PINACLE, s. m. Couronnement, finoison, comme on disait au XIVe siècle, d’un contre-fort, d’un point d’appui vertical, plus ou moins orné et se terminant en cône ou en pyramide. Dans les monuments d’une haute antiquité, on signale déjà certains amortissements d’angles de frontons et de corniches qui sont de véritables pinacles[1] : La plupart des monuments de notre période romane ont perdu presque tous ces couronnements supérieurs qui rappelaient cette tradition antique. Toutefois les ornements en forme de pomme de pin, qui terminent les lanternons de l’église de Saint-Front de Périgueux, peuvent bien passer pour de véritables pinacles. Ce n’est guère qu’au XIIe siècle que l’on commence à signaler des restes nombreux de ces sortes d’amortissements. Alors ils surmontent les angles des clochers carrés à la base des cônes ou des pyramides formant la flèche ; ils apparaissent au-dessus des contre-forts aux angles des pignons. D’abord peu développés, ou en forme d’édicules, ils prennent, dès la fin du XIIe siècle, une assez grande importance ; puis au commencement du XIIIe siècle, ils deviennent souvent de véritables monuments. Comme tous les membres de l’architecture de ce temps, les pinacles remplissent une fonction : ils sont destinés à assurer la stabilité des points d’appui verticaux par leur poids ; ils maintiennent la bascule des gargouilles et corniches supérieures ; ils arrêtent le glissement des tablettes des pignons ; ils servent d’attache aux balustrades ; mais aussi leur silhouette, toujours composée avec un art infini, contribue à donner aux édifices une élégance particulière. Quelquefois, pendant la période romane, ce sont des amortissements très-simples. Les contre-forts des XIe et XIIe siècles, dans le Beauvoisis, par exemple, sont souvent terminés, à leur extrémité supérieure, par un cône recourbé à la pointe. Ces contre-forts cylindriques présentent donc les amortissements reproduits dans les figures 1 et 2[2].


Les donjons des châteaux possédaient aussi presque toujours leurs pinacles, probablement dès une époque reculée, si l’on s’en rapporte aux vignettes des manuscrits et aux représentations gravées qui nous restent de ces édifices. Au XIIIe siècle, nous en trouvons encore quelques-uns en place ou en fragments. Quelquefois même, comme à la tour de Montbard, ils sont directement posés sur les merlons des créneaux. Au donjon de Coucy, ils étaient au nombre de quatre, élevés sur l’épais talus qui couvrait la corniche de la défense supérieure (voy. Donjon, fig. 39). Mais l’époque brillante des pinacles est celle où les architectes commencèrent à élever des arcs-boutants, afin de contre-buter les grandes voûtes des nefs de leurs églises. Il fallait nécessairement, sur les contre-forts recevant ces arcs-boutants, ajouter un poids, une pression verticale destinée à neutraliser la poussée oblique de ces arcs et permettant de diminuer d’autant la section horizontale des piliers butants (voy. Construction). Si puissant que fussent d’ailleurs ces piliers, les arcs-boutants exerçaient leur action de poussée près de leur sommet, et pouvaient, si ces sommets n’étaient pas chargés, faire glisser les dernières assises. Il fallait donc au-dessus du départ de l’arc un poids vertical, une pression. Les architectes de l’école laïque comprirent bien vite le parti qu’ils pourraient tirer de cette nécessité, au point de vue de la décoration des édifices, et ils ne tardèrent pas à imaginer les plus belles et les plus gracieuses combinaisons pour satisfaire à cette partie du programme imposé aux constructeurs. Ils surent donc composer des pinacles tantôt très-simples pour les édifices élevés à peu de frais, tantôt très-riches, mais toujours entendus, comme silhouette et comme structure, d’une façon remarquable.
Parmi les plus beaux pinacles que nous possédons dans nos édifices français du XIIIe siècle, il faut citer, en première ligne, ceux qui terminent les contre-forts de la cathédrale de Reims. Ce sont là de véritables chefs-d’œuvre de composition et d’exécution. On conçoit combien il est difficile de poser des édicules au sommet d’un monument, et de les soumettre à l’échelle adoptée pour l’ensemble, de ne point tomber dans la recherche et le mesquin. Tout en donnant à ces couronnements une extrême élégance, l’architecte de Notre-Dame de Reims a su les mettre en harmonie parfaite avec les masses énormes qui les avoisinent, et cela en les accompagnant de statues colossales qui présentent, tout le long de la nef et du chœur, une série non interrompue de grands motifs occupant le regard et faisant disparaître ce qu’il pourrait y avoir de grêle dans ces piramides à jour et dentelées.
Voici (fig. 4) un dessin perspectif de ces pinacles.
Les architectes ne pouvaient pas toujours disposer de ressources aussi considérables, ni se permettre d’élever devant les contre-forts, ou sur leur sommet, des édicules de cette importance relative. Souvent, au contraire, nous voyons qu’ils sont privés des moyens de compléter leur œuvre.

À la cathédrale de Châlons-sur-Marne, dont la construction est contemporaine de celle de Reims, l’architecte procédait avec une économie évidente. Aussi les pinacles qui terminent les contre-forts de la nef (fig. 5) sont-ils bien loin de présenter la richesse et l’abondance de composition de ceux de Notre-Dame de Reims. Ils consistent en un piramidion à section octogonale, surmontant la tête du contre-fort terminé par trois gâbles au-dessus de la gargouille recevant les eaux des combles coulant dans le caniveau A formant chaperon sur l’arc-boutant. Ici les piliers butants s’élèvent d’une venue jusqu’au niveau B ; ce pinacle n’est plus qu’un simple couronnement destiné à couvrir ce pilier et à alléger son sommet. Un programme aussi restreint étant donné, ces pinacles sont encore habilement agencés, et il est difficile de passer d’une base massive à un couronnement grêle avec plus d’adresse.

Le XIVe siècle alla plus loin encore en fait de légèreté dans la composition des pinacles. Ceux de la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Rouen sont d’une ténuité qui les fait ressembler à des objets d’orfèvrerie, et semblent plutôt être exécutés en métal qu’en pierre ; il est vrai, que la pierre choisie, celle de Vernon, se prête merveilleusement à ces délicatesses.
Comme dans tous les autres membres de l’architecture gothique, les pinacles adoptent les lignes verticales de préférence aux lignes horizontales, à mesure qu’ils s’éloignent du commencement du XIIIe siècle.

La silhouette a évidemment préoccupé les architectes auteurs de ces conceptions, et il est certain que, sauf de rares exceptions, elle est heureuse. Ces membres d’architecture se découpent presque toujours sur le ciel, et nous avons signalé dans d’autres articles (voy. Clocher, Flèche) les difficultés que présente la composition de couronnement ayant l’atmosphère pour fond. En voulant éviter la maigreur, facilement on tombe dans l’excès opposé ; le moindre défaut de proportion ou d’harmonie entre les détails et l’ensemble choque les yeux les moins exercés, détruit l’échelle, fait tache ; car le ciel est, pour les œuvres d’architecture, un fond redoutable : aussi faut-il voir avec quel soin les architectes du moyen âge ont étudié les parties de leurs édifices dont la silhouette est libre de tout voisinage, et comme les architectes de notre temps craignent d’exposer leurs œuvres en découpure sur l’atmosphère. Plusieurs ont été jusqu’à déclarer que ces hardiesses étaient de mauvais goût : c’était un moyen aisé de tourner la difficulté, et cependant neuf fois sur dix les monuments se détachent en silhouette sur le ciel, car ils s’élèvent au-dessus des constructions privées, et sont rarement en pleine lumière, surtout dans notre climat. Il faut considérer, en effet, que c’est particulièrement dans les régions situées au nord de la Loire que les pinacles prennent une grande importance et sont étudiés avec une recherche minutieuse.
Le XVIe siècle composa encore d’assez beaux pinacles, mais qu’on ne peut comparer à ceux du XVe comme hardiesse, ni comme entente de l’harmonie des détails avec l’ensemble et des proportions. Les pinacles du XVIe siècle sont habituellement mal soudés à la partie qu’ils couronnent, ils ne s’y lient pas avec cette merveilleuse adresse que nous admirons, par exemple, dans la composition de ceux du tour du chœur de Notre-Dame de Paris. Ce sont des hors-d’œuvre qui ne tiennent plus à l’architecture, des édicules plantés sur des contre-forts, sans liaison avec la bâtisse. Ils ne remplissent plus d’ailleurs leur fonction essentielle, qui est d’assurer la stabilité d’un point d’appui par un poids agissant verticalement ; ce sont des appendices décoratifs, les restes d’une tradition dont on ne saisit plus le motif.
- ↑ Voyez la médaille frappée sous le règne de Caracalla, donnant au revers le temple de Vénus à Paphos (bronze) ; celle donnant au revers les propylées du temple du Soleil, à Baalbec. Consulter l’Architectura numismatica, recueillie par Donaldson, architecte (London, 1859).
- ↑ Le pinacle de la figure 1 provient des contre-forts de la grande église de Saint-Germer (XIIe siècle). Celui de la figure 2 se retrouve dans quelques édifices du Beauvoisis de la fin du XIe siècle. Les pinacles couronnant les contre-forts cylindriques de l’église Saint-Remi de Reims étaient terminés par des pinacles analogues (XIe siècle).