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Discours sur la première décade de Tite-Live/Livre premier/Chapitre 44

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Livre premier
Traduction par Jean Vincent Périès.
Discours sur la première décade de Tite-Live, Texte établi par Ch. LouandreCharpentier (p. 248-249).



CHAPITRE XLIV.


Une multitude sans chef n’est d’aucune utilité, et il ne faut pas d’abord menacer, et demander ensuite l’autorité.


Après la mort de Virginie, le peuple romain s’était réuni en armes sur le Mont sacré. Le sénat lui envoya des messagers pour s’informer par quels ordres il avait abandonné ses chefs et s’était retiré en ce lieu. On avait tant de respect pour l’autorité du sénat, que le peuple, n’ayant point de chef à sa tête, n’osait répondre à cette demande. Et Tite-Live ajoute que ce n’était pas les raisons qui lui manquaient, mais quelqu’un qui osât prendre sur lui de répondre. Ce fait montre évidemment l’incapacité d’une multitude sans chef.

Virginius comprit d’où venait cette confusion, et par son ordre on créa vingt tribuns militaires, que l’on reconnu comme chefs, et qui furent chargés de répondre et de conférer avec le sénat. Le peuple alors demanda qu’on députât vers lui Horatius et Valérius, pour leur faire part de ses prétentions ; mais ces deux sénateurs ne voulurent se rendre sur le Mont sacré, que lorsque les décemvirs auraient déposé leur pouvoir ; et lorsqu’ils arrivèrent au lieu où la multitude était réunie, on leur dit que l’intention du peuple était qu’on rétablit d’abord les tribuns ; qu’on appelât devant lui de toutes les sentences des magistrats, et qu’on livrât en ses mains les décemvirs sans exception, afin qu’on pût les brûler vifs. Valérius et Horatius applaudirent aux premières demandes ; mais ils blâmèrent la dernière comme impie, en disant : Crudedelitatem damnatis, in crudelitatem ruitis. Ils conseillèrent donc au peuple de ne plus parler des décemvirs, mais de chercher à reconquérir sur eux la puissance et l’autorité, ce qui lui fournirait des moyens certains de satisfaire sa vengeance.

On voit clairement par cet exemple combien il y a d’imprudence et de folie, en demandant une chose, de dire d’abord : Je veux m’en servir contre vos intérêts. Il ne faut point ainsi manifester tout à coup son dessein, mais s’efforcer d’obtenir à tout prix ce que l’on désire. C’est ainsi qu’en demandant ses armes à un homme, on ne doit pas lui dire : Je veux m’en servir pour te tuer ; mais une fois qu’on les a en main, on peut satisfaire sans peine son désir.