Durée et simultanéité/CHAPITRE IV

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Alcan (p. 91-165).

CHAPITRE IV

De la pluralité des Temps


Les Temps multiples et ralentis de la théorie de la Relativité : comment ils sont compatibles avec un Temps unique et universel. — La simultanéité « savante », dislocable en succession : comment elle est compatible avec la simultanéité « intuitive » et naturelle. — Examen des paradoxes relatifs au temps. L’hypothèse du voyageur enfermé dans un boulet. Le schéma de Minkowski. — Confusion qui est à l’origine de tous les paradoxes.

Arrivons donc enfin au Temps d’Einstein, et reprenons tout ce que nous avions dit en supposant d’abord un éther immobile. Voici la Terre en mouvement sur son orbite. Le dispositif Michelson-Morley est là. On fait l’expérience ; on la recommence à diverses époques de L’année et par conséquent pour des vitesses variables de notre planète. Toujours le rayon de lumière se comporte comme si la Terre était immobile. Tel est le fait. Où est l’explication ?

Mais d’abord, que parle-t-on des vitesses de notre planète ? La Terre serait-elle donc, absolument parlant, en mouvement à travers l’espace ? Évidemment non ; nous sommes dans l’hypothèse de la Relativité et il n’y a plus de mouvement absolu. Quand vous parlez de l’orbite décrite par la Terre, vous vous placez à un point de vue arbitrairement choisi, celui des habitants du Soleil (d’un Soleil devenu habitable). Il vous plaît d’adopter ce système de référence. Mais pourquoi le rayon de lumière lancé contre les miroirs de l’appareil Michelson-Morley tiendrait-il compte de votre fantaisie ? Si tout ce qui se produit effectivement est le déplacement réciproque de la Terre et du Soleil, nous pouvons prendre pour système de référence le Soleil ou la Terre ou n’importe quel autre observatoire. Choisissons la Terre. Le problème s’évanouit pour elle. Il n’y a plus à se demander pourquoi les franges d’interférence conservent le même aspect, pourquoi le même résultat s’observe à n’importe quel moment de l’année. C’est tout bonnement que la Terre est immobile.

Il est vrai que le problème reparaît alors à nos yeux pour les habitants du Soleil, par exemple. Je dis « à nos yeux », car pour un physicien solaire la question ne concernera plus le Soleil : c’est maintenant la Terre qui se meut. Bref, chacun des deux physiciens posera encore le problème pour le système qui n’est pas le sien.

Chacun d’eux va donc se trouver par rapport à l’autre dans la situation où Pierre était tout à l’heure vis-à-vis de Paul. Pierre stationnait dans l’éther immobile ; il habitait un système privilégié . Il voyait Paul, entraîné dans le mouvement du système mobile , faire la même expérience que lui et trouver la même vitesse que lui à la lumière, alors que cette vitesse eût dû être diminuée de celle du système mobile. Le fait s’expliquait par le ralentissement du temps, les contractions de longueur et les ruptures de simultanéité que le mouvement provoquait dans . Maintenant, plus de mouvement absolu, et par conséquent plus de repos absolu : des deux systèmes, qui sont en état de déplacement réciproque, chacun sera immobilisé tour à tour par le décret qui l’érigera en système de référence. Mais, pendant tout le temps qu’on maintiendra cette convention, on pourra répéter du système immobilisé ce qu’on disait tout à l’heure du système réellement stationnaire, et du système mobilisé ce qui s’appliquait au système mobile traversant réellement l’éther. Pour fixer les idées, appelons encore et les deux systèmes qui se déplacent l’un par rapport à l’autre. Et, pour simplifier les choses, supposons l’univers entier réduit à ces deux systèmes. Si est le système de référence, le physicien placé en , considérant que son confrère en trouve la même vitesse que lui à la lumière, interprétera le résultat comme nous le faisions plus haut. Il dira : « Le système se déplace avec une vitesse par rapport à moi, immobile. Or, l’expérience Michelson-Morley donne là-bas le même résultat qu’ici. C’est donc que, par suite du mouvement, une contraction se produit dans le sens du déplacement du système ; une longueur devient . A cette contraction des longueurs, est d’ailleurs liée une dilatation du temps : là où une horloge de compte un nombre de secondes , il s’en est réellement écoulé . Enfin, lorsque les horloges de , échelonnées le long de la direction de son mouvement et séparées les unes des autres par des distances , indiquent la même heure, je vois que les signaux allant et venant entre deux horloges consécutives ne font pas le même trajet à l’aller et au retour, comme le croirait un physicien intérieur au système et ignorant de son mouvement : là où ces horloges marquent pour lui une simultanéité, elles indiquent en réalité des moments successifs séparés par secondes de ses horloges, et par conséquent par secondes des miennes. » Tel serait le raisonnement du physicien en . Et, construisant une représentation mathématique intégrale de l’univers, il n’utiliserait les mesures d’espace et de temps prises par son confrère du système qu’après leur avoir fait subir la transformation de Lorentz.

Mais le physicien du système procéderait exactement de même. Se décrétant immobile, il répéterait de tout ce que son confrère placé en aurait dit de . Dans la représentation mathématique qu’il construirait de l’univers, il tiendrait pour exactes et définitives les mesures qu’il aurait prises lui-même à l’intérieur de son système, mais il corrigerait selon les formules de Lorentz toutes celles qui auraient été prises par le physicien attaché au système .

Ainsi seraient obtenues deux représentations mathématiques de l’univers, totalement différentes l’une de l’autre si l’on considère les nombres qui y figurent, identiques si l’on tient compte des relations qu’elles indiquent par eux entre les phénomènes, — relations que nous appelons les lois de la nature. Cette différence est d’ailleurs la condition même de cette identité. Quand on prend diverses photographies d’un objet en tournant autour de lui, la variabilité des détails ne fait que traduire l’invariabilité des relations que les détails ont entre eux, c’est-à-dire la permanence de l’objet.

Nous voici alors ramenés à des Temps multiples, à des simultanéités qui seraient des successions et à des successions qui seraient des simultanéités, à des longueurs qu’il faudrait compter différemment selon qu’elles sont censées en repos ou en mouvement. Mais cette fois nous sommes devant la forme définitive de la théorie de la Relativité. Nous devons nous demander dans quel sens les mots sont pris.

Considérons d’abord la pluralité des Temps, et reprenons nos deux systèmes et . Le physicien placé en S adopte son système comme système de référence. Voilà donc en repos et en mouvement. A l’intérieur de son système, censé immobile, notre physicien institue l’expérience Michelson-Morley. Pour l’objet restreint que nous poursuivons en ce moment, il sera utile de couper l’expérience en deux et de n’en retenir, si l’on peut s’exprimer ainsi, qu’une moitié. Nous supposerons donc que le physicien s’occupe uniquement du trajet de la lumière dans la direction perpendiculaire à celle du mouvement réciproque des deux systèmes. Sur une horloge placée au point , il lit le temps qu’a mis le rayon à aller de en et à revenir de en . De quel temps s’agit-il ?

Évidemment d’un temps réel, au sens que nous donnions plus haut à cette expression. Entre le départ et le retour du rayon la conscience du physicien a vécu une certaine durée : le mouvement des aiguilles de l’horloge est un flux contemporain de ce flux intérieur et qui sert à le mesurer. Aucun doute, aucune difficulté. Un temps vécu et compté par une conscience est réel par définition.

Regardons alors un second physicien placé en . Il se juge immobile, ayant coutume de prendre son propre système pour système de référence. Le voici qui fait l’expérience Michelson-Morley ou plutôt, lui aussi, la moitié de l’expérience. Sur une horloge placée en il note le temps que met le rayon de lumière à aller de à et à en revenir. Quel est donc ce temps qu’il compte ? Évidemment le temps qu’il vit. Le mouvement de son horloge est contemporain du flux de sa conscience. C’est encore un temps réel par définition.

Ainsi, le temps vécu et compté par le premier physicien dans son système, et le temps vécu et compté par le second dans le sien, sont l’un et l’autre des temps réels.

Sont-ils, l’un et l’autre, un seul et même Temps ? Sont-ce des Temps différents ? Nous allons démontrer qu’il s’agit du même Temps dans les deux cas.

En effet, dans quelque sens qu’on entende les ralentissements ou accélérations de temps et par conséquent les Temps multiples dont il est question dans la théorie de la Relativité, un point est certain : ces ralentissements et ces accélérations tiennent uniquement aux mouvements des systèmes que l’on considère et ne dépendent que de la vitesse donc on suppose chaque système animé. Nous ne changerons donc rien à n’importe quel Temps, réel ou fictif, du système si nous supposons que ce système est un duplicata du système , car le contenu du système, la nature des événements qui s’y déroulent, n’entre pas en ligne de compte : seule importe la vitesse de translation du système. Mais si est un double de , il est évident que le Temps vécu et noté par le second physicien pendant son expérience dans le système , jugé par lui immobile, est identique au Temps vécu et noté par le premier dans le système également censé immobile, puisque et , une fois immobilises, sont interchangeables. Donc, le Temps vécu et compté dans le système, le Temps intérieur et immanent au système, le Temps réel enfin, est le même pour et pour .

Mais alors, que sont les Temps multiples, à vitesses d’écoulement inégales, que la théorie de la Relativité trouve aux divers systèmes selon la vitesse dont ces systèmes sont animés ?

Revenons à nos deux systèmes et . Si nous considérons le Temps que le physicien Pierre, situé en , attribue au système , nous voyous que ce Temps est en effet plus lent que le Temps compté par Pierre dans son propre système. Ce temps-là n’est donc pas vécu par Pierre. Mais nous savons qu’il ne l’est pas non plus par Paul. Il ne l’est donc ni par Pierre ni par Paul. A plus forte raison ne l’est-il pas par d’autres. Mais ce n’est pas assez dire. Si le Temps attribué par Pierre au système de Paul n’est vécu ni par Pierre ni par Paul ni par qui que ce soit, est-il du moins conçu par Pierre comme vécu ou pouvant être vécu par Paul, ou plus généralement par quelqu’un, ou plus généralement encore par quelque chose ? A y regarder de près, on verra qu’il n’en est rien. Sans doute Pierre colle sur ce Temps une étiquette au nom de Paul ; mais s’il se représentait Paul conscient, vivant sa propre durée et la mesurant, par là même il verrait Paul prendre son propre système pour système de référence, et se placer alors dans ce Temps unique, intérieur à chaque système, dont nous venons déparier : par là même aussi, d’ailleurs, Pierre ferait provisoirement abandon de son système de référence, et par conséquent de son existence comme physicien, et par conséquent aussi de sa conscience ; Pierre ne se verrait plus lui-même que comme une vision de Paul. Mais quand Pierre attribue au système de Paul un Temps ralenti, il n’envisage plus dans Paul un physicien, ni même un être conscient, ni même un être : il vide de son intérieur conscient et vivant l’image visuelle de Paul, ne retenant du personnage que son enveloppe extérieure (elle seule en effet intéresse la physique) : alors, les nombres par lesquels Paul eût noté les intervalles de temps de son système s’il eût été conscient, Pierre les multiplie par pour les l’aire entrer dans une représentation mathématique de l’univers prise de son point de vue à lui, et non plus de celui de Paul. Ainsi, en résumé, tandis que le temps attribué par Pierre à son propre système est le temps par lui vécu, le temps que Pierre attribue au système de Paul n’est ni le temps vécu par Pierre, ni le temps vécu par Paul, ni un temps que Pierre conçoive comme vécu ou pouvant être vécu par Paul vivant et conscient. Qu’est-il donc, sinon une simple expression mathématique destinée à marquer que ; c’est le système de Pierre, et non pas le système de Paul, qui est pris pour système de référence ?

Je suis peintre, et j’ai à représenter deux personnages, Jean et Jacques, dont l’un est à mes côtés, tandis que l’autre est à deux ou trois cents mètres de moi. Je dessinerai le premier en grandeur naturelle, et je réduirai l’autre à la dimension d’un nain. Tel de mes confrères, qui sera près de Jacques et qui voudra également peindre les deux, fera l’inverse de ce que je fais ; il montrera Jean très petit et Jacques en grandeur naturelle. Nous aurons d’ailleurs raison l’un et l’autre. Mais, de ce que nous avons tous deux raison, a-t-on le droit de conclure que Jean et Jacques n’ont ni la taille normale ni celle d’un nain, ou qu’ils ont l’une et l’autre à la fois, ou que c’est comme on voudra ? Évidemment non. Taille et dimension sont des termes qui ont un sens précis quand il s’agit d’un modèle qui pose : c’est ce que nous percevons de la hauteur et de la largeur d’un personnage quand nous sommes à côté de lui, quand nous pouvons le toucher et porter le long de son corps une règle destinée à la mesure. Étant près de Jean, le mesurant si je veux et me proposant de le peindre en grandeur naturelle, je lui donne sa dimension réelle ; et, en représentant Jacques comme un nain, j’exprime simplement l’impossibilité où je suis de le toucher, — même, s’il est permis de parler ainsi, le degré de cette impossibilité : le degré d’impossibilité est justement ce qu’on appelle distance, et c’est de la distance que tient compte la perspective. De même, à l’intérieur du système où je suis, et que j’immobilise par la pensée en le prenant pour système de référence, je mesure directement un temps qui est le mien et celui de mon système ; c’est cette mesure que j’inscris dans ma représentation de l’univers pour tout ce qui concerne mon système. Mais, en immobilisant mon système, j’ai mobilisé les autres, et je les ai mobilisés diversement. Ils ont acquis des vitesses différentes. Plus leur vitesse est grande, plus elle est éloignée de mon immobilité. C’est cette plus ou moins grande distance de leur vitesse à ma vitesse nulle que j’exprime dans ma représentation mathématique des autres systèmes quand je leur compte des Temps plus ou moins lents, d’ailleurs tous plus lents que le mien, de même que c’est la plus ou moins grande distance entre Jacques et moi que j’exprime en réduisant plus ou moins sa taille. La multiplicité des Temps que j’obtiens ainsi n’empêche pas l’unité du temps réel ; elle la présupposerait plutôt, de même que la diminution de la taille avec la distance, sur une série de toiles où je représenterais Jacques plus ou moins éloigné, indiquerait que Jacques conserve la même grandeur.

Ainsi s’efface la forme paradoxale qui a été donnée à la théorie de la pluralité des Temps. « Supposez, a-t-on dit, un voyageur enfermé dans un projectile qui serait lancé de Terre avec une vitesse inférieure d’un vingt millième environ à celle de la lumière, qui rencontrerait une étoile et qui serait renvoyé à la Terre avec la même vitesse. Ayant vieilli de deux ans par exemple quand il sortira de son projectile, il trouvera que c’est de deux cents ans qu’a vieilli notre globe. » — En est-on bien sûr ? Regardons de plus près. Nous allons voir s’évanouir l’effet de mirage, car ce n’est pas autre chose.

Le boulet est parti d’un canon attaché à la Terre immobile. Appelons Pierre le personnage qui reste près du canon, la Terre étant alors notre système . Le voyageur enfermé dans le boulet devient ainsi notre personnage Paul. On s’est placé, disions-nous, dans l’hypothèse où Paul reviendrait après deux cents ans vécus par Pierre. On a donc considéré Pierre vivant et conscient : ce sont bien deux cents ans de son flux intérieur qui se sont écoulés pour Pierre entre le départ et le retour de Paul.

Passons alors à Paul. Nous voulons savoir combien de temps il a vécu. C’est donc à Paul vivant et conscient que nous devons nous adresser, et non pas à l’image de Paul représentée dans la conscience de Pierre. Mais Paul vivant et conscient prend évidemment pour système de référence son boulet : par là même il l’immobilise. Du moment que nous nous adressons à Paul, nous sommes avec lui, nous adoptons son point de vue. Mais alors, voilà le boulet arrêté : c’est le canon, avec la Terre y attachée, qui fuit à travers l’espace. Tout ce que nous disions de Pierre, il faut maintenant que nous le répétions de Paul : le mouvement étant réciproque, les deux personnages sont interchangeables. Si, tout à l’heure, regardant à l’intérieur de la conscience de Pierre, nous assistions à un certain flux, c’est exactement le même flux que nous allons constater dans la conscience de Paul. Si nous disions que le premier flux était de deux cents ans, c’est de deux cents ans que sera l’autre flux. Pierre et Paul, la Terre et le boulet, auront vécu la même durée et vieilli pareillement.

Où sont donc les deux années de temps ralenti qui devaient paresser mollement pour le boulet tandis que deux cents ans auraient à courir sur la Terre ? Notre analyse les aurait-elle volatilisées ? Que non pas ! nous allons les retrouver. Mais nous n’y pourrons plus rien loger, ni des êtres ni des choses ; et il faudra chercher un autre moyen de ne pas vieillir.

Nos deux personnages nous sont apparus en effet comme vivant en seul et même temps, deux cents ans, parce que nous nous placions et au point de vue de l’un et au point de vue de l’autre. Il le fallait, pour interpréter philosophiquement la thèse d’Einstein, qui est celle de la relativité radicale et par conséquent de la réciprocité parfaite du mouvement rectiligne et uniforme[1]. Mais cette manière de procéder est propre au philosophe qui prend la thèse d’Einstein dans son intégralité et qui s’attache à la réalité — je veux dire à la chose perçue ou perceptible — que cette thèse évidemment exprime. Elle implique qu’à aucun moment on ne perdra de vue l’idée de réciprocité et que par conséquent on ira sans cesse de Pierre à Paul et de Paul à Pierre, les tenant pour interchangeables, les immobilisant tour à tour, ne L s immobilisant d’ailleurs que pour un instant, grâce à une oscillation rapide de l’attention qui ne veut rien sacrifier de la thèse de la Relativité. Mais le physicien est bien obligé de procéder autrement, même s’il adhère sans réserve à la théorie d’Einstein. Il commencera, sans doute, par se mettre en règle avec elle. Il affirmera la réciprocité. Il posera qu’on a le choix entre le point de vue de Pierre et celui de Paul. Mais, cela dit, il choisira l’un des deux, car il ne peut pas rapporter les événements de l’univers, en même temps, à deux systèmes d’axes différents. S’il se met par la pensée à la place de Pierre, il comptera à Pierre le temps que Pierre se compte à lui-même, c’est-à-dire le temps réellement vécu par Pierre, et à Paul le temps que Pierre lui prête. S’il est avec Paul, il comptera à Paul le temps que Paul se compte, c’est-à-dire le temps que Paul vit effectivement, et à Pierre le temps que Paul lui attribue. Mais, encore une fois, il optera nécessairement pour Pierre ou pour Paul. Supposons qu’il choisisse Pierre. C’est bien alors deux ans, et deux ans seulement, qu’il devra comptera Paul.

En effet, Pierre et Paul ont affaire à la même physique. Ils observent les mêmes relations entre phénomènes, ils trouvent à la nature les mêmes lois. Mais le système de Pierre est immobile et celui de Paul en mouvement. Tant qu’il s’agit de phénomènes attachés en quelque sorte au système, c’est-à-dire définis par la physique de telle manière que le système soit censé les entraîner quand il est censé se mouvoir, les lois de ces phénomènes doivent évidemment être les mêmes pour Pierre et pour Paul : les phénomènes en mouvement, étant perçus par Paul qui est animé du même mouvement qu’eux, sont immobiles à ses yeux et lui apparaissent exactement comme apparaissent à Pierre les phénomènes analogues de son propre système. Mais les phénomènes électro-magnétiques se présentent de telle manière qu’on ne peut plus, quand le système où ils se produisent est censé se mouvoir, les considérer comme participant au mouvement du système. Et cependant les relations de ces phénomènes entre eux, leurs relations avec les phénomènes entraînés dans le mouvement du système, sont encore pour Paul ce qu’elles sont pour Pierre. Si la vitesse du boulet est bien celle que nous avons supposée, Pierre ne peut exprimer cette persistance des relations qu’en attribuant à Paul un Temps cent fois plus lent que le sien, comme on le voit d’après les équations de Lorentz. S’il comptait autrement, il n’inscrirait pas dans sa représentation mathématique du monde que Paul en mouvement trouve entre tous les phénomènes, — y compris les phénomènes électro-magnétiques, — les mêmes relations que Pierre en repos. Il pose bien ainsi, implicitement, que Paul référé pourrait devenir Paul référant, car pourquoi les relations se conservent-elles pour Paul, pourquoi doivent-elles être marquées par Pierre à Paul telles qu’elles apparaissent à Pierre, sinon parce que Paul se décréterait immobile du même droit que Pierre ? Mais c’est une simple conséquence de cette réciprocité qu’il note ainsi, et non pas la réciprocité même. Encore une fois, il s’est fait lui-même référant, et Paul n’est que référé. Dans ces conditions, le Temps de Paul est cent fois plus lent que celui de Pierre. Mais c’est du temps attribué, ce n’est pas du temps vécu. Le temps vécu par Paul serait le temps de Paul référant et non plus référé : ce serait exactement le temps que vient de se trouver Pierre.

Nous revenons donc toujours au même point : il y a un seul Temps réel, et les autres sont fictifs. Qu’est-ce en effet qu’un Temps réel, sinon un Temps vécu ou qui pourrait l’être ? Qu’est-ce qu’un Temps irréel, auxiliaire, fictif, sinon celui qui ne saurait être vécu effectivement par rien ni par personne ?

Mais on voit l’origine de la confusion. Nous la formulerions ainsi : l’hypothèse de la réciprocité ne peut se traduire mathématiquement que dans celle de la non-réciprocité, car traduire mathématiquement la liberté de choisir entre deux systèmes d’axes consiste à choisir effectivement l’un d’eux[2]. La faculté qu’on avait de choisir ne peut pas se lire dans le choix qu’on a fait en vertu d’elle. Un système d’axes, par cela seul qu’il est adopté, devient un système privilégié. Dans l’usage mathématique qu’on en fait, il est indiscernable d’un système absolument immobile. Voilà pourquoi relativité unilatérale et relativité bilatérale s’équivalent mathématiquement, au moins dans le cas qui nous occupe. La différence n’existe ici que pour le philosophe ; elle ne se révèle que si l’on se demande quelle réalité, c’est-à-dire quelle chose perçue ou perceptible, les deux hypothèses impliquent. La plus ancienne, celle du système privilégié en état de repos absolu, aboutirait bien à poser des Temps multiples et réels. Pierre, réellement immobile, vivrait une certaine durée ; Paul, réellement en mouvement, vivrait une durée plus lente. Mais l’autre, celle de la réciprocité, implique que la durée plus lente doit être attribuée par Pierre à Paul ou par Paul à Pierre, selon que Pierre ou Paul est référant, selon que Paul ou Pierre est référé. Leurs situations sont identiques ; ils vivent un seul et même Temps, mais ils s’attribuent réciproquement un Temps différent de celui-là et ils expriment ainsi, selon les règles de la perspective, que la physique d’un observateur imaginaire en mouvement doit être la même que celle d’un observateur réel en repos. Donc, dans l’hypothèse de la réciprocité, on a au moins autant de raison que le sens commun de croire à un Temps unique : l’idée paradoxale de Temps multiples ne s’impose que dans l’hypothèse du système privilégié. Mais, encore une fois, on ne peut s’exprimer mathématiquement que dans l’hypothèse d’un système privilégié, même quand on a commencé par poser la réciprocité ; et le physicien, se sentant quitte envers l’hypothèse de la réciprocité une fois qu’il lui a rendu hommage en choisissant comme il le voulait son système de référence, l’abandonne au philosophe et s’exprimera désormais dans la langue du système privilégié. Sur la foi de cette physique, Paul entrera dans le boulet. Il s’apercevra en route que la philosophie avait raison[3].

Ce qui a contribué à entretenir l’illusion, c’est que la théorie de la Relativité restreinte déclare précisément chercher pour les choses une représentation indépendante du système de référence[4]. Elle semble donc interdire au physicien de se placer à un point de vue déterminé. Mais il y a ici une importante distinction à faire. Sans doute le théoricien de la Relativité entend donner aux lois de la nature une expression qui conserve sa forme, à quelque système de référence qu’on rapporte les événements. Mais cela veut simplement dire que, se plaçant à un point de vue déterminé comme tout physicien, adoptant nécessairement un système de référence déterminé et notant ainsi des grandeurs déterminées, il établira entre ces grandeurs des relations qui devront se conserver, invariantes, entre les grandeurs nouvelles qu’on trouvera si l’on adopte un nouveau système de référence. C’est justement parce que sa méthode de recherche et ses procédés de notation l’assurent d’une équivalence entre toutes les représentations de l’univers prises de tous les points de vue qu’il a le droit absolu (mal assuré à l’ancienne physique) de s’en tenir à son point de vue personnel et de tout rapporter à son unique système de référence. Mais à ce système de référence il est bien obligé de s’attacher généralement[5]. A ce système devra donc s’attacher aussi le philosophe quand il voudra distinguer le réel du fictif. Est réel ce qui est mesuré par le physicien réel, fictif ce qui est représenté dans la pensée du physicien réel comme mesuré par des physiciens fictifs. Mais nous reviendrons sur ce point dans le courant de notre travail. Pour le moment, indiquons une autre source d’illusion, moins apparente encore que la première.

Le physicien Pierre admet naturellement (ce n’est qu’une croyance, car on ne saurait le prouver) qu’il y a d’autres consciences que la sienne, répandues sur la surface de la Terre, concevables même en n’importe quel point de l’univers. Paul, Jean et Jacques auront donc beau être en mouvement par rapport à lui : il verra en eux des esprits qui pensent et sentent à sa manière. C’est qu’il est homme avant d’être physicien. Mais quand il tient Paul, Jean et Jacques pour des êtres semblables à lui, pourvus d’une conscience comme la sienne, il oublie réellement sa physique ou profite de l’autorisation qu’elle lui laisse de parler dans la vie courante comme le commun des mortels. En tant que physicien, il est intérieur au système où il prend ses mesures et auquel il rapporte toutes choses. Physiciens encore comme lui, et par conséquent conscients comme lui, seront à la rigueur des hommes attachés au même système : ils construisent en effet, avec les mêmes nombres, la même représentation du monde prise du même point de vue ; ils sont, eux aussi, référants. Mais les autres hommes ne seront plus que référés ; ils ne pourront maintenant être, pour le physicien, que des marionnettes vides. Que si Pierre leur concédait une âme, il perdrait aussitôt la sienne ; de référés ils seraient devenus référants ; ils seraient physiciens, et Pierre aurait à se faire marionnette à son tour. Ce va-et-vient de conscience ne commence d’ailleurs évidemment que lorsqu’on s’occupe de physique, car il faut bien alors choisir un système de référence. Hors de là, les hommes restent ce qu’ils sont, conscients les uns comme les autres. Il n’y a aucune raison pour qu’ils ne vivent plus alors la même durée et n’évoluent pas dans le même Temps. La pluralité des Temps se dessine au moment précis où il n’y a plus qu’un seul homme ou un seul groupe à vivre du temps. Ce Temps-là devient alors seul réel : c’est le Temps réel de tout à l’heure, mais accaparé par l’homme ou le groupe qui s’est érigé en physicien. Tous les autres hommes, devenus fantoches à partir de ce moment, évoluent désormais dans des Temps que le physicien se représente et qui ne sauraient plus être du Temps réel, n’étant pas vécus et ne pouvant pas l’être. Imaginaires, on en imaginera naturellement autant qu’on voudra.

Ce que nous allons ajouter maintenant semblera paradoxal, et pourtant c’est la simple vérité. L’idée d’un Temps réel commun aux deux systèmes, identique pour S et pour S’, s’impose dans l’hypothèse de la pluralité des Temps mathématiques avec plus de force que dans l’hypothèse communément admise d’un Temps mathématique un et universel. Car, dans toute hypothèse autre que celle de la Relativité, et ne sont pas strictement interchangeables : ils occupent des situations différentes par rapport à quelque système privilégié ; et, même si l’on a commencé parfaire de l’un le duplicata de l’autre, on les voit aussitôt se différencier l’un de l’autre par le seul fait de ne pas entretenir la même relation avec le système central. On a beau alors leur attribuer le même Temps mathématique, comme on l’avait toujours fait jusqu’à Lorentz et Einstein, il est impossible de démontrer strictement que les observateurs placés respectivement dans ces deux systèmes vivent la même durée intérieure et que par conséquent les deux systèmes aient le même Temps réel ; il est même très difficile alors de définir avec précision cette identité de durée ; tout ce qu’on peut dire est qu’on ne voit aucune raison pour qu’un observateur se transportant de l’un à l’autre système ne réagisse pas psychologiquement de la même i minière, ne vive pas la même durée intérieure, pour des portions supposées égales d’un même Temps mathématique universel. Argumentation sensée, à laquelle on n’a rien opposé de décisif, mais qui manque de rigueur et de précision. Au contraire, l’hypothèse de la Relativité consiste essentiellement à rejeter le système privilégié : et doivent donc être tenus, pendant qu’on les considère, pour strictement interchangeables si l’on a commencé par faire de l’un le duplicata de l’autre. Mais alors les deux personnages en et peuvent être amenés par notre pensée à coïncider ensemble, comme deux figures égales qu’on superposerait : ils devront coïncider, non seulement quant aux divers modes de la quantité, mais encore, si je puis m’exprimer ainsi, quant à la qualité, car leurs vies intérieures sont devenues indiscernables, tout comme ce qui se prête en eux à la mesure : les deux systèmes demeurent constamment ce qu’ils étaient au moment où on les a posés, des duplicata l’un de l’autre, alors qu’en dehors de l’hypothèse de la Relativité ils ne l’étaient plus tout à fait le moment d’après, quand on les abandonnait à leur sort. Mais nous n’insisterons pas sur ce point. Disons simplement que les deux observateurs en et en vivent exactement la même durée, et que les deux systèmes ont ainsi le même Temps réel.

En est-il ainsi encore de tous les systèmes de l’univers ? Nous avons attribué à une vitesse quelconque : de tout système nous pourrons donc répéter ce que nous avons dit de  ; l’observateur qu’on y attachera y vivra la même durée qu’en . Tout au plus nous objectera-t-on que le déplacement réciproque de et de n’est pas le même que celui de et de , et que par conséquent, lorsque nous immobilisons en système de référence dans le premier cas, nous ne faisons pas absolument la même chose que dans le second. La durée de l’observateur en immobile, quand est le système qu’on réfère à , ne serait donc pas nécessairement la même que celle de ce même observateur, quand le système référé à est  ; il y aurait, en quelque sorte, des intensités d’immobilité différentes, selon qu’aurait été plus ou moins grande la vitesse de déplacement réciproque des deux systèmes avant que l’un d’eux, érigé tout à coup en système de référence, fût immobilisé par l’esprit. Nous ne pensons pas que personne veuille aller aussi loin. Mais, même alors, on se placerait tout bonnement dans l’hypothèse qu’on fait d’ordinaire lorsqu’on promène un observateur imaginaire à travers le monde et qu’on se juge en droit de lui attribuer partout la même durée. On entend par là qu’on n’aperçoit aucune raison de croire le contraire : quand les apparences sont d’un certain côté, c’est à celui qui les déclare illusoires de prouver son dire. Or l’idée de poser une pluralité de Temps mathématiques n’était jamais venue à l’esprit avant la théorie de la Relativité ; c’est donc uniquement a celle-ci qu’on se référerait pour mettre en doute l’unité du Temps. Et nous venons de voir que dans le cas, seul tout à fait précis et clair, de deux systèmes et se déplaçant par rapport l’un à l’autre, la théorie de la Relativité aboutirait à affirmer plus rigoureusement qu’on ne le fait d’ordinaire l’unité du Temps réel. Elle permet de définir et presque de démontrer l’identité, au lieu de s’en tenir à l’assertion vague et simplement plausible dont on se contente généralement. Concluons de toute manière, en ce qui concerne l’universalité du Temps réel, que la théorie de la Relativité n’ébranle pas l’idée admise et tendrait plutôt à la consolider.

Passons alors au second point, la dislocation des simultanéités. Mais rappelons d’abord en deux mots ce que nous disions de la simultanéité intuitive, celle qu’on pourrait appeler réelle et vécue. Einstein l’admet nécessairement, puisque c’est par elle qu’il note l’heure d’un événement. On peut donner de la simultanéité les définitions les plus savantes, dire que c’est une identité entre les indications d’horloges réglées les unes sur les autres par un échange de signaux optiques, conclure de là que la simultanéité est relative au procédé de réglage. Il n’en est pas moins vrai que, si l’on compare des horloges, c’est pour déterminer l’heure des événements : or, la simultanéité d’un événement avec l’indication de l’horloge qui en donne l’heure ne dépend d’aucun réglage des événement sur les horloges ; elle est absolue[6]. Si elle n’existait pas, si la simultanéité n’était que correspondance Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/135 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/136 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/137 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/138 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/139 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/140 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/141 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/142 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/143 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/144 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/145 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/146 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/147 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/148 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/149 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/150 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/151 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/152 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/153 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/154 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/155 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/156 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/157 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/158 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/159 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/160 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/161 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/162 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/163 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/164 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/165 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/166 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/167 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/168 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/169 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/170 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/171 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/172 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/173 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/174 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/175 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/176 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/177 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/178 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/179 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/180 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/181 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/182 Page:Bergson - Durée et simultanéité.djvu/183

  1. Le mouvement du boulet peut être considéré comme rectiligne et uniforme dans chacun des deux trajets d’aller et de retour pris isolément. C’est tout ce qui est requis pour la validité du raisonnement que nous venons de faire. Voir l’Appendice I à la fin du volume.
  2. Il ne s’agit toujours, bien entendu, que de la théorie de là Relativité restreinte.
  3. L’hypothèse du voyageur enfermé dans un boulet de canon, et ne vivant que deux ans tandis que deux cents ans s’écoulent sur la Terre, a été exposée par M. Langevin dans sa communication au congrès de Bologne en 1911. Elle est universellement connue et partout citée. On la trouvera, en particulier, dans l’important ouvrage de M. Jean Becquerel, Le principe de relativité et la théorie de la gravitation, page 52.
    Même du point de vue purement physique, elle soulève certaines difficultés, car nous ne sommes réellement plus ici en Relativité restreinte. Du moment que la vitesse change de sens, il y a accélération et nous avons affaireà un problème de Relativité généralisée.
    Mais, de toute manière, la solution donnée ci-dessus supprime le paradoxe et fait évanouir le problème. Voir les Appendices à la fin du volume.
    Nous saisissons cette occasion de dire que c’est la communication de M. Langevin au congrès de Bologne qui attira jadis notre attention sur les idées d’Einstein. On sait ce que doivent à M. Langevin, à ses travaux et à son enseignement, tous ceux qui s’intéressent à la théorie de la Relativité.
  4. Nous nous en tenons ici à la Relativité restreinte, parce que nous ne nous occupons que du Temps. En Relativité généralisée, il est incontestable qu’on tend à ne prendre aucun système de référence, à procéder comme pour la construction d’une géométrie intrinsèque, sans axes de coordonnées, à n’utiliser que des éléments invariante. Toutefois, même ici, l’invariance que l’on considère en fait est généralement encore relie d’une relation entre des éléments qui sont, eux, subordonnés au choix d’un système de référence.
  5. Dans son charmant petit livre sur la théorie de la Relativité (The general Principle of Relativity, London, 1920), H. Wildon Carr soutient que cette théorie implique une conception idéaliste de l’univers. Nous n’irions pas aussi loin ; mais c’est bien dans la direction idéaliste, croyons-nous, qu’il faudrait orienter cette physique si l’on voulait l’ériger en philosophie.
  6. Elle est imprécise, sans doute. Mais quand, par des expériences de laboratoire, on établit ce point, quand on mesure le « retard » apporté à la constatation psychologique d’une simultanéité, c’est encore a elle qu’il faut recourir pour la critiquer : sans elle ne serait possible aucune lecture d’appareil. En dernière analyse, tout repose sur des intuitions de simultanéité et des intuitions de succession.