Discours sur la première décade de Tite-Live/Livre premier/Chapitre 43

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Livre premier
Traduction par Jean Vincent Périès.
Discours sur la première décade de Tite-Live, Texte établi par Ch. LouandreCharpentier (p. 247-248).



CHAPITRE XLIII.


Ceux qui combattent pour leur propre gloire sont des soldats braves et fidèles.


Le sujet que nous venons de traiter montre encore la grande différence qui existe entre une armée satisfaite, qui combat pour sa propre gloire, et celle qui, déjà mal disposée, ne combat que pour servir l’ambition d’un maître. Aussi, les armées romaines, qui, sous leurs consuls, avaient toujours été victorieuses, furent toujours vaincues lorsqu’elles suivirent les décemvirs. Cet exemple peut démontrer également en partie l’inutilité des soldats mercenaires, qui n’ont d’autre lien qui les attache à vos intérêts que le faible salaire qu’ils reçoivent de vos mains. Ce motif n’est ni ne saurait être assez puissant pour les rendre fidèles et leur faire pousser l’attachement jusqu’à vouloir mourir pour vous. Les armées qui ne portent pas à celui pour lequel elles combattent une affection capable de lui donner un partisan dans chaque soldat, n’ont point assez de courage pour résister à un ennemi qui montrerait la moindre valeur. Et comme cet attachement et cette émulation ne peuvent exister que dans des sujets, il faut, lorsqu’on veut gouverner et maintenir un État, soit républicain, soit monarchique, armer ses peuples, ainsi que l’ont fait tous ceux dont les armées ont exécuté de grandes conquêtes.

Les Romains, sous les décemvirs, avaient bien le même courage ; mais comme leurs sentiments n’étaient plus les mêmes, leurs succès étaient également bien différents. Aussi, après l’abolition du décemvirat, à peine eurent-ils recommencé à combattre sous l’influence de la liberté, qu’ils déployèrent leur ancienne valeur, et par conséquent leurs entreprises furent couronnées du succès, selon leur ancienne coutume.