Durée et simultanéité/Appendice I

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Alcan (p. 243-258).

APPENDICES DE LA DEUXIÈME EDITION


APPENDICE I

Le voyage en boulet


Nous l’avons dit, mais nous ne saurions trop le répéter : le ralentissement des horloges par leur déplacement, dans la théorie de la Relativité, est tout juste aussi réel que le rapetissement des objets par la distance. Le rapetissement des objets qui s’éloignent est un moyen, pour l’œil, de noter leur éloignement. Le ralentissement de l’horloge qui se déplace est un moyen, pour la théorie de la Relativité, de noter le déplacement : ce ralentissement mesure en quelque sorte la distance, dans l’échelle des vitesses, entre la vitesse du système mobile auquel l’horloge est attachée et la vitesse, supposée nulle, du système de référence qui est immobile par définition ; c’est un effet de perspective. De même qu’en nous transportant à l’objet éloigné nous l’apercevons en vraie grandeur et voyons alors rapetissé l’objet (pic nous venons de quitter, ainsi le physicien, passant de système en système, trouvera toujours le même Temps réel dans les systèmes où il se sera installé et qu’il aura par là même immobilisés, mais devra toujours, selon la perspective de la Relativité, attribuer des Temps plus ou moins ralentis aux systèmes qu’il aura quittés, et qu’il aura par là même mobilisés avec des vitesses plus ou moins considérables. Maintenant, si je raisonnais sur un personnage distant, réduit par la distance à l’état de nain, comme sur un nain véritable, c’est-à-dire comme sur un être qui serait nain et se comporterait en nain là où il est, j’aboutirais à des paradoxes ou à des contradictions : en tant que nain, il est « fantasmatique », la diminution de sa taille n’étant que la notation de sa distance. Non moins paradoxales seront les conséquences si j’érige en horloge réelle, marquant cette heure pour un observateur réel, l’horloge tout idéale, fantasmatique, qui donne en perspective de Relativité l’heure du système en mouvement. Mes personnages distants sont bien réels, mais, en tant que réels, ils conservent leur grandeur : c’est comme nains qu’ils sont fantasmatiques. Ainsi les horloges qui se déplacent par rapport à moi, immobile, sont bien des horloges réelles ; mais, en tant que réelles, elles marchent comme les miennes et marquent la même heure que les miennes : c’est en tant que marchant plus lentement et marquant une heure différente quelles deviennent fantasmatiques, comme les personnages dégénérés en nains.

Supposez que Pierre et Paul, l’un et l’autre de taille normale, causent ensemble. Pierre reste où il est, à côté de moi ; je le vois et il se voit lui-même en vraie grandeur. Mais Paul s’éloigne et prend, aux yeux de Pierre et aux miens, la dimension d’un nain. Si maintenant, allant me promener, je pense à Pierre comme à un homme de taille normale et à Paul comme à un nain, si je laisse Paul à l’état de nain quand je me le figure revenu auprès de Pierre et reprenant sa conversation avec Pierre, nécessairement j’aboutirai à des absurdités ou à des paradoxes : je n’ai pas le droit de mettre en rapport Pierre demeuré normal et Paul devenu nain, de supposer que celui-ci puisse causer avec celui-là, le voir, l’entendre, accomplir n’importe quel acte, car Paul, en tant que nain, n’est qu’une représentation, une image, un fantôme. Pourtant c’est exactement ce que faisaient et le partisan et l’adversaire de la théorie de la Relativité dans la discussion qui s’engagea au Collège de France, en avril 1922, sur les conséquences de la Relativité restreinte[1]. Le premier s’attachait seulement à établir la parfaite cohérence mathématique de la théorie, mais il conservait alors le paradoxe de Temps multiples et réels, — comme si l’on eut dit que Paul, revenu auprès de Pierre, se trouvait transformé on nain. Le second ne voulait probablement pas du paradoxe, mais il n’aurait pu l’écarter qu’en montrant dans Pierre un être réel et dans Paul devenu nain un pur fantôme, — c’est-à-dire en faisant une distinction qui ne relève plus de la physique mathématique, mais de la philosophie. Restant au contraire sur le terrain de ses contradicteurs, il ne pouvait que leur fournir une occasion de renforcer leur position et de confirmer le paradoxe. La vérité est que le paradoxe tombe, quand on fait la distinction qui s’impose. La théorie de la Relativité demeure intacte, avec une multiplicité indéfinie de Temps fictifs et un seul Temps réel.

Telle est justement notre argumentation. Qu’on ait eu quelque peine à la saisir, et qu’il ne soit pas toujours facile, même au physicien relativiste, de philosopher en termes de Relativité, c’est ce qui ressort d’une lettre, fort intéressante, qui nous fut adressée par un physicien des plus distingués. Comme d’autres lecteurs ont pu rencontrer la même difficulté, et que nul, assurément, ne l’aura formulée d’une manière plus claire, nous allons citer cette lettre dans ce qu’elle a d’essentiel. Nous reproduirons ensuite notre réponse.

« Soit la trajectoire du boulet dessinée dans le système Terre. Parti d’un point de la Terre , point en lequel va rester Pierre, le boulet qui emporte Paul se dirige vers avec une vitesse  ; arrivé en , ce boulet rebondit et revient, avec la vitesse , au point . Pierre et Paul se retrouvent, comparent leurs mesures, et échangent leurs impressions. Je dis qu’ils ne sont pas d’accord sur la durée du voyage : si Pierre affirme que Paul est resté absent un temps déterminé, qu’il a mesuré en , Paul lui répondra qu’il est bien certain d’être resté moins longtemps en voyage, parce qu’il a lui-même mesuré la durée de son voyage avec une unité de temps définie de la même manière, et l’a trouvée plus courte. Ils auront raison tous deux.

Je suppose que la trajectoire soit jalonnée par des horloges identiques entre elles, entraînées avec la Terre, donc appartenant au système Terre, et synchronisées par signaux lumineux. Au cours de son voyage, Paul peut lire l’heure marquée par celle de ces horloges auprès de lace quelle il passe, et comparer cette heure à l’heure marquée par une horloge, identique aux autres, qu’il a emportée dans son boulet.

Vous voyez dès à présent comment j’oriente la question : il s’agit de comparer directement des horloges voisines, de constater des événements voisins, d’observer une simultanéité d’indications d’horloges au même lieu. Nous ne nous égarons pas en dehors de la conception psychologique de la simultanéité, car, suivant votre propre expression, un événement s’accomplissant à côté le l’horloge est donné en simultanéité avec une Indication de l’horloge dans le sens que le psychologue attribue au mot simultanéité.

A l’événement « départ du boulet », l’horloge de Pierre marque celle de Paul marque aussi . Je suppose, bien entendu, que le boulet atteint instantanément sa vitesse. Voilà donc le boulet qui constitue un système en mouvement rectiligne et uniforme par rapport au système Terre, avec une vitesse . Je prends, pour fixer les idées v= 259.807 km./sec, de sorte que le facteur est égal à .

Je suppose qu’au bout d’une heure, marquée par l’horloge du boulet, celui-ci passe au milieu de la distance . Paul lit l’heure à la fois sur son horloge () et sur l’horloge du système Terre placée en . Quelle heure lira-t-il sur cette dernière ? Une des formules de Lorentz donne la réponse.

Nous savons que les formules de Lorentz donnent les relations qui lient les coordonnées d’espace et de temps mesurées par Pierre aux coordonnées d’espace et de temps mesurées par Paul, pour un même événement. Ici l’événement est la rencontre du boulet et de l’horloge du système Terre placée en  ; ses coordonnées sont, dans le système du boulet, ,  ; la formule

donne (puisque )

L’horloge du point marque donc .

Paul constate donc que l’horloge du système Terre devant laquelle il passe est en avance d’une heure sur la sienne ; bien entendu, il n’a pas à donner de coup de pouce à son horloge ; il enregistre le désaccord. Poursuivant son voyage, il constate que la différence des heures entre son horloge et les horloges qu’il rencontre successivement croit proportionnellement au temps marque par son horloge, si bien qu’en arrivant en son horloge marque  ; mais l’horloge du système Terre placée en marque .

Arrivé en , le boulet est renvoyé suivant a avec la vitesse . Ici, il y a changement de système de référence. Paul quitte brusquement le système animé de la vitesse par rapport à la Terre et passe dans le système de vitesse . Tout est à recommencer pour le voyage de retour. Imaginons qu’automatiquement l’horloge du boulet et celle de soient remises au zéro, et que les autres horloges liées à la Terre se trouvent synchronisées avec celle de . Nous pouvons recommencer le raisonnement précédent : au bout d’une heure de voyage, marquée par l’horloge de Paul, celui-ci constatera en repassant en que son horloge marque , alors que l’horloge liée à la Terre marque ... etc.

Mais à quoi bon supposer que les horloges ont été remises au zéro ? il était inutile d’y toucher. Nous savons qu’il y a un décalage initial dont il faut tenir compte ; ce décalage est de pour l’horloge, du boulet et de pour les a horloges du système Terre ; ce sont des constantes à ajouter aux heures qui seraient marquées si toutes les horloges avaient été ramenées au zéro. Ainsi, si l’on n’a pas touché aux horloges, lorsque le boulet repasse en , l’horloge de Paul marque , celle du point marque . Enfin, au retour en , l’horloge de Paul a enregistré , celle de Pierre .

Voilà le résultat ! Pour Pierre, resté en sur la Terre, ce sont bien 8 heures qui se sont écoulées entre le départ et le retour de Paul. Mais si l’on s’adresse à Paul « vivant et conscient », il dira que son horloge marquait au départ et marque au retour, qu’elle a enregistré une durée de et qu’il est bien resté, non pas , mais en voyage.  »


Telle est l’objection. Il est impossible, comme nous le disions, de la présenter en termes plus nets. C’est pourquoi nous l’avons reproduite telle qu’elle nous était adressée, au lieu de la formuler à notre manière et de nous l’adresser à nous-même. — Voici alors notre réponse :

« Il y a d’abord deux remarques importantes à faire.

« 1° Si l’on se place en dehors de la théorie de la Relativité, on conçoit un mouvement absolu et, par là même, une immobilité absolue ; il y aura dans l’univers des systèmes réellement immobiles. Mais, si l’on pose que tout mouvement est relatif, que devient l’immobilité ? Ce sera l’état du système de référence, je veux dire du système où le physicien se suppose placé, à l’intérieur duquel il se voit prenant des mesures et auquel il rapporte tous les points de l’univers. On ne peut pas se déplacer par rapport à soi-même ; et par conséquent le physicien, constructeur de la Science, est immobile par définition si l’on accepte la théorie de la Relativité. Sans doute il arrive au physicien relativiste, comme à tout autre physicien, de mettre en mouvement le système de référence où il s’était d’abord installé ; mais alors, bon gré mal gré, consciemment ou inconsciemment, il en adopte un autre, ne fût-ce que pour un instant ; il localise sa personnalité réelle dans ce nouveau système, qui devient ainsi immobile par définition ; et ce n’est plus alors qu’une image de lui-même qu’il aperçoit par la pensée dans ce qui était tout à l’heure, dans ce qui va redevenir à l’instant, son système de référence.

« 2° Si l’on se place en dehors de la théorie de la Relativité, on conçoit très bien un personnage Pierre absolument immobile au point , à côté d’un canon absolument immobile ; on conçoit aussi un personnage Paul, intérieur à un boulet qui est lancé loin de Pierre, se mouvant en ligne droite d’un mouvement uniforme absolu vers le point et revenant ensuite, en ligne droite et d’un mouvement uniforme absolu encore, au point . Mais, du point de vue de la théorie de la Relativité, il n’y a plus de mouvement absolu, ni d’immobilité absolue. La première des deux phases que nous venons de décrire deviendra donc simplement un écart croissant entre Pierre et Paul, et la seconde un écart décroissant. Nous pourrons par conséquent dire, à volonté, que Paul s’éloigne et puis se rapproche de Pierre, ou que Pierre s’éloigne et puis se rapproche de Paul. Si je suis avec Pierre, lequel s’adopte lui-même comme système de référence, c’est Pierre qui est immobile et j’interprète l’élargissement graduel de l’écart en disant que le boulet quitte le canon, le rétrécissement graduel en disant que le boulet y revient. Si je suis avec Paul, s’adoptant lui-même alors comme système de référence, j’interprète élargissement et rétrécissement en disant que c’est Pierre, avec le canon et la Terre, qui quitte Paul et qui revient ensuite à Paul. La symétrie est parfaite[2] : nous avons affaire, en somme, à deux systèmes et que rien ne nous empêche de supposer identiques ; et l’on voit que la situation de Pierre et celle de Paul, se prenant respectivement chacun pour système de référence et par là même s’immobilisant, sont interchangeables.

« J’arrive alors au point essentiel.

« Si l’on se place en dehors de la théorie de la Relativité, il n’y a aucun inconvénient à s’exprimer comme tout le monde, à dire que Pierre et Paul existent en même temps comme êtres conscients, voire comme physiciens, l’un étant absolument immobile et l’autre absolument en mouvement. Mais, du point de vue de la théorie de la Relativité, l’immobilité dépend d’un libre décret : est immobile le système où l’on se place par la pensée. Là est donc, par hypothèse, un physicien « vivant et conscient ». Bref, Pierre est un physicien, un être vivant et conscient. Mais Paul ? Si je le laisse vivant et conscient, à plus forte raison si je fais de lui un physicien comme Pierre, par là même je suppose qu’il se prend lui-même comme système de référence, par là même je l’immobilise. Or, Pierre et Paul ne peuvent pas être l’un et l’autre immobiles à la fois, puisqu’il y a entre eux, par hypothèse, écart continuellement grandissant d’abord, et ensuite continuellement décroissant. Il faut donc que je choisisse ; et, par le fait, j’ai choisi, puisque j’ai dit que c’était Paul qui était lancé à travers l’espace et que, par là même, j’ai immobilisé le système de Pierre en système de référence[3]. Mais alors, Paul est bien un être vivant et conscient à l’instant où il quitte Pierre ; il est bien encore un être vivant et conscient à l’instant où il revient à Pierre ; (il resterait même un être vivant et conscient dans l’intervalle si l’on convenait, pendant cet intervalle, de laisser de côté toute considération de mesure et plus spécialement toute physique relativiste) ; mais pour Pierre physicien, prenant des mesures et raisonnant sur des mesures, acceptant les lois de la perspective physico-mathématique, Paul une fois lancé dans l’espace n’est plus qu’une représentation de l’esprit, une image — ce que j’ai appelé un « fantôme » ou encore une « marionnette vide ». C’est ce Paul en route (ni conscient, ni vivant, réduit à l’état d’image) qui est dans un Temps plus lent que celui de Pierre. En vain donc Pierre, attaché au système immobile que nous appelons le système Terre, voudrait-il interroger ce Paul-là, au moment où il va rentrer dans le système, sur ses impressions de voyage : ce Paul-là n’a rien constaté et n’a pas eu d’impressions, n’étant qu’une représentation de Pierre. Il s’évanouit d’ailleurs au moment où il touche le système de Pierre. Le Paul qui a des impressions est un Paul qui a vécu dans l’intervalle, et le Paul qui a vécu dans l’intervalle est un Paul qui était à chaque instant interchangeable avec Pierre, qui occupait un temps identique à celui de Pierre et qui a vieilli juste autant que Pierre. Tout ce que la physique nous dira des constatations de Paul en voyage devra s’entendre des constatations que le physicien Pierre attribue à Paul lorsqu’il se fait lui-même référant et ne considère plus Paul que comme référé, — constatations que Pierre est obligé d’attribuer à Paul du moment qu’il cherche une représentation du monde qui soit indépendante de tout système de référence. Le Paul qui sort du boulet au retour du voyage, et qui fait de nouveau partie alors du système de Pierre, est quelque chose comme un personnage qui sortirait, en chair et en os, de la toile où il était représenté en peinture : c’était à la peinture et non pas au personnage, c’était à Paul référé et non pas à Paul référant, que s’appliquaient les raisonnements et les calculs de Pierre pendant que Paul était en voyage. Le personnage succède à la peinture, Paul référé redevient Paul référant ou capable de référer, dès qu’il passe du mouvement à l’immobilité.

« Mais il faut que je précise davantage, comme vous l’avez fait vous-même. Vous supposez le boulet animé d’une vitesse telle qu’on ait . Soient alors la trajectoire du boulet dessinée dans le système Terre, et le milieu lieu de la droite .
«  Je suppose, dites-vous, qu’au bout d’une heure marquée par l’horloge du boulet, celui-ci passe par le milieu de la distance . Paul lit l’heure à la fois sur son horloge () et sur l’horloge du système Terre placée en . Quelle heure lira-t-il sur cette dernière, si les deux horloges marquaient au départ ? Une des formules de Lorentz donne la réponse : l’horloge du point marque .  »


« Je réponds : Paul est incapable de lire quoi que ce soit ; car, en tant que se mouvant, selon vous, par rapport à Pierre immobile, en tant que référé à Pierre que vous avez supposé référant, il n’est plus qu’une image vide, une représentation. Pierre seul devra être traité désormais en être réel et conscient (à moins que vous n’abandonniez le point de vue du physicien, qui est ici celui de la mesure, pour revenir au point de vue du sens commun ou de la simple perception). Il ne faut donc pas dire : « Paul lit l’heure... ». Il faut dire : « Pierre, c’est-à-dire le physicien, se représente Paul lisant l’heure... ». Et, naturellement, puisque Pierre applique et doit appliquer les formules de Lorentz, il se représentera Paul lisant sur son horloge mobile au moment où, dans la représentation de Pierre, cette horloge passe devant l’horloge du système immobile qui marque aux yeux de Pierre — Mais, me direz-vous, il n’en existe pas moins, dans le système mobile, une horloge mobile qui marque une certaine heure par elle-même, indépendamment de tout ce que Pierre s’en pourra représenter ? — Sans aucun doute. L’heure de cette horloge réelle est précisément celle qu’y lirait Paul s’il redevenait réel, je veux dire vivant et conscient. Mais, à ce moment précis, Paul serait le physicien ; il prendrait son système pour système de référence et l’immobiliserait. Son horloge marquerait donc , — exactement l’heure que marquait l’horloge de Pierre. Je dis « que marquait », car déjà l’horloge de Pierre ne marque plus  ; elle marque , étant maintenant l’horloge de Pierre référé et non plus référant.

« Je n’ai pas besoin de poursuivre le raisonnement. Tout ce que vous dites des heures lues par Paul sur son horloge quand il arrive en , puis quand il revient en , et enfin quand il va, au retour, toucher et rentrer à l’instant même dans le système Terre, tout cela s’applique non pas à Paul vivant et conscient, regardant effectivement son horloge mobile, mais à un Paul que Pierre physicien se représente regardant cette horloge (et que le physicien doit d’ailleurs se représenter ainsi, et que le physicien n’a pas à distinguer de Paul vivant et conscient : cette distinction concerne le philosophe). C’est pour ce Paul simplement représenté et référé qu’il se sera écoulé 4 heures (représentées) pendant qu’il se sera écoulé 8 heures (vécues) pour Pierre. Mais Paul conscient, et par conséquent référant, aura vécu 8 heures, puisque c’est à lui qu’il faudra appliquer tout ce que nous venons de dire de Pierre. »

En somme, nous donnions dans cette réponse, une fois de plus, le sens des formules de Lorentz. Ce sens, nous l’avons déterminé de bien des manières ; nous avons cherché, par bien des moyens, à en donner la vision concrète. On pourrait aussi bien l’établir in abstracto en prenant la déduction classique de ces formules[4] et en la suivant pas à pas. On reconnaîtrait que les formules de Lorentz expriment tout simplement ce que doivent être les mesures attribuées à pour que le physicien en voie le physicien imaginé par lui en trouver la même vitesse que lui à la lumière.

  1. Nous faisons allusion à une objection présentée par M. Painlevé contre la théorie de la Relativité.
  2. Elle est parfaite, nous le répétons, entre Pierre référant et Paul référant, comme entre Pierre référé et Paul référé. Le rebroussement de chemin de Paul ne fait rien à l’affaire, puisque c’est aussi bien Pierre qui rebrousse chemin si Paul est référant. Nous montrerons d’ailleurs directement, dans les deux appendices suivants, la réciprocité de l’accélération.
  3. C’est, évidemment par extension qu’il est fait usage de l’expression « système de référence » dans le passage de la lettre, ci-dessus citée, où il est dit que Paul rebroussant chemin « change de système de référence ». Paul est bien, tour à tour, dans des systèmes qui pourront devenir des systèmes de référence ; mais aucun des deux systèmes, pendant qu’il est censé se mouvoir, n’est système de référence. Voir l’appendice III, et en particulier la note de la page 277.
  4. Einstein, La théorie de la Relativité restreinte et généralisée, trad. Rouvière, p. 101-107 ; Jean Becquerel, Le principe de Relativité et la théorie de la gravitation, p. 29-32.