques, la destruction de la tour Bichat. « La ville de Paris, disait-il, qui a fait de si généreux sacrifices pour sauver la tour Saint-Jacques la Boucherie, s’est au contraire montrée insouciante envers celle de Latran, et cependant, si la première est en jouissance d’une plus grande renommée, l’autre appartenait à une meilleure époque de l’art et se rattachait à une famille d’édifices d’un caractère plus intéressant… » Nous ajouterions que la tour de Latran était l’unique monument de ce genre en France.
  87. Voyez Temple.
  88. Itinéraire archéologique de Paris, p. 299.
  89. Voyez, à l’article Maison, le plan, fig. 34.
  90. Voyez le plan général de la cité. Cette porte est celle de Saint-Nazaire (Architecture Militaire, fig. 11, en D).
  91. La pierrière est figurée en batterie sur cette plate-forme.
  92. Voyez la Guyenne militaire, par M. Léo Drouyn, t. II, p. 255. Voyez aussi, dans le même ouvrage, la porte de Saint-Macaire, dite porte de Cadillac, laquelle est sur plan barlong et couronnée par une simple rangée de mâchicoulis.
  93. Les relevés très-complets de cet ouvrage nous ont été fournis par M. Durand, architecte à Bordeaux.
  94. Ainsi que nous l’avons expliqué à propos d’une des tours du château de Vincennes. Les portes de ce château sont percées dans des tours sur plan barlong analogues à celle représentée fig. 31 et 32.
  95. Renseignements extraits d’une note inédite de M. Alfred Ramé.
  96. C’est sur ce programme qu’est construite la porte de la baille du château de Blain dont nous venons de parler.
  97. Voyez du Cerceau, Les plus excellens bastimens de France.
  98. Voyez Salle.
  99. M. Lisch, architecte, qui a fait sur le port de la Rochelle un travail très-remarquable, a bien voulu nous permettre de reproduire ses relevés de la tour de la Lanterne.
  100. Voyez Mémoire sur l’éclairage et le balisage des côtes de France, 1864, par M. Léonce Reynaud.