Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Enceinte

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ENCEINTE, s. f. Murs en palissades entourant une ville, un bourg ou un camp. Les Gaulois, au dire de César, faisaient des enceintes de villes, de bourgades ou de camps fortifiés, au moyen de troncs d’arbres entremêlés de pierres. Les Germains les composaient de palissades de bois entre lesquelles on amassait de la terre, des branches d’arbres, de l’herbe, de façon à former une véritable muraille très-propre à résister aux efforts du bélier ; le feu même n’avait que peu de prise sur ces ouvrages, presque toujours humides. Les Romains, dans leurs camps d’hiver (camps-permanents), employaient à peu près les mêmes procédés ou se contentaient d’une levée en terre couronnée par une palissade et protégée extérieurement par un fossé. Habituellement les portes de ces camps étaient défendues par une sorte d’ouvrage avancé, clavicula, ressemblant assez aux barbacanes du moyen âge (1).


En A étaient des ponts de bois jetés sur le fossé, et, en B, la porte du camp. Ce mélange de pierre et de bois employé dans les enceintes des villes ou camps gaulois donna l’idée à quelques-unes des peuplades de ce pays d’obtenir des remparts vitrifiés, par conséquent d’une dureté et d’une cohésion complètes. Il existe, à vingt-huit kilomètres de Saint-Brieuc, une enceinte ovale composée de granit, d’argile et de troncs d’arbre, que l’on est parvenu à vitrifier en mettant le feu au bois après avoir enveloppé le retranchement de fagots.

Nous donnons (2) une coupe de cette enceinte, dite de Péran (commune de Plédran). On a commencé par faire un vallum composé de morceaux de granit entremêlés de troncs d’arbres A ; à l’extérieur, on a revêtu ce vallum d’une couche d’argile B ; le tout a dû être enveloppé d’une quantité considérable de fagots auxquels on a mis le feu ; le granit s’est vitrifié, s’est agglutiné ; l’argile a fait un corps solide adhérent à cette vitrification ; un fossé et un petit épaulement en terre C défendent à l’extérieur cette singulière enceinte. Nous ne connaissons pas d’autre exemple de ce genre de retranchement en France ; on prétend qu’il en existe en Irlande et dans le nord de l’Écosse.

Dans les premiers temps du moyen âge, beaucoup de villes en France ne possédaient que des enceintes de bois. À l’époque des invasions des Normands, on en voyait un grand nombre de ce genre auxquelles, bien entendu, les barbares mettaient le feu. On fit donc en sorte de remplacer ces défenses fragiles par des murailles en maçonnerie ; mais la force de l’habitude et la facilité avec laquelle on pouvait se procurer du bois en grande quantité firent que, pendant longtemps, beaucoup de villes du Nord ne furent encloses que de palissades de bois terrassées ou non terrassées. Alors même que l’on éleva des murailles en maçonnerie aux XIe et XIIe siècles, le bois remplit encore un rôle très-important dans ces défenses, soit pour garnir leurs couronnements, soit pour faire des enceintes extérieures en dehors des fossés, devant les portes, les ponts et à l’extérieur des faubourgs.

Pendant les guerres du XVe siècle, il est souvent question de bourgades défendues simplement par des enceintes de palissades. « Et puis vindrent à Perrepont (Pierrepont), dit Pierre de Fenin[1], et prindrent la ville, qui estoit close de palais et de fossés. » Froissard[2] parle aussi de plusieurs villes dont les enceintes ne se composaient, de son temps, que de palissades avec bretèches de bois et fossés.

Beaucoup de villes, pendant le moyen âge, étaient ouvertes, car pour les fermer il fallait en obtenir la permission du suzerain, et comme la construction de ces enceintes était habituellement à la charge des bourgeois, les populations urbaines n’étaient pas toujours assez riches pour faire une aussi grande dépense. En temps de guerre, on fermait ces villes à la hâte pour se mettre à l’abri d’un coup de main ou pour servir d’appui à un corps d’armée. « Si s’en ala à Ypre, et entra en la ville (le cuens de Bouloigne) : onques li bourgois n’i misent contredit, ains le rechurent à grant joie. Quant li cuens et si home furent dedans Ypre, moult furent boen gré as bourgois de lor boin samblant que il fait lor avoient ; ils devisèrent que il là arriesteroient, et fremeroient la ville, et là seroit lor repaires de la guerre. Moult i fisent boins fossés et riches, et boine soif à hyreçon et boines portes de fust et boins pons et boines barbacanes et boines touretes de fust entour la ville[3]. » Comme les armées romaines, les armées occidentales du moyen âge faisaient des enceintes autour de leurs camps, lorsqu’elles voulaient tenir une contrée sous leur obéissance ou posséder une base d’opérations. « Toutefoys (Gérard de Roussillon) avec ce peu de gens qu’il avoit approcha le roy et vint en Bourgongne, et choisit une place belle et emple là où estoit une montaigne sur laquelle il se arresta et la fist clore de fossez et de boulevers de boys dont ses gens eurent grant merveille[4]. » Les enceintes en bois faites en dehors des murs autour des places fortes étaient désignées, au XIIIe siècle, sous les noms de fors rolléis :

« Clos de fossés et de fors rolléis[5] » ;


de forclose :

« À la forclose li dus Begues en vint[6] » ;


et plus tard sous les noms de polis, de barrière. Les espaces libres laissés entre ces clôtures extérieures et les enceintes de maçonnerie s’appelaient les lices.

On ne considérait une enceinte de ville comme très-forte qu’autant qu’elle était double ; lorsqu’on ne pouvait construire deux murailles flanquées de tours en maçonnerie, on disposait au moins des palissades avec fossés en avant de l’enceinte maçonnée, de manière cependant que l’enceinte intérieure pût toujours commander celle extérieure, et que celle-ci ne fût distante que d’une petite portée d’arbalète. Si les enceintes extérieures étaient en maçonnerie, flanquées de tours et munies de barbacanes, ces tours et barbacanes étaient ouvertes du côté de la ville, ouvertes à la gorge, comme on dirait aujourd’hui, afin d’empêcher les assiégeants de s’y établir après s’en être emparés.

Lorsqu’on veut se rendre compte des moyens d’investissement et d’attaque des places fortes au moyen âge, on comprend parfaitement de quelle valeur étaient les enceintes extérieures ; aussi attachait-on à leur conservation une grande importance. Entre les deux enceintes, une garnison avait une entière liberté d’action, soit pour se défendre, soit pour faire entrer des secours, soit pour prendre l’offensive en tentant des sorties. Dans les lices, les troupes assiégées sentaient une protection puissante derrière eux ; elles pouvaient se porter en masses sur les points attaqués en s’appuyant aux murailles intérieures, d’où, à cause de leur relief, on dirigeait leurs efforts, on leur envoyait des secours, on protégeait leur retraite. C’était dans les lices que les assiégés plaçaient leurs grands engins de guerre pour obliger les assiégeants à faire des travaux d’approche, lents et fort difficiles à pousser sur un terrain pierreux. Si l’ennemi s’emparait d’une courtine ou d’une tour extérieure, les assiégés remparaient les lices en établissant deux traverses à droite et à gauche de l’attaque, ce qui pouvait empêcher les assiégeants de s’approcher de l’enceinte intérieure (voy. Architecture Militaire, Barbacane, Château, Porte, Siége, Tour).

Dans les villes, on trouvait souvent plusieurs enceintes contiguës. Les abbayes possédaient leurs enceintes particulières, ainsi que la plupart des cloîtres des cathédrales ; les châteaux, les palais et même certains quartiers étaient clos de murs, et leurs portes se fermaient la nuit.

  1. Mémoires. Collect. Michaud, Poujoulat. T. II, p. 614 (1422).
  2. L. II. Les villes de Gravelines, de Saint-Venant en Flandre, de Berghes, de Bourbourch, sont signalées par cet auteur comme n’étant fermées que de palis et de fossés.
  3. Hist. des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre, d’ap. deux mss. de la Bib. imp. (XIIIe siècle). Pub. par la Soc. de l’hist. de France ; 1850.
  4. Gérard de Roussillon. Édit. du commencement du XVIe siècle. Lyon. Réimp. à Lyon. Louis Perrin, 1856.
  5. Li Roman de Garin, t. I, p. 231. Édit. Techener, 1833.
  6. Ibid., t. II, p. 172.